J'ai eu l'occasion ce dernier mois de me plonger dans ce Requiem, une oeuvre que je connais et aime de longue date, mais que je n'avais pas entendu depuis, mettons, 7-8 ans.
J'ai réécouté les versions de Ancerl (DGG, pas Supraphon), Kertesz, Kosler et Sawallisch. Malheureusement je ne dispose pas de la version Jansons.
Question prise de son, un point important selon moi dans cette oeuvre, elles se tirent toutes relativement bien d'affaire. Comme ceux de Fauré ou de Brahms, le Requiem de Dvorak est relativement monochrome comparativement à ceux de Verdi ou Mozart. Ce qui n'est pas dire que son orchestration ou ses harmonies sont neutres, grises ou médiocres. Bien au contraire. Mais il faut un très bel éclairage pour en révéler les subtilités et les châtoiements. Dans l'ordre, je donnerais des notes (sur 10) de 9 (Sawallisch), 8 (Kosler) et 7 (Ancerl et Kertesz). Ces deux derniers pèchent par manque d'ampleur dynamique (Ancerl) et par un brin de saturation dû aux micros trop près des voix (Kertesz).
Les solistes sont importants, et on a ici de beaux plateaux. Le plus homogène, mais aussi le moins typé vocalement est celui de Kosler. Chez Ancerl j'aime tout sauf la mezzo, et encore, par comparaison au haut niveau atteint par les autres. Avec Ancerl, on a deux perles: Lorengar et Krause, qui ont la voix exacte de leur partie. Sawallisch bénéficie de la superbe Benackova, la très (trop?) expressive Fassbaender et le super solide Rootering. Donc pas de désastre, mais pas de quatuor idéal. Sawallisch et Ancerl: 9, Kosler et Kertesz 8.
L'orchestre est aussi très exposé, particulièrement les vents et cuivres. Ici, un triomphe: la version Philharmonie tchèque dans les versions Sawallisch et Ancerl. Qu'on entend différemment (type et âge de la prise de son), mais que, globalement je préfère avec Sawallisch. Et une mention très honorable à la version très 'characterful' de la Philharmonie slovaque.
Et finalement, le levain qui agit sur la pâte, le chef: ici Ancerl scintille comme une étoile de magnitude 0, Sawallisch 1, Kosler 3 et Kertesz 4 (la magnitude astronomique implique un ordre inverse de brillance). En définitive, le Requiem de Dvorak, plus long d'une bonne dizaine de minutes que celui de Verdi, demande des qualités très particulières pour soutenir l'attention, engager l'adhésion de l'auditeur et susciter l'enthousiasme.
Détail: les deux chefs tchèques prennent la fameuse fugue sur les paroles 'Quam olim Abrahae' nettement plus lentement que leurs confrères hongrois (plus rapide) et allemand (beaucoup plus rapide). Cette partie (tout comme le 'Dies irae') revient plus tard, donc son rôle de pivot dans la structure de l'oeuvre est particulièrement important.
Mon palmarès personnel:
- 9 pour Sawallisch, une version qui ne m'a donné que des joies et qui, de surplus, est la mieux enregistrée (mais on pourrait souhaiter un léger recul). Contre: c'est chiche (pas de couplage) et cher. Et Fassbaender est très proche d'Azucena. Malgré tout je ne peux qu'ondoyer cette version, qui est magnifique de bout en bout.
- 8.75 pour Ancerl. C'est classique mais aussi ultra dramatique et pour une grande partie de l'oeuvre je ne peux imaginer de plus belle exécution. Contre: une prise de son légèrement moins fraîche et ample (c'est normal - 1964) et une fugue un peu poussive. Globalement, c'est magique mais passablement sévère. Un autre type d'expérience.
- 8 pour Kosler: une version vibrante, dramatique, colorée, pleine de couleurs orchestrales que je n'entends pas ailleurs. Excellente direction, bons chanteurs. Pas de point faible. Une version colorée que j'aime pour touts sortes de petits détails. Pour: quand je l'ai achetée (Brilliant Classics), ça coûtait trois fois rien (couplé avec un Stabat Mater de référence). Contre: difficile à trouver.
- 7 pour Kertesz. La surprise de cette réécoute, mais aussi une confirmation de mon opinion d'il y a 30 ans: un peu superficiel à plusieurs points de vue. Pas assez fouillé, tempi relativement peu contrastés, un parti-pris de couleur qui nous amène plus près de Kodaly que de la spiritualité catholique de Dvorak. Et une prise de son brillante qui nous place nettement trop près de l'action. Ils réussissent à détimbrer Lorengar, une voix pure s'il en fût - il faut le faire! L'orchestre est splendide et très bien capté. Mais c'est un orchestre londonien, donc caméléon passe-partout.