Seulement trois représentations en février 2009 à l'opéra comique de cette œuvre commandée et créée à l'opéra de Lyon en 2008. Il ne reste que le mardi 17 et le mercredi 18.
Eötvös parvient à rendre cohérent son spectacle, ce qui n'est pas gagné d'avance : le texte est un anonyme japonais de la première moitié du XIème siècle, traduit en anglais par un orientaliste britannique du milieu XXème siècle, sur laquelle on a mis la musique d'un compositeur hongrois du XXIème siècle...
Le pari est risqué, mais ça marche. Eötvös est enthousiaste de son texte et veut transmettre cet enthousiasme à son public, ça se sent.
Le texte choisi est un nekki, sorte de journal féminin dont le plus connu est le Dit de Genji. Un des textes fondateurs de la littérature japonaise, alors que le Japon s'affranchit de la tutelle chinoise et que les hommes continuent à écrire en cette langue jusqu'aux Xèmes et XIèmes , les femmes de l'aristocratie vont écrire en japonais en prose ces journaux intimes très raffinés qui fascinent aujourd'hui.
Neuf extraits ont été choisis par Peter Eötvös. De l'univers onirique de l'univers du journal de Sarashina, il a choisi 9 textes qui avaient le plus grand potentiel d'action. On a envie de dire : qu'est-ce que cela aurait été sinon... On est bien dans l'univers intérieur de la dame, et l'émotion naît de sa perception de sa vie, mélancolique, d'une grande poésie.
La narration est cohérente, j'ai le sentiment que la trame et l'esprit du texte original ont été respectés, mais quelqu'un qui s'y connaîtrait mieux ne serait pas forcément d'accord. De l'apparence cyclique, immobile, se dégage une narration et une conclusion. Le livret, d'apparence bizarroïde pour un opéra a un véritable impact dramatique, subtil, évanescent, mais qui fonctionne.
Là, je vais sans doute dire une bêtise, car si j'ai bien lu, Peter Eötvös considère que le style vocal de cet opéra est plus proche du langage parlé en comparaison avec une autre de ses œuvres, Trois soeurs, d'écriture lyrique. Je dois avouer que je ne connais pas les Trois soeurs.
Ce qui m'a frappé, au contraire, c'est le véritable lyrisme de son écriture. C'est un véritable opéra, écoutable sans référence obligée au sprechgesang ou à une écriture disjointe. Il y a phrasés, émotion, la ligne suit le texte, c'est vrai, mais Eötvös semble ne rien s'interdire a priori, et le résultat est vocalement " immersif". Selon lui, pour donner une plus grande intimité à certaines paroles, il a utilisé un micro et les chanteurs sont sont sonorisés pour quelques phrases, le tout mis dans un dispositif de spatialisation. Là, j'ai beaucoup plus eu un sentiment de gadget, d'autant que la taille de l'opéra comique rendait bien l'intimité du texte par un simple lyrique " non sonorisé", alors que la spatialisation dans un théâtre à l'italienne, ça marche peut-être au parterre mais dans les loges, pas du tout...
Dans une très grande salle rectangle standard, il faudrait essayer. Mais le rendu voix et électronique n'était pas désagréable et les chanteurs sont l'essentiel du temps sans sonorisation.
Son orchestre est étoffé (joli détachement de l'opéra de Lyon) mais sa musique est riche harmoniquement, plus d'une tonalité torturée que d'un atonalisme dur. C'est mouvant, évanescent, introduit des modes qui font penser à la musique asiatique mais jamais d'une façon qui serait de l'exotisme gentil. C'est splendide à écouter, magnifiquement orchestré et cette élégance évanescente accompagnée de percussions variées (même des pierres) colle parfaitement au texte. La musique évolue avec le déroulement de la pièce, et les contrastes entre les neuf scènes sont bien marqués. J'imagine qu'il y a des structures qui reviennent dans la partition, mais ce n'est pas facile à repérer dans une musique assez complexe et sur une seule représentation.
La mise en scène évoque le théâtre japonais, dans de très beaux costumes de Masatoma Ota. Seule Mary Plazas joue Lady Sarashina sur toute la pièce, excellente chanteuse et actrice impliquée. Les autres rôles , entourage, apparition de rèves, lectures, sont assurés par Pater Bording, Ilse Eerens et Salomé Kammer.
Un petit enchantement que cette Sarashina de Peter Eötvös que je ne croyais pas capable de telles réussite (comme quoi les préjugés...)