Autour de la musique classique

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 Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)

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MessageSujet: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyMer 22 Juil 2009 - 4:46

L'été, c'est la saison des feuilletons. Alors je vais en écrire un. En suivant quelques règles de base :

1. Personne n'est obligé de lire.
2. Personne n'est obligé d'aimer.
3. Je rajoute un épisode quand je peux et quand ça me pète.
4. Je ne m'engage en aucune manière à le finir un jour.
5. Ceci n'est pas un appel au flood.

J'ai conscience que ce forum est un forum de musique classique et j'invite tout le monde à se consacrer aux discussions musicales avant de perdre son temps à lire ceci, pour peu qu'il en ait envie.

J'ai également conscience que ce forum est un lieu public, ce qui m'amènera tout naturellement à m'autocensurer ou à me moduler afin de ne pas choquer les sensibilités.

Sur ce, et si le coeur vous en dit, place au premier épisode...
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyMer 22 Juil 2009 - 4:48

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 1




Il pleut. C'est pas ma faute à moi.

Les réveils sont durs, surtout les miens, surtout en ce moment, surtout tout le temps, depuis toujours et jusqu'à jamais. Les réveils sont durs avec moi : ils sonnent toujours au moment où je m'y attends le moins, au beau milieu d'un rêve, jamais d'un cauchemar. Jamais un réveil ne m'a sauvé la vie quand ma mère me poursuivait avec une tronçonneuse, ou permis d'échapper à l'humiliation tandis que je me rendais au lycée tout nu en regrettant amèrement de n'avoir pas suivi le moindre cours d'anglais durant l'année. Les réveils sont durs en cela qu'ils sonnent lorsque je suis en agréable compagnie, par exemple, si vous voyez ce que je veux dire. Ils m'extirpent de quelques rares moments de béatitude pour me ramener au quotidien, et le quotidien c'est moche, pas seulement Le Dauphiné Libéré, non non, TOUS les quotidiens.

En me levant j'ai posé gauchement mon pied droit nu sur le sol, et j'ai senti sous ma plante plein de petites miettes de pain se nicher joyeusement au sein de mes ampoules dont la taille est si imposante que le seul adjectif dont j'envisagerais de les affubler serait : « atmosphérique ». Je me suis souvenu que cela fait un sacré bout de temps que je n'ai pas passé l'aspirateur. De balai je n'en ai plus. Il était trop sale. Je l'ai jeté.

Je me suis fait passer une cigarette et roulé une tasse de café en écoutant les informations. J'ai appris, en l'espace infime de quelques minutes, que des centaines de gens étaient morts un peu partout dans le monde. Les gens meurent à une vitesse redoutable sur France-Info. La septuagnéraire écrasée par un train près de Dunkerque jouxte avec une proximité temporelle édifiante les dernières victimes du dernier attentat en Iraq. Mais heureusement il n'y a pas que des gens qui meurent. Il y a aussi ceux qui sont grièvement blessés. Ceux qui agonisent à l'hôpital mais dont l'état est jugé stationnaire, car en effet les agonisants stationnent. Ceux qui ont perdu des bras dans des machines à laver, des bébés dans des réfrigirateurs, des emplois dans des délocalisations, bref toute une cohorte de malheurs qui m'est tombé dessus en moins de temps qu'il n'en faut à quelque chose qui va vachement vite de faire quelque chose de super rapide. Et le tout fut conclu par le nouveau message de prévention publique concernant les dangers du tabac, que j'ai écouté attentivement en recrachant ma fumée par les narines.

Et puis on a sonné à la porte. Enfin on a sonné à la sonnette, en réalité. Ce qui tombait bien parce que j'avais enfilé mon caleçon, et que j'étais donc visible. J'ai regardé dans le judas. Personne. J'ai ouvert la porte. Personne. Alors je l'ai invité à entrer et lui ai proposé une tasse de café.

Personne est un de mes plus vieux copains, ce qui signifie qu'il a cinquante-sept ans. Il prenait plaisir à expliquer à qui voulait l'entendre, une catégorie de personnes qui tendait à se raréfier avec l'usage, qu'en réalité il avait toujours vingt ans, qu'il se sentait en pleine forme, et que ces drôles de marques brunâtres qui commençaient à ronger la peau sèche de ses mains étaient dues à la nouvelle marque de savon qu'il utilisait par souci d'écologie. Généralement, c'était aux jeunes femmes qu'il adressait ses boniments farceurs. Personne aimait les femmes autant que moi le Toblerone. Dans sa jeunesse il avait été, si l'on en croit ses dires, un dangereux séducteur. Croire les dires de Personne revenait à compter sur Richard Nixon pour mettre fin à la guerre du Viet-Nam, mais peu importe. Les amis ça ne courent pas les rues. Quand on en a un, on le ménage. On l'amménage, aussi. On fait fi des défauts, on ne retient que les qualités, et s'il le faut on en invente. Personne ne manquait donc pas de faire étalage de ses nombreuses conquètes, qui en faisait un dangereux rival d'Elvis Presley et de Leonardo DiCaprio réunis. Il fallait voir dans ses yeux luminer les flammes infernales de la concupiscence lorsqu'il parlait des femmes pour comprendre avec exactitude le sens du mot « pathétique ». Même Molière l'aurait trouvé trop caricatural. Quand Personne commençait à pérorer sur cette thématique, j'avais envie de lui envoyer mon poing dans la gueule. Je m'en abstenais toutefois, n'étant pas sûr qu'il daignerait ensuite me le rendre.

Pour vous décrire Personne, je n'ai pas tellement à m'embarrasser de fioritures littéraires, et c'est tant mieux parce que les fioritures me font le même effet que les cerises. Il suffit de se représenter Francis Blanche dans La Grande Lessive (!) de Jean-Pierre Mocky pour avoir une idée à peu près exacte de ce à quoi il ressemblait. Sauf que Personne, à ma connaissance, ne portait pas de perruque. Le blond paille-flétrie de ses cheveux n'avait toutefois rien de naturel, dans tous les sens du terme d'ailleurs car je suis à peu près convaincu qu'une couleur pareille n'existe nulle part dans la nature. Pas sur cette planète, en tout cas. Il y a des choses que même le bon Dieu, spécialiste du mauvais goût par excellence, n'a pas osé tenter. Ça aurait été des coups à se faire caillasser les nuages.

Finalement, et d'un point de vue purement physique, Personne m'écoeurait. J'évitais de le regarder dans les yeux plus de deux minutes. J'étais capable d'en tenir trois devant une flaque de vomi, cinq devant un étron de chien malade, et – mon record, homologué – douze devant la dépouille d'un poulet écrasé par un tracteur, mais face à Personne, au bout d'une minute et trente secondes, je sentais que mon estomac criait misère et que mes sucs gastriques criaient vengeance. Alors je détournais le regard et me concentrait sur n'importe quoi en essayant de reprendre ma respiration. Personne avait l'habitude de provoquer ce genre de réaction, qu'il attribuait à un charisme démesuré. Il s'en satisfaisait pleinement.

Le temps que je vous parle de lui, il s'était assis dans mon fauteuil déglingué et écoutait d'une oreille distraite les prévisions météorologiques en sirotant le café que je lui avais offert. Il attendait visiblement que j'aie fini de soliloquer pour m'expliquer la raison de sa présence entre mes murs. Et lorsqu'il sentit que le moment était venu, le téléphone sonna. Ce qui lui déplut fortement.

Attention, quand je dis que le téléphone sonna, je parle du téléphone de chez moi, le vrai, pas le petit machin multicolore qui fait des bruits quand on m'appelle et qui va me refiler, paraît-il, une tumeur au cerveau dans les vingt ans qui viennent. Oui je vous parle de ce bon vieil appareil relié à un fil, avec sa sonnerie basique, inchangeable, sans option répondeur, sans appareil-photo intégré, qui ne donnait ni l'heure ni la date, même si on les lui demandait poliment. Pendant que je décrochais Personne m'a demandé : « tu l'as encore ce vieux machin ? Faut vivre avec son temps, mon vieux. Les fixes, c'est comme les rousses, c'est passé de mode ! » et j'ai esquissé une grimace en guise de sourire avant de coller l'écouteur contre mon oreille.




Mais qui est le mystérieux correspondant qui m'appelle ainsi ? Et pour quelles raisons Personne est-il venu me rendre visite en cette matinée ? Vous le saurez, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.


Dernière édition par Picrotal le Sam 25 Juil 2009 - 0:00, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyMer 22 Juil 2009 - 20:14

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 2



La voix qui se mit à me parler dans le combiné était féminine, pour autant que je puisse en juger. Sans même prendre la peine de se présenter, elle m'asséna :

« Vous êtes seul ?
— Euh, oui.
— Vous pouvez me certifier qu'il n'y a pas quelqu'un avec vous ?
— Ah si, il y a quelqu'un : il y a Personne.
— Je ne comprends pas. Il y a quelqu'un ou il n'y a personne ?
— Il y a quelqu'un. Personne.
— S'il y a quelqu'un, alors vous n'êtes pas seul !
— Mais si, je suis Seul.

Car j'ai oublié de vous préciser, je ne pensais pas que cela aurait la moindre importance, que je m'appelle Seul. Christian René Seul, pour êtes plus exact. Mais tous mes amis m'appellent autrement. Je n'ai pas de surnom désigné, chacun use de sa petite imagination pour me désigner. On ne m'appelle Christian qu'à de rares occasions : repas de famille, cérémonies officielles, communions, bar-mitzvah...

— Je suis Seul (ai-je repris), je m'appelle Seul. C'est mon nom. Et je suis avec Personne. C'est son nom aussi.
— Ce sont des noms rigolos.
— Disons que c'est l'idéal quand on aime les quiproquos, en effet. Et vous, vous êtes ?
— Je m'appelle Reviens.
— C'est une blague ?
— Je vous jure que non. Mais vous pouvez m'appeler Jeannette.
— C'est votre prénom ?
— Non, mon prénom c'est Denise, mais je trouve que Jeannette, c'est plus joli. Quoiqu'il en soit, j'ai besoin de vous parler. Seule à seul, si j'ose dire. Vous ne pouvez pas demander à votre ami de vous laisser quelques minutes ?
— Je n'ai aucun secret pour Personne ! (ai-je menti)
— Bien... Monsieur Seul, je vais vous expliquer de quoi il retourne. J'appartiens aux Services Secrets.
— Lesquels ?
— C'est un secret. Votre numéro de téléphone a été sélectionné au hasard : notre organisme a décidé de vous confier une mission de la plus haute importance. Vous n'avez pas le droit de refuser. Il faut que vous soyez présent dans deux heures très exactement rue des Caramboles, en face du numéro 19. Vous avez noté l'adresse ?
— Inutile, c'est en bas de chez moi.
— C'est parfait. Je savais que le hasard faisait bien les choses. Vous pouvez venir avec votre ami, si vous le désirez, et s'il le désire. Je le lui conseille, d'ailleurs : s'il refuse de coopérer, ayant été témoin de notre conversation, il nous faudra le réduire au silence.
— Vous allez le tuer ?
— Bien sûr que non, monsieur Seul. Nous ne sommes pas des barbares. Lui trancher la langue sera amplement suffisant. A tout à l'heure ! »

Et j'ai entendu le clic du combiné que l'on raccroche avec l'assurance des gens qui sont du bon côté de la police. J'ai regardé quelques secondes Personne qui sirotait son café en tapotant des doigts sur sa cuisse gauche. Lui trancher la langue... Je me demandais si tout cela était bien sérieux. En même temps, comme canular, ce serait sophistiqué. Le truc tellement incroyable qu'on serait obligé d'y croire en se disant que personne n'oserait monter un bateau pareil en espérant être cru. Mais c'était peut-être ça, l'astuce. A force de monter des blagues téléphoniques reniflables à trois kilomètres, les humoristes de la nouvelle génération en étaient peut-être réduits à calembreder ce genre de trucs, des mensonges tellement énormes qu'ils forcent le respect, auxquels on s'en voudrait, au fond de soi, de ne pas adhérer. Et moi cela m'ennuyait tout ça, parce que j'avais prévu des choses à faire pour la journée. D'abord je voulais aller acheter du scotch. Je m'étais rendu compte la veille, en cherchant dans mes tiroirs un briquet valide, que mon rouleau était mort. La dernière fois que je me suis servi d'un rouleau de scotch ce devait être en CM1, mais cela n'empêche pas. Tout homme qui se respecte se doit d'avoir chez lui un rouleau de scotch. Ne serait-ce que pour dépanner les voisins ou les amis de passage. Car, aussi étrange que cela puisse paraître étant données les origines étymologiques mêmes du mot « scotch », c'est un truc qui se partage, le scotch. Si la petite voisine du dessous vient me voir pour me demander du scotch et que je suis dans l'incapacité de lui en fournir, elle jugera probablement que je suis soit un minable, soit un radin, et dans un cas comme dans l'autre cela diminuera nettement mes chances auprès d'elle, déjà fort minimes dans la mesure où elle ignore jusqu'à la possibilité de mon existence. Donc je voulais acheter du scotch. Et puis je voulais aller à la gare prendre les nouveaux horaires de train. C'est un rituel. J'avais donc beaucoup de choses à faire, et ce rendez-vous mystérieux au bas de mon immeuble chamboulait tous mes plans. Et Personne était là, en plus. J'allais devoir le convaincre.

« C'était qui ? (m'a t-il d'ailleurs demandé, jugeant que ma digression s'éternisait)
— Je ne sais pas... Une nana... Elle veut que je la retrouve en bas de chez moi dans deux heures.
— (Personne m'a fait un clin d'oeil d'une rare vulgarité) Hé ben mon salaud ! Tu ne sors jamais de chez toi et elles te tombent toutes cuites dans le téléphone ! Tu es un sacré veinard.
— Elle veut que tu viennes, toi aussi.
— Oh oh ! Une cochonne, alors !
— Ecoute Personne, je ne crois vraiment pas que cela soit quelque chose de sexuel, cette histoire...
— Mais tout est toujours sexuel avec les femmes, mon pigeon. Crois en mon expérience. Des femmes j'en ai eu un sacré paquet. De tous les genres, de toutes les couleurs et de tous les âges. La femme, c'est la sexualité à l'état pur. Dés qu'elles ont passé seize ans, tout ce qu'elle font, tout ce qu'elles disent, tout ce qu'elles entreprennent contient un fond de sexualité. Elles peuvent le nier autant qu'elles veulent, on ne me la fait pas !
— Personne, je t'ai déjà dit que, des fois, tu racontes des trucs tellement débiles que ça me donne envie de prendre l'annuaire téléphonique et de te taper avec sur la tête jusqu'à faire dégouliner ta cervelle par les oreilles ? »

Et j'ai repris ma tasse entre mes doigts et j'ai fini d'avaler mon café en le couvant d'un regard noir pour bien lui faire comprendre combien je désapprouvais la nature même de ses propos. Mais Personne il était fier de lui, dans le genre. Je savais qu'il ne voyait dans ma réaction qu'un reniement de ma propre virilité. Le monde se divisait en deux catégories dans son esprit : les gens de mauvaise foi, et lui. Puis, après un long silence pesant, j'ai tenté de remettre la conversation sur des rails plus adéquats :

« Elle a dit qu'elle était des Services Secrets.
— Qui ça ?
— La nana. Au téléphone. Elle a dit qu'elle était des Services Secrets, et qu'elle avait une mission à me confier, et qu'il fallait que tu viennes toi aussi sinon ils vont te trancher la langue.
— Comment ça, me trancher la langue ? Qu'est-ce qu'elle leur a fait, ma langue ? J'en ai besoin, moi ! Je suis représentant en fenêtres, ma langue c'est mon gagne-pain !
— Je sais bien, écoute... Moi je te répète juste ce qu'elle m'a dit. Autant c'est juste une blague.
— Si c'est une blague, c'est de mauvais goût ! Je suis pas venu ici pour m'entendre dire qu'on va me trancher la langue !
— Ça je m'en doute... Et tu es venu pour quoi, au fait, déjà ? »



Mais oui, pour quelle raison Personne est-il venu me rendre visite, et quelle est cette mission secrète que veulent me confier les Services Secrets, pour peu qu'il ne s'agisse pas d'une simple plaisanterie ? Vous le saurez, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.


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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyJeu 23 Juil 2009 - 18:29

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 3




Au moment où Personne allait me dire la raison initiale de sa présence en mon huis, j'aime bien ce mot, et tandis qu'il prenait sa respiration en affectant un air dramatique qui ne présageait rien de bon (ni de mauvais d'ailleurs, en fait), un oiseau a subitement fait irruption dans mon appartement en se faufilant vitesse grand V par la fenêtre ouverte. Nous avons tous deux poussé un cri de surprise et bondi comme des diables hors de leur boîte. Les oiseaux venaient rarement me rendre visite. J'avais généralement plus l'occasion de fréquenter des mouches, des mille-pattes, occasionnellement des abeilles ainsi qu'une petite colonie nomade de cafards qui appréciait visiblement d'établir son campement d'automne en dessous de mon réfrigérateur. Mais la dernière fois qu'un oiseau avait poussé l'égarement jusqu'à pénétrer chez moi, à l'exception des poulets que j'achetais quelquefois à la supérette du coin, naturellement, cela remontait à beaucoup très loin dans un éloignement de temps significatif. Et c'était ennuyeux. Les oiseaux ça n'est pas très intelligent. Il y en a qui sont capables de retrouver leurs nids après trois ans de villégiature de l'autre côté du globe, d'accord. Il y en a d'autres qui ont développé des systèmes de défense contre les prédateurs tout à fait pertinents, et si on avait pris exemple sur eux on aurait peut-être perdu moins de guerre dans le passé, c'est entendu. Il y en a même des bien vicieux, façon coucou qui fait couver ses oeufs par les autres, ou toute la clique des charognards qui attendront que vous ayez poussé votre dernier souffle avant de commencer à croquer, juste pour s'éviter de prendre la tarte du condamné à mort. Certes, certes. Mais dans l'ensemble, en ce qui concerne les simples rapports humains, les oiseaux sont tout sauf des Prix Nobel. Celui-ci je ne savais pas ce que c'était. Il avait des drôles de couleur, ça virait à l'orange si on y regardait bien, mais autant il avait juste pris un coup de soleil, je ne sais pas. Toujours est-il qu'un oiseau en appartement, c'est un coup à se faire crever un oeil, sans parler des cacas que ces bidules ne peuvent pas s'empêcher de déposer partout où ils flottent. Alors forcément ça nous a changé les idées, à Personne et à moi. On s'est attelé ensemble à trouver un moyen de le remettre dehors. Ça n'a pas été facile. Pour être franc, je n'ai même aucune idée de la façon dont on s'y est pris.

Résumons-nous : nous avons deux types, un appartement d'une trentaine de mètres carrés, et un oiseau sauvage au milieu, susceptible de s'affoler à tout moment. Pour se représenter la façon dont il faut s'y prendre pour renvoyer le piaf à sa liberté sans se faire écorcher, il faut avoir une sacrée imagination. Et moi l'imagination je la consacre à des choses plus importantes, genre révolution mondiale pacifique ou un plan trioliste en compagnie d'Hiroko Sato et de Reon Kadena. C'est la raison pour laquelle je ne sais même plus comment on s'y est pris : je n'ai pas envie de chercher plus que cela. Mais ça nous a pris une bonne heure, au bas mot. A la fin, on a regardé le zoziau s'envoler vers les cieux en sifflotant des mélodies quelque peu affolées et on s'est frottés de partout pour se débarrasser des plumes, et pour remercier Personne qui m'avait apporté son concours avec beaucoup de courage et de vaillance, je lui ai offert la dernière bière qui traînait dans mon frigidaire et qui était périmée depuis plusieurs semaines, détail auquel il ne fit d'ailleurs pas attention.

« Tu crois que c'est quoi, cette histoire de Services Secrets ? (m'a t-il demandé en sirotant sa cannette) Je veux dire : imaginons que ce n'est pas une farce. Que cette nana est vraiment un agent et qu'elle a réellement l'intention de me trancher la langue si je refuse de venir avec toi, à ton avis elle te veut quoi ?
— Ben je n'en sais rien. Elle m'a dit qu'ils avaient sélectionné mon numéro de téléphone au hasard. Je suppose que c'est vrai. Des types qui ne sont pas fichus de couler un bateau ou de mettre le feu à une paillote sans se faire gauler par la presse sont bien capables de faire des trucs aussi stupides...
— D'accord, mais après ? Ils servent à quoi, les Services Secrets en ce moment ? Y a plus de Guerre Froide, après tout. Tu crois que ça a quelque chose à voir avec le terrorisme ?
— Je ne sais pas. J'imagine. Tout a à voir avec le terrorisme, maintenant, de toute manière. Même quand tu fumes un joint, ils trouvent le moyen de mettre ça en rapport avec les terroristes, alors bon. On va bientôt être fixés, quoiqu'il en soit. C'est l'heure dans pas longtemps. On ferait aussi bien de descendre tout de suite, d'ailleurs. Ces types-là sont toujours en retard d'un demi-siècle en matière de géopolitique, mais par contre faut jamais les faire attendre plus de deux minutes ! »

Après avoir prononcé ces dernières sentences, pleines de gravité et de bon sens, et tellement bien adaptées à un dialogue essayant de retranscrire le ton parlé de tous les jours, je me suis levé et j'ai préparé mon sac. Je sors jamais sans mon sac. Pire qu'une femme. J'y ai mis mon paquet de tabac, de feuilles, de filtres, ainsi qu'une bouteille d'eau fraîche, un petit brumisateur de poche (modèle kangourou), quelques feuilles de papier et des stylos à bille noirs. Personne pendant ce temps a fini sa bière et est allé faire pipi, ce qui est un détail dont chacun se serait volontiers passé, j'en suis certain.

Nous sommes descendus dans la rue et on s'est collés devant mon immeuble à attendre comme deux ronds de flancs, pour parler comme Marcel Proust. Je me suis roulé une cigarette et j'en ai proposé une à Personne qui l'a refusé d'un petit mouvement de la main gauche, la plus arrogante des deux. Enfin, sauf pour les gauchers. Bref. Il faisait chaud, terriblement chaud. C'était le foehn. Et j'étais content, parce que j'avais appris ce mot pas plus tard qu'hier en consultant la météo de ma ville sur Internet. Le foehn c'est une belle cochonnerie. C'est un vent bien chaud qui se coince entre les montagnes et qui souffle fort afin de manifester son mécontentement. Ça vous envoie dans la tronche des rafales brûlantes qui donnent l'impression de vivre juste à côté d'une chaufferie. C'est un vent qui rend maussade aussi, et qui angoisse. Il paraît que les jours de foehn, les suicides sont plus nombreux. C'est amusant de penser que les jours de catastrophe humanitaire, de coups d'état sanglant ou d'élection présidentielle, le taux de suicide reste le même, mais qu'il suffit d'un bon gros coup de vent bien chaud pour que les chiffres grimpent dans les statistiques. Le problème avec l'être humain, c'est qu'il meurt rarement pour de bonnes raisons.

Personne n'était pas d'humeur bavarde. Le fait qu'on le menace de lui trancher la langue, ça le rendait muet. Ce qui est intéressant à observer. De fait on est restés l'un à côté de l'autre sans se parler et j'ai regardé le défilé des passants qui passaient, ainsi que c'est leur raison d'être. En été on voit des gens bizarres dans la rue. C'est la saison des cuisses poilues et des grosses bedaines qui débordent des t-shirts. Et des casquettes ridicules, aussi. Mais les femmes sont belles. Moi je les préfère en hiver, je ne sais pas trop pourquoi, je trouve qu'il n'y a rien de plus charmant, de plus sensuel aussi, qu'une jolie fille emmitouflée sous quatre pull-over et deux pantalons en peau de yak synthétiques. Je crois que c'est mon goût pour les peaux pâles qui s'exprime également. Les nanas bronzés ça me rebute, à côté d'elle j'ai l'impression d'être albinos. Comme l'Adagio de Giazotto, vous savez.

Non finalement les plus belles femmes en été ce sont les femmes enceintes. La sensualité qu'elle dégage en cette saison précise a de quoi me faire chavirer comme un bateau sobre. C'est l'une des rares formes de sensualité que l'on peut réellement débarrasser de ses aspects les plus pornographiques. Enfin, pour moi. Personne ça n'aurait pas été son souci, mais moi je suis un esthète. Un jour je le promets j'écrirai une Ode aux femmes enceintes d'été, et ça vaudra bien cette connerie d'Eloge des femmes mûres ou cette vaste fumisterie qu'est La Mécanique des femmes. Seul Baudelaire a su parler des femmes comme il se doit, dans notre paysage à nous. Et Céline, aussi, un peu.

Et pendant que je me disais tout cela en tirant comme un fou furieux sur ma cigarette, parce que j'étais nerveux et qu'en général ce sont mes clopes qui morflent dans ces cas-là, et pendant que se rapprochait l'heure de notre rendez-vous, et pendant que j'observais du coin de l'oeil Personne fermer les yeux comme s'il était en train de s'endormir debout, et pendant que quelque part dans le monde un type était en train d'écrire un nouveau chef-d'oeuvre de la littérature alors que moi je m'use les phrases comme un maboul pour n'en soutirer que quelques étincelles stériles, un grand fracas chaotique a retenti dans la rue, qui a fait sursauter tout le monde.



Mais que s'est-il donc passé dans la rue des Caramboles ? Et que me veulent les Services Secrets ? Et saurons-nous la raison pour laquelle Personne était en premier lieu venu me rendre visite ? Autant de questions qui trouveront peut-être des réponses, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.


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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyVen 24 Juil 2009 - 19:09

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 4




Tout de suite après l'immense fracas qui venait de nous déchirer les oreilles, et tandis que nos coeurs battaient la chamade, un grand nuage de poussière s'est alors emparé de nous. J'ai laissé tomber ma cigarette, considérant qu'il n'était pas nécessaire d'en rajouter, et nous avons tous deux taché de nous couvrir la bouche et autres orifices respiratoires d'un mouchoir tout en nous couvrant les yeux, ce qui n'était pas aisé dans la mesure où, comme la plupart des gens, nous n'avions alors que deux mains chacun à notre disposition. Des gens couraient dans la rue. J'ai essayé d'en happer quelques-uns pour leur demander ce qui se passait mais les réponses étouffées que je reçus en réponse ne furent pas à la hauteur de mes espérances.

« Houm hum houm houm hum ! » m'a dit Personne, son mouchoir plaqué sur les lèvres, et j'ai hoché la tête en signe d'assentiment, comme je fais toujours pour ne pas avoir l'air bête quand quelqu'un me dit quelque chose que je ne comprends pas. Je crois qu'il essayait de me dire que nous ferions mieux d'imiter tous ces gens qui s'enfuyaient, puisqu'il s'est aussitôt mis à courir comme un dératé, rapidement suivi par moi-même, mais moins vite, parce que je fume plus que lui. La rue des Caramboles dans laquelle je résidais était une longue rue étroite, prise entre deux rangées d'immeubles sages dont certains étaient bons pour la casse. Le nuage de fumée n'avait pas d'autre choix que de l'envahir soigneusement, sans opportunité d'évaporation ou d'escapade quelconque. Aussi avons-nous couru parmi la foule jusqu'à la place des Tonneliers, sur laquelle l'air devenait enfin plus respirable. Des gens hagards s'y étaient massés. En me retournant, je vis que ma rue n'était plus qu'un couloir grisâtre d'où émergeaient encore de manière éparse quelques silhouettes malmenées. Tout le monde toussait autour de nous, on se serait cru en pays Cathare.

« Qu'est-ce qui se passe ? » était la question-clé du moment, et personne ne semblait avoir la réponse. Encore toutes engourdies par le tintamarre qu'elles venaient de subir, nos oreilles mirent un certain temps à entendre comme un tumulte lointain qui se déroulait quelque part en ville. Des cris, des clameurs retentissaient je ne saurais dire où. Comme un océan tempétueux, des vagues de voix humaines allaient et venaient dans l'air, chargées de violences et de menaces. Des voitures affolées se mirent alors à débouler à toute vitesse le long de la petite route qui bordait la Place des Tonneliers, tout un troupeau frénétique. C'était le chaos, le vrai, comme dans les films. Plusieurs d'entre-elles se rentraient dedans sans prendre la peine de s'arrêter, des rétroviseurs volaient en éclat et retombaient inertes sur le sol, disséminant des bribes de verre brisé qui rutilaient au soleil. Un cortège insensé de véhicules divers qui circulait devant nos regards bovins, à tombeau ouvert. Certains roulaient tellement mal qu'on aurait pu se demander s'ils ne conduisaient pas les yeux fermés. Débordaient sur les trottoirs. Crissaient comme un tableau noir. Un insensé fichoir.

Et parmi toutes ces bagnoles qui filaient comme le vent vers les axes de sortie de la ville, l'une d'entre-elles sembla nous reconnaître puisqu'à notre vue elle opéra un dérapage de malade, faillit se faire emboutir par celle qui roulait juste derrière, provoquant un déluge de klaxons étranglés, et s'arrêta d'un coup de frein à main en plein sur la Place des Tonneliers, manquant au passage de renverser deux petits vieux qui n'avaient pas été aussi prestes que les autres à se mettre aux abris en la voyant débouler comme un chien dans une jonquille.

« Oh non, merde, pas lui ! (ai-je crié à Personne en reconnaissant le conducteur)
— Lecon ! »

Lecon, oui. Auguste Lecon. Je l'avais rencontré durant un stage de mots croisés, il était chargé de l'entretien des lieux. Je l'avais trouvé sympathique, ce qu'il était d'ailleurs, mais il était con. Il était stupide. Il était idiot. Et cela apparaissait forcément dans la plupart des phrases qu'il prononçait. Et cela rendait sa conversation difficilement supportable en-dessous d'un certain taux d'alcool dans le sang ou de THC dans les poumons. Personne pour sa part n'y prenait pas garde. Il avait plus de patience que moi, je pense. Et il était probablement moins heurté par les inepties que pouvait proférer Lecon, dans la mesure où lui-même en produisait une quantité respectable.

Lecon a sorti la tête de sa voiture et, sans prendre garde à l'hostilité que son apparition subite sur la Place des Tonneliers avait provoqué parmi la petite foule qui y était amassée, nous cria en ne s'adressant qu'à nous, ce qui était un peu gênant, « montez vite, les mecs !

