Bastille - Janacek - La petite renarde rusée

L'opéra de Paris programme donc l'opéra de Leoš Janáček, Příhody lišky bystroušky, la petite renarde rusée.

Janáček est visiblement en train d'entrer au répertoire comme un des piliers des programmations, même le Met ne semble plus imaginer une saison sans un de ses opéras à l'affiche. A Bastille, cette saison, nous aurons la petite renarde et Več Makropulos (l'Affaire Makropoulos), reprise d'il ya deux saisons, avec une nouvelle fois la prestation hallucinante d'Angela Denoke.

Pour la petite renarde, la mise en scène est d'André Engel, conçue à l'origine pour l'opéra de Lyon et ici adaptée à l'immense scène de Bastille.

L'esprit de fable animalière est respecté, avec des costumes assez réussis - les renards sont particulièrement élégants. Si transpositions il y a, c'est dans le décor. Au lieu de la forêt du livret, cela se passe dans un paysage profondément dessiné par les hommes : un champ de tournesol avec une voie ferrée. Les animaux ne sont plus vraiment "chez eux", mais déjà chez nous. Il y a donc une sorte d'inversion, et la communion avec la nature présente dans l'esprit du texte est biaisée, cette nature là est déjà domestiquée, ce qui ajoute une pointe de pessimisme, le retour vers un esprit de nature est une illusion et les animaux sont plus là par tolérance des maîtres humains, propriétaires des lieux, que par leur propre pouvoir, déjà dissipé. En tout cas, c'est ce que je crois avoir compris de cette mise en scène.

Une galerie de photos sur le site de l'opéra : ici.

La musique de cet opéra est splendide, pleine de poésie avec une orchestration sompteuse. Le reproche que je ferais à la direction de Dennis Russell Davies, c'est d'arrondir les angles et de chercher une douceur orchestrale continue en évitant les aspérités et scintillements de la partition. C'est très agréable à écouter, mais je trouve toujours dommage que les chefs qui dirigent Janacek semblent chercher à assouplir le côté chambriste de sa musique, et sa violence, au risque de faire ressortir un côté guimauve mal vu. Cet opéra est doux-amer dans son ton, la violence n'est pas éludée.

A l'origine, c'est Christine Schäfer qui devait assurer le rôle titre. Je fais partie de ceux que son annulation avait déçu, mais je ne suis plus du tout certain que cela soit justifié : la russe Elena Tsallagova est tout à fait extraordinaire. Son chant est d'une subtilité fabuleuse, trop en réalité pour l'immensité de Bastille. J'ai l'impression que son tchèque est très soigné, mais surtout c'est son enthousiasme sur scène qui est extraordinaire, sa performance est aussi athlétique et elle n'économise pas ses forces, elle est dans l'intensité du début à la fin, très mobile sur scène, elle sautille, escalade, court, rampe, se cache, surgit, surprend. Elle fait corps avec le personnage et est totalement sincère, interagissant avec les autres chanteurs et les tirant vers le haut.

Jukka Rasilainen est un très bon garde chasse, interface entre le monde des humains et celui des animaux dans lequel il se sent plus à sa place. Il joue un peu trop, peut-être, sur le désabusement tout au long de l'opéra, mais cela fonctionne vraiment, et vocalement c'est très élégant.

Hannah Esther Minutillo joue le renard, rôle pas très développé mais dans lequel elle donne des petits instants miraculeux, il faudrait l'entendre dans un rôle plus important. Le duo renard/renarde fonctionne magnifiquement en tout cas.

Egalement une bonne prestationd de Paul Gay en Harašta.

En conclusion, un très joli spectacle auquel il manquerait peut-être un brin de folie. En tout cas, cela vaut la peine d'être vu.

Morloch a écrit:

Janáček est visiblement en train d'entrer au répertoire comme un des piliers des programmations, même le Met ne semble plus imaginer une saison sans un de ses opéras à l'affiche.

On nous met même sur toutes les scènes ses pires pensums (Z Mrtvého Domu...).

J'ai déjà dit mon peu d'enthousiasme pour cet état de fait, je regrette assez que d'autres compositeurs plus talentueux ne soient pas représentés. (Il y a tant de Strauss négligés, de décadents faciles comme Zemlinsky ou Braunfels, de russeries jamais représentées, d'opéras brefs de qualité en tout genre...).

