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| Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge | |
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Auteur | Message |
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jerome Fugueur intempéré
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 10/03/2008
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Dim 19 Avr 2009 - 12:51 | |
| Et zut, maintenant il va falloir attendre la page 14 pour parler de la Fugue Inachevée... Remplissez, les mecs, en attendant ! |
| | | jerome Fugueur intempéré
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 10/03/2008
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Dim 19 Avr 2009 - 14:44 | |
| Fuga a 2 Clav. et Fuga a 2 Clav. alio modo.
Après les canons, on trouve [dans l'Edition Originale] deux pièces curieuses. Ces deux pièces reprennent les deux présentations (rectus et inversus) du contrapunctus 13, en leur ajoutant une quatrième voix libre. La fonction de ces pièces a été expliquée par Gustav Leonhardt. Il se trouve que le contrapunctus 13 est difficilement jouable au clavier par un seul exécutant, que ce soit dans sa présentation droite ou inversée, à cause de l'écartement trop grand des voix. Pour jouer ces pièces au clavier, la seule solution est de les confier à deux instrumentistes, jouant sur deux claviers différents. Mais il est évident que trois voix pour deux instrumentistes laissent une des mains d'un des joueurs inemployée, ce qui n'est pas très rationnel. Bach a donc composé ces deux variantes, où il a ajouté une quatrième voix libre aux trois voix originales. On peut donc dire que les deux présentations à trois voix de ce contrapunctus 13 sont des pièces "théoriques", et que les deux variantes avec une voix ajoutée en sont les arrangements "pratiques". Ces deux pièces, sans être étrangères à l'Art de la Fugue, ne sont donc que des pièces annexes. Elles sont destinées à venir se substituer aux deux présentations du Contrapunctus 13, lors d'une exécution aux claviers.
(D'après Vincent Dequevauviller) |
| | | jerome Fugueur intempéré
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 10/03/2008
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Dim 19 Avr 2009 - 22:31 | |
| Contrapunctus 14 ou Fuga a 3 Soggetti.Enigmes. Cette fugue nous est parvenue grâce au Manuscrit A et à l'Edition Originale, tous deux assortis de commentaires inexacts qui sèment le trouble sur la nature même de la pièce. Le Manuscrit A contient l'annotation célèbre « Über dieser Fuge... ». Le fait que CPE soit l'auteur de ce commentaire n'est pas tout à fait certain ; Spitta déclare ne pas reconnaître son écriture. Quoiqu'il en soit, l'énoncé « ...où le nom BACH est employé comme contresujet... » est faux : c'est en tant que sujet à part entière qu'apparaît le nom de l'auteur. La méprise est surprenante venant du fils Bach, à moins d'imaginer qu'il n'ait jeté qu'un coup d'oeil très furtif à la fugue avant d'apposer son commentaire nécrologique au bas du manuscrit. Il pourrait donc s'agir d'une autre personne moins informée, ou... de Bach lui-même – je raconterai cette théorie savoureuse un peu plus tard. Le titre de l'Edition Originale, Fuga a 3 Soggetti n'est pas de la main de Bach : absent du manuscrit, il a manifestement été ajouté par une quelconque personne impliquée dans le processus d'édition. Bach utilise le latin pour ses titres et sous-titres ( Contrapunctus, Canon per augmentationem contrario motu, etc...), l'italien semble donc émaner d'une autre personne, et fait plus « à la mode ». L' Avertissement placé en tête de cette édition déplore également que l'auteur ait été empêché, par la maladie puis par la mort, de terminer la dernière fugue. Cette indication, ainsi que le titre Fugue à trois sujets ne sont pas surprenantes au premier abord, mais... La société Mizler, soucieuse de rendre un traditionnel hommage à ses membres disparus, demande en 1754 à CPE et Agricola de rédiger une notice nécrologique sur le père Bach. Un long passage de ce texte a trait à l'Art de la Fugue : « Celui-ci étant le dernier ouvrage de l'auteur, qui contient toutes sortes de contrepoints et de canons sur un seul et même thème principal. Sa dernière maladie l'a empêché (à en juger) d'après son brouillon, de terminer complètement l'avant-dernière fugue et de réaliser la dernière, qui devait contenir quatre thèmes et être ensuite inversée note pour note dans toutes les quatre voix. Cette oeuvre a vu le jour pour la première fois après la mort du regretté auteur. » L'avant-dernière fugue, quatre thème, tous renversés... il y avait donc, dans l'esprit de Bach, une quadruple fugue après celle-ci, encore plus magistrale ?! Mais les auteurs de la notice avouent leur méconnaissance des intentions réelles de Bach, puisqu'ils reconnaissent fonder leurs hypothèses sur un examen du brouillon, et non sur des confidences faites par l'auteur lui-même : quel crédit accorder à ces déclarations surprenantes ? De récents travaux (Gregory Butler) ont montré que Bach avait prévu pour le contrapunctus 14 un espace de 6 pages dans son projet de pagination du recueil, juste avant les canons. Sur ces six pages, la Fugue Inachevée n'en occupe que cinq. L'hypothétique quinzième fugue n'est donc qu'une affabulation - à moins qu'il s'agisse d'une vérité mal formulée. Il n'y a évidemment pas la place pour une dernière fugue monumentale de… une page. En revanche, cette pagination nous donne un ordre de grandeur de la partie manquante du contrapunctus 14 : un peu plus d'une page, soit environ quarante mesures. Comme nous le verrons en détail plus loin, la fugue parvient à une sorte d'aboutissement structurel à l'endroit où le manuscrit s'arrête, puisque les trois sujets se superposent enfin. En supposant une ou deux nouvelles combinaisons et une longue coda, on n'obtient pas quarante mesures. Il y avait donc « autre chose de prévu »... L'hypothèse aujourd'hui communément admise permet de concilier tous ces paradoxes et de fournir une explication plausible du projet de Bach. Le Grand Thème est absent du contrapunctus 14. De nombreux auteurs, dont Bitsch, Vidal et Chailley, ont défendu bec et ongles l'idée selon laquelle le premier sujet de la fugue serait le Grand Thème, « audacieusement réduit à sa structure essentielle » ou transmuté par un procédé complexe de croisement célébrant symboliquement l'église Rosicrucienne. Avec tout le respect dû à ces grands esprits, c'est à se taper le cul par terre. D'autant plus que, comme illustré plus bas, le Grand Thème s'adapte parfaitement aux trois sujets déjà présents, et « prétendre que cette superposition des thèmes est due au hasard est aussi réaliste que de prétendre que les différents panneaux de la Bataille de Paolo Uccello (qui sont dispersés dans des musées différents) n'appartiennent pas au même tableau. » (V. Dequevauviller)La combinaison des trois sujets avec le Grand Thème était donc prévue par Bach – on peut même imaginer qu'il a commencé par là – et le contrapunctus 14 était donc prévu pour être une quadruple fugue. A la lumière de cette hypothèse solide, on peut donc affirmer que le titre Fuga a 3 Soggetti est inadapté et constitue une erreur de plus des éditeurs. Quid de la nécrologie Mizler, de son « avant-dernière fugue » suivie d'une autre « à quatre sujets » ? Si l'on considère la quadruple fugue prévue, Bach s'est arrêté à la fin de la troisième section, soit l'avant-dernière. Il n'est pas faux de dire qu'il lui restait encore à composer une dernière fugue - en réalité la dernière section de sa quadruple fugue – si l'on accorde à chaque section le statut de fugue indépendante développant son sujet propre. La dernière partie de la fugue devait bel et bien réunir quatre sujets, les trois que nous allons voir et le Grand Thème faisant un retour majestueux dans le dernier quart de la pièce. L'annotation du manuscrit A considérant le motif BACH comme un simple contre-sujet met, à l'inverse, l'accent sur la suprématie du Grand Thème en tant que véritable