Autour de la musique classique

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 Montserrat Figueras

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Zeno
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Zeno


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MessageSujet: Montserrat Figueras   Montserrat Figueras EmptyDim 21 Oct 2012 - 13:23

J'ai cru comprendre que le mélange des genres que je pratique parfois dérangeait certains. Dont acte. Je me propose donc de dire ici l'amour que j'avais pour cette artiste disparue voici bientôt un an. J'espère que mon style... exalté ne dérangera pas trop, mais là du moins je demeure subjectif, personnel, je n'avance aucune thèse et j'espère donc ne froisser personne.
J'avais observé que la mort de Montserrat n'avait intéressé personne ici, ou si peu, je sais aussi que la musique ancienne est le parent pauvre de ce forum. C'est dommage, mais c'est ainsi. J'avais écrit ces quelques mots en apprenant la nouvelle, j'étais dans une vive émotion, les voici tels qu'ils me vinrent, échos d'un amour inconditionnel pour le monument d'humanisme et de beauté laissé par le couple Savall-Figueras. Une vieille histoire... presque mystique...

_____

Novembre 2011. L’âme de Montserrat Figueras rejoint le Siècle d’Or céleste où Tomas Luis de Victoria repose depuis quatre cents ans. En voici trente que Jordi Savall et son épouse colorent ma vie. Avec leurs sourires de haute culture et de joie douce, ils m’accompagnent sur le chemin d’une élucidation qui a fait de la Renaissance mon port d’attache (je dois être un homme de ce temps-là, ma présence dans le monde actuel est une étrangeté). Comment écrire sur une voix, plaider une passion que d’autres, plus nombreux peut-être, nourrissent pour Callas ou pour Kathleen Ferrier, emportée si jeune par le même mal que Montserrat – comment chanter ce qui fait taire ?

Mais il y a davantage. Longtemps, cette musique espagnole des temps anciens ne me laissa pas en paix. Non qu’elle fût seulement la source d’une délectation esthétique comme d’autres pouvaient l’être, mais parce qu’elle me tourmentait, ainsi qu’une douleur exquise. Elle me privait, le mot est bien choisi, de cette paix qui élève l’âme. D’où me venait cette intranquillité chronique, cette réminiscence indescriptible où une voix à peine audible me demandait de réparer quelque chose ?

En écoutant Montserrat, j’étais pourtant comblé car il y avait tout : la danse et la déploration, la prière et la liesse, la prophétie et la chimère, la narration et le rêve. Mon enthousiasme était né dans le foisonnement culturel où ce couple béni avait retissé l’humanisme européen autour de la musique. Et c’est merveille, alors qu’un corpus immense a été enregistré, que celle-ci soit devenue l’ambassadrice d’un Age sur les traces duquel il est possible de voguer, le cœur haut et l’esprit clair. Pour célébrer une telle voix sans trahir la part d’indicible qui germe au seuil du silence, il faut en appeler à la berceuse d’une antique nourrice assise sur l’escalier d’un monastère crétois, et puis au féminin intime qui rayonne au tréfonds des consciences candidates à l’éveil, et puis encore au sensuel ruissèlement d’un miel vocal qui devient élixir ; en appeler aussi à l’élégance qui désarme, à la pureté qui met à nu, à la beauté qui bouleverse, au jaillissement qui fige jusqu’à faire oublier qu’un corps peut vieillir, souffrir, et puis mourir. Une voix pour dire le Ciel, dont la majuscule est écriture d’oiseau en chemin vers l’ailleurs.

J’écoute en boucle le Salve Regina que Victoria composa en 1572, à l’acmé d’un monde qui commençait déjà de se corrompre. Je ne sais comment célébrer l’essence de pareille musique autrement qu’en la faisant mienne, qu’en y déposant mes actes de naissance et ma carte de séjour ; voudrais-je suggérer ce qui naquit en moi à mi chemin de la sensualité et de l’exigence mémorielle que je pousserais à l’excès le vibrato ; justement, elle n’en avait gère, cette voix, de vibrato ; pas même l’épaisseur du grain qui met l’eau à la bouche avant que de flatter l’oreille – c’était comme un laser de velours venu des temps anciens : le soleil, irisé par un vitrail, se posait sur l’épaule d’une femme pour mieux écarteler les hommes entre l’élan mystique et celui de la chair. Le génie de Montserrat, dont le nom monastique nourrit en moi le fantôme d’un pèlerin, est d’avoir servi Victoria – et d’autres – comme s’il se fût agi de chanter le Cantique des Cantiques. Elle savait nouer, mieux que personne, le corps tourmenté à la très haute vibration des choses. Je ne sais pas si ce talent appartient à l’Espagne, mais j’entends là une musique qui me comble et qui suffit à mon bonheur.

Il reste le souvenir de ces concerts où je vis Montserrat, si altière, si belle. Elle chantait à l’intérieur de moi, remodelait mon âme en plein cintre de pierre. Quelques années plus tôt, Angélique Ionatos avait accompagné mon exil rural tout au bout d’une jetée imaginaire – je m’étais senti grec, je m’étais cru poète. Telles sont mes deux muses aux voix opposées, miel et poivre, haut registre et vibration profonde, mais d’une beauté pourpre à me tenir en leurs filets quelque part dans la treille de mes ancêtres.

Par la diversité de son répertoire, grâce aux langues et aux styles noués où tant de musiciens sont venus coudre l’ourlet de Mare Nostrum, une catalane a fait sentir l’appel de la Terre et puis celui du Ciel. En osmose avec la Chapelle Royale de Catalogne ou les interprètes entremêlent les siècles, messagère des ultimes instants de Charles Quint lorsque celui-ci, délivré du pouvoir, se retira du monde pour connaître un autre royaume, elle suggère qu’il serait doux de s’endormir, un jour, au son de sa voix-berceuse. C’est nous qui passons et c’est elle qui veille. Montserrat n’est plus, je possède ses disques, si nombreux et si beaux en leurs écrins d’icones, objets-cultes en devenir. Nimbée des splendeurs instrumentales que lui offrit son époux, elle me chantera souvent ce qu’une mère offre à ses enfants quand vient le temps de la veillée.

Une corde est venue s’ajouter à la viole de gambe où s’arpège l’élégie des disparus et je vous dis que je vous aime, Montserrat, paisiblement assise aux côtés de Tomas Luis et de la Sybille provençale, parmi d’autres, parmi les enchanteurs et les mères bienveillantes. Parmi les éveillés qui m'aident à vivre.






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Mariefran
Mélomane nécrophile
Mariefran


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MessageSujet: Re: Montserrat Figueras   Montserrat Figueras EmptyDim 21 Oct 2012 - 13:56

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Siegmund
Garde rouge du Domaine Musical
Siegmund


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MessageSujet: Re: Montserrat Figueras   Montserrat Figueras EmptyDim 21 Oct 2012 - 13:57

Une très grande artiste, et un couple mythique de la musique ancienne. A découvrir ou redécouvrir absolument.
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Zeno
Mélomane chevronné
Zeno


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MessageSujet: Re: Montserrat Figueras   Montserrat Figueras EmptyDim 21 Oct 2012 - 14:32

Mais tout à fait. On lui a reproché, surtout à la fin, ses insuffisances vocales. Certes, au plan lyrique, ce n'était pas cela. Mais pour le reste, quelle incarnation !
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