Je suis tombé (sans me faire de mal, rassurez-vous) sur le blog d'une chercheuse acousticienne qui travaille au CNRS, Claudia Fritz. Jeune, charmante et iconoclaste, elle a voulu vérifier si les violons réalisés par les maîtres de Crémone à la fin du XVIIè méritaient bien leur réputation quant à une qualité de son inégalée.
Voici comment elle a procédé, en bonne scientifique qu'elle est (avec l'aide du luthier Joseph Curtin) :
1er test sous forme d'expérience randomisée en double aveugle, réalisé lors de la 18è compétition internationale de violon d'Indianapolis (IVCI) en septembre 2010 : 21 violonistes professionnels (dont Jean-Jacques Kantorow), plongés dans la pénombre et munis de lunettes de soudeur, ont dû évaluer pendant 20 minutes uniquement à l'oreille 6 violons d'exception (3 modernes et 3 anciens, 2 Strad et un Guarneri del Gesu, ceux-ci ayant une valeur marchande cent fois supérieure à ceux-là !!!) et dire lesquels ils préféraient dans une pièce à l'acoustique sèche où des draps avaient été tendus pour atténuer encore un peu plus la réflexion du son. Enfin, du parfum avait été appliqué sur la mentonnière de chaque violon (poncé pour l'occasion...) afin de masquer l'odeur du vernis. Bref, aucun moyen d'identifier l'instrument, même pour des experts !
Une fois les résultats connus (comparaison et classement en fonction de différents critères tels que facilité de jeu, projection, timbre, clarté...), il s'est avéré que les violons d'aujourd'hui ne le cédaient en rien à ceux d'hier, à la stupéfaction générale et en contradiction avec
le postulat du spécialiste Andreas Langhoff : « N'importe quel musicien vous dira immédiatement s'il joue sur un instrument antique ou sur un instrument moderne ». Mieux (si j'ose dire
) : le moins bien noté des 6 fut un des Strad, qui appartient pourtant à un célèbre concertiste, qui avait bien voulu le prêter pour l'occasion...
John Soloninka, l'un des violonistes sélectionnés, a déclaré à ce sujet : « C'était passionnant. Je pensais moi aussi être capable d'établir une différence, mais j'en ai été incapable » et « Si après cette étude vous faîtes des critiques mesquines et rejetez cette étude, alors vous êtes dans le déni. Si nous-même, au nombre de vingt-et-un dans des conditions de contrôle, ainsi que mille cinq cents personnes dans un hall n'avons pu repérer aucune différence, et cela en accord avec des études antérieures alors il est temps d'enterrer le mythe des violons anciens »
Samuel Zygmuntowicz, un luthier réputé, a défini cette étude comme « hautement crédible » ajoutant qu'elle « est une douche froide pour les vieux mythes et que c'est vraisemblablement une excellente nouvelle pour tous les jeunes musiciens qui ne pourront jamais s'offrir de tels violons ».
Bien sûr, il y a eu comme à chaque fois des grincheux : un autre des participants, Earl Carlyss, membre du Quatuor Juilliard, a critiqué cette expérience en affirmant : « C'est une manière tout à fait inappropriée de rechercher la qualité de ces instruments ; ce qui fait la suprématie des violons anciens, c'est la manière dont ils résonnent dans une salle de concert aux oreilles des spectateurs et non pas le fait que des violonistes les apprécient dans une chambre d'hôtel."
Mais justement, sur son blog, Claudia Fritz, fait remarquer que son objectif était moins d'étudier les qualités objectives des instruments que les préférences subjectives des violonistes dans des conditions fixées.
Vous pensez bien que le mythe étant ainsi écorné, bien d'autres ont crié au scandale ! Une bonne partie de la petite communauté des professionnels du violon s'est émue des conclusions obtenues et a critiqué à tout va cette démarche. Tout y est passé: le choix du lieu, la durée du test, la compétence des solistes, la qualité des instruments anciens, le fait qu'ils auraient été mal accordés…
Mais notre Claudia nationale est tenace ! Afin de confirmer ces résultats, elle a donc décidé de renouveler l'audition, cette fois in situ, c'est-à-dire en salle de concert. Un second test à l'aveugle a été organisé à l'auditorium de Vincennes en septembre 2012, réunissant 10 virtuoses et 12 violons, 6 anciens (dont 5 Strad) et 6 récents. Là encore, rien n'avait été laissé au hasard afin de ne pas troubler l'appréciation. Les interprètes étaient interrogés sur le violon qu'ils choisiraient s'ils devaient jouer en concert sans avoir leur propre instrument. La réponse fut cette fois sans appel: six des dix solistes préféraient un violon moderne au roi stradivarius !!!
Claudia Fritz a donc bien prouvé que notre entendement était faussé par la réputation de l'instrument, sa supériorité n'étant plus avérée comme on le pensait.
Quelle est la morale de cette histoire ? Penser aux générations de violonistes qui ont utilisé un stradivarius pourrait intervenir dans l'appréciation de l'artiste. Fort du sentiment de piloter l'excellence, ce dernier se surpasse. Jouer avec donne des ailes à tout violoniste et l'oblige au meilleur. La perfection de son jeu viendrait de la vénération que le musicien lui porte.
A contrario, il faut aussi envisager les progrès techniques de la lutherie moderne. Aidée par les études des scientifiques, elle a cherché à atteindre l'excellence des sons d'antan (Cf. par exemple les travaux de l'Empa en Suisse) et a priori, semble y être parvenu...
Malgré tout, la légende demeure, toujours bien vivace, tel un allegro. Encore aujourd'hui, il reste l'apanage des plus grands solistes... Et je ne parle pas du prix !! Prenons l'alto "MacDonald" (non sponsorisé par le fast food, il doit son nom à l'un de ses propriétaires, Godfrey Bosville, baron Macdonald III, qui l'acheta vers 1820). Il appartenait à Peter Schidlof, du Quatuor Amadeus, et c'est sa famille qui l'a mis en vente aux enchères, après son décès, chez Sotheby's, qui l'estime quand même, vu l'excellence de son état (le vernis est d'origine...) à plus de 45 millions de dollars (32,6 millions d'euros) !!! A ce prix-là, seul un collectionneur richissime peut se l'offrir, comme un diamant ou un tableau de maître... Bref, les instruments anciens, en dépit de cette tentative de démythification, ont encore de beaux jours devant eux !!