sujet de la fugue, les trois autres n'étant considérés que comme des contre-sujets ayant chacun droit à une exposition et un développement préalables. En indiquant que cette dernière section « devait contenir quatre thèmes et être ensuite inversée note pour note dans toutes les quatre voix », les rédacteurs de la notice Mizler - bien renseignés ou non – ne peut que nous faire rêver à la merveille architecturale qu'aurait représenté cette conclusion. Ni Schulenberger ni Moroney ne se sont risqués à tenter cette réalisation inversée des quatre sujets. Les sujets. Je renonce à donner des noms imagés aux deux premiers. Ils ont pourtant un caractère très fort et très contrasté. Voici le Premier Sujet : Une église romane. Quand on sait ce qui vient après, l'écoute de ces premières notes donne le grand frisson. J'entends la quinte ascendante initiale comme une invocation : appel aux forces primitives des harmoniques naturels, exposé d'une dualité fondamentale. L'appel reste un temps suspendu sur la teneur, le poids est mis sur le questionnement. La lente descente sur la tierce mineure a quelque chose de très pathétique, c'est l'ouverture du drame. Dans la difficile remontée sur la quinte j'entends un dessin de plain-chant qui peut à la fois exprimer un long effort et l'emerveillement. Le retour sur la tonique est un point final, un retour au néant, moins passionné que le reste du motif. La suite de notes est « non rétrogradable », comme un palindrome : ré la sol – fa – sol la ré peut se lire dans un sens comme dans l'autre avec le même résultat. Même si le rythme atténue cette symétrie, il y a quelque chose de l'arche dans ce sujet, et je doute que Bach ait fait débuter la fugue par un tel figuralisme sans chercher consciemment à y insuffler un caractère essentiel. Si les quatre premières notes ont un lien évident avec le Grand Thème, les deux suivantes en diffèrent complètement. Il faut décidément avoir quelque chose à prouver pour s'acharner à tordre ce sujet dans tous les sens jusqu'à obtenir le Grand Thème. Et les chercheurs qui défendent ces thèses ont l'art d'exposer leurs conclusions avec le triomphalisme de celui qui a dégotté la pierre philosophale. La simplicité de ce sujet implique de nombreuses possibilités de strette, c'est-à-dire d' »auto-contrepointage ». Ses valeurs longues en font presque un cantus firmus, et il viendra nourrir la polyphonie plus agitée de son mouvement lent et grave, comparable en cela à la mélodie de l' In Nomine dans le contrepoint élisabéthain. La forme inversée du Premier Sujet : Bach s'en sert fréquemment dans les développements, faisant parfois dialoguer rectus et inversus. Il n'hésite pas à transformer tel ou tel détail : mutation de la première ou de la dernière note, ajout d'une broderie ornementale, altération chromatique de certains degrés, ou même un cas curieux de modification radicale du dessin (mesure 94). Le Deuxième Sujet est son exact opposé en caractère : On peut parler, là aussi, de guirlande. Mais l'esprit récréatif des autres longs sujets du recueil me paraît cette fois-ci absent ; il s'agit plus d'une mélopée, avec doubles-croches ornementales et station sur deux degrés successifs. Le sujet implique un court emprunt à la sous-dominante qui donne une inflexion lyrique à l'avant-dernière mesure. Les mesures 2 et 3 sont apparentées l'une à l'autre, impliquant une harmonie tonique-dominante sous-entendue (mais parfois évitée). Il y a donc un double rapport de symétrie entre les mesures 2 et 3 d'une part, et 4 et 5 d'autre part. Ces deux symétries établissent un mouvement général ascendant dont on retient à l'écoute une sensation de poussée progressive. La queue du sujet est une rapide formule conclusive qui, ne ramenant qu'à la tierce et non à la tonique, ne dissout pas complètement la tension accumulée. Elle sera d'autre part à la source de plusieurs divertissements. Le Second Sujet n'apparaît pas sous sa forme inversée ; sans être vraiment mauvaise, cette inversion n'a pas du tout l'élégance du rectus et c'est probablement pour cela que Bach l'a ignorée. Dans l'hypothèse d'une fin de fugue complètement inversée, son apparition aurait toutefois été inévitable et on peut imaginer que Bach aurait pris soin de ne pas l'exposer au soprano, où sa relative gaucherie aurait été trop à découvert. Le troisième sujet est la signature musicale de l'auteur par solmisation : Cette fois-ci les lettres B A C H ne sont pas simplement évoquées, mais nettement énoncées en valeurs égales. Les qualités de ce dessin ont déjà été soulignées précédemment. On y retrouve l'élan ascendant du Deuxième Sujet, sous une forme beaucoup plus ramassée et fondamentalement chromatique. La longue queue cadentielle est séparée de la signature BACH par une claire différenciation rythmique. Magnifique motif, créateur naturel de modulations que les deux sujets précédents n'impliquaient pas d'eux-mêmes. Il n'est pas étonnant que ces notes aient pu inspirer les compositeurs des siècles suivant, on l'imagine très bien adapté à un langage post-romantique, moderne ou même dodécaphonique. Son inversus exact autour de l'axe fa serait trop étrange et presque inexploitable, c'est donc une inversion « arrangée » autour de l'axe sol qui est retenue : Le trille disparaît, et la cadence finale est raccourcie. Les combinaisons. Pour les deux premiers sujets, Bach utilise trois combinaisons différentes. Le premier Sujet peut s'insérer en plusieurs points du Deuxième, et peut même s'y superposer en strette (mesures 183 et suivantes). La combinaison des trois sujets est révélée au moment où s'arrête le manuscrit : (le manuscrit A – le passage qui nous intéresse est entre crochets – et la combinaison débarrassée du soprano libre)Le balancement tonique-dominante induit par le Deuxième Sujet est adéquatement soutenu par la tête du Premier. BACH crée une dissonance en entrant sur la blanche pointée de la basse, à une seconde mineure d'intervalle. D'une manière générale, les notes B A C H couronnent vraiment l'ensemble d'une sublime manière, apportant un mordant inouï et très audacieux à la combinaison des deux premiers qui sans cela pourrait s'abîmer dans une certaine routine diatonique. Le A et surtout le C consacrent un emprunt à Fa Majeur, porteur d'une luminosité magnifique - je vais quand même tâcher de garder quelques superlatifs sous le coude- . Le H est peut-être le plus beau, impliquant une majorisation du quatrième degré, immédiatement contredite, par fausse relation, par la seconde station du Deuxième Sujet sur si bémol. La fin de la combinaison est une cadence tout ce qu'il y a de plus standard. La combinaison de ces trois sujets avec le Grand Thème a été mise en évidence dès le XIX par Gustav Nottebohm. Voilà l'engin : A la mesure 3, petites anicroches (quintes parallèles, frottement un peu âpre) que Bach aurait sûrement adouci par telle ou telle légère modification. Les croches du Grand Thème complètent idéalement la première station de l'alto, et il est probable qu'une imitation serait venue combler la deuxième. C'est en particulier cet emboîtement parfait qui a mis la puce à l'oreille de Nottebohm et, semble-t-il, achevé de convaincre Moroney. Bach est au ténor, ce qui serait effectivement sa place s'il jouait de l'alto dans un ensemble de cordes, et l'on sait que c'était selon ses propres dires sa « voix » préférée, à l'intérieur de l'harmonie. Notons également que chacun des sujets sera énoncé la première fois à la même voix que celle qui lui est réservée dans cette combinaison définitive. Il est inconcevable que cette possibilité contrapuntique soit le fruit du hasard et n'ait pas été préméditée par Bach. J'ignore s'il l'a conçue dès l'origine ou si elle s'est révélée à lui au fur et à mesure, mais j'ai un faible pour la première option. Le fait qu'on puisse percevoir dans certaines fugues antérieures une volonté de masquer des motifs trop proches des éléments de cette combinaison va dans le sens d'une préméditation de longue date, mais ce n'est pas non plus inattaquable.
