Autour de la musique classique

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 Testament.

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Zeno
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Zeno


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Testament.  Empty
MessageSujet: Testament.    Testament.  EmptySam 17 Nov 2012 - 0:04

Devant l'émotion ressentie en lisant certains témoignages de sympathie, je me suis laissé aller à ces quelques lignes, ayant le sentiment de dire de façon un peu plus imagée ce qui constitue le noyau de ma névrose obsessionnelle.
Et, double faiblesse, je le poste ici avant de faire silence.
(un silence dont je ne peux dévoiler toutes les causes, ce qui me met bien dans l'embarras).
Mais c'est ainsi.

L'administration pourrait-elle verrouiller ? Demande incongrue, peut-être, mais sincère.



L’appel du silence est une porte qui s’ouvre dans le cœur et qui défie le temps. Tout commence et tout est là. Le monde se dévoile, se manifeste et nous désire. Nudité splendide et taciturne, chant au plus haut de l’âme. Rencontrer l’inaudible, c’est entrer dans l’exil et revenir à l’origine, c’est accepter de se perdre et de se disperser. Même égaré dans la brume, l’amour s’y déploie avec la force d’un guerrier.
L’appel du silence, c’est aussi un jeu de cartes divinatoires au risque de ne pas tout comprendre. Malgré l’or des icônes, nul ne peut aller au-delà des apparences autrement que par les gouffres. Il faut marcher en ermite dans le froid et la nuit, il faut se taire, il faut tenir et tenir à, passionnément. A quelle dépossession sommes-nous conduits, dans les dernières mesures de Tristan ?
Mais la musique est là, depuis l’aube interstitielle. Et en son sein des pages très rares, qui percent l’âme sans jamais s’égarer. Le Mariam Matrem du Livre Vermeil de Montserrat, immarcescible joyau médiéval ; la dernière variation en mineur des Goldberg inscrite par Bach dans la longue cohorte des voyages au bout de la nuit ; le bouleversant Voyage d’hiver hissant Schubert sur la plus haute marche du génie mélodique ; l’Arietta de l’opus 111 qui clôt le monument beethovénien des trente-deux sonates ; les Intermezzi crépusculaires de Brahms que si peu de pianistes maîtrisent ; le mouvement lent du Quintette de Franck ou celui du Concerto en sol de Ravel, deux absolus de beauté crépusculaire ; le Treizième Nocturne de Fauré, dont les harmonies ont dû naître dans une autre galaxie ; How slow the wind de Takemitsu, où l’Orient et l’Occident s’épousent – toutes ces merveilles dessinent un royaume où chacun trouve à se consoler pourvu qu’il apprenne à se taire. De telles musiques abolissent la séparation d’entre les êtres, on y devient la solitude soi-même, on se fêle, on se brise, et l’on explose de joie, mort et ressuscité, devant l’évidence. On ? Qui cela ? Le même, le soi, ou l’autre ? Le miroir démultiplié, le mirage ? Ou le possible assaut de l’universel en sa fragile germination chez les badauds qui passaient là, en des temps immémoriaux, un jour de foire...
L’art effacera les frontières en atteignant l’épure, disait un bateleur. Il deviendra notre cœur, il deviendra notre chair. Son battement sonnera comme la Chaconne de Bach, la Fantaisie de Schumann, le saxophone de Coltrane ou la trompette de Miles Davis dans Kind of Blue. Celui qui s’effondrera aux premières mesures du Requiem de Mozart funambulera entre vie et mort, il explorera une totalité, atteindra la stratosphère. Il entendra son cœur, des voix, des instruments - il entendra le monde. Car Dieu est cela, et seulement cela : un mot, une fulgurance pour rassembler le tout, mesdames et messieurs ! Dieu, c’est ce qu’il convient de nommer lorsque la conscience quitte le grain de sable et rejoint les comètes. Entretemps, l’art aura décapé le réel avec la force de la main sur un tambour !
Tais-toi, l’ami, tu gênes le silence.
Mais le bateleur reprend. Il dit qu’il faut la violence d’Elvin Jones sur sa batterie dans l’acte créateur ou les meuglements de Celibidache, lorsqu’il empoigne un crescendo brucknérien. Il faut cette insolence qui pulse au fond de l’animal devenu homme. La musique est première, nul n’échappe au battement des fréquences, des anches, des cordes, des peaux, des bois, au battement des bleus, des rouges, des verts, des ombres et des flammes. Au battement des mots, au battement des corps. Telle est l’énergie que l’artiste organise, qu’il capture, qu’il pétrit. Il est Dieu, il est moi, il est nous. Il est universel sitôt que son ego s’effondre, pitoyable, devant la joie d’être en ce monde. Il est, mesdames et messieurs !
C’était donc cela, l’universel. La possibilité, le pari des justes. Dépasser l’ego, le temps d’une aurore. Et tant pis si la chute d’Icare emprisonne le destin dans une miniature peu glorieuse. Les musiques essentielles semblent surgir du désert et puis elles nous abreuvent. Rien ne nourrit mieux le désir d’incarnation, rien n’en marque autant les limites. Les derniers Madrigaux de Gesualdo ou l’Abschied du Chant de la Terre ensemencent La nuit étoilée de Van Gogh, cet homme de peu qui peignait des symphonies célestes. C’est l’expérience maîtrisée des limites, un tourbillon sans fin où l’épuisement du voyageur le dispute à la vigilance du mystique. Nous voici cloués sur le ciel, crucifiés mais démasqués, bouche bée devant le chaos. L’artiste est un enfant qui s’émerveille. Avec ses illuminations cueillies dans l’humus du ciel, il ne sait pas ce qu’il fait. Telle est sa chance. Plus tard, demain peut-être, son petit moi de petit homme le ramènera aux douceurs du foyer mais aussi aux barricades qui n’ont plus rien de mystérieux. Impermanence...
Aucune exégèse ne vient à bout des Ballades de Chopin ou des Leçons de Ténèbres de Couperin. Il faut laisser le dernier mot aux rebonds du souvenir contre les digues qu’on a bâties, aux derniers jours de l’automne, si vifs encore dans l’Etude pour les arpèges de Debussy ou le Poème de Chausson. L’essentiel se tient dans l’intention originelle ou le passage ultime. Jusqu’aux éventrements du Sacre du Printemps, jusqu’aux fourmis d’angoisse qui grésillent dans les cordes des Quatuors de Bartók, jusqu’à la Tabula rasa d’Arvo Pärt, jusqu’au bouleversant Agnus Dei de la Missa Hercules de Josquin des Prés, chemins vers l’éternité.
Universels ? Oui, le temps d’un rêve. Le temps de ce qui maintient une humanité souffrante malgré ses transhumances vers les ténèbres. Là-bas, dans le pays sans chemins et sans frontières, s’élève d’une même voix la clameur des mendiants que nous sommes.
Universellement.



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