PP— Beethoven, Prokofiev – Järvi, Batiashvili, RCO – 21/2/23

MARDI 21 FÉVRIER 2023 – 20H00
Grande salle Pierre Boulez, Philharmonie de Paris

Ludwig van Beethoven — Concerto pour violon

Sergueï Prokofiev — Symphonie n° 5

Orchestre royal du Concertgebouw
Paavo Järvi, direction
Lisa Batiashvili, violon


C'était plutôt génial.

(fin de mon compte rendu)

Totalement conquis par ce concert ! J'étais dans de mauvaises conditions mentales, et ça s'annonçait plutôt mal (je n'avais même pas regardé le programme avant de me déplacer, pour tout dire). J'étais placé à côté d'une grand-mère et ses deux petits-enfants, qui n'avaient pour seules envies que de renifler et remuer... Et finalement, mon ciel s'est éclairci subitement, l'ouvreuse à replacé tout ce petit monde qui s'est largement éloigné de moi, et la magie de la musique a opéré. Il y a des jours comme ça !

Salle très très bien remplie. Triple effet, orchestre, chef et violoniste ! Ça fait plaisir en tous cas, même si j'aime aussi l'intimité d'une salle à moitié pleine.

C'est sûrement un lieu commun : je fus subjugué par le niveau de l'orchestre ! Souple, précis, juste, le souffle adapté, parfaitement ductile, parfaitement réactif à la moitié direction du chef, chaque clignement d’œil est traduit en musique. Ils sont impressionnants, surprenants et proprement dégoûtants pour les musiciens auxquels on peut être habitués. Dans le métro, une violoncelliste discutait du fait qu'elle avait joué quelques jours plus tôt le concerto de Dvorak, ça pose le niveau. Aucun canard, aucun pain, aucun couac... même si on les pardonne volontiers habituellement. Et, surtout, au-delà des niveaux individuels impressionnants, ils sont une unité, et j'ai parfaitement perçu le son typique dont ils se prévalent dans le programme de salle.

Beethoven : ce concerto m'a toujours un peu résisté, me laissant froid, sans pourtant m'être désagréable. Hier soir, un régal ! Un accompagnement de très haut niveau, PJ se régale, particulièrement bon dans les passages marqués aux cuivres. Violoniste immense, avec une musicalité, une identité sonore, un style reconnaissable, ce qui me tient à cœur. N'ayant pas vécu d'autre expérience aussi attentive de l’œuvre, je m'adresse aux connaisseurs : les cadences sont-elles entièrement écrites par Beethoven ? Il m'a semblé entendre, par deux fois, le thème du concerto pour violon de Chostakovitch (effet génial). Par ailleurs, thèmes bien marqués, tempo plutôt rapide, effets saisissants. J'ai beaucoup aimé, et la présence de micros sur tout le plateau (et d'une photographe dans la salle) laisse penser qu'ils vont nous produire un disque.

Rappel violon et orchestre : l'Aria de la suite n°3 de Bach, dédiée à l'Ukraine. Intervention en français de la violoniste, mais que je n'ai pas bien entendue.

Prokofiev : symphonie que j'aime, mais pas écoutée depuis longtemps (notamment au disque par Gergiev). La version interprétée hier soir n'avait aucun rapport avec ce que je connaissais ! Musique décapante, violente, mordante comme l'indique le programme de salle. L’œuvre a pris une dimension très largement supérieure à mes souvenirs de disques. Finale qui alterne moments pianissimo et moments fortissimo, l'orchestre variant le son à l'infini, PJ nous offrant une variété incroyable. Ce chef a une présence scénique incroyable, alliée à une économie de mouvements et un geste minimaliste : il dirige parfois d'un sourire, d'un coup d’œil, tout en ne se refusant pas d'aller chercher son geste jusqu'à l'estrade quand nécessaire. Je l'ai senti prendre particulièrement du plaisir hier soir : j'étais au balcon, vraiment sur le côté, de sorte que je l'avais presque de face. Il prenait du plaisir donc, très investi, s'oubliant presque dans une sorte de communion, que j'ai notamment retrouvée au rappel qui a suivi. Finale avec un crescendo et une fausse fin, qui tempête, fait croire que c'est fini, et reprend pour quelques mesures. Frissons ! Effet garanti ! De fait, gros succès.

Rappel : Valse triste de Sibelius. Pas la carte de l'originalité, mais un morceau très cher à mon cœur (l'apprendre au piano m'a permis de ne pas devenir fou pendant le premier confinement). Hier soir, ils m'ont tiré quelques larmes. Version incroyablement inspirée, avec des idées originales à chaque mesure, et dans tous les passages. Comme quoi ! Non seulement, il faudrait visiter le répertoire peu souvent joué, mais on peut aussi revisiter en profondeur le répertoire qu'on connaît déjà, ou qu'on croit connaître, de cette façon. Pour le petit pianiste amateur que je suis, qui cherchait des idées pour tel ou tel passage, c'était dégoûtant de facilité, de profusion de visions géniales. Je suis rentré avec ça dans la tête pour en jeter un petit bout modestement sur le piano.

Magnifique concert !

Merci pour ces impressions.