Dernière édition par jerome le Jeu 8 Juin 2023 - 10:48, édité 7 fois |
| | | jerome Fugueur intempéré
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 10/03/2008
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Dim 19 Avr 2009 - 22:31 | |
| Première partie. L' exposition du Premier Sujet est digne d'une fugue archaïque. Les entrées sont régulières, dans l'ordre « didactique » basse – ténor – alto – soprano, et aucun pont ne vient retarder leur enchaînement. Tout est si ciselé que chaque voix prise individuellement a un vrai sens mélodique, ce qui incite naturellement à prendre un tempo très lent. Par rapport aux autres fugues, dont certaines sont déjà très posées, on a vraiment ici l'impression d'entrer dans un autre monde. Il faudrait faire une étude clinique sur les influences de ce début de fugue sur le rythme de la respiration – en tous cas pour moi c'est efficace à tous les coups. Deux motifs accompagnent la deuxième entrée, sans qu'il s'agisse d'un vrai contre-sujet : un retard dont se dégage un saut de quarte (si – mi) et un dessin en noires très simple que j'appellerai a. C'est le motif a qui souligne le caractère ascendant de la troisième entrée, produisant un emprunt à Fa Majeur d'une grande délicatesse. L'entrée suivante installe plus douloureusement le ton de la mineur, mais le même type d'éclaircie tendre accompagne la montée de rondes du sujet. Tout de suite après ces vingt mesures d'exposition, le Premier Sujet est confronté à son inversion : à la basse qui expose l' inversus sous les premières tensions chromatiques, le ténor répond en strette par le rectus. On atteint le ton de la sous-dominante au terme d'imitations sur un simple motif de trois croches ascendantes. L'alto entonne l' inversus alors que ces imitations se poursuivent jusqu'à une nette cadence dans le ton principal. Une strette serrée entre le rectus à la dominante (soprano) et le rectus à la tonique (alto) ramène progressivement vers des tonalités majeures, accompagnée dans la douceur par les voix graves en tierces : La basse chante le rectus en Fa Majeur sous la poursuite très apaisée des imitations sur les deux éléments de contr-sujet et le petit motif de trois croches. Suit un superbe divertissement qui ramène progressivement l'inquiétude. Le mouvement est créé par des imitations à trois voix sur le motif a, puis le saut de quarte réapparaît, tendant toute la polyphonie vers le haut. Aucune routine dans ce divertissement, Bach joue avec des éléments fort simples mais les coule avec une maîtrise de vieux sage dans un parcours harmonique subtil et toujours inattendu. L' entrée inversus du ténor coïncide avec un regain de tension harmonique (sixte augmentée et dominante altérée, très expressives) dont jaillissent quelques nouveaux sauts de quarte. Un raccourci chromatique ramène brutalement de la sous-dominante à la tonique pour une nouvelle strette : Encore un parcours harmonique déchirant, qui aboutit finalement sur une zone en Si bémol Majeur où l'alto et le ténor font deux entrées inversus en strette d'une mesure. Le ton de Sol mineur est ramené par une série d'imitations sur les trois croches rappelant les premières apparitions de l' inversus. Après une nouvelle strette entre inversus (soprano) et rectus (alto) qui ne parvient pas à détrôner la tonalité de Sol mineur, très court divertissement en imitations à trois voix. On entre maintenant dans la section des strettes à trois entrées. La deuxième entrée (ténor) présente une inexplicable altération mélodique. Non pas que le choix de ce si bémol soit injustifié musicalement, car il sonne manifestement bien mieux que le sol attendu, mais il est étonnant que Bach se soit permis une telle entorse à son sujet. Chailley évoque la possibilité d'une erreur d'inattention lors de la copie, c'est un peu gros mais pas impossible. La deuxième strette de ce type présente un soprano décalé d'une noire : le Sujet s'appuie donc sur les temps faibles, procédé que l'on a déjà rencontré dans quelques fugues antérieures. Le degré de tension est moyen : on sent un long élan ascendant, attisé par quelques chromatismes, sans être véritablement dans le tragique. La dernière entrée de basse au ton principal est néanmoins plus tendue, sertie de quelques retards douloureux et d'une sixte napolitaine annonçant la coda. La conclusion est dénuée de chromatismes, tout se résout dans le plus pur ré mineur. Deuxième partie. Le Deuxième Sujet s'échappe de la cadence parfaite conclusive, l'air de rien. L'alto est seul pendant de longues mesures, puis rejoint par l' entrée de soprano à la dominante. Un véritable contresujet se dégage, fait d'une montée chromatique puis de deux gammes descendantes. Les deux voix aigües chantent ensemble un long moment, puis la basse entre au ton principal. Pour l' entrée suivante, Bach ménage une légère césure et allège le tissu contrapuntique en aérant certaines voix, puis en supprimant le soprano. Le Deuxième Sujet est de toutes façons rarement à quatre voix sur toute sa longueur. Le soprano revient à l'occasion d'un divertissment très diatonique sur la queue du sujet. A l'issue de ce divertissement, le retour au ton principal introduit un changement de partie : il s'agit dorénavant d'exposer la combinaison des deux sujets. La première combinaison, entre le soprano et la basse, est exactement celle prévue pour l'emboîtement final de tous les éléments. Seul le ténor complète le contrepoint. Un court pont sur la queue du sujet installe le ton de la dominante. L'alto, depuis longtemps muet, entre avec le Deuxième Sujet à la dominante, rejoint par le Premier Sujet rectus au ténor ; la combinaison est la même que la précédente, transposée. Un divertissement de caractère excessivement gentil, mettant en jeu des imitations à deux voix sur la queue du sujet et une basse continue au dessin répétitif, installe le ton relatif de Fa Majeur. Le ténor entre avec le Deuxième Sujet dans cette tonalité, contrepointé par le Premier Sujet rectus au soprano, dans une combinaison néanmoins nouvelle. Le ton s'agite brusquement dans le divertissement suivant, alors qu'on entre en sol mineur. A l'issue de ces quelques mesures, l' entrée de basse à la sous-dominante a un caractère plus aggressif. La double strette qui ne tarde pas à s'installer provoque des harmonies plus tendues que précédemment : La coda, faite d'imitations denses de la queue du sujet, ne réaffirme pas le ton principal mais celui de la sous-dominante, ce qui paraît assez rare. La cadence assez traditionnelle et à peine retardée semble abandonner à contre-coeur les débits de croches pour laisser la place au troisième sujet. Troisième partie. Quel coup de théâtre ! A l'issue de 75 mesures en croches ininterrompues, entendre ces blanches soudaines marteler leur dessin énigmatique... L' exposition de BACH s'accommode aussi bien des cordes que du plein-jeu de l'orgue. Dès la deuxième entrée, on saisit dans quelle tempête chromatique on est emporté. Les cadences franches sont évitées, on est sans cesse dans le dépassement, l'approfondissement, ce que permet très bien le