Roman sur Gustav Mahler

Benedictus a écrit:

Golisande a écrit:

Je me trompe peut-être, mais il me semble que c’est plutôt dans le sens d’une « littérarité » de la musique de Mahler elle-même (son côté intrinsèquement narratif, on pourrait dire proto-cinématographique aussi), beaucoup plus marquée que chez Debussy (plus pictural) et Strauss (plus rien du tout).

Ah, oui, pardon!

Mais même dans ce sens-là, non, pour ma part, je ne perçois pas vraiment ce caractère narratif ou proto-cinématographique chez Mahler (je le perçois beaucoup plus, à l'inverse, dans les poèmes symphoniques de Strauss - Alpensinfonie et Till en particulier.) Chez Mahler, il y a certes plusieurs mouvement que j'arrive à concevoir comme ça (plutôt dans les trois premières); mais globalement, je perçois quelque chose de beaucoup plus abstrait, d'essentiellement formel, en fait (pictural aussi, mais au sens de tableaux abstraits) - aussi bien les structures des symphonies où j'entends dans la succession des mouvements comme des espèces d'agencements cloisonnés de matériaux dotés chacun de couleurs et de textures spécifiques* (même la 8 - j'avoue y entendre beaucoup plus une symphonie en quatre mouvements avec des voix qu'une histoire, fût-ce celle du salut de Gretchen), et, mouvement par mouvement, ce que je repère spontanément, c'est plutôt la forme musicale - en particulier dans les grands mouvements externes (les thèmes, leurs tuilages, leurs circulations entre les pupitres, leurs entrelacements, leurs retours et leurs métamorphoses...)

* Ou alors cinématographique dans le sens où peuvent l'être le montage et la photographie «texturiste» dans certains films relevant du cinéma expérimental, en fait (donc pas vraiment, ou pas prioritairement narratif.)

Un article pour resituer le sujet dont on débattait la semaine dernière entre musique et roman :

https://www.resmusica.com/2024/05/11/roman-biographique-autour-de-gustav-mahler-le-cherche-midi/

zigzag a écrit:

J'ai découvert un nouveau roman à Mahler, cette fois en anglais, c'est quand même le troisième en un temps très rapproché... Il faudrait se demander pourquoi

J'avais déjà suggéré cette piste d'explication:

Benedictus a écrit:

je crois que ça s'explique largement par la place qu'occupe aujourd'hui Mahler dans les programmes de concert et les parutions discographiques. Je suis sûr que si on jouait et on enregistrait aussi souvent les symphonies de Bax ou de Roussel, on aurait déjà publié quelques romans sur les amours du premier avec Harriet Cohen et les traversées de l'Océan Indien par le second.

J'en vois encore deux autres (qui ne sont d'ailleurs nullement exclusives de la première):
1. Le matériau documentaire concernant Mahler est non seulement abondant, mais aussi abondamment publié (ne serait-ce que la somme de La Grange, qui laisse vraiment peu de choses dans l'ombre), ce qui épargne à l'auteur à la fois de longues et fastidieuses recherches documentaires (alors que pour écrire un roman sur Raoul Gunsbourg ou Camille Erlanger, il faudrait avoir la patience et la capacité de travail d'un David Le Marrec, ce qui n'est pas donné à tout le monde...) et d'avoir à trop se creuser les méninges afin de concevoir des situations narratives viables pour combler les «blancs» d'un matériau lacunaire (alors qu'il faudrait avoir une imagination particulièrement fertile pour écrire un roman qui se tienne et qui soutienne l'intérêt du lecteur sur Pérotin ou même Pancrace Royer...)
2. En termes de mentalités et de sensibilités, le contexte est suffisamment proche de nous pour qu'on puisse se lancer dans des extrapolation psychologiques qui ne paraîtront pas caricaturalement anachroniques (comme dans ces romans où les femmes du XVᵉ siècle pensent et parlent comme des chroniqueuses de Marie Claire dans les années 60), sans pour autant à avoir à se lancer dans de longues recherches dans le domaine de l'anthropologie historique (avoir lu un peu de Freud suffira - d'autant que Freud pourra facilement fonctionner comme guest star du roman...)