Janáček a un côté 'Puccini intellectuel' (voire 'Puccini chic' pour Jenůfa) qui ne me ravit pas plus que ça : ce n'est pas forcément de la musique très accessible, et ce n'est pas la plus jouissive, il me semble, parmi la musique 'audacieuse'.

Il est vrai que la Renarde est un opéra à part, qui a des charmes bien particuliers.


Merci pour le compte-rendu.

En même temps, c'est une petite ouverture sur le XXème siècle, et sa musique n'est quand même pas la pire de toutes, loin de là.

Puccini chic, je vois ce que tu veux dire, mais j'ai l'impression que Janáček est dans un autre monde, pas forcément celui qui me plait le plus, fait de véritable amour du folklore et des traditions musicales populaires. La scène du mariage, par exemple, dans la petite renarde, ne me semble pas avoir d'autre justification que de communiquer une mélodie traditionnelle dans une belle orchestration.

On peut dauber sur cet esprit " Ah les braves petites gens dans leur brave petit village " typique de cette époque et dont on trouve des déclinaisons dans toutes l'Europe, mais il est ici sincère et toujours voilé d'une teinte d'amertume. Puccini ne me semble pas du tout fonctionner de la même façon, il est d'une autre génération, d'un autre esprit.

Et si on fait un rapide tour de la production de Janáček, cela va du vérisme folklorique à la science-fiction, en passant par la fable, les récits de déportation... Je ne trouve pas qu'il soit si facile de le ranger dans une petite case, et il y a eu pire mode dans les maisons d'opéra.

Morloch a écrit:

En même temps, c'est une petite ouverture sur le XXème siècle,

Oui, c'est ce que je disais, mais le problème est que ce n'est ni le plus accessible ni le plus riche, à mon sens.

Citation :

On peut dauber sur cet esprit " Ah les braves petites gens dans leur brave petit village " typique de cette époque et dont on trouve des déclinaisons dans toutes l'Europe, mais il est ici sincère et toujours voilé d'une teinte d'amertume.

Certes. Mais dans le domaine foklorique, il y a plus direct... ou plus inspiré. Je préfèrerais qu'on nous joue, au choix, Smetana ou D'Albert.

Citation :

Puccini ne me semble pas du tout fonctionner de la même façon, il est d'une autre génération, d'un autre esprit.

Je parlais spécifiquement de Jenůfa, qui a ce lyrisme très appuyé, mais dénué du plaisir très direct qu'on trouve chez Puccini.

Citation :

Et si on fait un rapide tour de la production de Janáček, cela va du vérisme folklorique à la science-fiction, en passant par la fable, les récits de déportation... Je ne trouve pas qu'il soit si facile de le ranger dans une petite case, et il y a eu pire mode dans les maisons d'opéra.

Ah non, je ne dis pas qu'il n'a pas d'originalité, mais le voir autant joué que Mozart dans les grandes maisons, ça me laisse perplexe. Mais tant mieux, plus on a de répertoire, mieux on se porte.
Tu penses à quelle mode ?

DavidLeMarrec a écrit:

Tu penses à quelle mode ?

Oh, c'était un peu une remarque générale, sans penser à quelque chose en particulier. Mais j'ai l'impression que dans les années 80, il y avait Carmen partout et tout le temps, dans les années 90 Offenbach du soir au matin et du matin au soir. Dans les années 2000, tout le monde derrière Janacek, cela ne me gène pas.

Disons que pour Offenbach, si ça peut nous épargner Louis Ganne et satisfaire ce public, ce n'est peut-être pas une si mauvaise idée...

DavidLeMarrec a écrit:

Je préfèrerais qu'on nous joue, au choix, Smetana ou D'Albert.

Bon, j'imagine qu'il faut lire " Je préfèrerais qu'on nous d'Albert" parce que Smetana a paru te laisser plus froid il faudra que je dise deux mots de cette fameuse représentation à Garnier...

1) L'interprétation était en cause (et le placement ), je pense que beaucoup de gens ont pu prendre un plaisir plus immédiat à ce genre de musique.
2) Il n'y a pas que Prodaná Nevěsta chez Smetana.