sujet, dont on sait que chaque nouvelle entrée amène naturellement au moins un chromatisme ascendant. Un petit motif pouvant être assimilé au contre-sujet de la première partie sert également de contr-sujet ici. Il est développé en imitations dans un court divertissement consécutif à l'exposition. Sans plus traîner, Bach amorce une section en strettes où le sujet est confronté à son inversus approximatif. Tout d'abord, une strette assez espacée entre le ténor et l'alto, dans le ton principal. Notez la superbe sixte napolitaine due au H de l'alto. Puis, un de mes moments préférés : après une demi-cadence bien posée qui fait cesser le débit de croches repris depuis peu, le soprano lance la signature au ton principal, créant le même frottement de demi-ton que dans la combinaison des trois sujets (cf « combinaisons ») : La sensation de dépassement, voire d'héroïsme, est à son comble dans cette reprise hardie du discours. Il y a strette entre soprano et basse, on peut même parler de canon à la quarte inférieure. La formule cadentielle terminant le sujet à la basse est prolongée jusqu'à devenir une vraie pédale de dominante, mais cette pédale est rapidement perturbée par une modulation épineuse en la mineur. L' entrée suivante, BACH inversus à la basse, est l'occasion d'un parcours harmonique d'une audace incroyable dont je n'ai jamais rencontré d'équivalent dans le reste de l'oeuvre de Bach. Ça tiraille dans tous les sens, il y a deux sixtes napolitaines de suite, dont la deuxième est comme déformée par encore plus de chromatisme. Vidal parle même à ce sujet de « monstruosité ». Après résolution de cette cadence électrisante, une dernière strette réunit rectus et inversus dans le ton principal. Le soprano rentre sur une note aigüe chauffée à blanc déclenchant la coda très agitée où fourmillent les doubles croches. Cette coda se conclut en point d'interrogation (demi-cadence), à laquelle ne répond qu'un alto solitaire. Mais il est simplement en train d'introduire le deuxième Sujet, et avec lui la triple combinaison, dont j'ai déjà évoqué les belles particularités harmoniques : après le picotement suscité par l'entrée de BACH, les deux notes de basse fa et sol sont colorées par une harmonie grandiose qui fait jaillir la lumière. Puis la cadence parfaite, puis...
Dernière édition par jerome le Jeu 8 Juin 2023 - 11:08, édité 3 fois |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Lun 20 Avr 2009 - 0:18 | |
| Je vois que pendant mon absence les contrepoints ont couru ! Au sujet du contrepoint IV - le Fugueur a écrit:
- Les quartes entrées suivantes présentent une altération notable du sujet : la cinquième note, déjà la plus aigüe de la mélodie, est haussée d'un ton.
Cette belle altération du sujet surprend et Bach ménage même un retard notable, comparé à la première entrée, à la 3° entrée du sujet à l'alto (mesure 73) ce qui perd un peu plus l'auditeur - Citation :
- une longue ré-exposition commence. Aux mesures 107 et 111, le sujet est combiné presque simultanément (un temps de décalage) entre ténor et basse, puis soprano et alto. L'effet est saisissant, on ne sait pas trop si le sujet est là ou n'est pas là, on l'entend sans l'entendre
Oui, c'est assez bluffant, même avec la partition on pourrait se laisser avoir, la notation en syncope de ces blanches passerait presque inaperçue. D'autant plus que la modification du sujet que tu as soulignée se poursuit ici avec la réentrée chromatique du sujet à l'alto mesure 111, le sol # dans la montée suivi du sol bécarre tente encore plus de dissimuler cette entrée. - Citation :
- ce quatrième contrepoint se distingue du précédent par son caractère souvent ludique, sa plus grande fluidité et un découpage en épisodes assez différenciés.
- Citation :
- fragments CS1 (et CS2) je lui trouverais même presque un côté espiègle
On dirait que Bach entre ces larges parties de divertissement et ces modifications du thème cherche à nous faire oublier la structure rigide de la fugue. Il se lâche un peu et nous offre un nouveau souffle plus lyrique dans cette page. On dirait aussi qu'il sent que Jérôme est sur ses traces et il essaie de le semer, mais le fin limier ne se laisse pas faire. |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Lun 20 Avr 2009 - 0:23 | |
| Au sujet du contrepoint V - le polyphoniaque a écrit:
- Par commodité, j'appellerai rectus le Grand Thème et inversus son inversion, même si en vrai on devrait dire le contraire.
Une strette est un chevauchement de deux entrées du sujet ; la deuxième arrivant avant la fin de la première. D'où une impression de resserrement, d'accélération des combinaisons contrapuntiques. Je trouve que la combinaison de ces strettes qui font comme une simple allusion au sujet (comme pour éviter d'être trop démonstratif, suggérer), et l'entre-mêlement du thème rectus et inversus (un inversus suivi de deux rectus et enfin un inversus pour conclure dans l'exposition par exemple) donne beaucoup d'élégance à ce contrepoint. Le rythme de noire pointée ajoute encore à la noblesse de la pièce, c'est presque la majesté versaillaise qu'on ne trouvera pas dans la pièce suivante. - Citation :
- Cette péroraison finale est assez particulière : l'harmonie passe subitement à cinq et six voix (je rappelle qu'on est à 4 depuis le début de l'oeuvre), ce qui constitue un indice très remarqué quant à la destination instrumentale de l'Art de la Fugue (pour quatre flûtes par exemple, là c'est foutu). Le soprano et le ténor jouent une ribambelle de croches (les « fioritures ») qui épouse et complète les lignes inversées du rectus et de l'inversus.
Peut-être que pour quatre flûtes c'est sans doute fichu, mais j'ai remarqué que pour s'en sortir Malgoire, dès l'exposition, double la basse au clavecin, c'est de la triche ! Ça ne colle jamais finalement, plus j'écoute ces contrepoints et moins je trouve qu'ils s'adapteraient parfaitement à une formation pour laquelle ils auraient été destinés... Qu'en est-il du quatuor à cordes ? Je ne pense pas qu'il s'agisse déjà au milieu du XVIII° d'une disposition instrumentale opérante... ?? - Citation :
- Ce contrapunctus 5 présente donc un accroissement de la complexité technique.
C'est diabolique en effet, à se demander si ce thème, conjugué dans n'importe quel sens et décalé de quelque temps que ce soit, ne donnerait pas un résultat toujours aussi fluide et équilibré, harmoniquement distingué et aussi consonant au final pour l'oreille. Encore une fois, avec ces explications détaillées et la partition, tout est clair comme de l'eau de roche, c'est un plaisir de suivre ça. |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Lun 20 Avr 2009 - 0:33 | |
| Au sujet du contrepoint VI - le hardeur-bop a écrit:
- Personnellement, ce mélange me fait une impression un peu bizarre, et j'ai surtout plaisir à contempler visuellement la grande ingéniosité des combinaisons ; à l'écoute, on en vient presque à regretter l'évidence naïve du style original (sic), alors que les Suites Françaises pour clavecin, moins soumises à la contrainte technique, ne me donnent pas cette impression.