— Qu'est-ce qui se passe ? (nous lui avons demandé en choeur)
— Je sais pas ce qui se passe, mais c'est le bordel ! Ça a commencé d'un coup, c'est sorti de nulle part. Des gens partout qui se sont mis à tout casser. Ça pète de partout en ville. Ils ont posé des explosifs dans des immeubles. Ils sont en train de tout faire sauter !
— C'est une révolution ? (a demandé Personne)
— Pire que ça, mon vieux : c'est une émeute (ai-je répondu, parce que je connais mes classiques).
— Je sais pas ce que c'est, mais faut foutre le camp d'ici ! (a surenchéri Lecon, se souciant peu de la panique que ses paroles commençaient à produire parmi toutes les personnes qui, entassées sur la Place, les buvaient passionnément.) Montez ! »

J'ai hésité un instant mais une grande explosion, provenant cette fois-ci du quartier des Muselières à quelques dizaines de mètres du mien, nous amena Personne et moi à suivre le conseil de Lecon, ce qui était bien le comble, et nous avons grimpé dans sa voiture sans attendre. Il était temps, par ailleurs. On sentait monter dans la foule ce bel élan du chacun pour soi dont l'être humain sait si bien s'accommoder quand les choses commencent à aller mal, et il n'aurait guère fallu plus de deux minutes pour que quelques gars bien costauds ne prennent la décision d'extraire Lecon de sa bagnole pour s'enfuir avec, au mépris de toute convention sociale. A peine avions nous refermé les portières que Lecon s'est rempaillé sur la route avec une certaine adresse que je ne lui connaissais pas, et s'est mis à rouler comme un dératé. Je me suis retourné et j'ai vu une large colonne de fumée s'élever depuis le quartier des Muselières, noire comme de la suie.. Sur la Place des Tonneliers, les gens s'agitaient. Certains commençaient à se battre. J'ai juste eu le temps de voir ma boulangère essayer de mordre mon propriétaire pour je-ne-sais quelles raisons avant qu'au hasard d'un virage tout cela ne soit plus qu'un souvenir à classer parmi d'autres dans les casiers de mon petit cerveau malade.

La route était étroite jusqu'ici mais à l'approche de la sortie de la ville tout cela s'épaississait et je pris conscience du foutoir dans lequel nous venions de sombrer en découvrant les trois files de goudron noires de bagnoles qui se collaient les unes aux autres à toute vitesse. Nous étions sur celle du milieu. J'observais les visages paniqués de ceux qui conduisaient à côté de nous. Rivés sur leurs volants, les dents serrés, ils n'avaient visiblement même plus conscience de faire partie d'un tout. Le moindre accroc aurait pu produire un carambolage monstre. Chacun roulait comme s'il était seul sur la route. Et cependant, cette masse hystérique de voitures lancées dans la nature finissait par produire comme un étrange équilibre, que je ne saurais expliquer mieux que cela. Il faut se représenter les troupeaux de bisons dans les westerns, vous savez. Ces machins énormes qui trouvent le moyen de courir par dizaines agglutinés les uns aux autres sans jamais s'emmêler les pattes. Et qui soulèvent des nuages de poussière insensés, remplacés dans le cas présent par les fumigations furieuses des pots d'échappement.

« On va sortir de la ville et après on essayera de s'arrêter quelque part (nous a lancé Lecon, crispé sur son volant comme un crah-test dummy). Il faut qu'on fasse le point.
— Qu'on fasse le point sur quoi ? (a demandé Personne)
— J'en sais rien, mais en général c'est-ce que vous faîtes, vous, les intellos, non ? Au fait, vous avez attaché vos ceintures ? »



Que va donner le point que nous sommes censés faire, Lecon, Personne et moi-même, au sortir de la ville ? D'où provient ce chaos déplorable qui s'empare soudainement de la ville et de ce glorieux récit ? Et saurons-nous, en fin de compte, la raison pour laquelle Personne était venu me rendre visite ? Vous le découvrirez, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.


Dernière édition par Picrotal le Sam 25 Juil 2009 - 1:18, édité 3 fois
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyVen 24 Juil 2009 - 19:57

Étrangement, il n'y a pas encore de réactions, mais ça ne veut pas dire que tu n'es pas suivi avec beaucoup d'intérêt (au moins par moi). Very Happy


Dernière édition par Zip le Sam 25 Juil 2009 - 1:04, édité 1 fois (Raison : Rah Stadler, c'est out les négations)
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyVen 24 Juil 2009 - 20:03

Zip a écrit:
Étrangement, il n'y a pas encore de réactions, mais ça ne veut pas dire que tu es suivi avec beaucoup d'intérêt (au moins par moi). Very Happy

Etrange ta phrase hehe
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyVen 24 Juil 2009 - 20:21

J'adore! Very Happy
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyVen 24 Juil 2009 - 20:35

Merci... Wink

Bonjour la pression... pale
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyVen 24 Juil 2009 - 21:04

On est scotchés, mais je ne savais pas si on pouvait commenter.
L'histoire est palpitante.
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptySam 25 Juil 2009 - 1:00

J'espère que ça te pètera de rajouter un épisode! Very Happy
Je ne voulais pas interrompre les chapitres, mais puisque c'est fait...
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptySam 25 Juil 2009 - 1:40

Je profite de l'entr'acte pour partager mon enthousiasme avec mes petits camarades. Surprised
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptySam 25 Juil 2009 - 17:29

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 5




Une fois sortis de la ville, nous avons roulé encore une bonne vingtaine de minutes. Les choses semblaient se calmer un peu, du moins avions nous abordé les prémices de l'autoroute et le nombre de files qui s'offraient à la circulation permettait au troupeau d'aborder une allure plus fluide. La sensation de panique bien palpable qui résidait jusqu'ici laissait place à l'énervement habituel de n'importe quel grand exode estival. Cela n'avait rien de surprenant, d'ailleurs, et je l'observais jusque dans la façon de conduire de Lecon : à partir du moment que l'on met quelqu'un dans une machine, c'est la machine qui prend le dessus. Les gens s'automatisent avec une facilité déconcertante. Si ce n'était pas le cas, on aurait droit à des accidents nucléaires tous les trois jours, ne nous voilons pas la face. Et je suis convaincu que l'automatisation des massacres ou des tortures en temps de guerre comme en temps de paix était encore la meilleure des solutions pour amener de braves citoyens pacifiques à commettre les crimes les plus abominables qui soient : c'est la machine qui les fonctionne. Qui les déshumanise à l'envi. Qui leur met dans le crâne cette impression confortable que, dans le fond, on n'a jamais fait qu'appuyer sur un bouton, et que c'est l'ingénierie robotique qui s'est chargé du reste. Et s'il y a un bouton sur lequel appuyer, il faut bien appuyer dessus, non ? Ce serait trop con de ne pas le faire. Trop frustrant. Comme ces interrupteurs qui ne sont reliés à rien et que l'on passe son temps à actionner en espérant que, par une espèce de miracle sans précédent, il se mettre soudainement à servir à quelque chose. — Ainsi, tous ces braves conducteurs conduisaient, une fois l'hystérie tamisée ils reprenaient les gestes que leur imposait la machine dans laquelle il se trouvait, et je m'étonnais de voir que, dans une situation pourtant si intrinsèquement humaine que celle que nous étions en train de vivre, me restait la même idée qu'à chaque fois que je regardais rouler des voitures, à savoir qu'elles pourraient tout aussi bien rouler toutes seules, et que le type au volant n'est qu'un faire-valoir sans grande utilité réelle.

Mais bon, tout ça ce sont les conneries que je me fabrique pour m'occuper la vacuité. Le cerveau c'est une machine comme les autres. On croit toujours lui apprendre des choses, alors que c'est lui qui nous apprend tout.

Peu de kilomètres avant d'atteindre la grande aire des péages d'autoroute, Lecon a bifurqué de façon quelque peu maladroite et imprudente en direction d'un vague chemin qui semblait n'être connu que de quelques initiés. Je vis passer devant mes yeux un petit panneau indiquant que nous allions en direction de Salmonelle. Je n'avais jamais entendu parler de cet endroit, même pas en rêve. On a toujours des surprises, c'est ça qui est beau. On aura toujours vingt ans.

« Tu nous emmènes où ? (a demandé Personne qui, de toute évidence, partageait mon ignorance concernant l'itinéraire que nous étions en train d'emprunter)
— Vous allez voir ! (a répondu Lecon, non sans esquisser un petit sourire mutin qui lui donnait l'air d'un banquier suisse surpris en train de jouer à la Bonne Paye) »

Et oui, nous avons vu. Lecon a finalement quitté la route principale pour suivre un petit chemin de terre et nous nous sommes retrouvés en l'espace de quelques minutes dans de la vraie nature, avec des arbres et de la mousse, de l'herbe bien verte, des insectes multicolores qui volent parmi les fleurs en faisant des bruits bizarres, des chants disharmonieux de cigales et même, je vous l'assure, le vague murmure lointain d'un petit ruisseau. La campagne, quoi. Elle est pareille partout. Y a que les noms des arbres qui changent, somme toute.

On s'est arrêté à l'ombre d'une jeune fille en fleur et on est sortis de la voiture le pas hésitant. Hésitant parce qu'après tout ce qui venait de se passer, ce n'était pas évident d'essayer de reprendre pied avec la réalité.

« On va se dégourdir un peu les jambes (a dit Lecon d'un ton docte), et après on essayera de faire le point.
— C'est ça, c'est ça... (je me suis assis sur un tronc mort qui traînait là avec beaucoup d'à-propos, et je me suis roulé une cigarette en ruminant intérieurement mon agacement vis-à-vis de cette histoire de faire le point. Il me gonflait Lecon avec son point. On n'était pas là pour jouer au tennis, on était pas non plus des grands pontes du Pentagone, et je me disais que c'était encore une expression qu'il avait ramassé devant je-ne-sais quel film idiot et qu'il allait employer jusqu'à épuisement de ses interlocuteurs) Allez vous promener, je vous rejoins ! »

Personne et Lecon ont compris que j'étais de mauvaise humeur. La mauvaise humeur ça peut me tomber dessus à n'importe quel moment, et dans ces cas-là mieux vaut ne pas trop insister. Ils se sont éloignés d'un petit pas léger pendant que je suis resté seul à fumer ma clope en essayant de rassembler mes pensées, sans y arriver cependant. Au bout d'un moment je les ai entendus m'appeler. Ils avaient gravi une petite colline de verdure chatoyante.

« Hé camarade ! Viens voir la vue !
— Ouais ouais, j'arrive. (j'avais pas envie en fait, de voir la vue. Voir une vue c'est comme écouter une oreille, ça sert à rien. Mais Lecon a insisté, alors j'ai écrasé ma clope et je me suis levé pour les rejoindre). Me v'la ! »

C'était pas vilain, comme panorama, c'est vrai. Toute la ville et son agglomération s'offrait à nous en un simple regard. Depuis les vieux quartiers qui dessinaient par petites touches lasses leurs toits oranges et leurs cheminées ancestrales jusqu'aux immeubles les plus récents, carrés et sans saveur, en passant par les grandes tours érigeantes qu'un architecte fou avait fait construire dans les années soixante-dix, le théâtre en rénovation qui nous apparaissait éventré, surplombé d'une grue débandée qui faisait un peu de peine, et tout autour de cela les petits bleds épars qui semblaient dormir paisiblement. Tout cela aurait même été très joli s'il n'y avait pas ses quelques colonnes de fumée noire qui s'en élevaient de-ci de-là, ainsi que la rumeur des sirènes de police ou de pompiers qui nous arrivaient jusqu'aux oreilles malgré la distance à laquelle nous nous trouvions. Je tentai de voir si la foule des émeutiers était encore visible, mais je ne voyais rien. Elle s'était peut-être déjà dispersée en attendant son heure. « Ça s'est calmé, vous croyez ? » a demandé Personne mais la fin de sa phrase fut couverte par une grande et nouvelle explosion qui survint, à vue de nez, dans le quartier Nord de la ville, et qui nous apparut comme une sorte de soufflé qui se soulève soudainement avant de s'évanouir en gerbes de gravats et de poussières incandescentes. « Visiblement pas » j'ai répondu alors, ironique et blasé.

« Ces mecs ont dû truffer d'explosifs je sais pas combien d'immeubles...
— Comment ça s'est passé, pour vous ? (a demandé Lecon, et on lui a raconté notre petite histoire, depuis la grande panique dans ma rue jusqu'à son arrivée providentielle sur la Place des Tonneliers) Moi j'étais en plein centre-ville quand ça a commencé. J'étais chez le marchand de journaux, je voulais voir si le nouveau numéro de Courrier International était sorti, et là...
— Courrier International ? Toi ?
— Bon, d'accord... Hot vidéo, en fait... Quoiqu'il en soit, d'un seul coup ça s'est mis à gueuler de partout, et là on a entendu une grande explosion, celle de ta rue je pense. Ils ont tout fait partir en même temps, je suppose. J'ai même pas vu tous ces types qui gueulaient. Ça ne devait pas venir de très loin, y a plein de gens qui ont surgi du quartier des Chevaliers Borgnes en courant et en criant tout affolés. Alors bon, j'ai fait comme tout le monde autour de moi, j'ai paniqué et j'ai sauté dans ma bagnole sans trop savoir où aller. Et puis je vous ai vus.
— Et qu'est-ce qu'on va faire, maintenant ? »



Oui, qu'allons-nous faire maintenant ? Comment va se dérouler la suite de cette conversation, et quelles conclusions allons-nous en tirer ? Et apprendrons-nous pour quelles raisons Personne était venu me rendre visite ? Autant de choses que vous saurez peut-être, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyLun 27 Juil 2009 - 0:25

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 6




Qu'allons-nous faire maintenant ? a donc demandé Personne, au cas où votre mémoire vous ferait défaut, et en effet c'était une bonne question, tellement bonne que nous sommes restés tous les trois à écouter le silence qui sortait de nos bouches, en prenant des airs concentrés afin de donner le change. Parce que la vie, c'est ça. Dans les films, dans les romans, il y a toujours quelque chose à faire, évidemment. Parce qu'on ne va tout de même pas passer deux heures à regarder des gens ne rien faire. Sauf si on aime Rohmer, évidemment. Alors les types qui écrivent, qui inventent toutes ces petites histoires dans l'espoir de nous empêcher de dormir la nuit, ils ont toujours un lapin farceur à sortir de leurs chapeaux. Mais dans la vie, dans la vraie vie, on se retrouve bien plus souvent dans l'expectative et dans la frustration de l'ignorance que dans cette espèce de résolution surhumaine dont sait faire preuve un être humain dés lors qu'on le met en situation d'être un personnage. Et nous, nous n'étions pas des personnages. Franchement. Faudrait vraiment être le dernier des imbéciles pour nous prendre moi, Personne ou Lecon comme personnages. Ça, même Rohmer n'aurait pas osé.

Pour dissimuler sa gêne de n'avoir aucune réponse valide à nous proposer, Personne poussa une sorte de toussement râleur et s'exclama « Putain ! d'abord tes histoires de Services Secrets, et maintenant la Révolution !
— M'engueule pas ! (me suis-je récrié) C'est pas de ma faute, que je sache !
— Quelles histoires de Services Secrets ? (a demandé Lecon, et c'est vrai qu'on ne l'avait pas mis au courant de cela, alors on lui a raconté toute l'affaire et ça l'a laissé aussi perplexe qu'au début) Vous croyez que ça a un lien ? Je veux dire, que la mission qu'ils voulaient te confier était en rapport avec tout ce bordel ?
— J'en sais rien, mais bon ce serait logique, non ? Ça serait tout de même une sacrée coïncidence.
— C'est toujours possible, les coïncidences.
— Ouais, c'est vrai. C'est comme pour Hiroshima. (regards interrogateurs, alors Lecon a continué sur sa pensée) Vous vous êtes jamais dit qu'à Hiroshima, juste avant la bombe, il y a dû avoir des gens qui sont morts de tout à fait autre chose ? Genre la nana qui se tue en vélo deux minutes avant que la bombe ne soit larguée ? Ou qui se prend une tuile sur la tête ? Ça c'est de la coïncidence, non ? Imagine qu'une minute avant que ça soit la fin du monde, tu meurs renversé par un bus ou une connerie comme ça...
— Et alors ?
— Ben alors rien, c'est juste que dans le genre coïncidence, ça se pose un peu là, c'est tout !
— Lecon, comment tu fais pour te poser des questions pareilles ?
— Je sais pas trop, ça me vient comme ça, quand je m'endors. Alors je note.
— Tu notes ? Tu penses à des trucs pareils pendant que tu t'endors, et tu te relèves pour les noter ?
— Ben oui. Pourquoi pas ?
— Mais Lecon, la question ce n'est pas : pourquoi pas ? La question, c'est : pourquoi ?
— Bon les enfants, on s'en fout un peu de tout ça, vous croyez pas ? Même les Services Secrets à la rigueur on s'en fout pour le moment. Là on a une ville qui explose toutes les deux minutes et j'ai pas trop envie d'y retourner pour le bouquet final. Alors qu'est-ce qu'on fait ? »

Et on est retombé dans notre mutisme, jusqu'à ce que je dise quelque chose du genre : « j'imagine que le mieux, c'est qu'on remonte en bagnole et qu'on aille ailleurs.
— Où ça, ailleurs ?
— Je sais pas. On devrait rouler jusqu'à Clanches, par exemple. Ce n'est qu'à cent bornes.
— Et si c'est pareil à Clanches ?
— J'ai une idée ! (s'est enthousiasmé Lecon) Et si on écoutait les infos pour savoir... Vous savez... Si c'est partout dans le pays, cette histoire...
— En effet, c'est pas con. Tu as un autoradio ?
— Ben non. Juste un lecteur cd.
— Ah super... Alors je propose que pour écouter les infos, on attende tranquillement le passage du crieur public avec son tambour, dans ce cas...
— C'est tout de même pas ma faute si j'ai préféré un lecteur cd !
— J'ai pas dit que c'était de ta faute !
— D'abord c'est moi qui vous ai sauvé la mise, je vous signale. Si j'avais pas été là, vous seriez pas là non plus maintenant. Vous seriez ailleurs !
— On serait où ?
— Je sais pas, mais pas ici !
— Lecon arrête sérieux, c'est trop beau ce que tu dis, on dirait du Claudel !
— Ouais fous-toi de moi, c'est ça... D'abord Claudel elle peignait, alors tu dis n'importe quoi ! »

Lecon s'est levé et s'est dirigé vers sa bagnole. Je me suis dit merde, il va nous planter là. J'aurais mieux fait de me taire. C'est tout moi, ça : toujours le truc à ne pas dire, et bien au mauvais moment s'il vous plaît. C'était vrai qu'il nous avait bien sorti du pétrin, Lecon. C'est ça qui m'emmerdait le plus je crois. Je lui devais quelque chose, peut-être la vie, rien que ça. C'est comme si un curé m'avait sauvé de la noyade. Il y a des gens à qui on ne veut rien devoir. Et là, je devais devoir quelque chose à Lecon. J'ai beau être d'une imparable mauvaise foi, j'étais bien obligé de l'admettre. Alors je lui ai lancé « excuse-moi ! » d'un ton qui se voulait viril et tout en continuant à marcher en nous tournant le dos il a haussé les épaules. Il a descendu la petite colline. Et quand il a finalement disparu de notre champ de vision, on a entendu sa voix nous crier : « Bon alors, vous venez ? J'ai assez d'essence pour aller jusqu'à Clanches, ça vaut le coup d'essayer. »

Personne m'a jeté un regard noir, et je ne pouvais pas lui en vouloir parce qu'à sa place j'aurais fait pareil, et s'est levé en marmonnant... Visiblement, aller jusqu'à Clanches ça ne l'enchantait pas. Il est vrai que Clanches, ce n'était pas une sinécure. La ville la plus moche du coin. Des maisons grises et des gens gris. A son tour, il me faisait la gueule. On a marché l'un à côté de l'autre jusqu'à la voiture sans échanger le moindre mot intelligible. Lecon nous attendait, la main posée sur sa portière ouverte, l'air renfrogné, le regard terne. « Et bien on est tous de super bonne humeur ! (j'ai dit en espérant détendre un peu l'atmosphère)
— Oh n'en rajoute pas, ça va !
— Des fois tu peux blesser les gens, tu t'en rends compte ?
— Ouais, tu donnes toujours l'impression que tu te crois mieux que les autres.
— C'est facile de dire du mal quand on fait jamais rien de bien !
— Et de juger les autres sans jamais oser mettre le nez dans son propre caca !
— En plus tu t'habilles mal.
— Et puis tu as un gros nez.
— Et tu mets jamais assez de déodorant.
— Et des fois, t'as carrément mauvaise haleine.
— Et puis tu ronfles.
— Et puis tu as du bide.
— Alors la ramène pas non plus, hein !
— Quand je pense qu'à la base, j'étais juste passé chez toi pour... »

Personne ne put finir sa phrase. Ma séance de lapidation verbale, à mon grand bonheur, fut interrompue par l'apparition soudaine et miraculeuse d'une jeune femme qui bondit hors d'un buisson à la manière d'une sauterelle, mais en moins verte, et se précipita vers nous l'air affolé.



Qui est cette jeune femme, et que nous veut-elle ? Mes deux compères vont-ils arrêter de m'insulter d'une manière aussi déplaisante ? Et saurons-nous la raison pour laquelle Personne était passé chez moi avant que tout ne dégénère ? Et l'action va t-elle devenir un peu plus trépidante, cessant de se contenter de ces vagues digressions et de ces dialogues à tirets qui donnent vraiment l'impression que je ne sais pas quoi dire et que j'essaye de gagner du temps ? Vous le saurez, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyLun 27 Juil 2009 - 1:32

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C'est très très bon, merci à toi Picrotal Smile
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyMer 29 Juil 2009 - 15:58

On est planté en plein suspense là! La suite! Very Happy
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyMer 29 Juil 2009 - 17:59

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 7




Dans ces moments-là, dans ces moments où les évènements se précipitent sans nous laisser le temps de souffler, où l'affolement et la panique mettent nos nerfs dans tous les sens et nos sens dans tous les nerfs, on se retrouve aisément partagé entre deux sensations bien distinctes. La première, c'est celle de vivre dans un dérapage constant, de vois les choses s'entrechoquer les unes avec les autres sans que l'on puisse simplement saisir comment exactement nous en sommes arrivés là. Si j'avais essayé de récapituler point par point de quelle manière je m'étais retrouvé paumé dans la nature en compagnie de Personne et Lecon alors que j'étais encore tranquillement chez moi le matin-même en caleçon à fleurs, à écouter du Saint-Saint-Exupéry en parcourant quelques poèmes de Platon, et en laissant pénétrer par ma fenêtre le chant mélodieux des écureuils en rut ; si j'avais tenté de retracer le parcours et l'enchaînement des circonstances de façon logique et rationnelle, nul doute que je n'y serais même pas arrivé. Nul doute que je me serais heurté à la chamade qui balbutiait mon cerveau. Et que j'aurais rendu les armes en admettant, car c'était vrai, que là n'étais pour le moment pas le plus important. Mais la deuxième sensation en revanche, car il y en a une deuxième, essayez de suivre un peu s'il-vous-plaît, c'est celle d'assister de temps en temps à certaines scènes de ma propre épopée comme si elle se déroulait au ralenti. On se sort de soi-même, on s'extrait de sa propre peau pour se transformer en spectateur objectif de sa déroute intime, et tout devient mélodramatique, comme dans un film de Leone ou pour un penalty à la téloche. Et c'est cette deuxième sensation qui recouvrit ma perception des choses lorsque je vis débouler vers nous, pourtant fort rapidement, la furie déchevelée qui venait alors de surgir d'un buisson en nous hélant de quelques mots indicibles. Et cela me permit de la distinguer nettement, et cela me permet de vous dire que c'était dans le fond un joli brin de fille, un visage de poupée rondelet serti de deux yeux en amande effilées, nanti d'une courte crinière brune qui formait des épis façon cactus, d'une bouche aux lèvres pâles et étroites, d'une peau en général vaguement roseleuse que l'on devinait douce à faire glisser les doigts. Naturellement, cette description n'a pas grand-intérêt. Je veux dire qu'elle aurait pu ressembler à n'importe quoi d'autre sans que cela vienne modifier le cours de cette aventure. Seulement moi je décris rarement. Et là, pour une fois, j'en avais envie.

En la voyant courir vers nous, j'ai entendu Lecon marmonner : « qu'est-ce que c'est encore que ça ? » sur un ton blasé. Il en avait vraiment marre, le pauvre. Ça faisait depuis le début de ce périple beaucoup d'informations à prendre en compte et son cerveau tournait à plein régime comme le tambour d'une machine à laver fatiguée.

« Vous avez une voiture ? » a crié la jeune fille en arrivant enfin près de nous, et je me suis dit que c'était assez idiot comme question dans la mesure où la voiture elle pouvait la voir aussi bien que nous. Mais Personne, qui ne savait rester muet face à une représentante du sexe opposé au sien, crut bon de répondre « oui. On en a une.
— Vous pouvez m'emmener ? S'il-vous-plaît ? Vous allez pas me laisser toute seule ici, hein ? J'ai pas de voiture moi, et là je suis vraiment dans la panade. Vous allez me prendre avec vous, hein ? Ben répondez, quoi ! Vous m'emmenez avec vous ou pas ? Vous allez où ? Pourquoi vous dites rien ?
— Ben vous nous laissez pas vraiment le temps...
— Vous êtes qui, d'abord ?
— Et vous, vous êtes qui ? C'est quoi cette question ? Je vous en pose, moi des questions ? C'est pas parce que vous me connaissez pas que vous devez me demander qui je suis ! Tout ce que je veux savoir c'est si vous pouvez m'emmener avec vous, c'est pas une agression !
— Euh bon, on se calme, d'accord ?
— Mais je suis calme, moi ! C'est vous qui vous énervez, pas moi ! Je vous ai entendu vous engueuler, alors venez pas me dire que c'est pas moi qui suis calme, parce que moi je le suis, très calme, olympienne. Vous pouvez m'emmener ?
— Vous emmener où ?
— Je ne sais pas, moi. N'importe où. Où vous voulez. Vous comptiez aller où ?
— (Personne m'a regardé en quête j'imagine d'une sorte d'assentiment, et pour le rassurer j'ai hoché la tête) On voulait aller à Clanches.
— Ah non, pas à Clanches ! (s'est exclamé la jeune fille) J'en viens de Clanches, j'ai pas envie d'y retourner !
— Vous venez de Clanches ? C'est comment là-bas ?
— C'est l'apocalypse, si vous voulez savoir. Ils ont fait sauter l'église, la mairie, la préfecture, le commissariat, le musée d'art moderne, la maison du tourisme et le magasin de bonbons. A l'heure qu'il est il ne doit plus rester grand-monde, à Clanches. Tout le monde est parti se mettre à l'abri.
— Se mettre à l'abri où ?
— J'en sais rien.
— Vous savez pas grand-chose...
— Ben oui, et alors ? Vous savez quelque chose, vous ? Parce que franchement vous en avez pas l'air. Si vous saviez quoi que ce soit vous voudriez pas aller à Clanches. Alors venez pas me donner des leçons de morale où je ne sais quoi, je suis pas d'humeur. Bon, vous pouvez m'emmener ? Vous verrez, je suis pas chiante comme fille...
— Oh non, c'est sûr, vous avez l'air charmante...
— Oui bon d'accord j'admets je suis un peu sur les nerfs ok j'avoue c'est vrai je suis désolée je le reconnais mais bon voilà si vous étiez à ma place vous le seriez aussi sur les nerfs alors voilà c'est facile de critiquer les autres mais en attendant...
— Oui merci bien, je commence à connaître la chanson (je l'ai interrompu)... Et comment vous avez fait pour arriver jusqu'ici ?
— J'ai été prise en stop par un mec. Quand ça a commencé à péter de partout à Clanches j'étais en train de faire les boutiques et comme je ne savais pas trop quoi faire d'autre je me suis collé au bord de la route et j'ai tendu le pouce et un mec s'est arrêté et m'a laissé monter. Mais là il vient de me planter là, et je suis dans le caca grave.
— Il vous a planté ? Pourquoi ?
— Je crois que je sais pourquoi... (nous a asséné Lecon d'un air pluvieux et le front bas) J'imagine qu'il vous a fait des avances et qu'il n'a pas aimé que vous le repoussiez...
— Euh ouais, enfin c'est un truc comme ça... Bref, j'étais dans le buisson quand je vous ai entendu gueuler et je me suis dit...
— Attendez... Qu'est-ce que vous faisiez dans un buisson ?
— A votre avis ? Que font les nanas dans les buissons en général ?
— Ah oui, c'est vrai...
— Bon alors, vous m'emmenez ou pas ? Parce que là c'est bien joli on parle tout ça, on se raconte nos vies et patati et patata mais on pourrait aussi bien le faire en roulant, j'ai pas envie de prendre racine ici, moi...
— Je suppose qu'elle pourrait venir avec nous. (Lecon et Personne ont agréé) Mais en attendant, où on va ? Parce que Clanches, visiblement, c'est pas la peine d'y penser...
— On n'a qu'à rouler vers l'ouest. J'aime bien l'ouest. (m'a répondu Lecon)
— Ouais il a raison ! L'ouest c'est bien, c'est cool. Vous savez, comme la chanson, là, je sais plus de qui : Gooo Weeeest... (elle s'est marrée toute seule) Au fait moi je m'appelle Praline. Et pas la peine de me dire que c'est nase comme nom, je suis au courant.
— Moi je trouve ça très joli, Praline. (j'ai dit)
— Ouais mais vous, vous dîtes ça parce que vous avez envie de coucher avec moi, sinon vous le diriez pas !
— Comment ? Mais pas du tout, je...
— Bon alors on monte et on va vers l'ouest ? C'est quoi vos noms ? »

On lui a donné nos noms, enfin sauf moi, je me suis abstenu parce qu'elle m'avait vexé. Ce n'est pas que dans l'absolu je n'aurais pas pu avoir envie de coucher avec elle, mais vues les circonstances c'était sensiblement déplacé que de me coltiner des intentions pareilles. Je suis monté à l'arrière et à mon grand déplaisir elle est venue se coller à côté de moi. Personne a pris la place du mort, et Lecon a pris la place du con. Il a démarré, et on a laissé derrière nous cette escale morne, avec un passager en plus et plein d'espoirs en moins. Et on s'en est allé en direction de l'ouest lointain.