DavidLeMarrec a écrit:

et le placement

Pffff euh oui bon hem arf kof. Le placement était euh, de biais, et un peu en retrait, mais cela permettait un certain recul et permettait à l'imagination de travailler. Hem. Bref. Voilà voilà.

Morloch a écrit:

DavidLeMarrec a écrit:

et le placement

Pffff euh oui bon hem arf kof. Le placement était euh, de biais, et un peu en retrait, mais cela permettait un certain recul et permettait à l'imagination de travailler. Hem. Bref. Voilà voilà.

Cela dit, j'étais mieux placé que pour ma place à 30% de visibilité au TCE, qui était tout de bon aveugle...

Alors tu vois, finalement tes bons plans permettent de se défendre des magnifiques mises en scène de Deflo

DavidLeMarrec a écrit:

Alors tu vois, finalement tes bons plans permettent de se défendre des magnifiques mises en scène de Deflo

Ah, tu vois ! Toi même tu reconnais que c'était une excellente place. Je n'avais pas eu pire depuis Iphigénie en Tauride.

Lassé du côté aléatoire des placements de dernière minute à Garnier, j'ai pris une place à 21 euros pour Fidelio dans sa distribution de luxe, mais comme j'avais laissé passer la date d'ouverture des guichets, il ne restait plus beaucoup de choix j'ai peur.

Morloch a écrit:

DavidLeMarrec a écrit:

Alors tu vois, finalement tes bons plans permettent de se défendre des magnifiques mises en scène de Deflo

Ah, tu vois ! Toi même tu reconnais que c'était une excellente place. Je n'avais pas eu pire depuis Iphigénie en Tauride.

Lassé du côté aléatoire des placements de dernière minute à Garnier, j'ai pris une place à 21 euros pour Fidelio dans sa distribution de luxe, mais comme j'avais laissé passer la date d'ouverture des guichets, il ne restait plus beaucoup de choix j'ai peur.

Ah non, ne me dis pas que Fidelio est à Garnier !

Bin si

Il semble même que Gégé Mortier ait un rapport particulier avec cette production, la première est le jour de son anniversaire, ensuite il semble qu'il parte pour de bon vers New York

A ce sujet, les nouvelles de Nicolas Joël et de son accident cérébral semblent bonnes, il peut même se déplacer un peu.

Je ne sais pas qui est le criminel qui a offert à Sauron un manuel vaudou pour son anniversaire.

Merci Morloch, tu as déjà tout dit.
ouf, je l'ai échappée belle...

Au fait, mardi prochain, à 19 h 30, le spectacle est diffusé sur le site de l'opéra.

Wolferl a écrit:

Merci Morloch, tu as déjà tout dit.
ouf, je l'ai échappée belle...

Traître

Bon, je suis allé la voir une deuxième fois cette Petite Renarde, j'ai pu mieux apprécier la musique, mais aussi me rendre compte que la direction, en plus d'"arrondir les angles" comme tu dis, n'est pas très vivante, a parfois du mal à décoller aux moments où il faudrait. Du coup, ça donne un aspect de conte sans beaucoup de tension.

D'ailleurs la mise en scène - qui nous offre des décors et surtout des costumes magnifique et drôles - rend bien l'impression d'une succession de tableaux parfois un peu décousus, mais avec un fil directeur : l'histoire de la renarde et celle des hommes en parallèle, signifiée ici par cette voie ferrée qui traverse à chaque fois la scène.
C'est une excellente idée car elle permet non seulement de créer des jeux autour de l'objet lui-même, mais aussi de varier les décors tout en gardant une unité de lieu.

Voilà, pas grand chose à dire de plus... Ah oui, j'ai beaucoup aimé !

On peut la suivre en direct en ce moment sur le site de l'opéra

http://www.operadeparis.fr/

Morloch a écrit:

On peut la suivre en direct en ce moment sur le site de l'opéra

http://www.operadeparis.fr/

Kool !

Je relaie l'info chez moi illico.

J'abandonne, d'une part ça ne marche plus, d'autre part c'est une oeuvre que je ne connais pas et que je n'ai pas pris dès le départ...

Je suis désolé, je suis revenu chez moi trop tard pour poster à temps, avant le début.

Ah cool, on a même droit à Gégé à l'entracte

Mais non, il n'y a pas besoin de suivre, le livret est totalement discontinu.