A la différence d'Era,jen'ai pas trouvé ce mélange très séduisant, ça reste lourdingue aussi bien à l'écoute qu'à la lecture. En plus on sent un drôle d'anachronisme à singer l'ouverture à la française conçue presque un siècle auparavant, c'est complètement has been. On est loin de Rameau qui est le contemporain de Bach, la fraîcheur se situerait plutot dans ces parages qu'en compagnie du premier baroque français. Pour le coup ça sent un peu la poussière. - Citation :
- mais au sens d'une diminution des valeurs rythmiques, d'une accélération du sujet. Jusqu'à présent construit sur un débit de blanches, le sujet va être confronté tout au long de la fugue avec sa version deux fois plus rapide, construite sur un débit de noires.
Oui, ça fluidifie un peu le sirop. ...et ça rend la partition plus intéressante. Plus j'avance là-dedans, moins je profite de l'écoute. La lecture de la partition reste plus claire et finalement ça chante assez dans la tête pour "entendre" un peu le résultat, ou le retrouver de mémoire après les écoutes successives des différentes versions. - Citation :
- Les notes de passage en croches installées au contrap. 5 deviennent donc des doubles croches dans le sujet diminué, d'où un débit rythmique évoquant le stile francese.
On sent la progression poursuivie par Bach de la complexité, le rythme intervient plus que je ne le pensais. Tu l'as bien mis en valeur. - Citation :
- l'extrême discrétion de la sensible dans les deux premières mesures de ce passage me rappelle un peu l'harmonie Lullyste
Peut-être, fuir le chromatisme qu'on réserve pour les cas vraiment désespérés (la mort et autres abandons amoureux tragiques) - Citation :
- Après une brève marche modulante dont on peut supposer la limpidité de l'harmonie délibérée eu égard au style imité
C'est une fourberie déguisée destinée aux lullistes ? - Citation :
- Cette combinaison est inversée à la mesure 35, première d'une assez longue plage au ton de la sous-dominante : inversus en blanches au soprano et inversus diminué au ténor, reprenant la disposition des entrées 1 et 3 de l'exposition
Il y a aussi ici un rectus en noire à la basse mesure 36. - Citation :
- [Les repères correspondent à la version Malgoire, dont je trouve l'instrumentation et le sens rythmique bien adaptés au stile francese]
Je ne l'avais pas sous la main et j'ai profité d'une des six versions de Scherchen très claire pour chacune des voix (celle avec l'orch. de la Suisse italienne en 1965) tempo très vif (3'24") et celle très lisible, voire scolaire de Aimard au piano. - Era a écrit:
- et puis j'avoue que chercher les sujets, qu'ils soient en valeurs longues ou diminuées, rectus ou inversus, devient vraiment passionnant dans ce contrepoint !
Oui, la lecture commentée de Jérôme incite à essayer de s'y retrouver tout seul, c'est assez excitant. Malheureusement j'ai du mal à m'y retrouver dans les tonalités avec toutes ces clés d'ut partout, c'est traumatisant. Sinon, pour ceux qui auraient peur de chercher à suivre ces analyses, un crayon à papier pour reporter les indications de Jérôme sur la partition, chercher soi-même à regarder comment s'articulent les sujets, écouter une belle version en suivant tout ça ne me semble pas vraiment difficile à partir du moment où on maîtrise un peu le solfège. Chez Bach rien de bien complexe à ce niveau. |
| | | jerome Fugueur intempéré
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 10/03/2008
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Lun 20 Avr 2009 - 0:41 | |
| - natrav a écrit:
- C'est une fourberie déguisée destinée aux lullistes ?
Non non, juste un constat sans malice. - contrap VI a écrit:
- Il y a aussi ici un rectus en noire à la basse mesure 36.
Ah oui, je l'ai loupé ! - contrap IV a écrit:
- Bach ménage même un retard notable, comparé à la première entrée, à la 3° entrée du sujet à l'alto (mesure 73) ce qui perd un peu plus l'auditeur
C'est quoi, ce "retard notable" ? - contrap V a écrit:
- à se demander si ce thème, conjugué dans n'importe quel sens et décalé de quelque temps que ce soit, ne donnerait pas un résultat toujours aussi fluide et équilibré, harmoniquement distingué et aussi consonant au final pour l'oreille.
Oui, ça a l'air simple finalement, mais c'est à chaque fois réalisé avec une virtuosité discrète. Don't try this at home, you may hurt yourself. |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| | | | jerome Fugueur intempéré
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 10/03/2008
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Lun 20 Avr 2009 - 1:15 | |
| - natrav a écrit:
- Alors que les deux premiers sujets s'enchaînent directement il y a quatre mesures de fioritures avant le départ du sujet à l'alto . On dirait que Bach a tenté de nous perdre entre les deux moments. Mais c'est mon impression.
C'est tout de même très fréquent, d'espacer des groupes d'entrées par quelques mesures de pont ou de divertissement. Donc ce n'est pas exceptionnel ici. C'est vrai cependant que le sujet modifié est exposé au soprano après ce moment de répit, donc à découvert. Après une petite pause et bien clair dans les aigus, le thème transformé est doublement mis en valeur, alors que les occurrences précédentes étaient mêlées au reste de la polyphonie. |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Lun 20 Avr 2009 - 1:26 | |
| Oui, et plus resserrées quant à leurs entrées respectives. La transformation de ce thème est une belle trouvaille, ça change complètement la couleur du discours de ce contrepoint, tout de suite plus dramatique. |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Jeu 23 Avr 2009 - 13:45 | |
| A propos du contrepoint VII... - Dom Bedo a écrit:
- ...6 versions possible du même thème, sans parler des transpositions dans d'autres tonalités et des mutations.
C'est bien là les limites de cette complexité pour moi. Ça devient plus intéressant et ludique sur le papier qu'à l'écoute. J'ai mieux compris ce qu'il se passait quand j'ai arrêté d'écouter la musique en suivant la partition. L'étirement du sujet faisant finalement office de basse, ( cette "pédale qui bouge" ) déstructure à l'écoute cette musique. C'est très intellectualisé, le résultat sonore est beau mais au prix d'une saturation contrapuntique un peu étouffante. - Citation :
- En contrepoint de ce long sujet, Bach dispose en toute décontraction un petit canon à l'octave qu'on n'entend pas à tous les coups. La voix de ténor est presque masquée par une ligne de basse en double croches qu'on verrait bien au continuo sous un air de cantate... c'est trop de beautés à la fois ! C'est là que la lisibilité des interprétations devient un critère important, et en réécoutant un peu tout ce que j'ai sous la main, j'ai bien été forcé de constater qu'aucune n'est pleinement satisfaisante de ce point de vue.
C'est vrai que concentré sur cette voix assez discrète même avec les Keller, on est émerveillé, sentiment d'apaisement, solidité, éternité. - Citation :
- c'est maintenant le soprano qui tient un long rectus dans une tessiture haute. [2'46] Magnifique couronnement pour ce thème
Aucun doute, c'est le sommet de ces pages - triomphe et superbe en quelques mesures - celui qui nous fait comprendre a posteriori où se trouv(ai)ent les beautés de ce contrepoint, dans ces diminutions et augmentations. Mais un peu tard. - Citation :
- La coda oratoire (le terme est de Chailley) qui conclut la fugue laisse s'échapper un bref trait violonistique à fort parfum de cantate, et la deuxième section du recueil se referme sur une déchirante cadence plagale sur pédale de tonique, malheureusement un peu courte.