Quels merveilleux rebondissements vont encore survenir ? Trouverons-nous une destination susceptible de nous éclairer ? En apprendrons-nous un peu plus sur Praline et saurons-nous, enfin, pourquoi Personne était venu chez moi en cette matinée ? Autant de choses que vous découvrirez, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyJeu 30 Juil 2009 - 2:11

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 8




Lecon roulait de manière farouche, la route lui était dédiée, ce qui avait quelque chose d'inquiétant dans la mesure où, si vraiment l'ouest avait été une si bonne direction, nous aurions dû nous autres nous retrouver embouchillonnés sur des dizaines voire des centaines de kilomètres, mais au lieu de cela nous ne croisions et doublions que quelques véhicules épars dont les conducteurs pour la plupart affichaient des visages patibulaires qui ne donnaient pas envie de s'arrêter pour leur proposer une tasse de chocolat. Nous étions tous en sueur, le cuir puant des sièges collait à ma chemise et de grandes aréoles aussi épaisses sinon plus que celles des femmes enceintes ornaient à présent mes aisselles de Montaigne. Praline pour le moment ne disait plus un mot, son débit sans vergogne s'était tari dés lors que la voiture s'était mise en branle, et ce n'est pas moi qui allais m'en plaindre. Sagement assise, la tête inclinée contre la vitre entrouverte, elle semblait somnoler paisiblement mais en-dessous de ses paupières je voyais nettement ses prunelles tournoyer dans tous les sens, tel un chat essayant d'attraper une mouche trop vivace. Au bout d'un moment, dans l'espoir de briser le silence qui s'était, comme à son habitude, instauré entre-nous sans concertation préalable, j'ai dit à Lecon d'un ton qui se voulait courtois :
« Qu'est-ce qu'il fait chaud dans ta voiture, dis-donc !
— Évidemment qu'il fait chaud ! (m'a aboyé Lecon en retour) Il fait chaud dehors, donc il fait chaud dedans ! Tu aurais voulu quoi ? Qu'il y neige ?
— En même temps il n'a pas tort... (a osé Personne d'une voix lasse) Tu aurais mieux fait d'installer la clim plutôt qu'un lecteur cd, si tu veux mon avis...
— D'abord c'est pas le même prix, et puis surtout la clim ça pollue !
— Pas celle des voitures !
— Si monsieur, celle des voitures comme les autres ! Si tu crois qu'on pourra dire de moi que j'ai salopé la couche d'ozone ou la fonte des glaciers, tu te goures. Je suis un citoyen eco-responsable. J'ai fait un test dans un Cosmopolitan chez le médecin qui l'a confirmé, d'ailleurs !
— Bon et tu as quoi comme musique, au fait ?
— Regarde derrière-toi, sur la dunette. Y a ma pochette à cds.

Alors je me suis retourné et j'ai attrapé la petite sacoche bleue qui contenait les goûts musicaux de notre brave ami Lecon. J'y ai trouvé un best-of de Bob Marley, ainsi qu'un deuxième best-of de Bob Marley, et encore un troisième best-of de Bob Marley. Il y avait aussi un best-of de Jimmy Cliff, un disque gravé des meilleurs morceaux de Barry White, une compilation intitulée « L'Age d'or de la country-music », un machin de 2Pac, encore un best-of de Bob Marley, le dernier album d'Oasis et quelques opéras de Gounod ou de Massenet.

— Tu trouves quelque chose de bien ? (m'a demandé en se tordant le cou Personne)
— Si tu veux mon avis (je lui ai répondu quasiment à l'oreille pour que Lecon n'entende pas), sa musique aussi, elle pollue ! »

Il m'a souri et ça m'a fait plaisir. Ce sourire c'était un peu le calumet de la paix, enfin vous voyez ce que je veux dire, je suppose. Je peux pas m'acharner tout le temps à tout vous expliquer, il faut aussi que vous saisissiez les allusions tout seul sinon je ne vais pas m'en sortir. Vous me prenez pour qui ? Chateaubriand ?

On a continué à rouler et plus ça allait moins on croisait de bagnoles. De temps en temps on entendait des sirènes filer comme des flèches dans les environs sans jamais voir la moindre quincaillerie de pompiers, et sans même pouvoir identifier d'où cela pouvait vraiment venir. Et parfois, aussi, on voyait des filets de fumée denses s'échapper vers l'horizon. Le pays était en feu. Du moins c'est ce que l'on était en droit de penser. Et l'atmosphère que cela produisait était pour le moins pesante.

Lecon a fini par poser la question qu'on redoutait tous, celle qu'on n'avait pas envie d'entendre, celle que personne n'a envie d'entendre d'ailleurs, et celle pour laquelle personne n'a envie d'obtenir de réponse fiable et sans détour : « Vous croyez qu'on va mourir ? »

Ça a jeté un froid. C'était pas de refus dans un sens, mais bon. Même Praline a redressé un peu la tête en l'entendant dire ça.

« Pourquoi tu veux qu'on meure ? (a répondu Personne)
— J'ai pas dit que je voulais qu'on meure, je vous demande juste si vous croyez qu'on va mourir. Faut pas se voiler la face : rien que chez nous, tous ces trucs qui se sont cassé la gueule, ça a dû faire des morts. Je veux bien qu'il y ait des miracles, genre le type qui tombe d'un immeuble et qui s'en sort sans une égratignure, mais quand c'est l'immeuble qui tombe sur le type, là je suis désolé mais faudrait trois Dieu pour qu'il s'en sorte !
— D'accord, y a certainement des gens qui sont morts. Et c'est très triste. Mais nous on est pas morts, alors y pas de raisons qu'on s'y mette maintenant !
— Ben si, justement. Y a que les morts qui n'ont plus de raison de mourir. Mais nous on est vivants, donc ça peut très bien nous arriver aussi.
— Mais ça va nous arriver, Lecon ! Mais pas tout de suite !
— Enfin, à condition que tu continues à regarder la route, parce que là tu te relâches un peu je trouve...
— Non mais sérieux ! (j'ai repris) Moi j'ai décidé la façon dont j'allais mourir. Je veux me suicider, moi. Si possible le plus tard possible, deux minutes avant ma mort, quelque chose comme ça. C'est tout de même pas une révolution qui va me fiche ça en l'air, non ?
— En même temps, c'est le principe d'une révolution...
— Une révolution ça se fait dans un pays. Et je ne suis pas un pays !
— C'est bien joli tes jolies phrases, et après ? Tu vas te retrouver devant trente connards avec des famas dans les mains qui vont te mettre en joue, tu vas leur dire : je ne suis pas un pays, et ils vont poser les armes en te demandant pardon ? Putain, mais dans quel monde tu vis, mon vieux ? Et à propos de suicide, arrête de fumer comme ça, tu nous empestes !
— Oh, ta gueule ! (j'ai grommelé en jetant ma cigarette par la fenêtre) Je te dis juste qu'on ne va PAS mourir. On se fait même pas qui la fait, cette révolution ! Si ça se trouve, ils sont de notre côté !
— Parce que tu as un côté, toi ?
— Ben, je sais pas, oui, je crois. Je suis de gauche, quoi...
— (Lecon et Personne ont explosé de rire, et pour le coup je le méritais) Et tu crois que tu aurais fait long feu sous Pol Pot ? Franchement, laisse tomber avec tes côtés. Les deux seuls côtés qui comptent dans la vie d'un homme, c'est celui où on dort, et celui où on porte.
— Où on porte quoi ? (a demandé Praline comme si elle émergeait d'un rêve) »

Et on ne lui a pas répondu. On a juste pouffé comme trois mômes, d'un air entendu.



Comment va se poursuivre cette conversation, pour peu qu'elle se poursuive ? Quels rebondissements trépidants nous attendent ? Et saurons-nous les raisons pour lesquelles Personne était venu me rendre visite ? Vous le saurez, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des Matins pluvieux.
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyVen 31 Juil 2009 - 17:41

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 9



Je ne sais pas si Praline a remarqué qu'on se moquait légèrement d'elle, j'en doute, il y a des choses comme cela qui semblait lui passer au-dessus de la tête avec une exceptionnelle aisance. Au tout début, lorsqu'elle nous avait sauté dessus comme une harpie en rut, je l'avais un peu prise comme une folle. A présent, j'étais convaincu qu'en effet c'en était une. Elle me faisait penser à Luna Lovegood, si vous voyez ce que je veux dire, la tenue excentrique en moins. Mais si cette référence ne vous convient pas, je vous invite à en trouver une autre : les personnages de folles au sein de la littérature, ce n'est pas ce qui manque !

En fait, Praline a tout de suite changé de sujet lorsqu'elle a saisi qu'elle n'aurait pas de réponses à sa question. De brut en blanc, et sans trop de logique apparente, elle nous a lancé de sa petite voix soudainement traînante : « Vous n'avez pas l'air de beaucoup vous aimer, tous les trois.
— Comment ça ? (a demandé Personne)
— Ben je ne sais pas, vous n'arrêtez pas de vous chercher des poux. Déjà que vous étiez en train de vous engueuler tout à l'heure... Moi je m'en fiche, hein, c'est pas la question. C'est gentil de m'avoir laissé monter avec vous et tout et tout, alors je dis pas ça pour me plaindre de l'ambiance, mais je comprends pas trop ce que vous êtes, en fait. Vous êtes quoi ? Des amis ?
— Euh ben oui (j'ai répondu), j'imagine qu'on peut dire qu'on est des amis, quoi.
— Alors pourquoi vous vous aboyez dessus comme ça ?
— On s'aboie pas dessus ! (a menti Lecon) On est juste nerveux, c'est normal. On est comme ça, voila tout : quand il y a trop de pression, on se soulage les uns sur les autres.
— C'est dégoûtant ce que tu dis !
— Mouais, n'empêche... (a continué Praline comme si elle rêvait à voix haute) Ce serait quand même plus simple d'essayer de vous serrer les coudes, vous voyez ? Parce que là, à ce rythme, je ne sais pas combien de temps vous allez tenir. Moi je me fais pas de souci, après tout je trouverai toujours quelqu'un d'autre pour me prendre en bagnole, je suis une fille. Mais y en a un de vous trois qui va finir par se faire virer si ça continue, et je ne donne pas cher de sa peau ensuite...
— En tout cas, ce sera pas moi ! C'est ma bagnole !
— Mais ce sera personne, nom de Dieu ! Personne ne va se faire virer, qu'est-ce que c'est que ces histoires ?
— C'est pas des histoires, je vous dis juste ce que je ressens... Si vous êtes des amis, vous devriez vous comporter comme tel, c'est tout. Je prétends pas vous donner de leçons, mais ça me semble tout de même assez évident.
— Bon.
— Ouais.
— Elle a pas tout à fait tort.
— Y a toujours un fond de vérité dans ce que disent les femmes.
— C'est vrai, ça. Autant les mômes ils disent que des conneries, autant les femmes...
— Elles sont plus perspicaces que nous, voilà tout.
— D'ailleurs les femmes sont plus pacifiques que les hommes.
— A part Jeanne d'Arc.
— Ah oui, c'est vrai. Mais elle, elle était folle en même temps.
— Et puis Thatcher.
— Oui bon, on va pas faire un inventaire non plus. En attendant, Cerise a raison.
— Praline.
— J'ai dit qu'on n'allait pas faire un inventaire !
— C'est pas ça, je te dis juste que Cerise elle s'appelle pas Cerise mais Praline.
— Ah... Excuse-moi, Cerise.
— C'est pas grave. (a répondu Praline)
— Bon alors on fait la paix ?
— D'accord. (j'ai conclu dans un soupir) »

J'avais un peu peur qu'on se sente obligé de se serrer la main tous les trois en même temps, ou ce genre de marques de confiance viriles, vous savez, qui rendent toujours tout un petit peu ridicule et qui font effémine en plus. Les mousquetaires par exemple j'ai toujours trouvé qu'ils avaient un petit côté gay-pride assez marqué quand même. Un peu comme les Rolling Stones.

Praline elle avait l'air toute fière de nous avoir amené à officialiser les choses de cette façon. Y a des gens comme ça ils ont ce caractère onusien de naissance : quand ils voient du conflit quelque part ils n'ont qu'une seule envie, qu'une seule ambition, c'est de niveler la tension jusqu'à ce que ça se rassérène dans la joie et la bonne humeur. Mais vue l'ambiance qui semblait se répandre dans le pays en ce moment, je n'ai pas pu m'empêcher de penser que la pauvre Praline allait avoir beaucoup plus de travail à l'échelle de la Nation qu'avec trois cons dans une bagnole.

« Bon et sinon c'est quoi votre problème ? (elle a demandé, ayant visiblement et soudainement décidé d'être la maîtresse de cérémonie)
— Notre problème ? Ben on n'en a plus, on vient de le dire justement...
— Non, non, pas ça. Vous avez bien un problème, tout le monde en a un. Je me dis qu'on devrait faire un peu mieux connaissance, après tout on est peut-être amené à passer beaucoup de temps ensemble, allez savoir. Peut-être qu'on va vivre tous les quatre, voire plus si de nouvelles personnes viennent s'intégrer à l'équipe, plein d'aventures trépidantes. Comme dans les bouquins ou les films, vous voyez. Si ça se trouve on est au tout début d'une épopée terrible, on ne sait jamais.
— T'es vachement romanesque, comme nana...
— Bah la vie c'est un roman, non ? Sauf qu'il n'y a pas beaucoup d'ellipses. Alors c'est quoi votre problème ?
— Moi personnellement, je n'en ai pas. (a répondu Personne)
— Tu te fous de moi ? (j'ai jasé) D'abord tu as plein de phobies !
— Ouais mais ça c'est pas pareil, c'est normal les phobies, on en a tous. J'appelle pas ça un problème. La peur des araignées, c'est banal. Celle des timbres aussi.
— Moi je suis claustrophobe, je crois. (a dit Lecon) Je supporte pas les ascenseurs, tout ça. Ça vient du fait que quand j'étais petit, ma mère m'enfermait dans le frigo pour me punir. Du coup, depuis, je supporte mal les espaces clos, et j'ai horreur de l'hiver.
— (Praline a souri et a même tendu la main pour lui tapoter sur l'épaule) Bon ben voilà, il l'a dit. A vous autres, maintenant.
— Tu veux vraiment que je te fasse la liste de mes problèmes ? (je lui ai demandé en la regardant fixement) On en a pour deux heures. Le mieux à faire, c'est encore d'ouvrir un ouvrage de recensement des névroses et psychoses existantes et de considérer que celles que je n'ai pas encore, je les aurai demain... Et toi, Personne ? Dis-nous tout...
— Mais j'ai rien à dire, moi ! Je vais très bien ! Et puis Praline elle nous demande mais elle ne nous dit rien, en attendant.
— Oh mais moi je n'ai rien à cacher. Mon problème c'est que je tombe tout le temps sur des gens qui veulent coucher avec moi. Comme lui, par exemple. (elle a rajouté en me montrant du doigt)
— Mais c'est pas bientôt fini, ça ? (me suis-je outré) J'ai pas envie de coucher avec toi, qu'est-ce que tu vas chercher ? Si quelqu'un ici devait avoir envie de coucher avec toi, ce serait Personne. Il a toujours envie de sauter sur tout ce qui bouge !
— Ah oui, c'est vrai. C'est ça mon problème, en fait. » a admis Personne.

Sur ce, Praline, je ne saurais dire pourquoi ni comment, a semblé flancher un peu. Elle est restée interdite quelques instants. Elle avait l'air d'hésiter. L'ennui quand on lance des questions pareilles, c'est que l'on doit finir par y répondre soi-même. Pour de vrai. Et c'était bien l'objectif inconscient de la chose. La culpabilité, ce truc qu'on a toujours au fond de nous, et le besoin de se vider qui va avec. Praline avait ouvert sa propre boîte de Pandore, et ne pouvait plus vraiment faire marche arrière.

« Bon d'accord, c'est pas ça en vérité mon problème. Mon vrai problème, c'est que... »



Quel est le vrai problème de Praline ? Oserais-je encore à l'avenir terminer un chapitre en interrompant de manière aussi abrupte et grossière une conversation en plein milieu ? Allons-nous en finir avec tous ces dialogues pour revenir à l'action narrative proprement dite ? Et saurons-nous, si c'est encore envisageable, pour quelles raisons Personne était venu me rendre visite ? Autant de questions qui trouveront peut-être des réponses, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyVen 31 Juil 2009 - 18:47

Picrotal a écrit:
— Bah la vie c'est un roman, non ? Sauf qu'il n'y a pas beaucoup d'ellipses.
C'est calibré pour le dico de citations, ça ! thumleft
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyLun 3 Aoû 2009 - 19:03

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 10




Lecon a roulé sur un dos d'âne un peu prestement, ce qui nous fit rebondir et coupa la parole à Praline... C'était d'ailleurs étrange, parce qu'il n'avait rien à faire ici, ce dos d'âne. On était au beau milieu d'une route, sans rien devant ni rien derrière. Fallait-il être urbanistiquement vicieux pour obliger les gens à ralentir dans un endroit pareil !

Lecon n'aimait pas les dos d'âne, je m'en étais rendu compte avec fracas dés la première fois où j'étais monté en voiture avec lui. Ça le mettait dans une colère noire d'avoir à appuyer sur la pédale de frein en prévision de cette espèce de dromadaire goudronné planté sottement en plein sur son itinéraire. Sa théorie consistait à dire qu'il était idiot de forcer les gens à lever le pied ainsi. Que c'était plus dangereux qu'autre chose. Et que ceux qui étaient incapables de conduire vite et bien n'avaient qu'à pas monter en voiture. S'ils perdaient le contrôle de leur bagnole et emplafonnaient des collégiennes à un feu rouge, hé bien c'était bien fait pour eux.

Bref, nous fûmes légèrement secoués et Praline en profita pour garder le silence, espérant sans doute que les ronchonnements de Lecon suffiraient à nous faire oublier l'aveu qu'elle s'apprêtait à nous livrer, mais c'était mal me connaître. En fait beaucoup de gens me connaissent mal, à commencer par moi. Tandis qu'elle faisait exprès d'avoir l'air de rien, ce qui n'est pas toujours facile admettons-le, je me suis mis à la fixer intensément, de ce regard perçant et inquisitorial qui a fait ma renommée lorsque j'étais surveillant d'école et me valut d'être surnommé « l'aigle ». — Bien entendu, je suis en train de mentir effrontément, mais étant donné la nature du véritable sobriquet qui me fut attribué par les élèves, je préfère rester sur la version de « l'aigle » et je vous serais gré de ne pas insister sur la question, personne n'en a le droit à l'exception de mon psychiatre. — Toujours est-il que, de toute évidence, mon regard persistant finit par avoir raison de Praline qui poussa un soupir boudeur et reprit le fil de ses propos.

« Bon, donc je disais que mon problème, et je vous interdis de vous moquer de moi, c'est que je souffre visiblement d'érotomanie à tendance nymphomaniaque.
— C'est quoi comme animal, ça ? (a demandé Personne, qui a toujours eu des lacunes lexicales)
— Ça veut dire qu'elle a tout le temps l'impression que les gens sont amoureux d'elle, et qu'en prime elle couche avec. (j'ai répondu, amusé) Enfin, si je ne me trompe pas...
— Non non, en gros c'est ça... Enfin c'est ce qu'ils disent, moi je n'en sais rien. Parce que la plupart du temps, quand il me semble que quelqu'un a envie de coucher avec moi et que je lui fais des avances, il accepte. Donc bon, c'est bien la preuve qu'il en avait envie, non ?
— Euh oui, enfin... Disons que les hommes qui refusent quand une nana leur fait des avances, c'est pas fréquent non plus...
— Ouais ! Faut pas grand-chose pour réveiller la bête qui sommeille en nous ! (a rajouté Personne avec une certaine fierté dans la voix)
— Ça doit être chiant comme maladie, ça... (a dit Lecon)
— Un peu oui... J'ai essayé de faire quelque chose... Je suis allé voir un premier psy, mais il a essayé de me violer... Et le second, c'est moi qui ai essayé de le violer... Alors maintenant je suis une thérapie par correspondance. Ça vaut ce que ça vaut. Mais c'est vrai que ça peut faire des emmerdes... C'est pour ça que je me suis retrouvée en rade avant que vous me laissiez monter avec vous...
— Ah bon ? Donc ce n'est pas le type qui...
— Ben non... (elle a rougi) Mais j'ai pas été horrible non plus, faut pas déconner... J'ai juste mis ma main à un endroit spécial et là il m'a fait tout un speech pas possible sur le mode je suis marié j'aime ma femme et mes enfants, tout ça... Moi j'ai cru que c'était la technique classique, vous savez, pour faire en sorte que la nana insiste encore plus, alors j'ai insisté encore plus... Normal, quoi... Et au bout du compte il m'a viré de sa bagnole comme une malpropre...
— En tout cas (a dit Personne en se tournant vers nous, et j'ai vu reluire dans son regard cet éclair de concupiscence crasse que je ne connaissais que trop bien), ce n'est pas moi qui dirait non si tu me mettais la main quelque part...
— Ouais mais bon, je suis érotomane et nympho, d'accord, mais je suis pas aveugle non plus... »

Et là j'ai failli éclater de rire, ce qui n'aurais pas été une bonne idée dans la mesure où on venait tout juste de se rabibocher les uns les autres, mais la déconfiture qui se tartina sur le visage de Personne aurait mérité le premier prix du concours Lépine. C'est même pas descriptible la façon dont il s'est renfoncé dans la défaite. Une tronche pareille, il faudrait lui donner son nom.

« N'empêche (a continué Praline) que ça n'empêche pas que plein de monde a envie de coucher avec moi. J'ai raison quelque chose comme neuf fois sur dix. Toi par exemple je suis à peu près certaine que je ne me trompe pas.
— Mais non ! (je me suis récrié comme Louis XVI sur l'échafaud de roue) Franchement Praline, on est en pleine Révolution, on est paumés dans une voiture et on ne sait même pas où on va... Tu crois vraiment que je vais m'emmerder avec ce genre de truc maintenant ?
— Bon ton ami ça a pas l'air de l'en empêcher... (elle a répondu en désignant Personne, qui fit semblant de ne rien entendre, mais l'oreille aux abois)
— Ouais mais lui c'est différent, on fonctionne pas toujours pareil... Et puis j'ai pas à me justifier d'abord ! Si on est embarqué ensemble dans cette galère, le moins qu'on puisse faire c'est d'essayer de se faire confiance les uns les autres. Si je te dis que je n'ai PAS envie de coucher avec toi, le moins que tu pourrais faire, ce serait de me croire. Sinon ça va être gai, comme voyage !
— Oh bon d'accord. On va dire que je me trompe alors. Mais c'est dommage parce que si j'ai raison en fait, on pourrait tout à fait...
— Praline, ça suffit !
— Ben alors, t'es coincé du cul, Lapin ? (a ricané Lecon, qui m'appelait Lapin parfois, parce que c'est ce que font les cons : ils appellent les gens Lapin. Je ne sais pas pourquoi)
— J'ai pas envie, mais alors pas envie du tout d'un intermède pornographique, c'est tout ! Et puis cette conversation commence à me mettre mal à l'aise...
— Ben en même temps c'est toi qui l'a lancée.
— Mais pas du tout ! C'est elle qui s'est mise à parler de tout ça !
— Oui enfin c'est quand même toi qui écris tout ça, à la base...
— Ah non, tu me fais pas le coup de la mise en abime maintenant ! Je l'ai gardé pour plus tard, alors me le flingue pas !
— Bon bon, ok, je dis plus rien... »

Et en effet Personne, parce que c'était lui qui parlait, j'ai dû oublier de le mentionner, n'a en effet plus rien dit, et Praline non plus, et Lecon non plus, et moi non plus, ce qui fait qu'on s'est retrouvé baignés dans le silence, avec juste le bruit du moteur et le souffle des vitres baissées pour nous bercer le chemin. On a roulé comme cela pendant quelques minutes durant lesquelles chacun put à loisir se laisser aller à ses pensées, lorsque Lecon prononça d'une voix suspicieuse, les yeux tendus devant lui, « qu'est-ce que c'est que ça ? »



Et oui, qu'est-ce que c'est que ça ? Quel nouvel élément attend donc ce récit ? Et pour quelles raisons Personne était venu patati patata ? Et pourquoi ce chapitre est-il plus court que ceux qui le précèdent ? Autant de questions qui trouveront peut-être (ou pas) une réponse, si cela vous chante et si cela me prend, au cours du prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyMer 5 Aoû 2009 - 12:03

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 11




Alors nous avons tous également regardé mais sans remarquer quoi que ce soit d'étrange. A ce moment-là de notre périple nous traversions cette zone quelque peu désertique de la région, un étrange ilot de verdure posé là sans logique apparente, entre les conglomérats d'usines ou les grandes galeries commerciales qui avaient poussé à l'extérieur des villes durant ces trente dernières années comme de la moisissure sur un tronc d'arbre. De chaque côté de la route s'étalait une verdure flamboyante par-dessus laquelle on pouvait de temps à autres distinguer la silhouette gracile d'un faucon survolant les environs en quête de son petit-déjeuner. Ce qui m'aurait semblé charmant probablement en toute autre circonstance, mais sonnait quelque peu sinistre dans le cas présent. Je me mis à penser à un vautour qui choisirait de me prendre sous son aile. Qui se mettrait à me suivre, à m'observer, à me surveiller comme une seconde mère. Je m'imaginais en bout de course, en fin de compte, allongé je-ne-sais où, et le voici le brave rapace qui vient se poser juste à côté de moi, avec ses yeux globuleux, sa tête de serpent recyclé et son envergure décharnée. Le voici qui vient m'attendre et moi, à terre, sur le dos, le visage planté dans le ciel, les bras ballants, qui le regarde me convoiter sans rien pouvoir y faire. Et lui qui attend, paisiblement, que ce petit mouvement, ce drôle de va et vient, qui fait vibrer ma cage thoracique, s'arrête. Et moi, qui lutte, qui lutte un peu, un peu plus encore, sans savoir pourquoi. Enfin si. Parce que se laisser mourir, ce n'est pas facile. Parce qu'on meurt quand on n'a plus le choix. Parce qu'on veut tenir, tenir jusqu'à la dernière minute, parce qu'on ne veut pas se faire l'impolitesse de s'en aller avant la fin, parce qu'on vit et que c'est la seule chose qu'on ait jamais fait, on vit et on a toujours vécu, ce n'est pas comme si on était déjà mort, ce n'est pas si facile, on n'est jamais trop habitué à mourir, alors on continue à respirer, et on fait battre son coeur aussi longtemps que possible, même s'il n'y a plus d'espoir. Et lui, son plumage noir aux mèches blanches, saleté d'oiseau qui attend pour me dépecer, qui ne dit pas un mot, qui me veille, qui me borde dans mon lit de mort, sans compassion. Comme si je n'avais pas d'âme.

J'ai secoué la tête, petit moment d'absence je crois, ça n'avait pas duré longtemps mais mine de rien ça avait suffi à me secouer d'une drôle de manière. Dans des moments comme cela, de panique larvée, j'ai tendance à déconnecter l'espace de quelques secondes, à m'injecter dans le cerveau des espèces de rêves éveillés qui n'ont parfois rien de réjouissant. Mais pour celui-ci surtout je ne m'étais pas trompé. Aussi con cela va t-il paraître, je venais d'éprouver comme une sorte de vision prémonitoire, pas de quoi faire la une des journaux parascientifiques non plus, d'accord, mais tout de même. Parce que si nous autres, Personne Praline et moi, n'arrivions encore rien à voir sur la route devant nous, il y avait cependant bel et bien quelque chose, Lecon ne se trompait pas. Il avait la vue fine, le bougre. Et l'ouïe bien aiguisée, à faire pleurer un luthier.

« Regardez, là ! Juste devant ! (nous montrait du doigt Lecon, en tenant le volant d'une seule main, par petits gestes brusques qui trahissaient une soudaine nervosité de circonstance malheureuse) Sur la route ? Vous ne voyez pas ? Le truc par terre ?
— Ah si, ça y est je vois ! (a dit Praline) Pourquoi ? Qu'est-ce que c'est ?
— C'est un type, voilà ce que c'est ?
— Tu es sûr ? (j'ai demandé) On dirait plus une espèce de gros chien... (à mesure que la voiture se rapprochait, mon impression se faisait plus distincte) Oui, c'est ça, un gros chien... Avec un manteau... Et deux bras... Et deux jambes... Non en fait, tu dois avoir raison, c'est un type. »

Et on s'est arrêté juste à côté de lui, Personne a surgi comme un diable de la voiture, autant par philanthropie que parce qu'il crevait d'envie je pense de se dégourdir les jambes. Le type était allongé par terre, sur le bas-côté de la route, comme une charogne. Malgré le soleil qui nous envahissait de sa nappe de lumière et de chaleur écrasantes, il portait un long manteau noir comme ceux des prêtres dans les endroits où les prêtres portent de longs manteaux noirs. Personne s'est approché de lui et a tapoté sur son épaule. Un grognement s'est fait entendre. Il s'est tourné vers nous et nous a dit : « il est vivant ! » avant d'essayer de le faire tourner sur le côté afin que nous puissions voir son visage. Je suppose que si nous avions été en compagnie d'un secouriste confirmé, d'un pompier bénévole, d'un médecin conventionné ou même simplement d'un quelconque scout à la con, ils nous aurait été déconseillé de manipuler ainsi le corps moribond d'un homme qui le semblait tout autant que son corps, moribond, si vous voyez ce que je veux dire, mais en l'occurrence nous étions avec nous-mêmes et voilà tout. Personne ne savait pas forcément ce qu'il faisait, je vous l'accorde, mais tout au moins il faisait ce qu'il savait, ce qui n'était probablement pas si mal pour commencer. Lecon n'avait pas l'air d'avoir envie de s'en mêler, ce bonhomme allongé par terre semblait l'effrayer un peu et, pour tout dire, je ressentais un peu la même chose. Quant à Praline... Euh... En fait Praline n'est plus là. Je la cherche mais je la trouve pas. Logiquement, elle aurait dû se trouver légèrement en retrait de Lecon, se tenant un petit peu sur la pointe des pieds pour essayer de voir par-dessus son épaule, comme si Lecon constituait à lui tout seul une foule infranchissable. Mais au lieu de cela elle avait disparu, et j'ai regardé autour de moi pendant quelques secondes pour voir si je la voyais, mais j'ai laissé tomber en entendant le type à terre pousser un gémissement rauque tandis que Personne parvenait enfin à le mettre sur le dos.

« Apportez-lui de l'eau ! (il nous a dit, et je suis allé chercher la bouteille dans mon sac, elle était encore fraîche. Je la tendis à Personne qui tenta de faire boire le bonhomme, mais sans grand succès finalement.) Qui êtes-vous ? Vous pouvez m'entendre ? Allô ? Muchi-muchi ? Vous parlez français ? Do you speak the english ?
— Personne, je crois pas qu'il soit en état de dire quoi que ce soit, en fait. A mon avis, le mieux ce serait d'essayer de l'emmener à l'hôpital. »

Je me suis approché et me suis penché vers lui. C'était un homme d'une cinquantaine d'années à peu près. Il avait tout à fait dans le regard cette indélébile lueur de ceux qui se sont farcis Raymond Marcellin comme ministre de l'Intérieur. Une barbe grisonnante émaciait son visage qui semblait comme on dit taillé à la serpe, ce qui est assez idiot comme formule mais j'avais envie de l'employer. Des cernes brunes empesaient son visage. Il était inerte mais d'un coup, sans prévenir, le voici qui lève un bras et d'une main ferme m'empoigne par le col, me tirant jusqu'à lui avec toute la force dont il était encore capable. Il planta ses yeux dans le mien et parvint à articuler dans un souffle rauque : « La Reine ! Vous devez trouver la Reine ! » avant de relâcher son étreinte et de laisser choir sa main en même temps que sa vie, car de toute évidence il venait de caner. Ça m'a fait tout drôle. Je n'avais encore jamais été le réceptacle des derniers mots d'un homme. Je suis resté quelques minutes silencieusement à ses côtés, avant de lever les yeux vers Personne et Lecon qui n'en menaient pas large non plus.