Je m'amuse sur CSS à faire du machin comme font les jeunes militants politiques pendant les meetings télé. C'est moyennement drôle en fait, d'écrire tout en regardant, une vraie gymnastique, et vaguement une course de vitesse.

Si je ruine ma réputation de sérieux, ce sera ta faute, Morloch !

j'œuvre dans l'ombre et frappe au moment décisif.


Ah mais pour ceux qui l'ont raté, c'est rattrapable, l'opéra annonce qu' il va être mis en ligne sur http://www.medici.tv/ jusqu'à fin décembre (la com n'est pas encore au point, on a les informations en direct, comme le spectacle).

Si, si, ça avait été dit (mais j'avais compris que ça resterait sur le site de l'Opéra de Paris).

J'ai regardé l'opéra ce matin sur le site sus-mentionné ( http://www.medici.tv/#/performance/428/ ) et j'ai vraiment beaucoup aimé à l'exception des décors, dont la grande sévérité contraste un peu trop avec la fantaisie enfantine des costumes : la scène des noces est vraiment glaciale par exemple. Mais pour certains tableaux ce dépouillement janséniste s'avère payant (mort de la renarde en particulier). Bon, j'avoue que jusqu'à présent je n'étais pas habitué aux opéras où l'héroine profère des mots doux du type "grande gueule dégueulasse", "vieux pourri", "trou de balle" et autre "salopard" (scène de l'expropriation) mais c'est tout à fait divertissant, tout comme la scène où les deux renards se font la cour. La musique est belle et accompagne bien l'histoire, les chanteurs sont très bons : la Petite Renarde en particulier est formidable, le garde-chasse et sa matronne de femme (très amusante également en vieille chouette), le curé, le braconnier, etc. J'ai vraiment passé un très bon moment en regardant ce conte pour enfants de 7 à 77 ans.

La scène avec les poules aussi est géniale, avec le discours de la Renarde aux références quelque peu... grinçantes.

Wolferl a écrit:

La scène avec les poules aussi est géniale, avec le discours de la Renarde aux références quelque peu... grinçantes.

Oui, une petite rouge cette renarde

J'adore quand elle tue les poules les unes après les autres !

Eh bien c'était vachement bien, La petite renade Rusée, que je viens de visionner sur le site de l'ONP.

La mise-en-scène allait très bien avec la musique, très agréable à entendre/voir, délicieusement naïf et drôle quand il le fallait (la réaction du Renard lorsqu'il apprend que la femelle est enceinte, le clin d'oeil "on écrira des romans et des opéras sur toi"...). Tout ceci sans chercher à faire quelque chose de très profond (bien qu'on puisse y voir une réflexion sur "le cycle de la vie"), juste pour passer un moment agréable.

Une succession d'épisodes décousus, comme apposés sans lien entre eux, donc pas vraiment d'intrigue, mais on ne se lasse pas.

Et en plus, Elena Tsallagova est très jolie, vive, espiègle: parfaite !

Vraiment, je vous invite à aller voir ça – ce n'est disponible gratuitement que jusqu'au 31 décembre sur medici.tv et l'ONP) pas grand risque de le regretter !

C'est impardonnable, je suis enthousiasmé par cette oeuvrette sans intérêt et pas par Céphale & Procris !

Zip a écrit:

(...)
Une succession d'épisodes décousus, comme apposés sans lien entre eux, donc pas vraiment d'intrigue, mais on ne se lasse pas. (...)[/size]

En fait, le lien, le liant comme on pourrait en parler dans une sauce est la musique et celle-ci est dissolue par les changements lourds de tableaux... Engel explique que son dispositif scénique était trop imposant et lourd pour Lyon mais qu'il était content d'avoir les moyens techniques à l'Opéra de Paris... Il a tort ! ça flingue ces intermèdes musicaux qui nous décrivent la forêt, les animaux, la chaleur, la pluie, jusqu'aux mouches ! Je trouve dommage ce dispositif qui gène le déploiement de l'univers musical : on est sorti malgré soi de l'oeuvre...

Mais au-delà de ça, cette renarde facétieuse est adorable... Si ce n'est pas encore fini, je recommande chaudement ! Ne serait-ce que pour la scène du poulailler !