Oui, sans aller jusqu'aux cantates, on est simplement dans le Bach des Sonates et Partitas pour violon, à se demander même s'il n'y aurait pas presque des emprunts... Comme le souligne Jérôme, pointe ici peut-être l'idée d'une partition qui ne s'adresserait pas toujours aux instruments mais au lecteur. |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Dim 3 Mai 2009 - 19:55 | |
| A propos du contrepoint VIII: - Jérôme a écrit:
[5'20] Un mini-divertissement de 3 mesures reprend deux éléments du tout début de la première fugue ; j'adore cette phrase :[mes129] C'est vrai que c'est dans cette troisième partie où les trois sujets se croisent sans cesse qu'on trouve les plus belles tresses polyphoniques. J'ai trouvé ce contrepoint en effet extrêmement dense mais finalement assez clair à suivre une fois ingurgitées tes notes. Satisfaction de suivre la partition et à l'écoute de tout repérer. Personnellement c'est un petit passage de la troisième partie qui me séduit le plus: mesure 99 [4'05] qui ouvre par l'entrée du 3° sujet à la basse et suivi de jeux de croches montant en tierces à l'alto[102] suivi d'un même mouvement au soprano à la mesure suivante qui semble réveiller avec émoi la basse qu'on avait pas encore entendue dans un tel aigu, comme s'il voulait se rapprocher des autres voix, et qui dessine de jolies croches réalisant des mouvements contraires qui fusionnent sur un do mesure 105 immédiatement suivi de l'entrée du troisième sujet au soprano qui vient apaiser les envolées momentanées des trois voix. - Citation :
- Je comprends très bien les jugements négatifs qu'on entend proférer à l'encontre d'une telle polyphonie, et j'imagine bien l'horreur que peut inspirer cette fugue particulièrement aride.
Horreur toute relative. Il faut dire que ce contrepoint donne l'impression d'une vraie dentelle avec tous ces sujets repris partiellement, la tête, la queue, évoqués de loin ou de près, rebondissants les uns contre les autres. J'avoue m'être un peu désespéré en cours de route à la première lecture, mais franchement, avec un peu de persévérance et en ne cédant pas au découragement on en vient à bout et tout s'éclaire, ta présentation des sujets en présentation de l'analyse permet de s'y retrouver facilement. Les sujets sont vraiment bien différenciés et trois voix seulement au lieu des quatre précédemment facilitent la compréhension des écoutes et de la lecture. Pour la discographie c'est assez décevant en effet, Goebel, Keller, Aimard, Scherchen, chez aucun on ne retrouve au disque la tension de ces pages . - Citation :
- Je pense qu'il faut beaucoup de familiarité avec les sujets, et un goût prononcé pour le contrepoint hargneux pour y trouver du plaisir. Je recommande à ceux qui ont la partition de suivre successivement chacune des voix, en les chantonnant, c'est un beau voyage
...qu'on fait ici en classe affaire. Minutage, relevés manuscrits, concision et clarté du langage... Ne manque plus qu'une hôtesse pour nous faire un petit massage. Mais là tu ne peux rien. |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Dim 3 Mai 2009 - 19:59 | |
| A propos du contrepoint IX alla Duodecima. - Citation :
- C'est une sorte de fugue-récréation.
Oui, après la densité du précédent on aère avec ces fusées un peu faciles presques vivaldiennes. Plus facile aussi, avec l'expérience des précédents contrepoints, je me suis débrouillé comme un grand là-dedans. Le plan est simple et harmoniquement aussi. Ne seraient ces p... de f... de b... de clés d'ut... - Citation :
- Ce contrepoint a pour lui une certaine vitalité. Peu de vie intérieure au sens d'une écriture riche, mais une attention portée au mouvement, dont les interprètes tirent souvent un parti ludique.
Un petit conseil dans ce sens... Si je ne vante pas la version Scherchen dans la plupart des contrepoints, ici, sa version orchestrée de 1965 avec l'orchestre de la Suisse italienne est parfaite, chaque voix change de pupitre régulièrement afin de garantir la plus grande clarté au contrepoint, le soprano par exemple passe des violons aux différents vents, hautbois, clarinette, flûte apportant ainsi une variété qui enrichit l'ensemble un peu monotone des versions Keller (trop rapide), Goebel (trop fondue) ou Aimard (élégante au piano mais où les voix ne se détachent pas assez) et confère comme tu le soulignes une atmosphère ludique bien rafraîchissante au milieu de pages bien plus touffues. |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Dim 3 Mai 2009 - 20:06 | |
| A propos du fichu contrepoint X ! - Citation :
- Le ténor fait office de basse continue,
Alors que sur ma partition c'est la basse, mes 22-23 !!! - Citation :
- Gardez également en mémoire le dessin du ténor : il ressemble beaucoup au futur deuxième sujet de la Fugue Inachevée... Mais dans le cas présent, la courbe est élargie par un saut d'octave (ré-ré-ré) et une brusque montée dans l'aigu (fa-la-ré-fa).
Idem, c'est à la basse pour moi, problème de partitions ? - Citation :
- La réponse à la dominante vient au ténor, elle aussi en strette, identique rythmiquement à celle de l'exposition du contrapunctus 5.
Là je ne comprends rien: si l'entrée du soprano mes 23 est sur un la et celle du ténor sur un ré mes 26, n'est-ce pas le contraire ? Dominante pour le sop et tonique spour l'alto ? - Citation :
- Entrée de la basse à la tonique, puis de l'alto à la dominante, masquée par un croisement avec le soprano.
Idem, mes 31 (la) et 34 (sol) je ne comprends pas on n'est pas en ré mineur ? On est dans quelle tonalité ? J'avoue me perdre dans ces modulations et ai du mal à recaler des tonalités avec cette partition furieuse. Par contre pour ce qui est du matériel thématique, les différents sujets qui s'entrecroisent c'est toujours limpide. Eventuellement signaler les tonalités rencontrées comme tu l'as fait pour la fin de ce contrepoint permettrait d' atteindre la perfection le nirvana. - Citation :
- A l'issue de ce petit divertissement, nous sommes en Fa Majeur. C'est dans cette tonalité bien sympathique que Bach introduit la combinaison alla decima des deux sujets : Nouveau sujet rectus en si bémol à la basse, Grand Thème inversus en fa à l'alto, doublé par un Grand Thème inversus en ré au soprano :
Ouf, oui, à partir de la mesure 75 je comprends à nouveau tout. C'est très facile de suivre la suite. Ces parties alla decima sont très belles, elle donnent une atmosphère lumineuse, aérienne qui fait du bien au milieu de ces complexités. J'aime particulièrement les combinaisons à partir de la mesure 85 presque lyriques et comme à partir de la mesure 103. Je trouve la fin un peu décevante, tombe à plat. En tout cas Pour écouter une version facile à lire, j'ai beaucoup aimé celle des Keller. |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Dim 3 Mai 2009 - 20:10 | |
| - Citation :
Alors que je prépare le suivant, deux questions existentielles m'assaillent : * les minutages correspondant à une version précise sont-ils vraiment utiles ? * les commentaires sont-ils trop obscurs pour ceux qui ne lisent pas la musique ? En fait avec la partition sous les yeux je note tout ce que je trouve avant en lisant seul (thèmes, sujets et leurs traitements, divisions en sections), ce que j'ai pu faire assez facilement pour le X, j'écoute une version pour noter des détails en plus, je lis l'exposé de Jérôme pour mieux comprendre harmoniquement ce qu'il y a à saisir (si j'y arrive mais je me perds dans le X) et je réécoute régulièrement pour mieux entendre le résultat. Ça nécessite pas mal de temps mais ça ne me semble pas infaisable avec un minimum de connaissances, ne pas se décourager, c'est vraiment ludique. J'imagine que sans suivre à la partition le minutage est indispensable. En tout cas je prends un pied pas croyable à décortiquer tout ça. |
| | | jerome Fugueur intempéré
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 10/03/2008
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Dim 3 Mai 2009 - 20:26 | |
| Youpi, Natrav revient, c'est la fête du contrepoint ! - natrav a écrit:
- Alors que sur ma partition c'est la basse, mes 22-23 !!!