« Vous l'avez entendu ?
— Oui... La Reine, vous devez trouver la Reine... Vous avez une idée de ce que ça veut dire ?
— Aucune, non.
— C'est peut-être un apiculteur ?
— Non, Lecon. Je ne crois pas que ça soit ça, le truc. »

Et la voix de Praline qui déboula toute chantante au milieu de l'instant solennel et dramatique que nous étions en train de traverser nous fit sursauter tous les trois lorsqu'elle claironna, en bondissant parmi nous telle une diablesse incontrôlable : « Alors ? Qu'est-ce qu'il a, ce type ? »



Que va t-il se passer ? Que va t-il arriver ? Qu'est-ce qui nous attend ? Et saurons nous pourquoi Personne était venu, ce matin-là, avant que tout cela ne dégénère dans la complexité et les désagréments, me rendre visite ? Vous le saurez, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptySam 8 Aoû 2009 - 5:54

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 12




« Qu'est-ce qu'il a ? (a répondu Personne en adoptant une voix caverneuse) Il a qu'il vient tout juste de mourir, voilà ce qu'il a. »

Alors j'ai vu passer dans les yeux de Praline une sorte d'intense déception. C'est le seul mot que je trouve pour le décrire. De la déception. Elle a regardé la dépouille de ce triste sire en se mordant presque les lèvres, c'était très beau dans le fond, très humain. Elle aurait voulu qu'il ne soit pas mort. Elle aurait voulu être capable de le ressusciter. Pendant quelques secondes, j'ai vu dans son regard toute la compassion qu'une personne est capable d'éprouver pour une autre. Pas de cette pitié crasse qui permet à quelques imbéciles de se sentir supérieurs à ceux qu'ils prétendent aider. Pas de cette tendresse perverse que ressentent les bonnes âmes quand elles plaignent les pauvres gens malheureux. Juste de la compassion, cette petite chose si humaine, si différente du reste. Ce sentiment que Dieu lui-même n'a pas eu pour ses enfants lorsqu'il les chassa de l'Eden pour une histoire de compote à la con.

Seulement Personne et Lecon, ils ne l'ont pas vu, eux, dans son regard, cette profonde humanité. Ils n'avaient pas le sens de ces choses-là. Moi je déteste tellement les gens que je m'applique à leur trouver des qualités dés que la chose est possible. Question de recul, vous comprenez. On a tous besoin d'éprouver sa mauvaise foi, sinon elle s'endort et un jour on se réveille privé de ce qui fait le fondement même de son identité. Alors moi je l'ai vue, mais pas eux. J'ai ressenti comme un sanglot en la voyant, mais pas eux. J'ai éprouvé pour Praline un élan soudain d'affection, mais pas eux. Eux ils se sont contentés de lui en vouloir, à Praline.

Vous savez quoi ? Je vais vous le dire... Des cadavres on en voit tout le temps. Je ne vous parle pas de pigeons crevés ou de hérissons aplatis, je vous parle de cadavres de gens. On en voit tout le temps et partout. Dans n'importe quel magazine d'actualités, dans n'importe quel documentaire à la télévision, on nous montre des cadavres. Prêtez-y attention et vous verrez que j'ai raison. Et si vous pensez que j'ai tort, hé bien ma foi il n'y a pas grand-chose que vous y puissiez faire, n'est-ce-pas ? Et puis il y a les films aussi, les séries, la fresque invraisemblable de nos narrations cauchemardesques, notre mythologie contemporaine. Là c'est encore pire. On y voit plus de morts que de vivants dans tous ces trucs. Alors on finit par se dire qu'on est blindé face à la mort, on sait ce que ça donne. Sauf que ce n'est pas vrai. Lecon, Personne, Praline et moi étions face à un vrai mort, sans la sécurité de l'écran, sans l'illusion du détachement, sans même un joli cercueil pour lui donner bonne figure. Ce n'était pas de la mort domestiquée. Et ça dégageait des ondes pas croyables. Peut-être que l'âme de ce pauvre type était en train de quitter son corps et que ça nous enveloppait en attendant de s'envoler, de s'enterrer, de se métempsychoter ou je-ne-sais quoi. Après tout une âme on ne sait pas combien ça pèse. On s'imagine toujours l'âme comme un mince filet de fumée blanche et gracile qui s'évapore doucerettement dans l'atmosphère, mais autant c'est un long brouillard dense et fumigacé. Bref, là je dis n'importe quoi, j'en ai conscience, mais la présence même de ce corps soudain inerte et privé de vie nous mettait sacrément de mauvaise humeur.

« Où tu étais ? (a demandé Lecon à Praline, en aboyant presque)
— Ben j'étais partie faire pipi...
— Quelqu'un est en train de mourir et toi tu vas faire pipi ? (a renchéri cyniquement Personne)
— Je savais pas qu'il était en train de mourir !
— Tu passes ton temps à aller faire pipi, toi ! Déjà quand tu nous a trouvés, tu étais soi-disant en train de faire pipi. Comment tu expliques ça ?
— Mais j'ai rien à expliquer ! Il faut que je vous explique comment et pourquoi je vais faire pipi, maintenant ?
— Bon, vous lui lâchez la grappe, oui ? (j'ai crié)
— Oh toi ça va ! Évidemment, tu prends sa défense ! Que quelqu'un meure, ça te fait ni chaud ni froid !
— Tu te fous de moi ? Je te signale que j'étais aux premières loges ! »

Lecon a soupiré, Personne m'a fait son regard noir, Praline a commencé à bouder et moi j'ai essayé de fermer les yeux du bonhomme. Ce n'était pas facile d'ailleurs. Il se les tenait grands ouverts comme s'il avait vu la Vierge juste avant de caner. Je poussais sur les paupières mais elles finissaient toujours par se rouvrir. Déjà que je ne suis pas adroit avec un aspirateur, alors avec les yeux d'un mort, vous pensez...

« Et il est mort comment ? (a demandé Praline, la voix ronchonne)
— Ben il était là, par terre, il m'a agrippé, et il est mort.
— Mais il est mort comment ? Je veux dire : de quoi il est mort ?
— Alors ça j'en sais foutre rien. Il est mort, c'est tout.
— Et il a dit quelque chose avant de mourir ?
— Ouais... Il a parlé d'une Reine. Il a dit qu'on devait la trouver.
— Une Reine ? (a répété Praline) On a encore des reines, nous ?
— Peut-être que c'était l'arène ?
— Non, non... Je suis sûr que c'était la Reine. En deux mots, et avec une majuscule à Reine.
— Comment tu le sais ?
— J'ai pas dit que je le savais, j'ai dit que j'en étais sûr.
— Je crois qu'il a raison. (a concédé Personne) C'était la Reine. Ça me semble évident.
— Bon, en attendant, on en fait quoi ?
— On en fait quoi de quoi ?
— Ben de lui. Du corps. Du macchabée. On l'enterre ?
— Comment ça, on l'enterre ? Je suis pas fossoyeur, moi !
— D'accord, mais bon, on ne va tout de même pas le laisser là.
— Écoute, ce n'est pas parce qu'il est mort dans mes bras que j'en suis responsable !
— On va tout de même pas le laisser sur le bas-côté de la route... C'est pas un chien !
— Si c'était un chien, justement, je l'enterrerais. Personne ira me reprocher de ne pas avoir offert de sépulture décente à un chien. Mais là c'est un mec. On aurait l'air de quoi si on l'enterrait et qu'on venait ensuite nous demander ce qu'on en a fait ? Tu te vois dire à sa famille : ah désolé en fait on l'a enterré quelque part parce qu'on savait pas quoi en faire ?
— Et merde ! »

C'est Personne qui a hurlé. D'un coup, comme ça, sans raison apparente. Il a gueulé « et merde » et sa voix a résonné partout autour de nous, dans le ciel et sur les plaines, « merde » « merde » « merde » comme un cambronne ubique atteint de sénilité. Ça nous a tous fait sursauter, même lui d'ailleurs. Fallait bien que ça arrive : il pétait les plombs.

« J'en ai marre, marre, marre, marre de chez marre ! On est là, au milieu d'une révolution, a se trimballer sans savoir où, et on se retrouve avec un cadavre sur les bras et une Reine à trouver ! Je supporte pas ça, moi ! Je suis pas né pour ce genre de conneries ! Je suis pas Indiana Jones !
— Ben calme-toi, Personne. Moi non plus je suis pas Indiana Jones, c'est pas une raison pour se mettre dans des états pareils...
— Non mais vous trouvez ça normal, vous ? Qu'on soit là à se demander ce qu'on va faire d'un type qui vient de nous mourir dessus ? Hier j'ai regardé le foot à la télé. Ma seule préoccupation, c'était de savoir quel connard allait finir par mettre un ballon dans la cage de l'autre connard d'en face. C'était ça, mon souci ! Personne m'a dit que j'allais devoir gérer tout ce foutoir le lendemain ! Si j'avais su, j'aurais pris des précautions, je sais pas, j'aurais fait quelque chose...
— Mais on n'a pas dit que c'était normal ! Simplement, c'est comme ça ! Si j'avais le choix, moi aussi je préfèrerais être chez moi à regarder du foot. Et pourtant j'ai horreur du foot, c'est te dire si ça me gonfle, tout ça... Mais là, l'ennui, c'est que... »

L'ennui, c'est que je n'ai pas pu finir ma phrase parce qu'on a entendu un drôle de bruit, une sorte de déchirure aiguë dans l'air, et que la tête du cadavre qui se tenait à mes pieds a explosé, tout simplement explosé, comme une noix de coco qui tomberait de plusieurs mètres et se fracasserait sur le sol. Moi je n'ai pas compris. Personne non plus. C'est Lecon qui a compris. Et qui a crié, à juste titre :

« On vient de nous tirer dessus ! »

Ah oui d'accord c'était ça, j'ai pensé. Le bruit c'était une balle. En fait maintenant que je le savais ça me semblait logique. C'était tout à fait le bruit d'une balle. Mais elle avait abouti en plein dans la tête du bonhomme, et il avait de la chance d'être déjà mort sinon ça l'aurait probablement tué sur le coup. Sauf que la personne qui venait de tirer ne visait certainement pas la tête du cadavre, à moins d'avoir des drôles de loisir. Il fallait donc en supposer que c'était nous qui étions visés. Nous, les vivants.

C'est fou comme on peut penser vite quand quelqu'un en veut à votre vie. Le temps de rédiger le paragraphe qui précède, nous étions tous les quatre montés dans la voiture et Lecon démarrait à toutes trombes en abandonnant loin derrière la dépouille au visage éclaté de notre visiteur impromptu. On avait eu le temps d'entendre une deuxième balle siffler près de nos oreilles, mais elle nous avait raté aussi pour aller se ficher je-ne-sais où. Dans les bandes dessinées humoristiques, on aurait dû entendre le meuglement d'une vache ou quelque chose comme ça, mais là ce n'est pas vraiment le moment de faire dans la rigolade.



Qui donc nous tire dessus ainsi ? Quelle est cette Reine mystérieuse que nous sommes censés trouver ? Quelle sera la suite de nos péripéties maladives, et saurons-nous pourquoi Personne était venu me rendre visite initialement ? Vous aurez peut-être la réponse, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyMar 11 Aoû 2009 - 20:13

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 13




Je crois avoir déjà signalé que Lecon était un bon conducteur, et même, n'ayons pas peur des mots, un excellent conducteur, vraiment. La manière dont il avait slalomé avec grâce entre les dangers et les périls que nous avait offert l'échappée romanesque de notre bonne vieille ville en feu était là pour le prouver. Mais dans le cas présent, Lecon roulait comme le dernier des ivrognes.

Naturellement, cela peut se comprendre. On venait de nous tirer dessus. Rien que ça. Depuis quelques heures nos vies prenaient des tournures que l'on n'aurait jamais pu prévoir même sous acide, mais là cela commençait presque à en devenir ridicule. Alors Lecon s'affolait. Les balles avaient volé bas. Ses mains tremblaient sur le volant, ses bras étaient pris de petits spasmes réguliers, et la façon qu'il avait de serrer fort ses lèvres n'était pas tant un signe de concentration que la manifestation de ses efforts pour éviter de faire sous lui. On avait tous eu peur, densément peur, mais je crois que c'était Lecon le plus terrorisé d'entre-nous. En général, au sein d'un petit groupe comme le notre, des extrêmes finissent toujours par se créer. L'un fait dans la panique la plus outrée quand un autre garde la tête (d'Alfredo Garcia) plus ou moins froide. Ce qui permet aux deux restants de se fabriquer une sorte d'équilibre. Cela ne vaut pas pour les grands ensembles grégaires, où l'affolement est aussi contagieux qu'un bacille empreint de tendresse, mais cela reste logique quand on est au nombre de quatre, soit le chiffre fatidique au-delà duquel on est une bande de cons. Pourtant, en l'occurrence, j'aurais bien du mal à vous dire lequel d'entre-nous jouait le rôle du calme de service. Ce n'était donc pas Lecon. Ce n'était pas franchement Praline non plus, dont le silence pincé ne dissimulait que très légèrement la profonde angoisse qui ravageait ses prunelles. Personne n'avait pas l'air particulièrement serein non plus, à se retourner toutes les deux minutes, à scruter le rétroviseur ou à se ronger les ongles d'une main en tapotant sur sa cuisse de l'autre. Et moi, j'avais le coeur qui battait si fort dans ma poitrine que je commençait à en éprouver des nausées, à moins que cela ne soit la conduite chaotique de Lecon qui avait fini par me donner envie de vomir.

Bon mais là vous devez vous dire que c'est étrange, je suis censé vous raconter un épisode de grand affolement, et je puis vous assurer que c'en était un, je ne suis pas prêt de l'oublier, et néanmoins je vous le décris avec l'aplomb d'un notaire shooté à la camomille. Il y a paradoxe. Ce n'est pas valable stylistiquement. Je vous ferais volontiers remarquer qu'avec le recul on tend à relativiser les émotions mais à quoi bon ? Quand il faut que ça bouge, il faut que ça bouge. Alors allons-y.

Et voilà que Lecon nous refait une embardée près du fossé, encore une, et on ne sait pas pourquoi, il roule n'importe comment Lecon tout à coup, il se cramponne à son volant comme s'il devait en crever de le lâcher et le manœuvre en cataracte, ça tangue, ça cascade, on est secoué là-dedans comme dans des autos-tamponneuses, Lecon a toute la route pour lui tout seul mais ça ne l'empêche pas de zigzaguer, d'éviter sans arrêt des fantômes qu'il est le seul à voir probablement, et de nouveau on frôle la sortie de route, on entend les pneus faire un drôle de bruit, sirène sourde et étouffée tandis qu'il mord la ligne blanche, et moi je n'ai pas eu le temps de mettre ma ceinture, je me cramponne comme je peux, où je peux, en me cognant à peu près partout où c'est possible, je ne me rends même pas compte que Praline m'a agrippé la cuisse et la tient serrée entre ses doigts tellement fort que je peux sentir ses ongles me rentrer dans la peau, je n'ai même pas le temps d'avoir mal en fait, je regarde devant moi et je vois se rapprocher l'horizon, on roule tellement vite qu'on va finir par le dépasser, et tout culbute dans ma tête autant que dans le carlingue, le sifflement des balles je crois l'entendre toujours, ça me traverse le cerveau, ça semble tellement réel, et je vois Personne regarder encore une fois dans le rétroviseur, et je vois Personne se retourner tout de suite, fixer le rouleau de goudron que nous laissons derrière nous, et je l'entends s'exclamer : « on est suivis ! » alors Praline et moi d'un même mouvement on se retourne et c'est vrai, c'est exact, il y a une autre bagnole qui nous court après, un gros bahut qui tente de nous remonter, et je ne sais même pas si Lecon a entendu Personne, il roule déjà à fond, le pied au plancher, les tombeaux ouverts et tout le caveau de famille à l'air libre, et vroum on se prend dans les roues une branche d'arbre qui traînait sur la route et elle s'envole démantibulée, et on l'entend heurter le toit de la bagnole avec un poc ponctuel avant de se réchouer par terre, et de nouveau on frôle dangereusement les bas-fonds, et Lecon nous remet dans le droit chemin, un temps, pas longtemps, il occupe toute la route, en plein milieu, il dévie un peu vers la droite, il donne un coup de volant sans logique, il nous radine encore vers le précipice, il fait n'importe quoi et manque d'oublier de tourner quand on déboule sur un virage, petit virage, court virage, qui fait qu'on perd de vue juste quelques secondes les assassins à nos trousses, mais ils ne tardent pas à réapparaître, ils surgissent du virage à leur tour, ils roulent mieux que nous, avec la distance on ne peut pas voir leurs visages mais je les imagine assoiffés de sang, ils veulent nous tuer nom de Dieu et ils sont équipés pour, alors je crie à Lecon d'aller encore plus vite, comme si c'était possible, et la voiture tremble comme si elle avait peur elle aussi, ça remue en dessous de nous, le plancher on dirait qu'il va se défiler, le toit on croirait qu'il va se déchirer, comme le couvercle en plastique d'un pot de yoghourt, qu'il va se détacher dans un crac volumineux et nous offrir la décapotable en option, nom d'un chien une voiture pareille ce n'est pas fait pour tenir ce genre d'allure, on s'en rend bien compte, on la soutire dans ses derniers retranchements, n'importe quel cheval serait déjà mort, on l'épuise, elle se plaint, elle gondole, elle rigole, elle a des petits bouts qui semblent sauter de partout, des bruits comme je n'en ai jamais entendu dans une caisse, une jungle métallique qui rumine et fulmine au gré des va et vient de Lecon, qui ne maîtrise plus, qui manque encore une fois de nous envoyer dans le décor, et Personne qui hurle « ils nous rattrapent ! ils nous rattrapent ! » ce qui est tout à fait exact car en effet derrière ils nous rattrapent et c'est normal, ils roulent droit eux, ils doivent bien se marrer en nous regardant valser dans le vide, et Lecon regarde dans son rétro et constate qu'en effet on se fait manger, et comme il est du genre à ne pas se contenter d'un reflet Lecon il se retourne pour jauger de lui-même, on est tous les quatre rivés sur ce qui se passe derrière nous, pas un seul n'a la présence d'esprit de regarder devant, vous savez, juste devant, là où on va, avec ce grand virage notamment, ce grand virage auquel personne ne fait gaffe, et que Lecon n'anticipe qu'à la dernière seconde, en poussant un cri bref, une injure comme je n'en connais pas, un medley de plein de mots divers et variés, il arrive à s'y engager quand même, il le prend comme il peut, il maintient la route et le volant un petit temps mais la bagnole elle flanche, elle n'adhère plus, elle rend sa carte et elle bifurque, et là ça devient tellement pèle-mêle dans l'habitacle que j'ai trop de bosses pour m'en souvenir, on n'y voit plus rien que des éclairs verts qui s'abattent sur les vitres et heurtent les portières, qui crissent et rapent dans un fracas détonnant, on a perdu la route, on est dans le champ, la bonne cambrousse qui nous absorbe à pleine vitesse le long d'une pente vermilleuse, et devant nous dans le pare-brise c'est un film catastrophe qui se déroule, Lecon a lâche le volant et se masse les temps en marmonnant « oh non, non, non » comme si cela pouvait conjurer le sort et finalement on le voit arriver, grand, majestueux, le bel arbre enraciné dans son bon droit, il se précipite vers nous à toute allure, Praline hurle, Personne aussi, moi je ne sais pas, je ne sais plus trop en fait, et Lecon dans un sursaut ultime a réussi à nous l'éviter, on l'a rasé de très près, bouffé de l'écorce, le rétroviseur s'est volatilisé de sa petite tige pour rebondir gaiement dans les touffes loin derrière, et on a commencé à ralentir, de la boue, de la boue providentielle, on a fini de dévaler dans du marshmallow sirupeux, ça nous a freiné, Lecon a fait ce qu'il a pu pour accompagner le mouvement, on a vu le paysage autour de nous se calmer lentement, redevenir doucereux et s'immobiliser enfin, les quatre fers dans une boue grasse, un petit étang dégueulasse devant nous, avec ses grenouilles traumatisées qui nous épiaient d'un oeil torve cachées dans des recoins. On avait manqué y passer tous. J'ai été le premier à sortir, et pour se faire j'ai donné un grand coup de pompe dans la portière qui autrement n'aurait rien voulu savoir. Je me suis foutu à genoux dans la mélasse et j'ai vomi le reste de bile qui me restait dans le ventre. Autour de nous c'était calme, c'était silencieux, c'était paisible. Il n'a pas fallu longtemps pour qu'on entende de nouveau les oiseaux piailler et les cigales ronronner. Aucun respect.



Quelles seront les conséquences de ce drame évité de justesse ? Qu'en sera t-il de nos poursuivants ? Et saurons-nous enfin pourquoi Personne était venu, à l'origine, me rendre visite ? Vous le saurez, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.


Dernière édition par Picrotal le Mar 11 Aoû 2009 - 20:33, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyMar 11 Aoû 2009 - 20:30

cheers Qu'est ce qu'il envoie ce chapitre!
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyMar 11 Aoû 2009 - 20:34

Wolfgang a écrit:
cheers Qu'est ce qu'il envoie ce chapitre!

Putain oui Surprised
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyMer 12 Aoû 2009 - 6:36

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 14




« Personne n'est blessé ? » a demandé comme dans une sorte de rugissement libérateur Lecon tandis qu'il sortait à son tour de sa voiture totalement défaite, et en me retournant j'ai vu Praline émerger par le même côté de moi puis Personne s'extraire finalement en dernier en rampant presque, mais non il n'y avait pas l'air d'avoir des blessés, juste quatre péquenots secoués pour dans mille ans. La bagnole grinçait encore de son voyage dans les limbes. Elle faisait peine à voir, en fait. Ce n'était même pas la peine d'espérer la redémarrer un jour, elle n'avait plus rien à offrir à personne.

« Faut pas rester là ! (a crié Personne d'une voix jaune) Les types qui nous poursuivaient...
— Ils seraient déjà là, non ?
— Autant ils n'ont même pas vu qu'on avait quitté la route... On a dérapé en plein milieu du virage, ils ont du continuer tout droit sans se rendre compte...
— Alors ils seront pas longs à revenir en arrière... Tout le monde peut marcher ? »

Mouais tout le monde pouvait marcher, je crois. Somme toute j'étais le plus atteint du lot, ça n'a pas été facile pour moi de me remettre debout, d'abord parce que la boue avait bien imprégné mes genoux, et puis je flageolais, j'avais la tête qui tournait, le coeur encore à fond, ça badam-badait à l'intérieur ma poitrine et de mon crâne comme dans une rave-party. Mais j'y suis arrivé tout de même. J'ai vu Lecon qui observait sa voiture avec une mine déconfite. Lecon c'est le genre de personnes qui s'attache à leur bagnole. Ça compte pour eux. Une extension d'eux-mêmes. Une marque de virilité, aussi. Et il faut bien le reconnaître, ce n'était pas de la camelote. Elle avait toléré des trucs pas croyables avant que de rendre l'âme, et c'était une chance qu'on lui ait survécu parce que dans le fond ça aurait pu très bien ne pas être le cas.

« Nom d'un chien mais c'est qui ces mecs ? » il a finalement dit en se mordant les lèvres, un flot de colère lui grimpait dans la cambuse et ce n'était pas tellement parce qu'on avait essayé de le tuer, c'était surtout parce que sa bagnole venait de mourir prématurément à cause de cette histoire, et là Lecon ça le mettait vraiment en fureur, là je l'aurais senti capable de remonter jusqu'à la route pour un duel en bonne et due forme, imbu de vengeance.

« Ouais, c'est vrai ça, c'est qui ces mecs ? (a repris Praline, en s'adossant quelque part le temps de se remettre de ses émotions) Pourquoi ils nous ont tiré dessus ?
— J'en ai pas la moindre foutue idée.
— Tu es sûr ? Parce que moi je me demande si vous m'avez tout dit...
— Mais si on t'a tout dit ! (s'est énervé Personne) Si on ne sait pas, on ne sait pas, c'est tout !
— Personne... (j'ai murmuré)
— C'est peut-être ces cons de révolutionnaires, là ! Ils ont mis le pays en vrac, tu te rends compte ? Ils ne doivent plus se sentir pisser maintenant. Alors ils ont vu quatre crétins paumés au milieu de nulle part et ils se sont dit que ce serait marrant de se les payer...
— Personne... (j'ai râlé)
— Ou alors, je sais pas... Des pillards, peut-être... Y en a toujours, des pillards. Des types qui ont vu que ça merdait de partout et qui ont décidé de jouer aux Mad Max...
— Personne ! (j'ai crié)
— Quoi ?
— A mon avis, ces mecs-là, c'était les Services Secrets... »

Alors il a fallu qu'on explique tout cela à Praline, l'histoire des Services Secrets. Dans le fond elle n'avait pas eu tort en nous assénant qu'on ne lui avait tout raconté, on omet toujours des petits détails dans des aventures de fous comme celle-ci, et les Services Secrets ça faisait longtemps que c'était passé à la trappe dans nos cerveaux embourbés. Praline a écouté ça avec un intérêt soutenu. Elle ne s'attendait pas à ça, de toute évidence.

« Et tu penses que ce sont eux, là, les Services Secrets, qui nous ont tiré dessus et pris en chasse ?
— Je ne sais pas. Mais quelque chose me dit que oui... Déjà pour nous tirer dessus comme ils l'ont fait sans qu'on puisse les voir, ils doivent être sacrément bien équipés. C'était pas des amateurs, ils nous ont raté de peu. Ils devaient avoir un machin, tu sais comme dans les jeux, une lunette sur le canon ou je-ne-sais quoi... Ça se trouve pas à tous les coins de rue. Enfin à Chicago si, j'imagine, mais pas ici... Des pillards n'auraient jamais pu dégoter ça. Et puis reconnais que leur voiture aussi, ça n'avait pas l'air d'être du prêt-à-porter... (Personne a acquiescé)
— Mais quand même, vous oubliez un truc... (s'est autorisé Lecon en profitant d'un silence) C'est que les Services Secrets, c'est l'Etat, d'accord ? Et que l'Etat, il est tout de même censé nous protéger... Vous voyez ce que je veux dire ?
— Non Lecon, l'Etat il est censé se protéger lui-même. Le reste il s'en fiche, l'Etat. Les citoyens ça défile, c'est pas son problème. Je sais bien qu'à la base on a inventé les pays pour se faciliter la vie en société, mais maintenant ce n'est plus ça, le concept. Maintenant on a le pays d'abord, et les gens qui sont dedans ensuite.
— Mais même, c'est pas logique, pourquoi ils voudraient nous tuer ?
— Oui, je sais... C'est pas logique. »

Seulement, étant donné l'état de la situation actuelle, l'explication la moins logique semblait encore la plus crédible. D'ailleurs, en toute logique, on aurait tous dû mourir. On avait échappé à des explosions à répétition, on avait réussi à se sauver juste avant une belle panique, on avait navigué parmi des bagnoles furibardes sans anicroches, on avait survécu aussi à plusieurs tirs de balles, à une course-poursuite et à une envolée dans le fossé. Je ne pensais même pas faire partie de la catégorie des gens qui réchappent à tant de trucs à la fois. Je me donnais l'impression d'être un miraculé, vous savez, comme les gens qui se sont sortis indemnes du Titanic, de la grippe espagnole ou du LSD dans les années soixante.

« Vous savez quoi ? (a dit Personne avec gravité, tandis que dans sa tête il devait suivre le même cheminement de pensée que moi) A mon avis, on a une mission.
— Une mission ? Comme celle que voulait me donner les Services Secrets ?
— Non, non. Une vraie mission, du genre biblique. On aurait jamais dû s'en sortir comme ça, à chaque fois on a eu un bol fou. Quand quelqu'un a de la chance à ce point, c'est plus du hasard, je suis désolé...
— Ah bon... Donc à ton avis c'est Dieu qui nous guide ?
— Dieu ou autre chose, je n'en sais rien. Y a pas que Dieu dans la vie... Mais moi je dis qu'on a une mission en fait, et que c'est pour ça qu'on finit toujours par s'en sortir. Il y a quelque chose quelque part qui veut qu'on fasse quelque chose.
— Arrête Personne, c'est n'importe quoi...
— Et vous savez quoi d'autre ? (il a continué sans me prêter attention) La Reine, je sais qui c'est !
— Ah bon ? Et c'est qui ? (a demandé Lecon, très intéressé)
— Elle ! »

Et il a pointé son index un peu tremblotant en direction de Praline, qui a frémi en se voyant ainsi désignée et a baissé la tête tout de suite, visiblement très gênée...