Benedictus a écrit:

(alors que pour écrire un roman sur Raoul Gunsbourg ou Camille Erlanger

Ça me donne presque envie de me lancer le défi ! (mais à la vérité, je pense qu'ils auraient d'abord besoin de documentation fiable, ce qui n'est que partiellement le cas, ou plus exactement pas centralisée de façon aisément accessibles… et bien sûr qu'on joue leur musique !)

Benedictus a écrit:

zigzag a écrit:

J'ai découvert un nouveau roman à Mahler, cette fois en anglais, c'est quand même le troisième en un temps très rapproché... Il faudrait se demander pourquoi

J'avais déjà suggéré cette piste d'explication:

Benedictus a écrit:

je crois que ça s'explique largement par la place qu'occupe aujourd'hui Mahler dans les programmes de concert et les parutions discographiques. Je suis sûr que si on jouait et on enregistrait aussi souvent les symphonies de Bax ou de Roussel, on aurait déjà publié quelques romans sur les amours du premier avec Harriet Cohen et les traversées de l'Océan Indien par le second.

J'en vois encore deux autres (qui ne sont d'ailleurs nullement exclusives de la première):
1. Le matériau documentaire concernant Mahler est non seulement abondant, mais aussi abondamment publié (ne serait-ce que la somme de La Grange, qui laisse vraiment peu de choses dans l'ombre), ce qui épargne à l'auteur à la fois de longues et fastidieuses recherches documentaires (alors que pour écrire un roman sur Raoul Gunsbourg ou Camille Erlanger, il faudrait avoir la patience et la capacité de travail d'un David Le Marrec, ce qui n'est pas donné à tout le monde...) et d'avoir à trop se creuser les méninges afin de concevoir des situations narratives viables pour combler les «blancs» d'un matériau lacunaire (alors qu'il faudrait avoir une imagination particulièrement fertile pour écrire un roman qui se tienne et qui soutienne l'intérêt du lecteur sur Pérotin ou même Pancrace Royer...)
2. En termes de mentalités et de sensibilités, le contexte est suffisamment proche de nous pour qu'on puisse se lancer dans des extrapolation psychologiques qui ne paraîtront pas caricaturalement anachroniques (comme dans ces romans où les femmes du XVᵉ siècle pensent et parlent comme des chroniqueuses de Marie Claire dans les années 60), sans pour autant à avoir à se lancer dans de longues recherches dans le domaine de l'anthropologie historique (avoir lu un peu de Freud suffira - d'autant que Freud pourra facilement fonctionner comme guest star du roman...)

Tous ces arguments sont recevables, il n'empêche qu'il en existe probablement d'autres qui nous échappent et échappent d'ailleurs à leurs auteurs. Qu'un écrivain autrichien, français, américain choissisent comme thème central de leur roman le personnage de Mahler dit forcément quelque chose de notre époque, de notre relation à la musique du compositeur, à sa manière qu'elle a de nous parler à travers les âges. C'est de l'ordre de l'indicible, d'une adéquation entre un personnage et notre époque. On pourrait dire la même chose de Kafka d'ailleurs. Kafka, Mahler, les deux astres noirs du vingtième siécle.

Benedictus a écrit:

(comme dans ces romans où les femmes du XVᵉ siècle pensent et parlent comme des chroniqueuses de Marie Claire dans les années 60)

À ce moment précis, Hildegarde se retourna vers Galehaute qui traversait encore la dernière rangés de blés, dorés comme ces cheveux :
— Ah çà m'amie, je cuide qu'il est temps de rendre grâce à Notre Seigneur Dieu de ce soleil.
— Si fait, dame Hildegarde, les moissons approchent, sire Raoul sera sensible à votre summer body.

Article dans Le Monde sur le bouquin à propos de Mahler :

https://www.lemonde.fr/livres/article/2024/05/14/le-dernier-ete-de-gustav-mahler-de-laurent-sagalovitsch-histoire-intime-d-un-juif-europeen_6233129_3260.html