Idem, c'est à la basse pour moi, problème de partitions ? Non, problème de lunettes chez moi Merci, je corrige. Heureusement que quelqu'un est là pour me relire ! - Citation :
- Là je ne comprends rien: si l'entrée du soprano mes 23 est sur un la et celle du ténor sur un ré mes 26, n'est-ce pas le contraire ? Dominante pour le sop et tonique spour l'alto ?
Je parlais rythmiquement : Bach utilise différentes strettes, et celle-ci entre au même point que dans l'expo du contrap. 5. Mais bien sûr les notes ne sont pas les mêmes. - Citation :
- Idem, mes 31 (la) et 34 (sol) je ne comprends pas on n'est pas en ré mineur ? On est dans quelle tonalité ?
Non, on reste en ré mineur tout du long., c'est même très limpide. Mais l'entrée d'alto inversus est à la dominante dans le sens où mélodiquement, c'est la transposition en la du Grand Thème inversus, avec mutation de la première note. La vraie version serait donc "mi - la - si do - ré mi - fa - mi - ré do...". Ce dessin théoriquement en la est par contre harmonisé en ré mineur. Ça arrive souvent ce genre de paradoxes, et heureusement, cela casse la logique habituelle tonique-dominante-tonique-dominante... Mais je ne vois pas ce que signifie ton "34(sol)". Allez grouille, cours à la XIV ! |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Dim 3 Mai 2009 - 20:42 | |
| - jerome a écrit:
- Youpi, Natrav revient, c'est la fête du contrepoint !
C'est moi qui suis à la fête. J'ai passé une aprés-midi sympa au soleil, face à la plage et aux mouettes, ordi sur la table, partition sur les genoux, casque sur les oreilles... - Citation :
Je parlais rythmiquement : Bach utilise différentes strettes, et celle-ci entre au même point que dans l'expo du contrap. 5. Mais bien sûr les notes ne sont pas les mêmes.
Non, on reste en ré mineur tout du long., c'est même très limpide. Mais l'entrée d'alto inversus est à la dominante dans le sens où mélodiquement, c'est la transposition en la du Grand Thème inversus, avec mutation de la première note. La vraie version serait donc "mi - la - si do - ré mi - fa - mi - ré do...". D'accord, je comprends bien maintenant. - Citation :
- Mais je ne vois pas ce que signifie ton "34(sol)".
C'est normal, c'est un ré ! (p... de clé d'ut 1° !) - Citation :
- Allez grouille, cours à la XIV !
J'y vais mais je freine un peu parce qu'après il n'y aura plus rien pour se torturer les méninges comme ça. |
| | | jerome Fugueur intempéré
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 10/03/2008
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Dim 3 Mai 2009 - 20:50 | |
| - natrav a écrit:
- (p... de clé d'ut 1° !)
3e... - Citation :
J'y vais mais je freine un peu parce qu'après il n'y aura plus rien pour se torturer les méninges comme ça. Ben après il reste quand même le plaisir d'écoute, et la redécouverte perpétuelle de chaque fugue... Pas d'inquiétude à avoir de ce côté-là Avant de connaître tout le recueil par coeur, je crois qu'il te faudra plusieurs vies. Moi-même je me mélange tout le temps entre les fugues, et découvre de nouvelles choses à chaque fois que je m'y replonge. Et puis un de ces quatre, je ferai les canons, et ...l'Offrande Musicale |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Dim 3 Mai 2009 - 23:37 | |
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| | | jerome Fugueur intempéré
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 10/03/2008
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Dim 3 Mai 2009 - 23:44 | |
| - natrav a écrit:
- J'ai un changement de clé d'ut à la mesure 34, de la troisième on passe à la première.
Ah tiens, c'est intéressant, ils ont dû faire des changements dans la nouvelle édition. C'est vrai que c'est aigu, ça se justifie. Quelle année, ta partition ? - l'admin virtuose a écrit:
- Je dois déjà totaliser quelques dizaines d'heures d'écoute si ce n'est pas plus.
La relative simplicité des mouvements mélodiques, le cadre restreint de la fugue, le nombre de voix limité, tout ça localise la musique dans un espace assez restreint où de menus détails peuvent prendre une importance bouleversante - parce que c'est fait avec émotion. J'imagine que tu ressens ça avec Webern.
Dernière édition par jerome le Lun 4 Mai 2009 - 0:04, édité 1 fois |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| | | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Lun 4 Mai 2009 - 0:02 | |
| Bon, j'ai essayé de réparer... - jerome a écrit:
- natrav a écrit:
- J'ai un changement de clé d'ut à la mesure 34, de la troisième on passe à la première.
Ah tiens, c'est intéressant, ils ont dû faire des changements dans la nouvelle édition. C'est vrai que c'est aigu, ça se justifie. Quelle année, ta partition ? 1992, il y a de temps en temps des changements de clés. On trouve même, fait rarissime, quelques clés de sol égarées. - Citation :
La relative simplicité des mouvements mélodiques, le cadre restreint de la fugue, le nombre de voix limité, tout ça localise la musique dans un espace assez restreint où de menus détails peuvent prendre une importance bouleversante - parce que c'est fait avec émotion. J'imagine que tu ressens ça avec Webern. Oui, c'est comparable, plus la structure d'ensemble est cadrée, contenue, faite de multiples contraintes, plus les variantes mélodiques proposées émeuvent pour te paraphraser. Mais c'est hors champ du développement de la structure contrapuntique (que ce soit chez Webern ou chez Bach). Dans les divertissements par exemple il y a beaucoup d'idées plus moelleuses et mélodiques que dans des contrepoints plus serrés, mais là aussi, les croisements de lignes mélodiques aux tonalités différentes produit ces passages exquis, et il y en a plein dans les derniers contrepoints que j'ai lus. |
| | | jerome Fugueur intempéré
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 10/03/2008
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Lun 4 Mai 2009 - 0:17 | |
| - natrav a écrit:
- Mais c'est hors champ du développement de la structure contrapuntique (que ce soit chez Webern ou chez Bach).