Praline est-elle la Reine ? Comment va se dérouler la suite de nos aventures ? Et apprendrons-nous, on peut rêver, pourquoi Personne était venu me rendre visite ? Vous le saurez, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyMer 12 Aoû 2009 - 14:33

Je viens de finir le chapitre 10, excellent le coup de la mise en abyme Very Happy (et excellent tout court)
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyMer 12 Aoû 2009 - 18:54

Un petit intermède pour vous remercier pour vos petits mots que je prends comme autant de signes d'encouragement. Very Happy
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyDim 16 Aoû 2009 - 3:34

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 15




Elle avait l'air gênée, Praline, elle a même rougi un peu pendant qu'elle plait la nuque comme si tout à coup quelque chose de drôlement intéressant venait d'apparaître entre ses chaussures. Sur ce s'est imposé un grand silence et au bout d'un petit tas de secondes indéterminé on l'a entendu marmonner d'une voix fluette : « n'importe quoi... » en dodelinant un peu du cou, ce qui eut pour effet de galvaniser Personne qui prit des airs de Stentor d'opérette et déclama :

« Ah vous voyez ? Elle nie ! Et si elle nie, c'est bien que j'ai raison !
— Ouais, ça semble logique... (a cru bon de renchérir Lecon)
— C'est pas moi ! (s'est alors exclamé Praline en relevant fièrement le front, et sa voix étranglée m'a rappelé celle du gamin dans Zéro de conduite, vous savez, celui qui dit merde au monsieur) »

Moi vous savez je suis quelqu'un d'arrangeant. Tout ce que je demande aux autres, c'est d'être d'accord avec moi. A partir de ce moment, alors je suis la tolérance incarnée, encore mieux que les ongles. Et j'ai horreur, mais alors une sainte horreur, mais alors une satanée horreur de voir des gens qui s'engueulent sans que j'en sois responsable. Ça me fait pousser les ailes de la diplomatie. Nommez-moi négociateur entre Israël et la Palestine et je vous jure qu'à défaut d'y ramener la paix, j'y consacrerais tout mon coeur avant de m'y faire assassiner. Du coup, en voyant la tension monter d'un cran entre Praline et Personne, et en comprenant qu'il ne fallait pas compter sur Lecon pour attiédir les esprits, je me suis interposé entre les deux belligérants à la manière d'un arbitre de boxe, les deux bras écartés façon Monsieur Christ, et j'ai prononcé ces paroles qui valent bien celles d'un Mac Mahon :

« Bon, bon, bon... Ouh la, ouh la... On se calme, on respire et on se reprend... Voyons voyons... Mes bien chers frères... Qu'est-ce qui vous arrive ? ... Personne, comment peux-tu affirmer ainsi que Praline est la Reine ?
— Mais enfin, c'est évident non ? On échappe à la mort tout le temps, on tombe sur un type qui agonise et qui trouve encore le temps de nous dire qu'il faut trouver une Reine à la con, et comme par hasard deux minutes avant on a ramassé une nana sortie de nulle part ! Dans n'importe quel film ce serait elle la Reine, et y a pas de raisons que ça soit différent !
— C'est pas moi, je te dis ! Je sais même pas qui c'est, cette Reine ! J'étais même pas là quand le type vous a dit ça !
— Mais justement, tu n'étais pas là ! On voit un gonze en train de mourir tout seul sur une route et au lieu de venir avec nous pour y regarder de plus près, tu te précipites je-ne-sais où pour aller faire pipi ?
— Ben quoi ? Il aurait fallu que je fasse devant lui ?
— Y en a qui aiment...
— Tais-toi, Lecon. La logique aurait voulu que tu te retiennes... Mais en fait, tu savais qui c'était ce type. Et tu n'as pas voulu qu'il te reconnaisse. D'ailleurs, je te rappelle que c'est toi qui nous a proposé d'aller vers l'ouest. Comme si tu voulais qu'on tombe sur ce type !
— D'abord c'est pas moi qui a proposé d'aller vers l'ouest, relis les chapitres précédents ! Et ensuite c'est complètement idiot ton raisonnement : pourquoi je voudrais vous jeter sur un type et après tout faire pour qu'il puisse pas me voir ?
— Là, faut reconnaître qu'elle marque un point.
— Tais-toi, Lecon. Ecoute, Personne (et j'ai pris une voix tellement neutre que même un Pape s'y serait laissé prendre)... Reconnais quand même qu'il y a des failles dans ton histoire.
— Ah oui, et quoi par exemple ?
— Ben écoute, la première qui me vient en tête, c'est que tout ce que tu racontes est totalement débile. A t'entendre, on a un bon Dieu au-dessus de nous qui tire les ficelles et qui décide de tout ce qui nous arrive. Et vu la qualité du truc, franchement, j'irais jamais acheter ses livres à ce type là !
— Dites, les gars...
— Tais-toi, Lecon. Et toi mon poussin, tu fais de l'ironie comme d'habitude, mais c'est uniquement parce que tu n'as rien de mieux à répondre. Moi je dis que la Reine, c'est elle. Et je n'en démordrai pas tant qu'on ne m'aura pas prouvé le contraire. Non mais franchement, tu trouves ça crédible toi, une nana qui passe son temps à aller faire pipi dans des buissons dés qu'il se passe quelque chose d'important ?
— Les gars...
— Tais-toi, Lecon ! Et oui, je trouve ça crédible, pourquoi pas ? Ce qui t'énerve, c'est que dans ton grand délire romanesque, ça colle pas qu'une nana puisse faire pipi. Parce évidemment, chez Balzac et Zola, elles font jamais pipi les héroïnes. Alors du coup si Praline fait pipi ça te fiche tout par terre ! C'est mieux d'imaginer qu'elle a une vessie sans fond et qu'elle va se cacher dans les buissons pour comploter avec les coccinelles !
— Euh, sérieux...
— TAIS-TOI, LECON ! (on a crié tous en coeur) »

Et quand on a entendu des voix provenir d'en haut du fossé, on a compris que Lecon voulait gentiment nous avertir que nos poursuivants avaient fait machine arrière et commençaient maintenant à dévaler la pente dans notre direction. Il avait dû entendre leur voiture malgré nos cris, je suppose. Ou alors, il avait aperçu un reflet de lumière qu'aurait projeté leur pare-brise. Je ne sais pas trop, je vous avoue que je n'ai jamais pensé à le lui demander. Mais en tout cas ça a tout de suite rasséréné le débat : sans concertation ni vote préalable, on s'est mis vaillamment à courir en contournant l'étang au sein duquel la vie aquatique avait repris ses habitudes et on s'est précipité dans une sorte de petit bois qui jouxtait les environs et semblait à même de nous offrir une cachette adéquate.

Pendant qu'on courait, j'ai vu Lecon jeter une dernière fois un regard à sa voiture déglinguée qui ne lui fit même pas un signe d'adieu. Pas facile de se séparer des gens qu'on aime, surtout quand on n'a pas fini de les payer.

C'est en entrant dans l'obscurité relative que nous dressaient les arbres asséchés que j'ai réalisé que je n'avais plus trop l'habitude de courir comme ça, j'avais la respiration crasse et le coeur qui criait misère, les poumons sens dessus-dessous, la gorge ruminante et mes yeux ainsi que mes narines me piquaient. Et en plus, j'avais perdu mon paquet de clopes.

Alors j'ai posé la main contre un tronc, une autre sur mon genou, je me suis ployé un peu et j'ai repris mon souffle en faisant le même genre de bruit que la sorcière de Suspiria. Praline est venue derrière moi et a posé sa main sur mon épaule avec gentillesse. Elle m'a remercié d'avoir pris sa défense :

« Merci d'avoir pris ma défense. (elle a dit, m'obligeant à me répéter bêtement) Je sais pas ce que je lui ai fait à ce type, mais je te jure que c'est pas moi la Reine... Je sais pas ce que c'est, cette histoire de Reine, en plus... J'en ai jamais entendu parler...
— C'est rien... (j'ai réussi à articuler tandis que je sentais mes fonctions vitales revenir à un niveau acceptable) Il est pas méchant tu sais, c'est juste qu'on est tous franchement paniqués, alors il évacue comme ça. Enfin, je suppose.
— Oui, tu dois avoir raison. Sinon, tu aurais pas vu un buisson quelque part, par hasard ? J'ai une envie pressante en fait... »



Que va t-il se passer dans cette forêt ? Personne va t-il se montrer un peu plus raisonnable, et au passage nous dire pourquoi il était venu me rendre visite chez moi en premier lieu ? Vous le saurez, si cela vous tente et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyJeu 20 Aoû 2009 - 1:35

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 16




Tandis que Praline s'éclipsait discrètement afin de ne pas éveiller de nouveaux soupçons dans la cabuche endolorie de Personne, et tandis que j'essayais encore et toujours de reprendre un rythme cardiaque convenable en prenant de grandes inspirations qui râpaient contre ma gorge tabagique à la façon des roulettes d'un caddie crissant sur du goudron calcaire, et tandis que les oiseaux qui ornaient les branches des arbres que nous venions de déranger laissaient à nouveau entendre leurs chants obombrés qui criaillaient sous la coupole des feuillages drus, et tandis que Personne revenait vers nous car il avait glissé sur une flaque de je-n'ose-savoir quoi et s'était étalé de tout son long quelques mètres plus bas dans une lisière de terre boueuse et de bris d'écorce macérés, et tandis que la Terre tournait sur elle-même tout en tournant autour du soleil qui lui ne tournait autour de rien du tout à la façon de ces vieux séducteurs lassés de leur propre pouvoir d'attraction, Lecon vint près de moi et ouvrit la bouche pour me dire quelque chose :

« (mais finalement il ne dit rien du tout, il ne savait visiblement pas vraiment quoi dire, et il demeura ainsi la bouche ouverte, dans la position du bonhomme fasciné caractéristique des films de Spielberg, et je dus soutenir son regard vide et sans espoir avant que de me relever totalement et de faire quelques pas afin d'ébrouer mes jambes qui me tançaient et me brûlaient presque, refusant de me pardonner l'effort que je venais de leur faire subir) »

Quand Personne nous eut enfin rejoint, nous entendîmes au passé simple des bribes de voix provenir de la clairière. C'était haché, c'était menu, mais je crus comprendre les quelques mots qui suivent : « ... Dans la foret ... Cachés ... Certainement ... Un cheval qui pue ... Les attraper ... Vite vite vite ... Où sont les palmiers ... Personne vivant ... Monseigneur Gaillot ... Se dépêcher ... En retard ... Des montres suisses. »

Je ne puis pas jurer que tout ce que je crus entendre avait réellement été prononcé, évidemment, mais les morceaux de phrases dont nous pouvions chacun être sûr nous fîmes toujours au passé simple comprendre qu'il valait mieux nous cacher. D'un bond sec, Personne, Lecon et moi nous sommes jetés dans le premier buisson qui s'offrait à notre vue.

« Hé ! On peut avoir un peu d'intimité, non ?
— Chuuuut Praline, et baisse la tête ! Ils sont à nos trousses !
— Quoi, encore ?
— Taisez-vous, ils vont nous entendre !
— C'est quoi cette odeur ?
— Hé ho ça va hein ! Si tu crois que c'est marrant, une infection urinaire...
— Ah c'était pour ça ! Ben je comprends mieux, alors...
— Fermez la ! Ils arrivent ! »

Tous les quatre terrés comme des lapins mataharistes dans le buisson, nous regardâmes (oui, je sais, au passé simple) à travers les interstices légers que nous offraient le feuillage dense et nous les vîmes. Enfin. Et je tiens à vous signaler que j'en ai marre du passé simple, c'est très moche comme temps, alors je vais passer sur un autre mode temporel et si vous trouvez que littérairement ça ne se vaut pas, tant pis pour vous, y a pas marqué André Gide non plus.

Ils étaient trois. Le premier à pénétrer notre champ de vision était un grand type avec une tête de brute, un large front sur lequel se disputaient quelques cheveux raides, une mâchoire de carnivore invétéré, des petits yeux rentrés, une moustache naissante qui semblait baver sur sa lèvre supérieure, un menton taillé à la hache et des oreilles découpées à la serpe. Le suivant de près, un petit homme trapu et ventripotent tenait dans sa main gauche un pistolet d'un modèle inconnu, il était torse-nu et un gros coulis de fourrure frisotée s'incarnait sur sa poitrine flaque, dedans lequel brillait au soleil parcimonié un petit médaillon d'argent retenu par une grosse chaîne vulgaire. Ses poignées d'amour débordaient de son pantalon mal ceinturé, et même si nous étions trop loin pour nous en rendre compte, il avait vraiment l'air de sentir très mauvais. Derrière eux, portant entre ses bras un fusil doté d'une lunette dernier cri, avançait une femme d'âge moyen, somme toute jolie, qui à mon grand regret ne portait pas de tenue paramilitaire comme sur les couvertures des Gérard de Villiers, ce qui aurait au moins apporté un peu de sensualité débridée à cet épisode qui en manque cruellement. De toute évidence, c'était elle la chef. Disons les choses comme elles sont : elle leur parlait comme on parle à du poisson pourri.

« Allez, avancez ! Avancez, je vous dis ! Vous pouvez me croire, ils sont déjà loin ! Si on ne se dépêche pas un peu, on n'a aucune chance de les attraper !
— Madame Reviens... (osa la brute) Vous êtes vraiment certaine qu'ils se sont enfoncés dans la forêt ? On pourrait commencer par chercher par ici ?
— Tais-toi, Cromagnon ! J'ai suffisamment d'expérience pour savoir comment chasser l'homme, tu peux me croire ! Qu'est-ce que tu t'imagines ? Qu'au lieu de profiter d'un espace pareil, il se seraient contentés d'aller se fourrer dans... ce buisson par exemple ? (dit-elle en pointant le canon de son fusil dans notre direction) Et de nous y attendre sagement ? Personne n'est idiot à ce point !
— D'accord, madame...
— Madame qui ?
— Madame Reviens...
— Voila. Je m'appelle Reviens. Tachez de ne pas l'oublier. J'imagine que vous n'avez pas l'habitude d'obéir à une femme...
— (le petit ventripotent intervint, et sa voix claquait dans l'air comme un pet dans une usine de silence mozartien) Mais si madame Reviens... J'ai servi sous les ordres de Stéphanie Ouininon, d'Amélie Lapresse, de Catherine Delamer, de Lucette Annéla, de Pauline Alaplage, de Géraldine Anville, de Chantal Mahage, de...
— La ferme, Mouchkine ! Ton curriculum ne m'intéresse pas. La prochaine fois que je pars en mission, je leur demanderai de me donner autre chose qu'un équipier qui ressemble à un acteur porno des années soixante-dix ! Et toi, là, Cromagnon, où tu crois aller ?
— (Avant de se retourner pour répondre à sa supérieure, le surnommé Cromagnon se dirigeait dangereusement, le regard suspicieux, vers notre buisson ardent) Euh j'ai cru entendre un bruit, madame Reviens, alors je voulais voir...
— Un bruit ? Quel bruit ?
— Euh... C'est que ça va vous sembler bizarre...
— J'ai animé des ateliers philosophie dans des bistrots bordelais, alors crois-moi : plus rien ne peut me sembler bizarre !
— Ben on aurait dit le bruit de quelqu'un qui remet une culotte, madame Reviens...

(et là, on a tous tourné nos yeux accusateurs vers Praline qui s'est mise a rougir tellement fort que ça devait se voir comme une ampoule de Roxanne même à travers le buisson. Un silence s'est ensuivi, brisé par la voix de Jeannette Reviens)

— Tu sais quoi, Cromagnon ? Tu m'impressionnes. Grâce à toi j'ai appris quelque chose aujourd'hui : il se trouvera toujours un homme quelque part pour vous démontrer que l'on peut repousser les limites de la stupidité, même si vous pensiez avoir déjà tout vu. C'est la chose la plus con que j'aie jamais entendu de ma vie ! Et pourtant nom d'un chien, j'ai été mariée à un assureur ! Maintenant rapplique tes fesses par ici et en avant la musique ! On a perdu assez de temps comme ça ! »

Et nous avons vu Cromagnon revenir penaud sous la coupe de sa chef qui leur intima d'un geste brusque l'ordre d'avancer plus avant parmi les arbres. Nous avons attendu encore une bonne dizaine de minutes avant que d'oser sortir le nez du buisson...

« Enfin en sécurité ! (me suis-je soulagé d'une manière inhabituelle)
— Bien joué, le coup de la culotte, ma très chère Reine ! (a persiflé Personne)
— Oh ça suffit hein ! J'allais pas rester les fesses à l'air. Et m'appelle pas ta Reine, j'en ai marre de cette histoire !
— Ouais, fiche-lui un peu la paix, Personne !
— C'est elle qui a commencé !
— Mais pas du tout, c'est pas vrai, elle a rien commencé du tout !
— Lecon a raison, Personne. Tu es de mauvaise foi.
— Ouais, t'es trop nul...
— Personne ne bouge !
— (...)
— Qui c'est qui a dit ça ?
— Ben c'est pas moi en tout cas.
— Ni moi non plus.
— Personne ne bouge, j'ai dit !
— Mais c'est qui, « j'ai » ?
— C'est moi ! »

On s'est tous retournés en même temps et on s'est retrouvés en face d'un jeune homme habillé façon crétin des Alpes qui nous tenait en joue avec un fusil au canon aussi épais que le groin d'un cochon.



Que se passe t-il encore ? Est-ce qu'on aura droit à ne serait-ce que deux minutes de tranquillité ? La suite de ce récit véridique et faramineux adoptera t-elle toujours le ton quelque peu burlesque qu'affiche cet épisode ? Et saurons-nous en fin de compte pourquoi Personne était venu me rendre visite à la base ? Vous le découvrirez peut-être, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyLun 24 Aoû 2009 - 18:27

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 17




« Au moins, avec vous, on peut dire qu'on s'ennuie jamais... » m'a soufflé Praline à l'oreille avant de se figer comme nous autres face au canon pointé. Lecon a même, et je ne sais pas pourquoi, pris l'initiative de lever les mains en l'air. C'est comme ça, dans ce genre de situations : il y en a toujours un pour se montrer plus royaliste que le roi. Le genre à souhaiter une bonne fin de soirée au type qui lui encroume son portefeuille.

Pendant la minute de flottement qui précéda le dialogue fondamental auquel vous allez avoir l'honneur d'assister d'ici quelques lignes, en espérant que vous me pardonnerez la maladresse de ce procédé proleptique sans grande nécessité, je pris le temps d'observer en détail les traits du jeune homme qui nous tenait en joue. Mais son visage était d'une telle banalité, d'une si complète anonymitude, que je serais aujourd'hui bien incapable de vous en faire une fidèle description. Certaines personnes n'ont tout simplement pas d'aura, pas de charisme, ni de charme, ni de magnétisme. On les rencontre, on discute avec eux, mais on finit toujours par les enterrer, ou on en fait du compost. C'est finalement la tenue vestimentaire de ce garçon qui m'aura le plus marqué. Chemise rouge à carreaux façon bûcheron grunge, à moitié rentrée dans son jean sale et trop serré, une sorte de drôle de chapeau de paille informe par-dessus sa tignasse dont on pouvait juger qu'elle était abondante, et des chaussures tellement moches que même Alain Afflelou aurait protesté en les voyant, et pourtant lui il fabrique des lunettes.

Mais surtout ce brave carabinier ne semblait guère sûr de lui-même. Il devait porter en lui une intense timidité, à la façon de ces gens qui bafouillent bredouillent et lapsussent même s'il ne s'agit que de donner son nom, et ses mains soigneusement crispées sur le fusil tremblaient un peu, ce qui n'était pas bon signe. Je ne suis en aucune manière spécialiste des armes à feu, ni amateur d'ailleurs. Je ne saurais vous dire la différence entre un Luger et un Smith & Wesson, entre une Kalachnikov et un Famas, entre la Grosse Bertha et les Orges de Staline, mais je sais au moins une chose : il n'est jamais bon de se faire braquer par quelqu'un qui présente des signes aussi patents d'insécurité ou d'absence de confiance en soi. Et ce manque d'assurance fut encore plus flagrant lorsqu'il nous demanda, la voix élevée, présentant des signes étranges de distorsion, comme si elle était encore en train de muer :

« Vous êtes qui ?... Euh... Le mot de passe ! Vous connaissez le mot de passe ? Et ne bougez pas, hein ! Et vous, là, baissez les bras ! Et vous, levez-les ! Bon alors, vous le savez ou pas, le mot de passe ?
— Le mot de passe ? (j'ai demandé) Parce qu'il y a un mot de passe ?
— Evidemment qu'il y a un mot de passe ! (a persiflé Personne) Il ne saurait en être autrement. On se fait bombarder, tirer, pourchasser... Il est donc tout à fait logique qu'on ait droit au crétin de service qui nous braque pour nous demander un mot de passe...
— Hé ! C'est de moi que vous parlez, là ?
— Mais non, mais non ! (a répondu précipitamment Praline) Il... euh... Il parle de quelqu'un d'autre qui nous a aussi braqué tout à l'heure pour nous demander un mot de passer...
— Ah bon, d'accord. J'aime mieux ça. Et alors, le mot de passe ? Le mien, je veux dire ?
— Ecoutez, on ne le sait pas, le mot de passe ! Voila.
— Ah... (il sembla perdu. Sa lèvre se figea dans une moue torve. De toute évidence, personne ne lui avait dit quoi faire s'il tombait sur quelqu'un ne connaissant pas le mot de passe) Bon et... vous pouvez essayer de le deviner, non ?
— Ecoutez, mon vieux...
— Essayez, j'ai dit ! (et il a relevé son canon droit sur le visage de Lecon, qui n'avait pourtant pas encore pipé mot et qui est devenu tellement pâle qu'on aurait cru que tout son sang venait de se réfugier dans ses chaussettes)
— Bon ben, je ne sais pas... Les chiens aboient mais la caravane passe ?
— Non, désolé, ça c'était celui de la semaine dernière...
— Ah ben au moins vous êtes originaux, dans votre genre...
— Franchement, comment voulez-vous qu'on le trouve, votre mot de passe ?
— Mais essayez, au moins ! Si vous ne le trouvez pas, il va falloir que...
— Que quoi ?
— Bon ça suffit ! (et il a relevé encore une fois son canon) Maintenant, tout ce que je veux entendre, ce sont des mots de passe ! »

Alors, Lecon, Praline, Personne et moi on s'est mis à débiter tout ce qui nous traversait la cervelle et qui aurait pu servir de mot de passe, sans grande conviction il faut bien le reconnaître... Et à chaque fois, notre brave gardien remuait la tête de droite à gauche, voire de gauche à droite, et marmonnait également un petit « non » sans pour autant jamais s'en lasser. En voici quelques exemples, mais je me refuse à vous en dresser une liste exhaustive :

— A bon chat, bon rat ?
— Alea jecta est ?
— Adieu veau, vache, cochon, machin bidule ?
— Il nous faut cultiver notre jardin ?
— Tu tu tu tu tûûût ? (en reprenant la mélodie de Close encounters)
— Rien ne sert de courir ?
— Il faut partir à point ?
— Un bon tiens vaut mieux que deux tu l'auras ?
— La route est longue pour Gibraltar ?
— Je pense, donc je suis ?
— Connais-toi toi même ?
— Ses ailes de géant l'empêchent de marcher ?

Ah là il nous fait un petit signe... « C'est pas mal, ça... C'est pas loin... »

— Quand le ciel bas et lourd pèse comme un couvercle ?
— Mon enfant, ma soeur, songe à la douceur d'aller là-bas vivre ensemble ?

« Non, non, c'est pas ça, c'est que... C'est en douze machins, là... Un alexandrin, voilà ! »

— Heureux qui comme Ulysse a fait un long voyage ?
— C'est un trou de verdure où chante une rivière ?
— Je suis le ténébreux, le veuf, l'inconsolé ?
— Et l'unique cordeau des trompettes marines ?

« C'est ça ! » et Praline qui venait de le lancer comme cela au hasard en a été toute surprise et toute guillerette, qu'elle en a sauté sur place en serrant les poings très fort comme les candidates japonaises dans les jeux télévisées de là-bas, et nous autres n'avons pas pu nous empêcher de l'applaudir un peu, même si j'étais déçu de ne pas l'avoir trouvé moi-même celui-ci...

« Bon, et maintenant qu'on a trouvé le mot de passe, qu'est-ce qu'on fait ?
— Ben maintenant, on va... »

Mais il n'eut pas l'occasion de terminer sa phrase. Ses yeux se figèrent, son regard se porta derrière nous, et il mit son fusil en berne. Nous en avons alors profité pour nous retourner, afin de comprendre ce qui venait ainsi de le désabuser.



Quel rebondissement va encore survenir ? Et saurons-nous pourquoi Personne était venu me rendre visite ? Et aurais-je moins la flemme d'écrire, ce qui ne m'amènera pas à user de phrases courtes dotées de tirets afin de gagner du temps et de l'espace ? Vous le saurez, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyLun 24 Aoû 2009 - 18:31

Chouette, voilà la suite!! Very Happy
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyLun 24 Aoû 2009 - 20:36

Picrotal a écrit:
Le genre à souhaiter une bonne fin de soirée au type qui lui encroume son portefeuille.

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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyDim 30 Aoû 2009 - 15:28

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 18




Etant donnée l'expression de stupeur mêlée de terreur, d'incompréhension mêlée de trouble, d'angoisse mêlée de panique froide, de déception mêlée de désappointement, de chocolat mêlée de groseille et de sauce piquante mêlée d'échalote qui venait d'apparaître avec subitement sur le visage de notre nouveau camarade de jeu, nous redoutions le pire en nous retournant, Personne, Lecon, Praline et moi. On s'attendait à voir revenir nos assaillants des Services Secrets, ou alors une meute de révolutionnaires en colère, ou encore des guérilléros façon sous-marin Marcos, ou même pourquoi pas une tribu cannibale ou la bête du Gévaudan... Au point où on en était rien n'aurait vraiment pu nous sembler absurde.

Mais tout ce que nous vîmes arriver fut un vieux bonhomme nonchalant, qui portait une large barbe blanche ainsi qu'une bedaine imposante à peine couverte par sa chemise bonbonée, se dirigeant vers nous tranquillement en esquissant un sourire sympathique et en levant la main sur un mode éminemment pacifiste. « Qui c'est celui-là encore ? (a lassement demandé Lecon)
— C'est monsieur Destoins. (a répondu le petit soldat qui venait de poser carrément son fusil à terre)

J'ai d'ailleurs hésité je l'avoue à m'en emparer à ce moment-là pour le mettre en joue à mon tour et me sentir enfin, pour une fois dans cette histoire, en position de force face à quelqu'un ou quelque chose, mais j'y ai renoncé bien vite en admettant que mon expérience des armes à feu ou des situations critiques n'était pas suffisante pour me permettre d'aller jouer les aventuriers sans y laisser des plumes

— Et c'est qui, ça, monsieur Destoins ? (ai-je répliqué, pour me distraire de ma propre frustration)
— Monsieur Destoins c'est le Commandant. C'est le Guide. Monsieur Destoins c'est lui qui décide et c'est lui qui sait. C'est lui qui commande et c'est lui qui devine. Monsieur Destoins c'est lui qui dirige et c'est lui qui conclut. C'est le Stratège. L'Intendant. Le Questeur. C'est lui qui nous dit, et c'est lui qui nous parle. C'est le Satrape. Le Vizir. Monsieur Destoins, c'est...
— Oui, oui, bon je crois que j'ai compris où vous vouliez en venir : c'est le Chef, quoi ?
— On pourrait le dire comme ça, oui.
— Mais le Chef de quoi, au fait ? »

C'est vrai, ça ! On est là à se faire braquer par un type qui nous demande un mot de passe et on ne sait même pas pourquoi, et on ne sait même pas par qui. Ce n'est déjà pas une situation hilarante, si on y rajoute par-dessus le fiel noir de l'ignorance, ça devient franchement sinistre. Pour ma part c'est bien simple j'ai horreur de ne pas savoir et de ne pas comprendre ce qui arrive. Alors que des révolutionnaires fassent sauter des villes entières pour des motifs abscons, soit. Que des gens viennent mourir à nos pieds en nous demandant de partir à la recherche de Reines non-identifiées, entendu. Que des agents des Services Secrets se mettent à nous courir après armes à la main dans le but sensiblement évident de nous envoyer vérifier les théories concernant la survivance de l'âme à l'enveloppe charnelle après la mort, pourquoi pas ? Mais qu'un gonze armé d'une carabine vienne en plus par-dessus nous menacer comme si nous étions de redoutables espions à la solde de l'Empereur de Nouvelle-Guinée, là tout de même c'est un peu la goutte d'eau qui fait déborder le vase.

— Alors, le Chef de quoi ? C'est bien joli de nous faire jouer aux devinettes mais nom de Dieu vous pourriez peut-être nous dire un petit peu qui vous êtes, vous autres ?
— Je pense être en mesure de vous fournir tous les éclaircissements que vous désirerez, cher monsieur ! (m'a alors répondu une voix dans mon dos, celle du Chef qui venait enfin d'arriver à notre hauteur et qui ne s'était pas défait de son sourire avenant) Mais avant cela... Firmin, voulez-vous me donner votre fusil s'il-vous-plaît ? »

J'ai regardé avec incrédulité le jeune homme. Tandis qu'il ramassait humblement son fusil et le remettait avec déférence entre les mains de monsieur Destoins, je me disais que c'était la première fois de ma vie que je rencontrais une personne réelle qui s'appelait Firmin. Des noms comme ça c'est comme Hildegarde ou Cunégonde, on croit que cela n'existe que dans les romans ou les bandes dessinées.

« Merci Firmin... Pouvez-vous m'expliquer brièvement qui sont tous ces jeunes gens ?
— Je l'ignore, monsieur Destoins. Je montais la garde comme tous les jours quand j'ai entendu du bruit, alors je me suis approché et je les ai vus. Je leur ai demandé le mot de passe et ils le connaissaient.
— Le mot de passe, vraiment ? Lequel ?
— Celui avec l'unique corbeau, monsieur Destoins.
— Cordeau, Firmin, pas corbeau ! Qui l'a trouvé, dîtes-moi ?
— C'est elle, monsieur Destoins.
— (et il se tourna vers Praline, son sourire encore plus intense et sa voix encore plus mielleuse) Vous aimez Apollinaire mademoiselle ?
— Ben euh ouais... (répondit Praline, qui devait j'imagine se dire à ce moment précis que monsieur Destoins avait envie de coucher avec elle) Ouais j'aime bien, enfin j'ai étudié ça quoi, et puis j'ai trouvé ça pas mal...
— Pas mal, oui... Vous avez raison, ce n'est pas mal... Je suis content que vous l'ayez trouvé en tout cas, ce pauvre Firmin n'aurait certainement pas su quoi faire autrement... Je vous présente mes excuses par ailleurs... Ce garçon est très sympathique (et il lui passa les mains dans les cheveux dans un geste paternaliste et condescendant, ce qui va parfois de paire) mais il n'a pas toutes ses... comment dire... facultés. Pour être totalement honnête avec vous, cette histoire de mot de passe n'a pas réellement d'importance. Il y tenait beaucoup, alors nous n'avons tout simplement pas voulu le décevoir... Bien, pour ma part je m'appelle monsieur Destoins. Mon prénom c'est Michel, mais je préfère que l'on m'appelle monsieur, parce que je suis quelqu'un d'important, vous comprenez ?
— Non. (a répondu Personne, se dévouant pour nous autres)
— Bien entendu que vous ne comprenez pas, je vous demande pardon, je mets la charrue avant les boeufs... J'ai cru voir des gens armés s'enfoncer un peu plus loin dans la forêt, savez-vous de qui il s'agit ?
— Ce sont des agents des Services Secrets. Ils veulent nous tuer.
— Oh, je vois. C'est embêtant, ça...
— Un peu oui, c'est vrai.
— Bien, dans ce cas messieurs, et mademoiselle, la première chose à faire est de vous mettre un petit peu en sécurité. Permettez-moi de vous inviter chez nous, ce n'est pas le grand luxe mais je pense que vous apprécierez de pouvoir vous y reposer un peu. Quelque chose me dit que vous n'avez pas manqué d'émotions fortes ces dernières heures... Et là je pourrai répondre à toutes les questions que vous voudrez me poser. Enfin, toutes les questions auxquelles je serai en mesure de répondre, plutôt. Autant vous le dire tout de suite, je suis un parfait inculte en ce qui concerne la physique quantique ! »

Personne n'a ri. De toute évidence ça l'a un peu déçu mais il n'a pas cherché à plus le démontrer que cela. Il donna une petite tape affectueuse sur l'épaule de Firmin qui se mit en branle et, d'un élégant geste de la main, nous intima l'ordre (car c'en était un) de le suivre. Alors Lecon, Personne, Praline et moi avons obéi. Dans le fond on ne savait pas quoi faire d'autre, et puis c'est toujours lui qui avait le fusil...



