Vous me croirez ou non, mais ce soir je suis allé à un concert de musique contemporaine.
Ensemble Sillages
Direction artistique Philippe Arrii-Blachette
Sophie Deshayes, flûte
Jean-Marc Fessard, clarinette
Vincent Leterme, piano
Lyonel Schmit, violon
Alexandra Greffin-Klein, violon
Marie Ythier, violoncelle
Gilles Deliège, alto
Didier Meu, contrebasse
Hélène Colombotti, percussions
Julien Leroy, direction musicale
Béla Bartók_
Contrastes pour violon, clarinette et piano (1938)
J'avais envie de rire devant la frénésie des musiciens et je repensais aux choses drôles de ma journée. Puis ils ont entamé un nouveau mouvement et je me suis dit que ce serait bien s'ils jouaient une symphonie de Mahler, mais apparemment ils n'étaient pas assez nombreux. Ensuite je me suis retrouvé à New-York en 1940, lieu et date de création de l'œuvre et c'était bien dans l'époque, je l'ai fortement senti. Ça m'a fait penser aux propos de Harnoncourt sur la musique et son époque. Je me demandais pendant ce concert : comment comprendre la musique ?
Pierre Boulez_
Dérive 1 pour flûte, clarinette, vibraphone, piano, violon, violoncelle (1984)
Quelle harmonie ! C'est ondoyant, chatoyant, propice à la dérive de l'esprit dans l'imaginaire. À chaque fois que j'entends du Boulez, j'aime beaucoup... sauf en MP3... Boulez en MP3 c'est rien que du bruit... mais en lossless ce doit être du bon son et alors, en concert, c'est vraiment de la musique, je veux dire : du bonheur.
Gabriel Erkoreka_
Pyrite, Étude pour vibraphone solo (2013)
D'abord cet instrument n'est pas fait pour me convaincre, vu la monotonie des timbres. Et puis les notes se sont accélérées et la musicienne nous a tenu en respect grâce à sa virtuosité, et je suis devenu plus attentif, pour découvrir le potentiel hypnotisant de cette pièce, qui m'a captivé. D'ailleurs, un toussotement suffit pour rebattre les cartes. Alors le réveil offre une nouvelle contemplation. Belle performance, sorte d'éveil musical.
José Manuel López López_
Materia Oscurapour clarinette basse, piano, 2 violons, alto, violoncelle, contrebasse (2013)
Après l'apéritif jazzy, l'entrée de Boulez, le plat de vibraphone, voici le dessert, qui commence comme une tarte à la crème. Les musiciens produisent un raffut qui me fait rire. Dans cette œuvre, le compositeur veut évoquer le cosmos. Et c'est génialement réussi... Soudain, les cordes crissent en écho, se multiplient, comme dans
Bohemian Raphsody ou la
Messe en si. J'admire... J'ai cru ensuite reconnaître une citation de Messiaen, la
Turangalîla Symphonie, avec le bruit des étoiles et même l'imitation des ondes Martenot. Les musiciens sortent vraiment de leurs instruments des sons inouïs. Plus tard, on a sans doute atterri sur une planète où il y a des animaux, comme des éléphants, entre autres. Les sons sont parfois très évocateurs de l'espace et des astres, d'autres fois m'ont semblé laisser davantage prise à l'imagination. Cette œuvre est très très virtuose et très impressionnante. Elle m'a littéralement enthousiasmé. C'est une superproduction sonore pour une petite formation, en quelque sorte.
On est à des années-lumière de Boulez à mon avis, c'est de l'anti-Boulez je dirais.
Philippe Leroux_
AAA, pour flûte, clarinette, percussion, piano, violon, alto, violoncelle (1995-1996)
Après un départ prometteur (qui serait en fait une citation de La Poule de Rameau), je crois que cette pièce a souffert de refermer le concert après
Materia Oscura, les intervertir aurait peut-être mieux valu au programme. C'est plus classique, avec beaucoup de richesse sonore, un certain hédonisme même, des beautés, et quelques longueurs si je puis me permettre. C'est appréciable pour moi sur ce plan-là, mais pas en tant que connaisseur. J'en reviens à la question de la compréhension, qui m'a fait le plus défaut ici.
Boulez et López López ont ma préférence dans ce très beau concert. J'y ai franchement pris autant, sinon, plus de plaisir qu'à un concert baroque/classique, dont j'attends plus, finalement. Mais il y a plus de temps à rattraper, tandis que le contemporain, c'est le nôtre.