Les cadences du concerto étaient celles de Schnittke. Vadim Gluzman les a enregistrées je crois. Je les découvrais et je les ai trouvées très réussies, amusantes, virtuoses, fourmillant de clins d'œil (Chosta et Paganini aussi ?), dans un crescendo d'hétérogénéité stylistique avec Beethoven (les violons divisés pour le 3e mouvement qui ont fait se lever beaucoup de sourcils dans la salle). Batiashvili vraiment excellente, d'autorité et de sensibilité (je ne sais pas si je vais ouvrir un sujet mais ça changeait de Ray Chen la semaine dernière dans Mendelssohn, à côté de la plaque). Le concerto reste plutôt long, mais je l'écoute avec plaisir, surtout quand il est joué avec énergie et naturel. Des touches HIP à l'orchestre : timbales, trompettes (?) et cors (?) aussi je crois. Et clarinettes d'époque, qui nous ont valu un petit décalage dans leur première entrée, seul mini-couac que j'ai perçu de la soirée.

Prokofiev assez éblouissant. Rocktambule a tout dit de l'orchestre. Des cordes ductiles, denses, cohérentes mais en préservant l'identité de chaque pupitre (altos et violoncelles au top). Lecture large, naturelle. Impérial ! Je ne suis pas très sensible à l'œuvre au disque, mais elle fonctionne très bien en salle et il y a de vraies merveilles d'orchestration, la manière de jouer les pupitres de cordes les uns contre les autres (altos dans le grave et violoncelles dans l'aigu au début du 4e mouvement), de faire pépier les bois et rugir les cuivres.

Valse triste effectivement superbe : hyper-rubatisée, on a l'impression que chaque phrase est l'occasion d'une promenade, d'une invention musicales.

Neeme Järvi a déjà enregistré cette symphonie avec Amsterdam.

Rocktambule a écrit:

J'étais placé à côté d'une grand-mère et ses deux petits-enfants, qui n'avaient pour seules envies que de renifler et remuer... Et finalement, mon ciel s'est éclairci subitement, l'ouvreuse à replacé tout ce petit monde qui s'est largement éloigné de moi

« Vous ne voyez pas que vous dérangez M. Rocktambule ? Allez, fichez-moi le camp de là. »

Citation :

Salle très très bien remplie. Triple effet, orchestre, chef et violoniste !

Effet œuvres célèbres aussi. Salle pleine, une longue queue de malchanceux à la billetterie.


Critique dans le Monde. Qui croit que Järvi a dirigé cette symphonie avec l'OP en 2021 : euh... non ? Sauf erreur la symhonie n'a pas été jouée à la Philharmonie depuis 2019.

https://www.lemonde.fr/culture/article/2023/02/22/a-la-philharmonie-de-paris-lisa-batiashvili-envoutante-dans-le-concerto-pour-violon-de-beethoven_6162886_3246.html

Oui, violoniste admirable : elle joue léger, jamais appuyé, tout est clair, facile, et avec un son d'une très grande beauté.
J'avais l'impression d'entendre la violoniste idéale, la meilleure !
Accompagnement au diapason, avec une très grande attention l'un à l'autre.
Je n'ai pas aimé les cadences qui nous sortent du confort où nous nous trouvions, mais j'ai des goûts certainement trop classiques !
Je suis beaucoup moins d'accord avec vous sur l'interprétation de la symphonie de Prokofiev.
L'orchestre est très beau et très virtuose, c'est entendu, mais l'interprétation était loin d'être "décapante, violente, mordante".
Très beau son, avec des piani à peine audibles, tout cela était beaucoup trop léché.
J'ai l'impression que Järvi, tout heureux d'avoir un orchestre hyper virtuose, à qui il pouvait tout demander, en a fait trop dans la subtilité
et a perdu son dynamisme habituel.
Je me souviens avoir eu la même impression lorsque j'ai entendu pour la première fois Muti avec l'Orchestre de Chicago.
J'ai un souvenir encore enchanté de cette symphonie dirigée par Mikko Franck et l'Orchestre philharmonique dans la même salle,
avec tout le mordant voulu, il y a quelques années.
Valse triste magnifique, auquel ce traitement convient beaucoup mieux.

Fritelli a écrit:

L'orchestre est très beau et très virtuose, c'est entendu, mais l'interprétation était loin d'être "décapante, violente, mordante".
Très beau son, avec des piani à peine audibles, tout cela était beaucoup trop léché.

Tout ça correspond assez à mes propres expériences avec le Concertgebouworkest de ces dernières années (décennies). Niveau superlatif (les bois extrêmement sonores et affirmés !), capables de toutes les nuances en un haussement de sourcil, et cependant souvent un certain manque d'enjeu, comme si tout était trop facile, trop connu.

DavidLeMarrec a écrit:

Fritelli a écrit:

L'orchestre est très beau et très virtuose, c'est entendu, mais l'interprétation était loin d'être "décapante, violente, mordante".
Très beau son, avec des piani à peine audibles, tout cela était beaucoup trop léché.

Tout ça correspond assez à mes propres expériences avec le Concertgebouworkest de ces dernières années (décennies). Niveau superlatif (les bois extrêmement sonores et affirmés !), capables de toutes les nuances en un haussement de sourcil, et cependant souvent un certain manque d'enjeu, comme si tout était trop facile, trop connu.

Vivement Mäkelä

À lire ce beau compte-rendu du violoniste Pierre Liscia-Beaurenaut, qui parle en particulier du jeu des pupitres de cordes de l'orchestre.

https://bachtrack.com/fr_FR/critique-beethoven-prokofiev-batiashvili-jarvi-orchestre-concertgebouw-amsterdam-philharmonie-paris-fevrier-2023

Et à écouter le concert donné à Amsterdam. Ce 4e mouvement (35:54).  C'est élégant plutôt que violent, mais pas moins renversant pour autant.

https://www.nporadio4.nl/concerten/9e8e3feb-b695-4fe0-b980-a4de9e8a320d/lisa-batiashvili-speelt-beethoven