Où va nous emmener ce curieux monsieur Destoins ? Dans quelle galère allons-nous encore nous retrouver ? Et saurons-nous pourquoi Personne était venu me rendre visite avant que tout cela ne dégénère dans la panade la plus épaisse ? Vous le saurez, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyJeu 3 Sep 2009 - 5:18

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 19




Nous nous sommes alors mis en route, monsieur Destoins en tête, Praline, moi, Lecon puis Personne le suivant d'un pas plus ou moins ferme et Firmin concluant la procession, ce qui peut sembler logique puisque, chez n'importe quel animal comme chez l'être humain, c'est toujours la queue qui s'avère la partie la plus stupide du corps. Je ne saurais pas vous dire si nous avons marché longtemps. Après tant d'émotions, tant de péripéties, une fatigue façon post-natale me pesait lourd sur les épaules et les choses par moment avaient quelque peu tendance à défiler dans mon cerveau ou dans mes yeux comme dans un rêve éveillé. Alors le temps dans ces cas-là forcément devient tout relatif. On a marché, c'est certain. On a navigué parmi les arbres avec une certaine aisance. De toute évidence monsieur Destoins connaissait l'endroit comme sa poche. Vous me direz que ce n'était pas non plus l'Amazonie cette forêt. Enfin, vous ne me le direz peut-être pas parce que vous êtes du genre civil, mais vous n'en penserez pas moins. Alors oui je vous le confirme, ça demeurait une forêt aux proportions tout ce qu'il y a de plus raisonnable, mais c'est comme ces petites collines que l'on vous propose d'aller grimper à la cool un matin histoire de se détendre et d'y passer un bon moment entre amis : une fois que vous y êtes dessus, la petite colline, vous vous rendez compte qu'elle fait son petit effet. On passe tellement de temps à s'extasier devant l'Himalaya et ses troupeaux de yétis, à se pâmer de béatitude pour toutes ces choses immenses qui dominent la Terre et font de l'ombre au reste qu'on en oublie dans le fond qu'elles ne sont pas les seules à pouvoir nous jouer des tours. C'est l'un des grands travers de l'être humain, ça : il veut à tout prix se sentir minuscule. Il faut qu'il se glace les sangs face aux étoiles, qu'elles sont à des millions d'années-lumière de chez nous et que quand on les voit oh la la en fait certaines sont déjà mortes mais leur lumière nous arrive encore tu te rends compte ? – et puis le soleil aussi, gros tournesol incandescent à côté duquel la Terre a l'air d'une vague crotte de nez – et puis les immensités de l'Univers tout simplement, et puis les grands Mystères de la Vie également, et puis les Secrets de la Science aussi, et puis les Fondements de la Sagesse encore, et puis toutes ces Choses auxquelles on colle des Majuscules parce qu'elles sont Majestueuses et que Nous à Côté on est Tellement Rien que ça en fait de la Peine. Alors oui on a envie de cela, on veut se sentir ridicules, on le désire, on s'en repaît comme la poule de son grain, comme la vache de son train, on s'en régale avec délectation et l'on en jouit avec bonheur. Mais en revanche on ne veut pas se sentir petits. Non. Tout petits, à la rigueur, mais pas seulement « petits ». Parce que cette manière que nous avons de vouloir à tout prix nous mettre notre intrinsèque miniaturité en tête n'est jamais qu'un exemple nouveau de l'intense orgueil qui nous habite. Que si nous devons être moins qu'autre chose, alors il faut que nous soyons infiniment moins. Superbement moins. Autrement ce n'est pas intéressant. Ce n'est que l'infiniment qui compte, à l'image de ce marathonien qui choisit de se laisser distancer par tout le monde, considérant avec raison qu'à la fin d'une course, les deux noms que l'on retiendra seront celui du premier arrivé, mais aussi et peut-être surtout celui du tout dernier. — Aussi vous-le-je dis cette forêt que nous avons traversé à la traîne de monsieur Destoins peut-être bien qu'elle vous ferait sourire vue de l'extérieur tant ses proportions pouvaient sembler minables comparées à d'autres mais elle faisait son petit effet mine de rien une fois que l'on était dedans, ça en faisait des arbres à compter, des paquets de mousse autour de nous, des tapis de verdure, des ronces incongrues, des flaques marécageuses, de l'hostilité en veux-tu en voilà, des bruits étranges aussi, des mouvements suspects dans les bosquets, depuis les cimes, dans la pénombre des feuillages, cette lumière inquiétante qu'ils nous dressaient et dans laquelle couvaient des chants d'oiseaux sauvages, orange messiaenique, vent tamisé, silences abscons, mauvaisetés des choses. Fatigué comme j'étais par moment je n'étais pas rassuré. Et nous étions de jour encore. De nuit c'eût été encore pire, à n'en pas douter. J'ai des raisons sensiblement précises et légitimes pour éprouver à l'égard de monsieur Destoins aujourd'hui certains ressentiments personnels. Mais je ne saurais nier qu'en cet instant précis, faire sa rencontre avait eu quelque chose de providentiel. Sans lui je ne sais pas trop comment nous aurions continué notre route. Je ne sais pas ce que nous aurions pu faire. On peut passer des années ainsi dans une vie à demeurer statique, à se laisser berner par le quotidien, engoncé dans des habitudes à se laisser exister comme d'autres se laissent couler, gardant au fond du coeur l'espoir de rencontrer la personne qui nous sortira de la panade et nous indiquera la nouvelle direction à prendre, l'être de lumière qui, en bien ou en mal, relancera la machine. Il n'arrive jamais, parfois. Monsieur Destoins, lui, était arrivé. Il nous avait sauvé. Au sens biblique du terme. Et comme la plupart des sauveurs, pour ne pas dire tous, monsieur Destoins était également un fieffé enculé. C'est ainsi. Mais j'anticipe, je vous le concède : tout cela nous ne le savions pas encore, alors vous n'êtes pas non plus censés le savoir.

Le temps que j'écrive le long paragraphe qui précède, et croyez-moi j'ai mis du temps à l'écrire parce que c'est long de pérorer comme cela sur des choses sans importance et que j'en ai chié des ronds de chapeaux, nous étions arrivés à destination. Au sortir d'un vague chemin que nous avions attrapé entre deux allées de ronces. Une clairière s'était dessinée qui ouvrait sur la chanson lointaine d'un ruisselet sympathique. Et si l'on prenait alors vers l'Est, si l'on contournait ces trois arbres tordus dont l'espèce me demeure encore aujourd'hui inconnue et que l'on s'enfonçait un peu dans les galéjades feuillues parsemées de bois mort qu'ils semblaient protéger à la manière d'un Cerbère sylvestre, on atteignait l'une des orées, la plus inattendue sans doute, de la forêt que nous quittions à présent pour descendre une petite route de campagne tout à fait banale. Monsieur Destoins s'est alors tourné vers nous et nous a dit avec un sourire souriant : « Nous sommes presque arrivés ! »

Alors j'ai entendu Personne soupirer d'aise derrière moi, tout comme j'ai vu les fesses de Praline manifester leur contentement. Oui, parce que ça j'ai oublié de vous le dire, je crois. Vous comprenez, je parle, je parle, je parle et je parle encore, et quand je parle c'est que je pense, puisque je suis en train d'écrire, si vous voyez ce que je veux dire, — ce qui serait normal puisque vous êtes en train de lire, et que si vous êtes en train de lire vous êtes donc forcément en train de voir ce que je veux dire.

Donc ça j'ai oublié de vous le dire, que je suis comme tout le monde, quand je pense je regarde en même temps, on ne pense pas les yeux fermés, enfin moi pas en tout cas, j'en suis incapable, si je ferme les yeux je ne peux qu'observer l'obscurité relative qui en découle, et je m'amuse avec les tâches de lumière qui se sont incrustées dans mes prunelles, je les fais rebondir et sursauter, je les regarde se distendre et de distordre, et ça me distrait. Et tout le temps que je pensais, tout le temps que je vous livrais le fruit de mes réflexions ontologiques intenses, ce sont les fesses de Praline que je regardais. Elle marchait devant moi et j'ai tendance à me tenir courbé donc cela peut sembler logique, mais ça ne l'est pas en réalité. J'en ai pris conscience d'un coup, la voix de monsieur Destoins me sortant de ma penserie sans vergogne. J'ai réalisé que j'avais passé tout ce temps à lui reluquer le fondement, à Praline. Et ça, ce n'était pas bon signe. Oh non, pas bon signe du tout. Je me connais moi-même. Pour tomber amoureux de quelqu'un, chez moi cela passe par les fesses. Le visage et le reste ça compte, ça joue, évidemment, et même la personnalité aussi, je suis de l'école Musset à la base, c'est ma formation liminaire, ça et Brel aussi, ça vous pourrit un cerveau mieux que la drogue, plus moyen d'aimer le sport ou les films de Jan de Bont quand on a été éduqué à cela. Mais le cul cela reste le point déterminant en ce qui concerne les sentiments, les vrais, les profonds, les adipeux. C'est mon côté Cancer qui s'exprime, j'aspire à la lune. Que j'aie pu rester aussi longtemps à regarder ses fesses à Praline ça faisait sonner le tocsin dans ma cabuche, je savais ce que ça voulait dire, ça promettait de l'attachement. Et ça c'était vraiment le caca parce que la dernière chose que j'avais envie de coller dans cette aventure, c'était bien une saloperie d'histoire d'amour.

Pendant ce temps Praline évidemment elle ne se doutait de rien, enfin peut-être un peu étant donné sa pathologie initiale mais elle n'avait pas plus d'éléments que cela pour étayer son mal, et c'est donc avec un naturel déconcertant que je l'ai entendu s'exclamer « oooh que c'est joli ! » comme une gamine dans un dessin animé Japonais lorsqu'elle découvrit la première l'endroit vers lequel monsieur Destoins, au sortir de ce pénible chapitre, venait de nous amener.



Quel est cet endroit si joli, pour reprendre les termes de Praline ? Comment va se perpétuer cette aventure ? En saurons-nous plus sur les sentiments que je semble développer à l'égard de notre compagne féminine ? Et apprendrons-nous la raison pour laquelle Personne était venu me rendre visite chez moi ? Autant de choses que vous découvrirez peut-être, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyMer 9 Sep 2009 - 17:32

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 20




Ce que Praline venait de trouver si joliiiiii, et nous fûmes (c'est du belge) bien d'accord en la découvrant à notre tour, c'était une magnifique maison de campagne toute de bois et de pierres construite, qui reposait de manière débonnaire parmi la verdure et les arbres épars, déroulant devant elle une large cour de gravier blanc et moelleux sur laquelle reposait avec flegme un chien à la robe amène et quelques poules cocotant en dandinant du bec avec grâce.

« Ouaouh ! (s'exclama Lecon) On dirait un tableau de... euh... l'autre, là, qui peignait des trucs dans ce genre-là... »

Sans lui prêter attention plus que nécessaire, la petite équipée que nous formions se dirigea vers la maison, monsieur Destoins ayant bien du mal à dissimuler le large sourire paternel qui ornait sa barbe. « C'est ici que vous vivez ? (lui ai-je demandé)
— Pas vraiment, enfin pas toujours... Mais maintenant que les hostilités sont lancées, mes amis et moi avons jugé préférable d'occuper cette maison un peu à l'écart de la civilisation afin de mieux nous préparer.
— Les hostilités ?
— Oh ne vous en faites pas... Je me doute que vous n'êtes pas au courant de la situation. J'ai hésité un peu lorsque vous m'avez dit que les Services Secrets étaient à vos trousses, mais on ne compte plus le nombre de parfaits innocents qui se retrouvent traqués par ces gens-là, alors... Voici ce que je vous propose : nous allons entrer, nous mettre à l'aise, et je tenterai de répondre à chacune de vos questions. Vous êtes d'accord ? »

Alors je lui ai fait à mon tour un sourire d'une sincérité déconcertante de la part d'un hypocrite comme moi, il y avait chez cet homme quelque chose de profondément chaleureux qui ne pouvait que vous mettre en confiance. Je ne lui répondis rien, me contentant de hocher la tête, le regard empli de gratitude.

Arrivés dans la cour, monsieur Destoins s'écria : « mes amis, nous avons de la visite ! » et nous vîmes sortir de la maison quatre jeunes gens, certes armés, mais aux visages recouverts de tellement de bonté et de gentillesse qu'il aurait été difficile d'avoir peur d'eux. Sans demander plus d'explications ils se dirigèrent vers nous et nous serrèrent la main avec politesse avant de nous inviter à entrer à leur tour. Lecon et Personne entrèrent en premier, suivis par Praline que j'entendis demander où se trouvaient les toilettes. Je suis resté encore quelques secondes dans la cour, observant autour de moi. J'étais en confiance, certes, mais je redoutais au fond de moi de voir surgir de nulle part les agents des Services Secrets qui nous couraient après. Mais rien ne bruissaient. Etant donné le trajet que nous avions suivi, il semblait peu probable qu'ils puissent nous trouver ici. Dans le fond je savourais surtout l'immense sentiment de sécurité dans lequel je me trouvais. Cela faisait longtemps que cela ne m'était plus arrivé. Mon coeur lui-même semblait se rasséréner, reprenant un rythme normal dans ma poitrine, profitant de la brise légère qui faisait frissonner mes cheveux et remplissait mes sens d'un bien-être providentiel. Monsieur Destoins reparut alors à la porte et me demanda de sa voix douce : « vous ne voulez pas entrer ? » et je lui répondis que si, je venais, j'arrive.

Je pénétrai dans la maison où régnait une obscurité relative et une fraîcheur salvatrice, calme silence intérieur à peine troublé par quelques murmures lointains, et rythmé par le balancement mécanique d'une grosse horloge en bois massif qui reposait contre un mur. Ça me rappelait mon enfance, la maison de mes grands-parents, similaire à celle-ci, les névroses familiales en moins. Je me sentais tellement bien que cela ne pouvait pas durer. Et justement ça ne dura pas. En jetant un regard circulaire à la pièce dans laquelle je me trouvais, cela s'estompa aussi soudainement que deux et deux font quatre.

« Ah d'accord... » me suis-je murmuré en aparté discret.

La première chose qui avait attiré mon regard, c'était cette grande affiche représentant une croix bleue parsemée d'étoile sur fond rouge. Ça me disait quelque chose mais je n'arrivais plus à me souvenir. Puis me sont revenues en tête les images d'un documentaire sur la guerre de Sécession que j'avais vu voici quelques mois et ça a fait tilt dans ma tête comme dans un flipper : le drapeau sudiste, voilà ce que c'était. Assez incongru d'ailleurs. Trouver une affiche pareille dans une petite maison de campagne française, c'était comme dénicher un poster à la gloire de Ben Laden dans un temple protestant. Mais même si cela ne prêtait pas nécessairement à conséquence, j'étais en droit de soupçonner une orientation idéologique particulière chez mes hôtes. Qui se confirma lorsque je constatai que sur l'autre mur, et sur toute sa surface, était collé un immense drapeau rouge au centre duquel un cercle blanc mettait en valeur une croix gammée plus noire que l'âme d'un marchand d'esclave.

Lecon et Personne semblaient aussi perplexes que moi. Nous étions seuls, monsieur Destoins était parti je ne sais où et ses compagnons de même. Praline non plus n'était pas là, mais je savais qu'elle était allé faire pipi. Je me suis approché de Personne et je lui ai demandé, tâchant de parler le moins fort possible : « Bon, qu'est-ce qu'on fait ?
— (il remua la tête de droite à gauche, sans répondre dans un premier temps) Je ne sais pas... J'en sais rien. On est où, là ?
— Pas au siège du Parti Communiste, si tu veux mon avis... On ferait aussi bien de ficher le temps pendant que c'est encore possible...
— Ben je sais pas trop... (a dit Lecon) Je veux dire, j'y connais rien à la politique, mais j'ai cru comprendre que les nazis ont tendance à être violents... Ça vaut peut-être pas trop le coup de les contrarier... »

C'est alors que Praline a surgi derrière nous en nous faisant sursauter comme le diable en personne. Elle avait sur le visage un sourire tellement parfait que mon cerveau avait envie de la gifler et mon coeur celui de l'embrasser. « Ben alors, pourquoi vous faites ces gueules ? On est bien ici, non ?
— Tu as regardé autour de toi ?
— Non, pourquoi ?
— (...)
— (...)
— Ben regarde, alors ! T'attends quoi ? »

Et elle a regardé. Et son visage est devenu aussi déconfit que les nôtres. Il n'y avait pas que le drapeau nazi et celui de la Confédération à observer en cet endroit. Il fallait voir les quelques photos ou petits tableaux malhabiles qui l'ornaient encore. Des portraits de dignitaires nazis, une photographie du général Franco prononçant un discours, et je n'avais encore jamais réalisé combien ce type ressemblait dans le fond à un bougnat du début du siècle, quelques caricatures anti-juives datant de la France occupée, une scène de lynchage de Noirs fleurant bon les vieilles heures de l'Alabama, et d'autres réjouissances du même ordre dont l'inventaire serait fastidieux dans la mesure où je crois vous avoir d'ores et déjà donné une bonne idée de l'atmosphère.

« Mon arrière grand-mère paternelle était Juive, vous croyez qu'ils vont s'en rendre compte ? (a demandé Lecon, brisant mollement le silence dans lequel Praline, de par sa stupéfaction, nous avait d'office replongé)
— Comment veux-tu qu'ils devinent ça, Lecon ?
— Ben je sais pas moi... En me faisant une prise de sang, peut-être...
— Bon alors, on décide quoi ? (ai-je redemandé) Je sais pas pour vous, mais j'ai pas spécialement envie de m'attarder au milieu de ces tarés... »

Mais monsieur Destoins et l'un de ses camarades, paraissant toujours sourire avec un large plateau composé de verres plein d'eau fraiche et de biscuits appétissants, mis fin à notre conciliabule improvisé en nous lançant : « Venez donc à la cuisine vous restaurer un peu, nous y serons mieux pour discuter ! »



Que va t-il se passer ensuite ? Et pourquoi Personne était venu me rendre visite ? Et patati-patata et autres broulalas de suspens et d'angoisse alléchants ? Vous le saurez, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyVen 18 Sep 2009 - 23:49

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 21




J'ai regardé monsieur Destoins d'un oeil hagard. Alors voilà, un nazi c'est ça. Les nazis, les vrais je veux dire, avec des drapeaux et des armes chez eux et tout, je n'en avais vu que dans les films. Les petits skinaillons bombés ou les supporteurs historiques du Paris-Saint-Germain, ça d'accord j'avais eu l'occasion d'en voir, mais ce n'est pas pareil, pas la même trempe, rien à voir. Chez ces petits bouledogues du dimanche il n'est pas question d'idéologie. Ils sont généralement trop torchés à la bière bon marché pour être fichus simplement de le prononcer, ce mot, « idéologie ». Rien que des clampins gavés de haine, qui beuglent de l'allemand avec un accent déplorable. Rien à voir avec le vrai nazi de salon d'arrière-grand-papa. Rien à voir avec monsieur Destoins en somme, avenant bonhomme bedonnant dont le cerveau grouillait de ces drôles d'idées dont on m'avait parlé en cours d'histoire. C'est pourquoi je l'ai regardé attentivement. J'ai vu le nazi qui se cachait derrière l'homme. Et puis j'ai vu le plateau plein de bonnes choses qui se tenait dans les bras de l'homme. Et mon estomac m'a amicalement fait remarquer que j'avais faim, que j'avais soif aussi, et qu'aussi profondes et puissantes soient mes convictions sociales ou politiques, il eût été idiot de refuser la collation qu'on me proposait. Quand on se noie, on s'accroche au premier bras qui passe, même si celui-ci se tendait pour saluer le fuhrer. C'est comme ça. Faudrait être con pour s'y prendre autrement.

Alors on l'a suivi, monsieur Destoins. La cuisine était plus sobre que la pièce dans laquelle nous nous trouvions précédemment. A l'exception de quelques magnets représentant des svastikas collés sur la porte du frigidaire, on aurait pu se croire dans n'importe quelle cuisine de n'importe quelle jolie maison perdue dans la cambrousse. Lecon, Personne, Praline et moi nous sommes assis à table et avons pris le temps de savourer l'eau fraîche qui nous était offert et les petits gâteaux qui la secondait. Monsieur Destoins attendit de nous voir tous la bouche bien pleine avant que de prendre la parole.

« J'ai idée (débuta t-il d'un ton posé et chaleureux) que vous n'êtes pas totalement au courant de la situation. Alors le mieux est encore que je vous explique ce qui se passe. Il se passe la Révolution. Enfin, en réalité, je devrais plutôt dire les Révolutions. Il m'est difficile de vous dire qui a commencé, mais c'est un fait : ce pays est, depuis le début de la matinée, en proie à des manifestations, des attentats et des coups d'état permanents. L'ennui, c'est que nous sommes plusieurs à briguer le pouvoir. D'abord il y a les Rouges. De braves soldats, au demeurant. D'après les informations dont je dispose, ils mettent beaucoup de coeur à l'ouvrage. Naturellement, les stalinistes et les trotskistes ont un peu de mal à se retenir de se tirer dans les pattes, mais dans l'ensemble l'union entre les différentes factions est avérée. J'ai entendu parler d'un petit groupuscule indépendant de Spartakistes qui ont essayé de faire bande à part dans la ville de Flasque, dans le Nord, mais ils ont a-priori tous été décimés par des guévaristes tendance Louise Michel. Ensuite il y a les Verts. Nos braves politiciens ont tellement été obnubilés par l'écologie, ils se sont tant acharnés à la moduler sous des appellations sensuelles pour mieux séduire les foules et s'accaparer des suffrages qu'ils n'ont pas vu monter toutes ces petites organisations éco-terroristes qui font à présent des ravages, maintenant que le début de la partie a été sifflée. J'ai appris par exemple que plusieurs kilomètres de ciment ont été dynamités dans le Sud, et que des villas qui empiétaient sur les plages sont à présent en train de couler quelque part, au pays des baleines, avec leurs habitants à bord. C'est regrettable pour eux. Je n'ai pas encore de décomptes précis des victimes, je ne puis donc pas trop m'avancer, mais... Oui, mademoiselle ?
— (Praline venait d'avaler son dernier biscuit et levait la main timidement, à la façon d'une collégienne malade) J'ai des cousins qui habitent une maison sur les bords de la mer Méditerranée, près de Boutrigues... Est-ce que vous savez si...
— Désolé mon enfant, mais d'après les compte-rendus dont je dispose, je pense qu'il est préférable que dorénavant vous parliez d'eux à l'imparfait... Où en étais-je ? Ah oui, je disais donc qu'il y a les Rouges et les Verts... Bien... Ensuite il y a les Noirs. Les anarchistes, pour parler vulgairement. Ceux-là n'ont pas réussi à s'allier aux Rouges, malgré les enseignements de l'Histoire. Ils font donc bande à part. Ils sont toutefois assez actifs, et je dois reconnaître que je suis surpris. Le milieu anarchiste de notre grand pays est tellement saturé de petits bourgeois boutonneux incultes et débonnaires que j'étais loin d'imaginer qu'il puisse également être constitué de véritables militants prêts à tout incendier sur leur passage. C'est pourtant le cas, et j'ai le regret de vous annoncer que l'abbaye de Sainte-Commode n'est plus qu'un champ de ruines à l'heure qu'il est. Cela ne signifie peut-être pas grand-chose pour vous autres, jeunes gens, mais c'était l'un de plus beaux fleurons de l'architecture post-gothique para-baroque pré-renaissance anti-luthérienne de France. Ces gens-là ne respectent vraiment rien. (et il se signa solennellement) Bref. Reprenez des biscuits, si le coeur vous en dit.
— (sans rien répondre, j'attrapai en effet une petite poignée de biscuits, dans le seul but, peu avouable cependant, de créer un effet de coupure dans le monologue de monsieur Destoins afin que celui-ci ne soit esthétiquement pas trop pesant sur la page et, de fait, décourageant pour le lecteur)
— Je vous épargne les détails concernant telle ou telle petite mouvance indépendante, il y en a un certain nombre mais elles sont en passe de se faire absorber par les plus grosses, ou de se faire dissoudre si la digestion promet d'être trop douloureuse. Et puis il reste nous. Les Bruns. C'est ainsi qu'ils nous appellent. J'aurais préféré qu'on nous surnomme les Blonds mais hélas on n'a pas toujours le choix. Et puis après tout nous n'avons pas que des blonds parmi nos rangs. Nous sommes beaucoup moins sectaires que ce que les calomnies prétendent : nous comptons quelques roux parmi nous, un certain nombre de personnes aux cheveux noirs, marrons, voire châtain, et nous avons même admis récemment un jeune homme d'origine africaine dans notre organisation.
— Où est-il ?
— Nous l'avons pendu voilà deux jours, ça a été plus fort que nous. Mais il était très sympathique, dans le fond. Bien, donc nous sommes les Bruns. Face à ces hordes dégénérées de révolutionnaires patibulaires, nous représentons l'Ordre. La Discipline. La Pureté. Il est temps de rendre à notre pays la place qu'il doit occuper dans ce monde, c'est-à-dire au-dessus de tous les autres. Il est temps de le débarrasser de tous ces immigrés, de tous ces étrangers, de toutes ces femmes aux mœurs fragiles, de tous ces hommes aux lectures inadéquates, de tous ces croyants non-conventionnés et, cela va de soi, de tous ces israélites sournois qui rongent notre société tel un cancer purulent. Sans parler des homosexuels et des Francs-maçons, évidemment. Je ne leur ai pas encore trouve d'adjectifs idoines, je m'en excuse... Bref, cette vaste guerre civile qui s'installe dans le pays est l'occasion rêvée pour nous de prendre enfin le pouvoir et de ramener notre univers à la raison. Notre programme d'extermination des indésirables est dans les cartons, il ne nous reste plus qu'à vaincre et nous serons enfin libres d'appliquer notre programme. Vous pouvez donc vous réjouir d'être tombés sur nous !
— Oh oui, quelle chance... (persifla Personne)
— Mais... A vous entendre vous avez vraiment l'air certain de votre victoire...
— Oh nous allons gagner, soyez sans crainte !
— Qu'est-ce qui vous permet d'en être aussi sûr ? (insista Praline) Je veux dire, vos Rouges, vos Verts, vos Noirs, vos Mauves ou vos Turquoises doivent être tout autant convaincus que vous...
— Cela va de soi, du moins je le leur souhaite. Livrer une guerre que l'on sait perdue d'avance c'est déprimant, et je sais de quoi je parle, j'ai fait l'Algérie... Mais à la différence de tous ces idéalistes répugnants, nous avons une arme secrète... Nous détenons ici, dans cette maison de campagne d'apparence tranquille, la clé de la victoire. Celle qui fait que toutes nos factions disséminées dans le pays savent que nous ne pouvons simplement pas perdre !
— Et... Serait-il indiscret de vous demander de quoi il s'agit ? (j'ai demandé, m'attendant au pire)
— (Alors monsieur Destoins s'est gonflé de tant d'importance qu'on aurait pu s'attendre à ce qu'il fasse la roue et nous a asséné sa réponse d'une voix de stentor rouge-gorgesque) Hé bien mes amis, nous détenons la Reine ! »



Qui est donc cette fameuse Reine ? Comment va se continuer cette conversation ? Que va t-il se passer ? Saurons-nous pourquoi Personne était venu me rendre visite, et combien de jours, de semaines, de mois, d'années, s'écoulera t-il entre ce chapitre et le prochain ? Vous le saurez, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyDim 11 Oct 2009 - 23:25

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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyLun 12 Oct 2009 - 8:06

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 22




« La Reine ? » avons-nous demandé en choeur Praline, Personne, Lecon et moi à monsieur Destoins qui s'illumina d'un sourire encore plus radieux que les guirlandes d'un nouvel an à New-York. Et qui s'amusa ensuite à ne plus rien dire et à savourer notre stupeur comme un fin gourmet apprécie sa choucroute-chantilly. Seulement il faut dire les choses comme elles sont : c'est un peu chiant ces gens qui aiment à ménager le suspens. Vous savez, ces types qui savent que vous en bavez de savoir mais qui vous laissent bouillir en se pinçant les lèvres, détenteurs d'un secret qui les rendent importants l'espace de quelques minutes, une sensation qu'ils souhaiteraient sans doute pouvoir faire durer jusqu'à la fin des Temps.

Et au moment précis où il allait reprendre la parole, tandis que déjà il aspirait l'oxygène nécessaire à la continuation de son petit topo, un de ses congénères est entré dans la cuisine et l'a coupé dans son élan. Celui-ci nous ne l'avions pas encore vu, c'était un bonhomme assez petit, au crâne chauve plus que rasé, au visage écrasé, aux joues pendantes, un peu bouledogue dans sa carrure, des yeux de fouine et des oreilles de fennec, bref quelqu'un de franchement très laid et d'allure peu sympathique par-dessus le marché. Ajoutez à cela une voix plus aiguë que la moyenne et vous comprendrez certainement pourquoi, en entrant brusquement et en clamant « monsieur Destoins » sur un ton précipité, il nous fit sursauter comme des diables en boîte, à l'exception naturellement du monsieur Destoins en question qui demeura placide et serein. Il se tourna vers l'espèce de molosse trapu et lui asséna d'une voix olympienne :

« Muller, je suis en pleine conversation...
— Je m'excuse monsieur Destoins (répondit Muller en se frottant les mains, gêné) mais il y a un souci avec la pompe à essence et on n'y arrive pas...
— Vous êtes un grand garçon Muller, je suis certain qu'une pompe à essence ne saurait venir à bout de votre résolution.
— C'est pas ça monsieur Destoins mais là on essaye et ça marche pas, alors on s'est dit que vous vous sauriez parce que voilà vous vous y arrivez toujours...
— Bon... (monsieur Destoins soupira, mais derrière son soupir se dissimulait mal ce sentiment d'importance qu'il aimait à se conférer, cette pose paternaliste pleine de suffisance dont il semblait jouir plus que tout au monde) Très bien, j'arrive... Messieurs, et mademoiselle, je vous demande pardon mais il appert que je dois vous abandonner... Nous reprendrons cette conversation plus tard, si vous le désirez... En attendant, je vous en prie, faites comme chez vous. »

Et il se leva et partit avec Muller en direction de la pompe à essence récalcitrante, nous laissant seuls comme des ronds de flancs face à notre petite collation qui avait diminué à vue d'œil. Nous sommes restés un temps sans rien dire et finalement c'est moi qui ai rompu le silence, parce que j'aime bien faire ça, vu que le silence c'est quelque chose qui m'énerve quand je ne suis pas tout seul.

