Un compositeur que je viens de découvrir, via son Quatuor à cordes en mi bémol majeur (1908-11), enregistrée en 1ere mondiale par le Quatuor Diotima, sur un CD Bruckner / Klose, le second étant l’élève du premier.
Et le moins qu’on puisse dire, c’est qu’en termes de quatuor, l’élève dépasse le maître de très loin, en inventivité, en richesse de écriture, en fluidité, en maitrise des textures… (C’en est même cruel pour le pauvre Anton!)
Je ne connaissais strictement rien sur ce Friedrich Klose (sans parenté avec Margarete)
Je ne peux donc que reprendre quelques informations que vous retrouverez plus détaillées sur:
• Les brefs articles wikipedia (les articles anglais et allemands ne sont pas plus développés que l’article français)
• Le livret du CD Pentatone, en libre accès sur eclassical (a)
• Une interview des Diotima sur theviolinchannel (b)
• Le site - lexique de la ville de Karlsruhe (c)
Né à Karlsruhe en 1862, Friedrich Klose a été successivement l’élève de Vincenz Lachner, Felix Mottl, puis Anton Bruckner à Vienne de 1886 à 1889, ce dernier lui donnant l’occasion d’approfondir l’harmonie et le contrepoint. (a)
Il a occupé plusieurs postes d’enseignant, notamment professeur de théorie à l’Académie de musique de Genève, et professeur de composition à l’Académie de Musique de Munich de 1907 à 1919.
Extrêmement autocritique, il n’a laissé qu’un petit nombre d’œuvres: il aurait été qualifié par un des ses étudiants « d’oligographe très prononcé ». (a)
• Une "symphonie dramatique" / opéra féérique: Ilsebill (1902).
(Enregistré chez CPO)
• Une dizaine d’œuvres chorales, comprenant notamment une messe écrite en 1886 pour la mort de Liszt, et un oratorio de 1917 pour soli, chœur, orchestre et orgue, « Der Sonne-Geist », qu’il considérait comme son œuvre la plus réussie. (a)
• 3 recueils et cycles de Lieder
• 5 poèmes symphoniques
• Quelques œuvres instrumentales diverses
En 1919, il met un terme à la fois à ses activités de professeur et de compositeur, et s’installe en Suisse. Il laissera 2 livres de mémoires, l’un sur ses années d'apprentissage auprès de Bruckner, l’autre sur le festival de Bayreuth. (c)
D’après les quelques pages écoutées, à savoir quelques extraits d’Ilsebill (pas assez pour faire un compte-rendu), et le quatuor à cordes, le langage est typiquement post-wagnérien, sans trace de modernisme. Mais ce qui n’empêche le quatuor d’être véritablement enthousiasmant.
Écrit sur une période de 3 ans, il fut d’après le compositeur l’occasion de « tester sur lui-même les connaissances nouvellement acquises en théorie des formes » — il avait essentiellement écrit jusque là de la musique à programme. (a)
Derrière un sous-titre un brin sarcastique « Un hommage rendu en quatre versements à mes sévères maîtres d’école allemands », l’œuvre de vaste envergure (environ 50 mn) offre une profusion mélodique et contrapuntique assez irrésistible, une cohésion formelle exemplaire, et une maitrise des textures admirée par les interprètes eux mêmes (b).
Comme indiqué plus haut, le langage est essentiellement romantique tardif, versant lyrique et lumineux, très peu « décadent » malgré la date. Pour autant, ça ne ressemble pas du tout à un énième quatuor de Brahms: outre Wagner (le contrepoint tendu des Meistersinger...), j’y entends plutôt des élans de Tchaikovsky, Dvořák, et une certaine parenté avec le 2e quatuor de Dohnányi.
Le premier mouvement est marqué par une tension entre une forme sonate rigoureuse, et une profusion « d’idée musicales qui semblent parfois littéralement vouloir briser le corset formel » (a), comme par exemple des cadenzas rhapsodiques inattendues dans une écriture de quatuor (b).
L’adagio est une fantaisie sur une cellule motivique qui pourrait renvoyer au Fliegende Holländer (b), avec ça et là des accents de choral brucknérien (a).
Le scherzo crée une atmosphère « presque démoniaque et fantomatique » avec ses mélodies agitées et ses pizzicati errants (a), et contraste fortement avec un trio qui semble avancer vers la lumière, et pourrait rappeler de celui de la 8e symphonie de Bruckner (b)
Le dernier mouvement porte en exergue un couplet de Schiller, qui peut être vu comme la devise de l'œuvre entière (a):
In des Herzens heilig stille Räume
Mußt du fliehen aus des Lebens Drang,
Freiheit ist nur in dem Reich der Träume,
Und das Schöne blüht nur im Gesang. Dans les espaces sacrés et calmes du cœur
Tu dois fuir le tumulte de la vie.
La liberté n’existe que dans le royaume des songes,
Et le beau ne s’épanouit que dans le chant.(extrait de
Der Antritt des neuen Jahrhunderts / Le début du nouveau siècle)
De forme rondo, ce final reprend notamment des cellules motiviques de l’adagio, et se termine sur une « apothéose radieuse » (a).
L’œuvre est ainsi qualifiée par les Diotima de « monument à la foi dans le pouvoir imaginatif de la musique » (b)
Encore une fois, rien de révolutionnaire — pour 1911, c'est déjà presque anachronique — , mais un très beau moment de musique.
[edit: coquilles, formulation]