« Faire comme chez nous, il en a de bonnes ce type ! On est dans un putain de terrier de nazis de merde, je vois franchement pas comment je pourrais faire comme chez moi...
— En attendant on est là, alors autant en profiter pour se reposer un peu... (a répliqué avec une certaine sagesse Praline) Et puis moi j'aimerais en savoir un peu plus sur cette histoire de Reine... (elle se tourna vers Personne) Bon au moins maintenant tu es d'accord pour dire que ce n'est pas moi ?
— Non.
— Comment ça, non ? Il vient de dire...
— Il vient de dire qu'ils détiennent la Reine ! Et justement... Pourquoi est-ce qu'il nous accueille comme ça, ce mec ? Il nous connaît pas, et boum il nous invite à venir chez eux, dans leur repère en plus, comme s'il allait de soi qu'on est des nazis nous aussi ! Franchement, vous trouvez pas que c'est bizarre, ça ?
— Ouais, je suis d'accord. (a dit Lecon)
— Ben pas moi. Il y a un truc que tu as l'air d'oublier, Personne : les nazis ils sont comme tout le monde, ils sont persuadés du bien-fondé de ce qu'ils pensent. Regarde : moi je ne crois pas en Dieu. Mais alors vraiment pas. Pour moi, Dieu, c'est la plus belle connerie qu'on ait jamais inventé dans toute l'histoire de l'humanité. Même la bombe atomique, c'est moins pire à mes yeux. Alors quand je rencontre quelqu'un qui me semble sympathique, je me demande pas une seule seconde s'il y croit ou non, en Dieu. Je pars automatiquement du principe qu'il est d'accord avec moi. Il y a au moins trois milliards de types qui sont croyants dans le monde mais moi c'est plus fort que tout : j'ai toujours l'impression de ne rencontrer que des athées dans mon genre. Et du coup je me plante souvent, et je finis par me prendre des baffes sans comprendre d'où elles viennent... Les nazis c'est la même chose, enfin le même principe je veux dire. Il tombe sur nous, on est des bons blancs bien gentillets, on n'a pas le drapeau israélien tatoué sur le bras et on est coiffés normaux, sans dreads ou des machins comme ça. Ça lui suffit pour se dire que le trip aryen dans lequel il se situe, on y adhère autant que lui. Il n'a pas de raisons d'en douter.
— Ouais, je suis d'accord. (a dit Lecon)
— Peut-être, d'accord, j'en sais rien... Tout ce que je dis, c'est que c'est tout de même un peu louche. Il pourrait se méfier un peu plus que ça. Nazi ou pas, il n'a pas l'air non plus d'être un imbécile, ce mec, là, monsieur Destoins... Et moi je vois dis que s'il nous a fait venir comme ça, sans se poser plus de questions, c'est parce qu'il sait que Praline est la Reine ! Et c'est précisément pour ça qu'il nous a dit qu'il la détenait !
— Mais je suis pas la Reine ! Je le saurais, quand même !
— Mais non justement, c'est ça que je viens de comprendre : tu es la Reine mais tu ne le sais pas. Et lui il le sait, monsieur Destoins. Il t'a reconnue, et du coup il s'est dit que c'était une belle aubaine, et il nous a fait venir ici !
— Ouais, je suis d'accord. (a dit Lecon)
— Putain Personne écoute-moi maintenant : je suis pas une Reine. Ma vie elle est normale. JE suis normale. Y a rien, absolument rien dans toute l'histoire de mon existence qui puisse indiquer que je sois une Reine de quoi que ce soit. Et puis en plus, si vraiment c'était ce que tu dis, alors il ne nous l'aurait pas dit qu'il détenait la Reine ! Quand quelqu'un veut t'entuber, il ne t'envoie pas une faire-part !
— Ouais, je suis d'accord. (a dit Lecon)
— Mais il l'a dit parce qu'il sait que tu ne le sais pas.
— Et comment il saurait que je ne le sais pas ?
— Oui, comment tu peux savoir qu'il sait qu'elle ne le sait pas ?
— Je sais qu'il sait qu'elle ne le sait pas parce que ça se voit qu'elle ne sait pas, je sais pas comment il le sait mais il a compris qu'elle ne le sait pas et du coup ça l'amuse de savoir sans qu'elle le sache alors du coup il nous a fait comprendre qu'il savait en pensant qu'on n'allait pas savoir sauf que moi je sais ce qu'il sait même si elle ne le sait pas et maintenant je sais qu'il sait, même si vous vous savez pas, voilà, c'est quand même pas compliqué non ?
— Ben euh là, si un peu quand même...
— Bon écoutez c'est pas la question, pour le moment on devrait surtout se demander ce qu'on va faire, non ?
— Ouais, je suis d'accord. (a dit Lecon) »



En effet, qu'allons-nous faire ? Quelles aventures rocambolesques nous attendent encore ? Saurons-nous pourquoi Personne était venu me rendre visite, et parviendrais-je à me tenir au rythme hebdomadaire auquel j'ai décidé de m'astreindre à présent afin de faire en sorte que ce joyeux feuilleton ne finisse pas dans les oubliettes méandreuses de mes éternels échecs refoulés ? Vous le saurez, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.


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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyLun 12 Oct 2009 - 8:35

Merci Picro, c'est très bon Laughing
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyLun 19 Oct 2009 - 0:02

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 23




Comme vous avez pu le constater, Lecon, Personne, Praline et moi aimions parler, débattre et tout le tralala. Je ne sais pas pourquoi, j'imagine qu'à force la démocratie nous a donné des mauvaises habitudes. Il faut dire aussi que, dans le fond, personne n'avait parmi nous assez de charisme pour prétendre devenir l'incontestable leader de nos rocambolades. Lecon n'aurait pas su mener paître un troupeau de mouton dans les alpages sans subir une mutinerie, Personne aurait désespéré jusqu'au plus docile des cochons d'inde, et moi-même je n'avais ni l'âme ni le physique d'un dirigeant. Quant à Praline, qui aurait pu prétendre gouverner au sein de notre groupe de par sa seule appartenance à la gent féminine, elle était somme toute bien trop préoccupée par ses lubies intimes et sa vessie déficiente pour réellement s'investir d'une telle charge. Nous autres poilus aurions certainement été ravis de nous laisser embrigader par une jeune femme comme Praline, mais voilà : nous étions tombés sur une femme qui n'aimait pas donner des ordres. Le genre de spécimen rare que l'on ne rencontre que durant les révolutions.

Alors voilà, à défaut d'avoir en notre possession un guide suprême, un prophète borgne ou quelque chose d'avoisinant, nous étions contraints de constamment discuter, argumenter, pérorer et billeveser si nous voulions aboutir à une action un tant soi peu cohérente. C'est la raison pour laquelle vous constatez, et constaterez sans doute plus tard à nouveau, que les dialogues sont monnaie courante dans l'histoire que je vous conte aujourd'hui. Cela peut sembler agaçant, mais n'oubliez pas que tout ce que je raconte est véridique. Si encore mon récit était une oeuvre de pure fiction, je me serais arrangé pour y inclure une sorte de Rambo à la française, ce qui aurait grandement facilité ma tache et m'aurait permis de faire progresser l'action avec bien plus de vaillance. Une honteuse tricherie, paravent de fortune derrière lequel je me serais roulé en boule en arguant de l'art et des nécessités narratives. Mais puisque tout ce que j'écris a réellement eu lieu, je ne puis avoir recours à pareil artifice.

Tout ceci pour vous dire que nous avons encore parlé longuement tous les quatre, seuls dans cette cuisine, pourchassés par les Services Secrets et prisonniers volontaires d'une escadre de nazis militants et belliqueux. Nous avons débattu avec fougue sur les options qui s'offraient à nous. Lecon suggéra la fuite et Praline lui rétorqua qu'elle en avait assez de fuir, ce qui nous fit beaucoup rire Personne et moi, car nous avons l'esprit mal tourné. Finalement, nous décidâmes de rester le temps de voir venir. De voir venir quoi ? Excellente question, à laquelle nous n'avions pas de réponse. Le bordel incognacible dans lequel nous végétions ne pouvait nous amener qu'à espérer un geste de la Providence. En attendant, nous allions demeurer dans cette petite ferme isolée et jouer le jeu avec nos hôtes, aussi détestables étaient-ils. Ceci ayant été dit, Praline alla aux toilettes.

Pour ma part, j'ai ressenti un petit besoin de solitude. Ça arrive aux plus intelligents. Alors j'ai laissé Personne et Lecon vaquer à leur continuation et je suis sorti de la cuisine pour prendre l'air. J'ai traversé de nouveau cette grande pièce naziquement décorée et suis sorti dans la petite cour qui, de prime abord, m'avait semblé si avenante et accueillante avant que je ne comprenne qui en était les détenteurs. Il y avait un peu plus de monde que lors de notre arrivée. De jeunes gens coupaient du bois, ramassaient de l'herbe, donnaient à manger aux poules, astiquaient des fusils, bref se livraient à toutes les occupations banales que l'on peut imaginer dans une ferme. Un peu plus loin, sous un porche, je vis monsieur Destoins entouré de quelques-uns de ses congénères trifouiller dans la fameuse pompe à essence dont il avait été question précédemment. Il maniait les outils avec dextérité sous les regards admiratifs de ceux qui l'accompagnaient et lui tendaient de temps en temps tel ou tel ustensile lorsqu'ils en recevaient l'ordre.

J'ai flâné mollement autour de la petite ferme en respirant à pleins poumons l'air frais qui s'en dégageait puis je suis allé à la rencontre d'un gros type qui promenait une brouette pour lui demander s'il avait une cigarette. Adoptant un sourire un peu niais, il laissa retomber les poignées de son véhicule et sortit de sa poche un paquet de Camel pour m'en donner une. Je n'aime pas les Camel. En règle générale, j'évite de fumer des animaux à bosse, mais là je crevais trop la fume pour faire la fine bouche. Le gros type s'en colla également une entre les lèvres et se l'alluma avant de me tendre la flamme de son briquet. Nous avalâmes ensemble notre première bouffée et un petit nuage de fumée nous environna.

« Vous êtes nouveaux ? (me demanda t-il ensuite, et sa voix résonna comme une porte qui grince dans un manoir hanté) C'est la première fois que je vous vois. Vous êtes arrivés avec monsieur Destoins, c'est ça ?
— Euh oui, c'est ça. Il nous a trouvé dans la forêt... On venait de...
— Bah oui je sais, vous étiez perdus pas vrai ? Y a pas de honte, moi aussi je me suis paumé la première fois. J'avais beau avoir un plan et tout et tout, dans une forêt y a que des arbres, alors bon, y a de quoi se planter pas vrai ? Et vous faisiez quoi dans la vie, vous ?
— Pas grand-chose en fait, je...
— Moi je travaillais dans un grand magasin. Vous savez, le boulot chiant : porter des caisses, ranger des articles dans les rayons, tout ça. Je l'attendais cette révolution, vous pouvez pas imaginer ! J'en avais marre de ce boulot de merde, c'est pas humain. Et puis toujours devoir se montrer poli et souriant avec tout le monde. Même avec les NF, vous savez...
— Les NF ?
— Ouais, les Nouveaux Français quoi... Les bronzés, tout ça... J'ai jamais pu les blairer... Ceux qui bossaient avec moi encore je dis pas, dans le genre ils étaient plutôt gentils, enfin corrects quoi, mais quand même ils sont pas comme nous. C'est comme les Juifs. Bon j'ai jamais vraiment connu de Juifs mais voilà quoi, je les aime pas. Avec leurs complots et tout et tout. Et puis en plus c'est eux qui ont crucifié Jésus, je le savais pas, c'est monsieur Destoins qui me l'a dit. Vous le saviez vous, que ce sont eux qui ont crucifié Jésus ?
— Ben j'en ai entendu parler oui, mais...
— Ouais c'est bizarre hein ? J'aurais jamais cru que Ponce Pilate c'était Juif comme nom, ils sont malins ces mecs-là ! N'empêche bon moi Jésus je sais pas trop, je connais un peu l'histoire parce que j'ai fait du catéchisme quand j'étais plus jeune, mais déjà que j'avais du mal à retenir mes tables de multiplication alors la Bible, hein, forcément... Mais c'est vraiment pas cool. Ils auraient pas dû le crucifier, je veux dire. C'était le fils de Dieu, quoi ! C'est complètement con de crucifier le fils de Dieu ! Dieu c'est un truc qu'il faut respecter, enfin j'imagine quoi, c'est pas n'importe quoi tout de même...
— Vous êtes pratiquant ?
— Ouais, enfin pratiquement pratiquant, je crois. Je prie pas souvent non plus, mais monsieur Destoins nous a dit que l'heure n'était plus à la prière mais à l'action. C'est cool comment il parle monsieur Destoins. Nous c'est ça qui est bien avec nous les nazis c'est qu'on parle bien. C'est pas comme les communistes là, avec leurs prolétaires et leurs camarades, tout ça c'est nul. Hitler c'est un mec qui parlait bien par exemple. Alors que Staline il parlait pas bien. Bon enfin c'est monsieur Destoins qui le dit, moi je le crois sur parole, je parle pas l'allemand ni le polonais, mais voilà quoi je suis drôlement fier d'être nazi moi. Et de pas être communiste aussi. Pas vous ?
— Ah euh si si moi aussi je suis vachement fier...
— Ouais n'empêche vous allez voir demain c'est la grosse opération il paraît, enfin monsieur Destoins il a pas encore confirmé mais c'est des bruits de couvoir, vous voyez ? C'est cool que vous soyez arrivés juste à temps pour ça, je sens qu'on va bien s'amuser. Moi au début ça me faisait un peu peur la révolution et puis maintenant je me dis qu'en fait c'est génial, bientôt y aura plus de Juifs ni de communistes ni de bronzés, y aura plus que des vrais français comme nous dans le monde et c'est trop il était temps, quoi ! (il me fit un clin d'oeil en écrasant sa cigarette qu'il venait de terminer et rempoigna sa brouette comme un légionnaire les pattes arrières de sa chèvre) Bon allez je peux pas rester plus longtemps j'ai encore plein de trucs à porter, c'était cool de bavarder avec vous !
— Merci pour la...
— Ouais ! »

Et je l'ai regardé s'éloigner dans le bringueballement rouillé de sa brouette, en tirant moi-même mes dernières lattes sur ma Camel avant que de retourner à l'intérieur de la ferme dans l'espoir d'y retrouver le plus vite possible ma petite équipe, parce que les besoins de solitude dans un univers pareil c'est un luxe que je n'étais pas franchement, et je venais de m'en rendre compte, en mesure de m'offrir.

En entrant je vis non sans soulagement Lecon et Personne assis dans un fauteuil côte à côte et feuilletant le regard atterré une sorte de petite publication groupusculaire qui s'ornait en première page d'une Croix de Lorraine à quatre branches. Praline pendant ce temps observait avec circonspection une petite aquarelle façon naïve représentant le général Rommel. Et quand je la vis, Praline, pas l'aquarelle, mon coeur fit une sorte de drôle de bond dans ma poitrine.

Ah oui merde, j'avais presque oublié. Je suis en train de.



Comment va se continuer et se conclure notre séjour parmi les nazillons de monsieur Destoins ? En saurons-nous plus sur cette fameuse histoire de Reine ? Et découvrirons-nous enfin pourquoi Personne était originellement venu me rendre visite ? Vous le saurez, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyLun 26 Oct 2009 - 3:08

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 24




Le reste de la journée se passa plus ou moins mollement. Je considérais que nous avions vécu en l’espace de quelques heures suffisamment d’émotions et de rebondissements cardiaques ou nerveux pour qu’il me soit permis de m’accorder une pause jusqu’au lendemain matin, et mes compagnons d’infortune, comme on dit dans les romans galants, semblaient penser de même puisque nous nous contentâmes de flâner avec nonchalance de fauteuils en fauteuils, visitant la petite fermette qui nous accueillait et qui, quoique nazifiée depuis le trognon jusqu’à l’écorce, nous offrait des conditions de confort non négligeables, ainsi qu’une bibliothèque située dans son aile gauche où je dégotai quelques ouvrages du plus haut intérêt historique et littéraire, et en particulier une édition du Werther de Goethe tout à fait fascinante. Cela dit j’ai préféré relire un bon vieux Club des Cinq.

Enid Blyton était lesbienne. D’ailleurs, le personnage de Claude, garçon manqué au prénom comme-par-hasard épicène, était paraît-il une représentation romanesque de sa « partenaire », ainsi qu’aiment à dire certains. Tant que l’on est dans le cadre d’une bonne vieille relation hétérosexuelle basique et sans écorchures, personne ne voit de soucis à employer les termes de « mari », « épouse », « conjoint(e) », « fiancé(e) » ou « amoureux » et « amoureuse ». Mais pour peu que l’on sorte de ces sentiers battus et que l’on pénètre dans le domaine des amours non-agréés par les autorités papales, il apparaît subitement impérieux d’user d’euphémismes aussi baroques que « partenaire », « compagnon », voire « associé(e) », et même, sommets enneigés du ridicule : « bon(ne) ami(e) ». Bref, Claude, personnage androgyne du Club des Cinq, se veut une représentation de celle qui était la bonne amie d’Enid Blyton. Enid Blyton qui, ne l’oublions pas, est la créatrice non seulement du Club des Cinq, mais également du Clan des Sept et du personnage de Oui-Oui. L’importance de son oeuvre au sein de la littérature pour enfants, et donc de la littérature tout court, ne saurait être contestée et doit même être soigneusement soulignée chaque fois que l’occasion se présente, y-compris durant les repas familiaux de fin d’année ou les congrès internationaux sur le réchauffement climatique. Et c’est la raison pour laquelle je prends le temps de la mettre en valeur maintenant, alors qu’en fait cela n’a rien à voir, mais alors rien à voir du tout du tout, avec les questions qui sont censées préoccuper mon récit à l’heure qu’il est. Pas plus d’ailleurs que l’homosexualité d’Enid Blyton, sur laquelle je n’avais pas prévu de tant m’étendre lorsque j’ai commencé la rédaction de ce paragraphe. En fait, pour vous dire toute la vérité, l’envie m’avais pris de l’évoquer afin de mettre en valeur le paradoxe amusant que peut représenter le fait de trouver dans une bibliothèque d’obédience nazie les ouvrages d’une lesbienne notoire, tout comme on les retrouve dans tous les rayonnages des bibliothèques ou des libraires orientées religieusement au-delà du raisonnable, pour peu qu’il soit possible de se trouver dans les limites convenables du raisonnable dés lors que l’on entre dans le champ religieux. Mais bon, c’est tout de même assez cliché comme réflexion. Je veux dire, pas ce que je dis sur le raisonnable, encore que ça aussi, mais ce que je dis sur Enid Blyton juste avant. Je ne sais pas si ça vaut le coup d’en parler aussi longuement. Je pense que non. Aussi je vous recommande de ne pas lire ce paragraphe.

Bref, après avoir fini de lire mon Club des Cinq (je ne sais plus si c’était Les Cinq partent en croisière, Les Cinq escaladent le Mur de Berlin ou Les Cinq ne se prennent pas pour de la merde), j’ai soigneusement remis l’ouvrage en place et suis retourné voir mes camarades dans le salon où ils avaient pris leurs aises. Lecon demeurait les yeux mi-clos près d’un feu de cheminée que le saison n’imposait pas vraiment, Personne faisait un puzzle qu’il avait étalé sur une table-basse et s’agaçait de ne pas trouver le morceau qui lui permettrait de compléter l’aile droite de sa croix gammée, et Praline faisait elle aussi quelque chose probablement mais je ne sais plus quoi parce qu’en la voyant je sentis de nouveau comme une sorte de petite décharge électrique dans le cœur, et me connaissant je me suis dit qu’il allait falloir que je m’y habitue. Donc, à partir de maintenant et afin d’éviter des redites oiseuses, gardez bien en tête le fait que chaque fois que je verrai Praline après être resté éloigné de sa personne plus de vingt minutes, je ressentirai comme un sursaut au niveau de ma zone sternale. Merci par avance de votre participation.

Le soir commençait à grignoter le ciel et à chasser le soleil de son éternelle domination provisoire.

J’entendis mon estomac crier famine tout en m’avançant vers Personne pour voir si je pouvais m’incruster avec lui sur son puzzle lorsque nous entendîmes quelqu’un crier : « A table ! A table ! A table ! » tout en faisait tinter une petite clochette crachouillante dont les ding-dong nous firent mal aux oreilles. « Comme dans les films, dis-donc ! (j’ai dit à Personne en souriant)
— Ah ? (m’a répondu Personne) Tu penses à quels films en particulier ?
— Euh… J’en sais rien, en fait, mais y a certainement des films avec des trucs comme ça dedans… T’es chiant des fois, tu sais ? »

Une grande table avait été dressée dans la cour de la ferme, et en sortant nous eûmes l’occasion de voir enfin toutes les personnes, du moins le pensions-nous, qui occupaient cet endroit. En somme, une trentaine de gaillards, d’âges divers et de physiques variés, qui cependant avaient en commun une espèce de lueur bovine très affirmée dans le regard. A l’exception de monsieur Destoins bien entendu, qui trônait en bout de table comme un patriarche et nous adressa un large sourire en nous invitant à prendre place parmi eux. Le bonhomme avec qui j’avais échangé quelques mots dans la journée me fit amicalement signe de venir m’asseoir à côté de lui, et je n’eus pas d’autre choix que d’obtempérer. Lecon fut invité à s’asseoir près d’une sorte de nabot dont le visage s’ornait d’une cicatrice remarquable, Personne fut convié à prendre place à côté de Firmin, pour peu que vous vous souveniez de Firmin et que cela vous dise quelque chose, et Praline enfin déposa ses délicates fesses entre deux grands types qui entreprirent immédiatement de la draguer, sous l’œil fort peu bienveillant d’ailleurs de monsieur Destoins qui, au bout de quelques minutes, leur adressa une remarque suffisamment cassante pour qu’ils arrêtent. A mon grand soulagement, je suis bien obligé de le reconnaître.

Nous avons mangé correctement et sans bavure de bonnes tomates, des bons haricots verts, un bon rôti de porc, un bon fromage de brebis et un bon yoghourt avec plein de bon bifidus bien actif dedans, puis il nous fut indiqué que nous allions dormir à l’étage. La ferme avait déjà du mal à abriter tout le monde. Monsieur Destoins nous expliqua discrètement en nous prenant à part qu’il envoyait chaque nuit plusieurs de ses hommes faire des rondes dans la forêt bien plus dans l’optique de libérer des matelas que par réel souci sécuritaire. Il avait néanmoins pris les dispositions qui convenaient : Personne, Lecon et moi partagerions une même chambre, et Praline aurait une chambre pour elle toute seule, parce qu’elle a des ovaires.

C’est Firmin qui nous a mené jusqu’à nos chambres. Celle de Praline était juste à côté de la notre. Il y avait trois autres chambres sur le même palier, dans lesquelles devaient s’entasser un sacré nombre de dormeurs chaque nuit. Le reste des résidents de la ferme devaient, me suis-je dit, dormir dans le salon, dans la bibliothèque, voire dans la cuisine ou même à la belle étoile. Je plaignis monsieur Destoins d’avoir à gérer une telle population dans un si petit espace, puis je me souvins que monsieur Destoins était un nazi de la pire espèce et je cessai de le plaindre pour l’envoyer au diable prestement. Dans notre chambre il n’y a avait qu’un lit, et deux matelas posés par terre. Je vous épargne le débat qui s’ensuivit sur la question de savoir qui devait hériter du lit et qui irait dormir sur les matelas, sachez seulement que c’est Personne qui l’emporta et hérita du sommier, au nom de ces prétendus problèmes de dos. Pour la part je me suis mis en caleçon et j’ai retiré ma chemise et me suis étendu sur l’un des matelas en me recouvrant d’une couverture que l’on avait déposée à côté, et soupira en espérant que le sommeil ne serait pas trop long à venir. Il ne le fut pas. Enfin, pas pour les autres. Lecon commença à ronfler au bout de dix minutes environ, et Personne fit des bruits bizarres avec sa bouche et parla à moitié dans son sommeil en moins d’une demi-heure. Moi je suis resté les yeux plantés dans le plafond, sur lequel se dessinaient des ombres étranges provenant de la lueur lunaire que la fenêtre sans volets laissait entrer abondamment, durant environ deux bonnes heures avant qu’enfin les bruits de mes congénères cessèrent de m’importuner pour me bercer et m’accompagner vers le chemin des rêves. Je devais dormir depuis vingt minutes lorsque je sentis Personne me secouer vigoureusement l’épaule en me disant « hé réveille-toi ! Réveille-toi ! J’entends un truc bizarre ! »



Quel est le truc bizarre qu’entend Personne et qui justifie de m’extirper ainsi de mon sommeil malhabile ? Et saurons-nous, tiens tant qu’on y est, pourquoi ce même Personne était venu me rendre visite initialement, au commencement de ce récit ? Vous le saurez, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.


Dernière édition par Picrotal le Jeu 5 Nov 2009 - 17:57, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyLun 26 Oct 2009 - 23:11

Un petit mot pour vous dire que les commentaires (y-compris négatifs) sont les bienvenus, si vous désirez en faire... Smile

Mais si vous ne le voulez pas, rien ne vous y oblige... Rolling Eyes

Peut-être par mp, ou dans un autre topic, si vous ne voulez pas alourdir celui-ci... Wink
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyLun 26 Oct 2009 - 23:14

Tu viens de saccager en un paragraphe toute l'image que je m'étais construite d'Enid Blyton au cours de mon enfance le long de mes lectures des bibliothèques rose et verte. J'ai toujours cru que c'était un homme au prénom anagramme de Deni. Et non seulement c'est une femme, mais... Tout fout le camp. Neutral
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyLun 2 Nov 2009 - 20:48

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 25



« Personne, je te hais ». Voila ce que j'ai pensé en le sentant me trémousser. Une haine noire, profonde, maladive. Les gens qui me réveillent je les hais au-delà du raisonnable. C'est comme s'ils me volaient quelque chose. Quand un vendeur par téléphone me sort du lit à onze heures pour m'expliquer que mon abonnement Internet est moins bien que celui qu'il veut me proposer, il a de fortes chances de se faire insulter comme le dernier des mohicans avant de m'entendre lui raccrocher au nez. Moi qui suis d'ordinaire tellement poli...

Je te hais Personne, et je l'ai laissé me secouer pendant trente bonnes secondes en faisant mine de continuer à dormir, pour voir s'il n'allait pas se lasser avant moi. Mais non. Alors j'ai ouvert les yeux et je me suis tourné vers lui. Si un regard pouvait tuer, je l'aurais pulvérisé sur place. Mais il n'a pas vraiment eu l'air de s'en rendre compte, ou alors même mes regards les plus mauvais les plus méchants n'ont dans le fond rien d'effrayants pour quelqu'un de plus de douze ans, je ne sais pas. Il m'a juste répété : « mon vieux, j'entends un bruit bizarre, écoute... » Alors j'ai écouté. Je me suis relevé un peu, me suis assis sur mon matelas, j'ai vu que Lecon aussi était réveillé et tendait une oreille attentive, et j'ai effectivement entendu dans le silence un drôle de son, ça faisait comme des hoquets un peu brusques qui se répétaient de manière sporadique, et j'ai fini par comprendre que c'était quelqu'un qui pleurait. Une femme, à en juger par la tonalité. Et j'ai pensé que c'était Praline qui était en train de chialer dans sa chambre, et mon coeur a sursauté dans un vaste élan d'espoir.

Mais là il faut que je vous explique. Ma seule et unique méthode de séduction, c'est d'attraper les filles pendants qu'elles sont dans la plus sombre des tristesses. Là je peux me distinguer de la masse en les prenant à part et en les écoutant jusqu'à ce qu'elles en perdent haleine. Là je suis dans mon élément, je leur manifeste de l'attention, je les réconforte, je m'absorbe de leurs problèmes jusqu'à me détacher de mon propre corps, jusqu'à n'être plus qu'un esprit pensant totalement voué à leurs petits ou gros soucis. C'est une technique de drague qui en vaut une autre, et celle-ci donne des résultats confondants. Chaque fois que j'ai passé deux heures d'affilée à tenir la main à une donzelle en détresse jusqu'à ce que ses larmes soient sèches et son coeur empli de gratitude à mon égard, elle se mettait le lendemain en ménage avec un de mes meilleurs amis. Imparable.

Donc d'imaginer que Praline était en train de pleurer dans sa chambre me donnait l'opportunité d'aller la voir, de parler avec elle, et d'opérer ainsi le rapprochement des corps que je commençais à souhaiter de manière bien insensée étant données les circonstances. Sauf que ce n'était pas Praline qui pleurait, puisque Praline, je m'en suis alors rendu compte, se tenait debout près de la porte d'entrée et écoutait tout autant que nous ces sanglots isolés. C'était même elle qui les avait entendu en premier et qui était venue, ai-je appris plus tard, le signaler à Personne. Pourquoi à lui ? Pourquoi pas à moi ? Je n'en sais rien. Mais tomber amoureux était déjà un luxe bien dispensable, alors la jalousie il valait mieux que je me la garde en réserve pour plus tard.

« On dirait que ça vient d'en bas ! On va voir ? » a demandé Praline, et avant que j'aie eu le temps de répondre que non, ce n'était pas nos affaires, je suis fatigué, vous m'emmerdez tous autant que vous êtes, Personne et Lecon était déjà debout, prêts à la suivre. Alors je me suis levé aussi, que voulez-vous que je vous dise ? J'aurais eu l'air d'un con, autrement.

C'est Lecon qui a ouvert précautionneusement la porte, afin de ne pas réveiller toute la ferme. Nous avons avancé lentement dans le couloir puis descendu les escaliers en prenant garde de ne pas faire trop grincer les marches. Dans le salon, sur les fauteuils ou à même le tapis dormaient quelques soldats de monsieur Destoins. Nous avons déambulé parmi eux comme on le fait dans un champ de mines. Quelque chose me disait qu'il n'était pas nécessaire de mettre tout le monde au courant de notre petite escapade nocturne. Tout seul encore, j'aurais pu prétendre que je cherchais les toilettes, mais à quatre on aurait passé pour une drôle de bande de pervers. Nous nous sommes repérés au bruit. Visiblement, les sanglots qui devenaient de plus en plus perceptibles n'inquiétaient que nous. Il faut croire que les autres s'y étaient habitués. Et maintenant que nous touchions au but je me sentais moi aussi piqué par la curiosité, j'avais envie de savoir. Tout en ne pouvant m'empêcher de ressentir comme une drôle d'angoisse au creux des reins, parce que ce silence pesant mâtiné de pleurs inconnus ça fleurait bon le film d'épouvante, tout de même. Il n'aurait plus manqué qu'une petite musique au piano, vous savez comme dans Left 4 dead quand on se retrouve dans un endroit où s'est caché une Witch, pour me donner une chair de poule à décorner les boeufs.

« Ça vient de là ! » a chuchoté entre ses dents Lecon, face à une petite porte en bois vermoulu — et si je dis que le bois est vermoulu c'est uniquement parce qu'en général, dans les récits, les portes sont en bois vermoulu. Mais en réalité je n'en ai aucune idée, je ne sais même pas ce que ce mot veut dire. — Puis il a poussé la porte en question qui s'est ouverte sans difficultés et nous avons vu dans l'obscurité relative qu'elle donnait sur un nouvel escalier. C'était le porte de la cave, tout bêtement. A la file indienne nous les avons descendu, j'étais le dernier du lot, j'ai refermé derrière moi et la lumière a jailli, me faisant sursauter au participe présent.

C'était Personne qui avait trouvé un interrupteur et avait attendu que la porte soit de nouveau fermée pour l'activer. Il aurait pu prévenir, ça m'aurait épargné le coeur. Les effets de surprise en bas de page, ça rend très bien chez Hergé, mais dans la vraie vie c'est plus agaçant qu'autre chose.

Bref, c'était une drôle de cave dans laquelle nous nous trouvions. On aurait dit la cave d'un immeuble plus que celui d'une ferme, avec des couloirs dont les murs s'ornaient de portes cadenassées. Et les sanglots, les gémissements, étaient de plus en plus forts. Ils provenaient de derrière l'une de ces portes, vers laquelle Praline s'est avancée avec un courage qui força mon admiration avant d'y toquetoquer avec beaucoup de grâce et de sensualité et de demander avec sa voix admirable : « il y a quelqu'un ?
— (les pleurs se sont subitement interrompus. Quelques secondes, et puis la réponse se fit entendre, une voix féminine provenant de derrière la porte) Oui. Je suis là.
— Qui êtes-vous ?
— Et vous ?
— Non, vous d'abord.
— Pourquoi moi d'abord ?
— Ben je sais pas, c'est moi qui ai demandé en premier, quoi !
— Bon. Moi je suis la Reine. Et vous ? »

Alors Praline s'est tournée vers Personne le visage victorieux et s'est mise à l'incendier avec tant de vigueur qu'il a fallu qu'on lui rappelle, Lecon et moi, que nous étions censés chuchoter. « Alors ça y est maintenant ? Tu le crois que ce n'est pas moi, la Reine ? Ou alors je suis à la fois ici et là-bas, en même temps ? Quand je pense que tu m'as fait suer les seins avec cette histoire et que je m'échinais à te dire que non, la Reine c'est pas moi ! Et que toi tu n'en démordais pas ! Acharné comme un cafard !
— Oh la euh hé oh... (a répondu Personne avec beaucoup d'à-propos, très gêné visiblement) D'abord faut pas exagérer, c'était une idée que j'avais lancé en l'air comme ça...
— Une idée lancée en l'air ? Ça fait au moins dix chapitres que tu nous emmerdes avec ça ! Ah je te jure, ça valait le coup !
— Dîtes, vous pourriez vous occuper un peu de moi ? (a demandé la Reine) »

Praline est retournée auprès de la porte en laissant Personne a son triste sort et a expliqué brièvement à la Reine qui nous étions. En gros, pour résumer : une jeune femme pleine de bonne volonté flanquée d'un type qui avait une voiture mais qui se l'est faite bousiller, un gars qui passe son temps à avoir plein de bonnes idées complètement fausse, et un mec un peu bizarre avec un sale caractère. Elle lui a raconté comment on s'était retrouvé ici, entourés d'une tripotée de nazis qui visiblement nous avaient adoptés le coeur sur la main et le doigt sur la gâchette. Et quand la Reine lui a demandé si on pouvait la libérer, elle lui a répondu oui tellement vite que personne, et même pas Personne, n'a eu le temps de lever le petit doigt. « Oui mais pas cette nuit. On va trouver un moyen, un plan, quelque chose. On va essayer de vous sortir de là demain, par exemple. Je suis sûre qu'on va dégoter un moyen ! »

« Dégoter un moyen ! » j'ai dit à Praline une fois remontés dans la chambre. « Comment ça, dégoter un moyen ? Et pourquoi on doit la libérer, d'abord ?
— Parce qu'elle est prisonnière d'une bande de nazis. Ça te suffit pas, comme raison ?
— Faut avouer que c'est pas faux... (a émis Lecon)
— Bon oui d'accord... Mais comment tu veux qu'on s'y prenne ? Tu trouves ça bien, toi, de donner des faux espoirs aux gens ?
— Je ne lui ai pas donné de faux espoirs du tout, on va la libérer !
— Mais comment ? (a demandé Personne, qui visiblement n'avait plus envie, là tout de suite, de donner son opinion sur quoi que ce soit)
— Je n'en sais rien. On verra demain. On va forcément trouver quelque chose ! »

Mais finalement, le lendemain, on n'a pas trouvé quelque chose. C'est plutôt quelque chose qui nous a trouvé...



Quelle va être la suite de ces aventures mirifiques, et aurais-je recours de nouveau à des ellipses tellement énormes qu'elles feraient rougir un éjaculateur précoce, juste dans le but de ne pas rédiger des chapitres trop longs et d'accélérer un peu le déroulement de l'histoire ? Et pourquoi, mais oui pourquoi Personne était-il venu me rendre visite chez moi en premier lieu ? Vous le saurez, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.


Dernière édition par Picrotal le Lun 9 Nov 2009 - 17:17, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyLun 9 Nov 2009 - 17:16

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 26




D'abord je ne me suis pas couché de bonne heure, et puis ça a commencé comme ça. Le lendemain matin nous sommes descendus pas franchement frais et avons été accueilli par un copieux petit-déjeuner que nos hôtes nationaux-socialistes avaient dressé sur la grande table de la cour, mais l'appétit n'était pas notre préoccupation première. De plan pour libérer la Reine, ni moi, ni Praline, ni Personne et encore moins Lecon n'en avions. On savait juste qu'il allait falloir qu'on le fasse. Et je regardais tous ces gaillards aux muscles aguerris en me disant que nom d'un chien, ça n'allait pas être une partie de plaisir. Ils étaient bien trop nombreux pour espérer échapper à leur attention le temps suffisant, et la probabilité de parvenir à les prendre par surprise était aussi mince qu'un crève-la-faim au régime. Je voyais dans les beaux yeux de Praline ruminer les mêmes doutes et les mêmes inquiétudes. Elle commençait je crois à se demander elle-même si elle n'avait pas en effet donné de faux espoirs à la captive qui pleurnichait toute seule en bas dans la cave. A moins d'un coup de bol inhumain, d'un miracle en somme, je ne voyais vraiment pas comment nous allions nous y prendre. Mais dans mon genre je suis un garçon chanceux. Je m'en suis rendu compte pendant que je mordais dans une biscotte craquante et que j'ai entendu au même moment un sifflement aigu et que j'ai vu la tête de mon voisin de table se disperser dans les airs en lâchant de grandes gerbes de sang et de cervelle dont certaines n'atterrirent directement sur les cuisses.

« Attaque ! Attaque ! » a hurlé une voix venant de je-ne-sais où et tous nos braves soldats nazis se sont levés comme un seul homme tandis que nous quatre nous nous jetions au sol pour nous cacher sous la table, la pluie de balles devenant quelque peu drue. On avait pas l'air fin a quatre pattes sous la table, mais à en juger par les deux autres bonshommes qui s'abattirent lourdement dans la gadoue matinale en se répandant dans des flaques sanguinolentes, j'en suis arrivé à la conclusion qu'il valait mieux avoir l'air con qu'avoir l'air mort.

« Qu'est-ce qui se passe ? (a crié Lecon tandis qu'un brouhaha invraisemblable résonnait dans nos oreilles, bruits de bottes hystériques et coups de feu partant dans tous les sens, car déjà les premiers soldats revenaient dans la cour, armés jusqu'aux dents et prêts à en découdre avec toute la fougue de la jeunesse, splendide défilé de chair à canon volontaire)
— A mon avis, c'est la guerre qui se passe ! (j'ai répondu mais je crois que ma voix n'avait rien d'audible au milieu d'un tintamarre pareil, d'autant que mes cordes vocales s'étaient nouées entre-elles sous l'effet de la peur et que j'étais à deux doigts de me faire dessus)
— C'est notre chance ! Suivez-moi ! » s'est alors exclamé Praline qui s'est mise immédiatement à ramper jusqu'au bout de la table en nous faisant des petits gestes impatients à la manière d'une taupe nantie d'une envie pressante.

Et merde, j'ai pensé. Elle a raison. C'est l'affolement général, le moment idéal pour aller libérer la Reine et foutre le camp avec elle sans que personne ne le remarque. Tout ce qu'on doit faire, c'est se promener gaiement parmi le champ de bataille en espérant qu'aucune balle perdue ne vienne nous fabriquer un orifice supplémentaire et donc forcément désagréable dans la peau. Alors tant pis j'ai suivi le mouvement. Tandis que Lecon et Personne demeurait encore immobiles je me suis mis à ramper à mon tour, faisant preuve d'un courage dont je ne me croyais pas capable, mais le fait d'avoir sous le nez les fesses admirablement dessinées de Praline, je dois bien le confesser même en des circonstances pareilles, constituait un appât somme toute motivant. Finalement les deux autres ont suivi. On est sortis de dessous la table. Autour de nous, c'était le soldat Ryan. Les nazis affolés tentaient de prendre position un peu partout, aiguillés par les ordres de monsieur Destoins qui devait être bien planqué car il me fut impossible de dire où il se trouvait alors. Les balles sifflaient et ricochaient contre les murs de la ferme, contre les arbres de la cour, sur le gravier, fauchaient des têtes, des jambes, des poules aussi, qui s'envolaient dans un étrange feu d'artifices plumagiers, et on a couru au milieu de ce bordel jusqu'à l'intérieur, on a ouvert d'un geste sec la porte de la cave et on s'est engouffré dans les escaliers, où le boucan de la bataille nous sembla soudainement bien lointain tant les épais murs de pierre l'étouffaient.

Arrivés devant la porte de la Reine, Personne m'a hurlé qu'il allait falloir la défoncer. Je lui ai dit d'accord, pas de soucis camarade, vas-y, je te regarde. Enfin j'aurais bien voulu lui dire ça mais je n'en ai pas eu le temps, il m'a empoigné et m'emportant dans le mouvement on s'est mis à cogner de nos épaules fragiles la lourde porte de bois. Ça faisait très mal. J'avais un peu l'impression, à sa manière de me tenir, que Personne ne servait de moi comme d'une sorte de bélier. Je me suis dit qu'il ferait aussi bien de me soulever dans ses bras et de me précipiter dessus la tête la première. Que cela soit la porte ou mon crâne qui cède en premier, j'aurais été débarrassé quoiqu'il arrive de cette jolie corvée. Mais finalement elle a lâché, la porte. Au moment où mon épaule devenait tellement douloureuse que j'aurais pu la donner à l'Armée du Salut sans remords, on a entendu un craquement profond et on s'est retrouvé affalé par terre. La porte arrachée de ses gonds en dessous de nous. Et la Reine terrée au fond de sa cellule, nous regardant les yeux emplis d'une terreur échevelée.

La Reine...

J'ai pas le temps de vous en parler maintenant, de la Reine. Je vous dirai ça plus tard. Pour le moment on n'avait pas trop le temps de réfléchir, alors pour ce qui est des descriptions, vous imaginez... Praline nous a enjambés, ou plutôt elle a sauté par dessus-nous comme si nous n'étions qu'un tas de bûches, et a pris a Reine par la main en lui disant « Il faut y aller ! Maintenant ! » et la Reine sans dire un mot ni un sourire s'est laissé entraîner. On a remonté les escaliers à toute allure. On était de nouveau dans le salon, dont les vitres avaient volé en éclat entretemps. On a marché pliés en deux pour ne pas se ramasser une balle. Praline était devant, la Reine juste derrière, moi je suivais le mouvement et Personne fermait la marche. C'est à ce moment-là que j'ai eu la bonne idée de demander : « Où est Lecon ? »

Praline m'a regardé l'oeil affolé. On avait perdu Lecon. Dehors, dans la ferme, de vagues silhouettes se faisaient la guerre dans un foutoir innommable, ça criait, ça rugissait dans tous les sens, les détonations fulminaient malades, et nous on avait perdu Lecon. Il était avec nous dans la cave ? a demandé Personne. J'en savais rien. La Reine ne disait pas un mot, elle ne savait pas de quoi on parlait. Elle avait l'air paumée comme dans un pays étranger dont on ignore la langue. Praline a levé un peu la tête pour regarder dans la cour, elle espérait peut-être l'y entrevoir, ou alors elle craignait de le voir allongé par terre une balle dans le cabuche, je ne sais pas, elle n'a pas essayé longtemps d'y voir de toute manière, ça sifflait encore au-dessus de nos cheveux, par intermittence, c'était des coups à pas se relever. « Il fait chier ! » a gueulé Personne. On s'est traîné vers l'arrière de la maison où ce serait plus tranquille. On s'est collé dans la cuisine dont la porte était criblée de balles. On s'est assis par terre et on a essayé de récapituler malgré l'affolement qui nous tenaillait les gencives. A quel moment avions-nous perdu Lecon ?

Et puis on a entendu un klaxon. Et puis on a vu par les fenêtres de la cuisine une sorte de petit camion militaire débouler à toute allure et s'arrêter net en faisant crisser ses pneus. Et je me suis dit ça y est, c'est les renforts qui arrivent, ils vont nous trouver là, avec la Reine, et ils vont nous faire la peau. On a entendu une portière claquer. On a vu une ombre approcher de la fenêtre. Un visage faire son apparition. C'était Lecon.

Pendant qu'on allait dans la cave chercher la Reine, il avait jugé bon d'aller trouver un véhicule à chiper pour qu'on puisse se faire la malle. Et aussi terrible que cela puisse sembler, on n'a même pas pris le temps de le féliciter pour son esprit d'initiative. Il nous a fait signe de venir et on a bondi par la fenêtre, on s'est jeté dans le camion, on a refermé les portières et on lui a gueulé « Démarre nom de Dieu ! Démarre » et c'est ce qu'il a fait, il a démarré comme un sauvage.



Quelles vont être les suites de notre prestigieuse escapade ? Qu'en est-il de la Reine ? Et saurons-nous la raison pour laquelle Personne était venu me rendre visite ? Vous le saurez, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyLun 9 Nov 2009 - 17:18

Est-ce que tu sais, toi au moins, pourquoi Personne était venu te rendre visite Question
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyLun 16 Nov 2009 - 19:31

CRHONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 27




Au début ça roulait, Lecon a commencé à mettre les bouts au milieu du déluge, et je me suis dit qu'aussi étrange que cela puisse paraître, on allait peut-être réussir à s'en sortir sans trop de grabuges, mais une voix a surgi du vacarme et a jugé bon de mettre fin à mes espérances en s'exclamant « La Reine ! Ils ont enlevé la Reine ! » et là j'aurais bien voulu mettre les choses au clair : nous n'enlevions pas la Reine, au contraire nous étions en train de la libérer, mais dans la mesure où c'est nous que les balles se sont mises à prendre pour cible, ce n'était pas le moment idéal pour envisager un droit de réponse dans les règles d'or de la courtoisie qui font le charme de nos belles sociétés occidentales. « Ah les ordures de fumier de merde ! » a finement crié une autre voix que j'ai cru identifier comme celle de monsieur Destoins. Lecon roulait comme un canut dans le merdier pendant qu'on se tenait tous la tête baissée afin d'éviter de choper une balle perdue, mais il est bon de noter que ces braves soldats nazis, aussi fougueux et enthousiastes étaient-ils, n'étaient pas d'excellents tireurs. L'un de nos phares à l'arrière a volé en éclat mais voilà tout, déjà nous étions hors de portée et en jetant un dernier coup d'oeil en arrière je pus voir qui étaient les agresseurs des hommes de monsieur Destoins. Je ne fus surpris qu'à moitié de découvrir qu'il s'agissait de Denise Reviens et de ses sbires. Cachés derrière de grands rochers, ils arrosaient copieusement la ferme selon la bonne vieille méthode du « je tire d'abord, je demande ton numéro de téléphone ensuite » qui, là encore, fait le charme de nos belles sociétés occidentales. Mutin de nature, je ne pus m'empêcher de faire un petit coucou de la main à l'agente des Services Secrets tandis qu'elle tournait la tête et voyait mon visage à l'intérieur du camion qui voguait déjà vers d'autres aventures et la laissait à son triste sort. Ce n'était qu'un au-revoir, évidemment. Vous vous en doutez. Dans un roman d'aventures, une personne comme Denise Reviens aurait été ce que l'on peut appeler un personnage-morpion. Celui qui meurt cent-sept fois et finit toujours par réapparaître au moment où on est censé s'y attendre le moins, c'est-à-dire celui où, blasé par trop de lectures et l'émerveillement engourdi, on s'y attend le plus.

Nous étions repartis sur les routes campagnardes désertes et Lecon ralentit un peu la cadence lorsqu'il nous apparu évident que personne ne nous suivait. Des gens qui s'entretuent n'ont que peu de temps à consacrer aux autres, c'est dans l'ordre des choses.

« On pourrait peut-être s'arrêter ? (a finalement demandé Praline)
— S'arrêter ? Pour quoi faire ?
— Ben moi, j'ai envie de faire pipi déjà...
— Encore ? Je croyais que ça allait mieux, ton infection !
— Oui mais tu sais, les gens ont envie de faire pipi avec ou sans infection urinaire...
— Praline a raison ! (j'ai fait remarquer, autant parce que je le pensais que parce que j'avais envie de bien me faire voir) Ce serait pas mal qu'on s'arrête le temps de faire le point. Et puis j'ai envie de pisser, moi aussi.
— Bon, bon, on va s'arrêter. Mais la prochaine fois qu'on libère la prisonnière d'un groupe de nazis en profitant d'une attaque surprise des Services Secrets, vous serez gentils de prendre vos précautions avant ! »

Je ne sais pas si Personne plaisantait en disant cela. Toujours est-il que Lecon aussi était soulagé de lâcher du volant. Les camions militaires ça n'avait pas l'air d'être son truc. On s'est plantés sur le bas-côté, dans de la gadoue et des herbes mornes, et je suis sorti à la recherche d'un arbre amical contre lequel j'ai fait ma petite affaire. Quand je suis revenu, Lecon et Personne était assis sur le capot et conversait avec la Reine.

La Reine.

Je ne vous en ai pas encore parlé, de la Reine. Enfin, pas de la manière qui convient. En m'approchant d'eux j'ai eu une révélation. Nous étions en présence de l'un des êtres humains les plus importants au monde. Ça ne faisait aucun doute. Ça sautait aux yeux. Elle émanait tellement que même un phacochère en rut aurait compris que quelque chose se tramait à l'intérieur de cette nana. On n'a pas besoin de croire en Dieu pour croire au Messie.

Mais la Reine, déjà, en premier lieu, était belle. Belle, c'est le seul mot qui convient mais c'est comme tout, ce n'est pas assez. Il y a des tas de choses qui déroutent les dictionnaires. Même un allemand, avec sa langue caoutchouteuse que l'on peut triturer dans tous les sens pour s'inventer des mots de trois lignes, n'aurait pas eu plus de bonheur pour confiner la Reine dans un adjectif idoine. Alors voilà : elle était belle. Elle semblait combiner en elle toutes les peuplades, toutes les ethnies, toutes les races. Ses yeux avaient quelque chose d'orientaux, nipponisants et sinisés à la fois, tandis que la forme même de son visage frôlait autant le négroïde que le scandinave. Sa peau pâle et halée à la fois, son corps architecturalement impeccable, aux courbes islandaises, à la croupe africaine, aux pieds égyptiens, aux seins russes, au nombril mexicain, au dos australien, sur lequel se déroulait une chevelure moirée qui fulminait les origines. La Reine, c'était l'humanité en une seule et même personne. Elle était cela. J'aimerais bien être Brel, j'aurais trouvé de plus jolies tournures de phrase pour vous présenter la chose, enfin la bête, enfin la fille quoi, mais tant pis je fais ce que je peux avec ce que j'ai.

Une autre chose remarquable avec elle, c'était que sa beauté ne rapiéçait pas les autres. Vous savez, il y a des types qui se sortent des femmes tellement somptueuses qu'à côté ils ressemblent à des sangliers cornus, à tel point que l'on s'étonne de les entendre proférer autre chose que des grognements nasaux. Certaines beautés éclipsent, terrassent et annihilent. Celle de la Reine enluminait tout ce qui l'entourait. Même Lecon et Personne semblaient plus beaux en sa présence. Le meilleur d'eux ressortait instinctivement. La plus profonde, la plus douce, la plus paisible, la plus commode partie de leur personnalité intégrait leur aura et leur conférait un rayonnement inédit à mes yeux. Et Praline était jalouse.

Ça ce n'était pas difficile à deviner, ni même à prévoir. Elle est revenue quelques minutes après moi et tout de suite j'ai senti dans son regard, alors que je m'étais à mon tour adossé contre le camion et prenait le temps de dévisager la Reine sans même faire preuve d'une particulière discrétion, qu'elle n'aimait pas beaucoup la façon que nous avions de la regarder. Jusqu'ici elle était la seule fille du groupe. Comme la bassiste de Téléphone, vous comprenez. Ou McCartney dans les Beatles. Alors nous tous évidemment on réagissait comme des mecs normaux : on ne pouvait pas s'empêcher de la scruter, de jeter des oeillades plus ou moins volontaires en direction de sa zone fessière, de câliner du regard sa peau si différente de la notre, sa douceur immanente et tout le patati patata que vous connaissez aussi bien que moi, ou même sûrement mieux. Mais la Reine était arrivée. Alors Praline, qui avait tant tenu à la libérer de l'abominable prison dans laquelle les nazis la maintenait, se montra dés lors particulièrement détestable. Elle se tint à l'écart en faisant la boude. Et la Reine, qui ne sembla pas le remarquer, continuait à dire ce qu'elle avait à dire.

« Ils m'ont enlevé pendant que je gagnais la Capitale. J'étais accompagnée de douze hommes du Groupement Libérateur, je ne sais pas si vous en avez entendu parler. Non ? Bon, tant pis, de toute manière ils sont morts je crois. C'est assez flou dans ma mémoire. Ils nous ont intercepté et puis je ne sais pas, ils ont dû m'assommer je pense, toujours est-il que je me suis réveillé dans cette espèce de cave et je n'avais aucune idée de l'endroit où je me trouvais. Mais maintenant il faut qu'on regagne la Capitale, et le plus vite possible. Ma place est là-bas, vous comprenez. Je suis la seule à pouvoir mettre fin à tout cela !
— Mais pourquoi ? Et comment ? (a demandé Lecon) »



Oui, pourquoi et comment ? Tant de questions qui flottent dans l'air, tout comme celle de la présence initiale de Personne chez moi au tout début de ces évènements, et qui trouveront peut-être une réponse, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochaine épisode des Chroniques des matins pluvieux.
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MessageSujet: Re: Chroniques des matins pluvieux (feuilleton)   Chroniques des matins pluvieux (feuilleton) EmptyLun 23 Nov 2009 - 21:49

CHRONIQUES DES MATINS PLUVIEUX
CHAPITRE 28




« Il faut tout de même que je vous explique qui je suis, ou plutôt ce que je suis. (nous a dit la Reine, en guise de réponse, et tous nous avons hoché la tête en signe d'assentiment, à l'exception de Praline évidemment qui continuait à bouder dans son coin) On m'appelle la Reine. Mon vrai nom est sensiblement plus banal que ça, il n'est donc pas nécessaire que vous le connaissiez. C'est comme le vrai nom du Pape ou du Dalaï-Lama, on s'en fiche totalement. Mon statut de Reine provient d'une prophétie, inca ou hindou je ne sais plus, affirmant que le troisième enfant né la veille de la Lune qui précède les semaines de cendres sera celui ou celle qui amènera paix et sérénité sur ce monde.
— Et ce troisième enfant, c'est vous ? (demanda Lecon)
— Je n'en sais rien, en fait personne n'a jamais vraiment réussi à comprendre cette prophétie. Les semaines de cendres, vous savez ce que c'est vous ? Moi non plus. Alors vous comprenez c'est suivant le jeu des interprétations que cela fonctionne, et selon certains c'est moi la Reine. Mais je suppose qu'il en existe d'autres dans le monde, il n'y a pas de raison !
— Vous avez cependant tout à fait l'air d'être une Reine... (dit alors Personne, ce qui eût pour effet de faire pouffer d'agacement Praline)
— Je sais. (répondit la Reine avec un naturel déconcertant, peu sensible aux compliments quand ils ne sont que l'expression d'une réalité tout ce qu'il y a de plus tangible) Et déjà toute petite j'étais comme cela. Tout bébé même. J'émanais. Je ne l'ai jamais fait exprès vous savez, simplement il y a quelque chose qui se dégage de moi, une énergie étrange, sans parler du fait que je suis incroyablement belle, ainsi que vous pouvez vous en rendre compte. Ça aide. Si j'avais été moche comme un pou, il s'en serait certainement trouvé un sacré nombre pour contester mon statut de Reine, mais à partir du moment que la beauté entre en jeu, alors les bouches se taisent. Les meneurs peuvent se permettre d'être laids, ou même repoussants. Ils peuvent être tordus, bossus, pas plus haut que trois gnomes et puant la sueur. Les meneuses, non.
— Moi je vous trouve pas si belle que ça ! (laissa alors entendre Praline, qui écoutait donc notre conversation malgré son air détaché)
— Mais vous dîtes ça parce que vous êtes jalouse. Et je comprends que vous le soyez, d'ailleurs. Je veux dire, vous êtes plutôt jolie fille...
— Très jolie fille ! (ai-je immédiatement rajouté)
— Si vous voulez, très jolie fille... Mais vous n'êtes pas objectif, puisque vous êtes amoureux d'elle. (je me mis à rougir comme une tomate trop mûre, et Praline me lança un regard circonspect) Bref, je disais que vous êtes une jolie fille, mais qu'à côté de moi forcément... Je suis plus belle que vous, voilà tout, j'en suis désolée. Evidemment qu'une femme comme vous pourrait mener par le bout du nez un troupeau entier d'hommes passionnés, mais dans le fond il n'aurait jamais envie que de coucher avec vous. Moi je peux les mener à changer le monde. Vous voyez la différence ? J'ai cette capacité en moi à transformer la société, à la rendre meilleure, à la débarrasser de tout ce qui la rend si invivables pour bon nombre de gens, à commencer par vous quatre.
— Et si c'était tellement évident, pourquoi est-ce que les nazis vous ont enlevé ? (s'exclama Praline avec un courroux de tous les diables)
— Vous ne comprenez pas : je n'ai jamais dit que cette société serait meilleure pour tout le monde ! Il n'existe pas un système qui puisse satisfaire l'humanité entière. Un bon système se reconnaît dans sa capacité à rendre heureux ceux qui le méritent. A faire le bien pour les gens biens. Les nazis ne font pas partie de cette catégorie. Enfin, pas tous. Certains sont juste des personnes perdues qui rejoignent les rangs d'une idéologie qu'ils ont croisé par hasard. Il n'en faudrait pas beaucoup pour qu'ils réalisent leur erreur. Je me méfie beaucoup plus du gouvernement que des nazis, vous savez. Les gens qui nous dirigent n'ont aucun intérêt à perdre le contrôle d'une population qui leur assure un tel confort. Les nazis se sont contentés de m'enlever, là où le gouverment m'abattrait sans hésiter une seule seconde.
— Vous exagérez !
— Pourquoi croyez-vous que ces personnes des Services Secrets ont ouvert le feu quand ils sont tombés sur cette ferme où on me retenait prisonnière ? Moi aussi je les ai reconnu, vous savez. (dit-elle à mon intention)
— Je pensais que c'était après nous qu'ils en avaient !
— Allons, soyez sérieux : ils étaient incroyablement inférieurs en nombre. Pensez-vous vraiment qu'ils auraient pris des risques pareils juste pour vous quatre ? C'est parce qu'ils savaient que j'étais là qu'ils ont décidé d'attaquer sans plus attendre. Comment le savaient-ils ? Je n'en ai aucune idée. C'est le propre des Services Secrets de savoir des choses inattendues. Et je peux vous assurer qu'après avoir vu que je prenais la fuite grâce à vous, ils ont sagement battu en retraire, et qu'ils doivent maintenant courir la campagne à notre recherche.
— Tout comme Destoins et ses hommes... (a rajouté Personne)
— Destoins ? C'était la ferme de monsieur Destoins ? Oh mais alors je comprends mieux...
— Vous le connaissez ?
— Monsieur Destoins est mon père !

Nous avons tous bondi, y-compris Praline, en entendant la Reine nous asséner cela. Lecon manqua en tomber par terre, et moi-même j'ouvris des yeux plus grands que le hublot d'une péniche. Mais la Reine se montra pour sa part soudain hilare.

— Non, je plaisante... Remettez-vous, ce n'était qu'une blague ! Comment voulez-vous que Destoins soit mon père, voyons ? Ça n'arrive que dans les mauvais téléfilms, des choses dans ce genre...
— Bonjour le sens de l'humour ! (persifla Praline)
— Que voulez-vous ? on ne peut pas avoir toutes les qualités... Je suis déjà belle, charismatique, intelligente, perspicace et raffinée, je ne peux pas en plus être drôle. Ou modeste. (elle marqua un temps) Destoins je le connais parce qu'il est connu, pour peu que l'on soit au fait des divers groupuscules de ce pays. Ce n'est pas le chef ultime des factions nazies du territoire, mais il sera sans doute amené à l'être un jour, si cette guerre civile ne les extermine pas toutes.
— Bon, d'accord... Et maintenant, qu'est-ce qu'on est censés faire ?
— Je vous l'ai dit : nous devons rejoindre la Capitale. Une fois là-bas, on avisera. Le mieux serait encore que nous entrions en contact avec la section Anarchiste de la région, ce n'est pas que j'adhère à leur idéologie, du moins pas entièrement, mais ils sont de mon côté. Enfin, du notre. Vous savez où on pourrait la trouver ?
— Ben... Non. Comment on pourrait savoir ça ?
— Vous appartenez à quel groupe ?
— A quel groupe... ? A aucun groupe ! On s'est retrouvés au milieu de ce merdier complètement malgré nous !
— Je vois... Et vous m'avez libéré quand même... Pourquoi ?
— Parce qu'on ne laisse pas quelqu'un prisonnier comme cela ! (s'est énervé Praline) On vous a libéré parce que vous étiez censée être en liberté, c'est tout. Ce n'est pas pour vos beaux yeux, c'est par principe !
— (La Reine se tourna alors vers elle et la regarda avec tant de gratitude et de bienveillance que toute trace de jalousie ou de colère disparut un temps de son visage) Je vous remercie du fond du coeur. Mais je dois encore vous demander votre aide. Et je pense pouvoir vous aider aussi, puisque j'ai cru comprendre que les Services Secrets en avaient également après vous... Mais avant toute chose, nous allons devoir trouver la section Anarchiste des environs. Il y en a forcément une.
— Je crois que ça ne devrait pas être trop difficile... (murmura Lecon)
— Ah bon ! (s'écria Personne, agacé) Et pourquoi ça ?
— Parce qu'il y a un type caché dans les fourrés avec une carabine qui nous écoute depuis tout à l'heure, et qu'il a un gros A dessiné sur son uniforme. »



Le chapitre de la semaine prochaine sera-t-il un peu plus passionnant que celui-ci ? Qui est cet homme qui nous espionnait ? Que va t-il se passer, et apprendrons-nous pourquoi Personne était venu initialement me rendre visite ? Vous le saurez, si cela vous chante et si cela me prend, dans le prochain épisode des Chroniques des matins pluvieux.
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