Qu'est-ce que tu veux dire ? |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Lun 4 Mai 2009 - 0:33 | |
| Je pense pour le plus évident aux libertés autorisées en dehors des passages les plus contraints par le retour et l'enchainement des sujets et de leur traitement. Ce que fait Bach des queues des sujets, les petits passages de divertissement où ils réutilise de petites cellules mélodiques qui se répondent plus dans le goût d'un Vivaldi avec plus de silences de respiration, où la structure contrapuntique semble moins implacable. Par exemple les mesures 79 à 85 du X. Toujours dans ce contrepoint, les mesures 95 à 97 avec ces syncopes à la ligne de soprano qui sont si touchantes. Mais surtout aussi ce qui justement est plus impalpable, chez Webern, la durée d'un silence et le changement de couleur de la ligne 'mélodique' par un changement de timbre. Dans le X, quand Bach décide d'organiser des duos à la decima aux mesures 75 et 86 formant un couple soprano-alto presque sensuel. |
| | | jerome Fugueur intempéré
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 10/03/2008
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Lun 4 Mai 2009 - 9:49 | |
| - natrav a écrit:
- Je pense pour le plus évident aux libertés autorisées en dehors des passages les plus contraints par le retour et l'enchainement des sujets et de leur traitement.
J'ai réfléchi à cette idée, je n'arrivais pas à trouver si j'étais d'accord avec toi ou pas. En fait, je vois deux notions différentes : Si tu dis que c'est dans les divertissements qu'on trouve les plus beaux passages, je ne suis pas du même avis. Sans généraliser, il y a parfois des zones assez faibles dans ces divertissements, on sent par moment qu'il a juste voulu aérer la structure, mais nous ressort une petite marche harmonique gentille comme il sait en faire depuis sa jeunesse. Au contraire, c'est souvent dans la coloration nouvelle d'un élément thématique que je trouve que "ça avance" : un sujet qui vient se greffer sur une texture contrapuntique, et lui donne une direction nouvelle, une impulsion. Mais il y a de sublimes imitations sur des éléments étrangers aux sujets, on est d'accord. Deuxième idée : si tu dis que ce n'est pas la structure et les procédés techniques en eux-mêmes qui émeuvent, là je ne peux qu'opiner. Concrètement, on s'en fout pas mal qu'il superpose l' inversus diminué au contre-sujet altéré, si ce n'est pas beau. Et il n'y a effectivement pas toujours un rapport de cause à effet entre l'ingéniosité d'une combinaison et sa force purement musicale. Si ce n'est une puissante impression de débordement qui pourra, selon les cas et selon les auditeurs, être perçue comme une sublime profusion ou un étouffement. - natrav a écrit:
- jerome a écrit:
- * les commentaires sont-ils trop obscurs pour ceux qui ne lisent pas la musique ?
En fait avec la partition sous les yeux je note tout ... je lis l'exposé ... et je réécoute régulièrement pour mieux entendre le résultat. Ça nécessite pas mal de temps mais ça ne me semble pas infaisable avec un minimum de connaissances, ne pas se décourager, c'est vraiment ludique. J'imagine que sans suivre à la partition le minutage est indispensable. Je reviens là-dessus : j'espère tout de même qu'il n'est pas nécessaire d'être aussi motivé que toi pour trouver un intérêt à mes posts. Ça fait très plaisir de voir que tu t'y mets à fond, mais j'imagine qu'un internaute moins acharné ou non lecteur a la possibilité de prendre quelques infos sur les sujets utilisés, les grandes parties de la fugue voire quelques petits détails notables, et écouter la pièce de manière plus décontractée sans y passer l'après-midi. |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Lun 4 Mai 2009 - 14:26 | |
| - jerome a écrit:
Si tu dis que c'est dans les divertissements qu'on trouve les plus beaux passages, je ne suis pas du même avis. Alors je partage le tien parce que ce n'est pas ce que je pense. C'est pour parler de ce qui était hors champ du contrepoint que j'en suis venu à parler aussi de ces passages libres mais en citant également des parties plus contrapuntiques comme les passages alla decima ou... - vartan a écrit:
- Oui, c'est comparable, plus la structure d'ensemble est cadrée, contenue, faite de multiples contraintes, plus les variantes mélodiques proposées émeuvent pour te paraphraser.
Ce que je veux dire c'est que justement, c'est au milieu de ces parties contrapuntiques serrées que les inventions de Bach donnent de la beauté. Contrainte d'allure académique et trouvailles mélodiques expressives (pour moi ça chante) c'est ça qui est beau. - Citation :
- Sans généraliser, il y a parfois des zones assez faibles dans ces divertissements,
Oui, quand je dis que c'est vivaldien ce n'est pas nécessairement un compliment. - Citation :
- on sent par moment qu'il a juste voulu aérer la structure, mais nous ressort une petite marche harmonique gentille comme il sait en faire depuis sa jeunesse.
Oui, mais je pense que sans cette aération, cette détente... ...on profiterait moins du reste. - Citation :
- Au contraire, c'est souvent dans la coloration nouvelle d'un élément thématique que je trouve que "ça avance" : un sujet qui vient se greffer sur une texture contrapuntique, et lui donne une direction nouvelle, une impulsion. Mais il y a de sublimes imitations sur des éléments étrangers aux sujets, on est d'accord.
Oui, souvent ces jeu qui évoquent la fin du sujet, varié rythmiquement ou utilisé comme nouveau sujet comme les croches (motif a) issues de la fin du sujet (c'est comme ça que je l'entends) et qui commence à se comporter comme un véritable sujet et s'évanouir. - Citation :
- Deuxième idée : si tu dis que ce n'est pas la structure et les procédés techniques en eux-mêmes qui émeuvent, là je ne peux qu'opiner. Concrètement, on s'en fout pas mal qu'il superpose l'inversus diminué au contre-sujet altéré, si ce n'est pas beau. Et il n'y a effectivement pas toujours un rapport de cause à effet entre l'ingéniosité d'une combinaison et sa force purement musicale. Si ce n'est une puissante impression de débordement qui pourra, selon les cas et selon les auditeurs, être perçue comme une sublime profusion ou un étouffement.
On est parfaitement d'accord. C'est impressionnant sur la partition de suivre cet enchevêtrement incroyable mais c'est le résultat non cacophonique qui est beau et surprend. - Citation :
- j'espère tout de même qu'il n'est pas nécessaire d'être aussi motivé que toi pour trouver un intérêt à mes posts.
Ce n'est pas un pensum, au contraire. Je pense qu'on y prend beaucoup de plaisir. - Citation :
- j'imagine qu'un internaute moins acharné ou non lecteur a la possibilité de prendre quelques infos sur les sujets utilisés, les grandes parties de la fugue voire quelques petits détails notables, et écouter la pièce de manière plus décontractée sans y passer l'après-midi.
Oh, mais tout à fait, c'est pour ça qu'une version proposée avec le commentaire minuté me semble précieux. Je dois confesser que cette oeuvre me paraissait plus intimidante avant de me pencher dessus, ensuite avec tes explications et les écoutes on prend l'habitude de cette écriture et ça roule. Surtout que tu présentes bien les sujets ce qui est à sans doute le plus immédiatement "parlant" pour suivre à l'écoute. |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Mer 13 Mai 2009 - 12:33 | |
| Le contrepoint XI m'a un peu mis KO. C'est très touffu, tant de sujets traités sous toutes leurs occurrences possibles, fortement chomatiques qui plus est, ce qui les rend encore plus difficiles à percevoir clairement. C'est la première qui me donne autant de mal à suivre avec la partition. A l'écoute j'ai le même sentiment. Tant de complexité pour peu de plaisir personnel quelques soient les versions essayées. |
| | | jerome Fugueur intempéré
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 10/03/2008
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Mer 13 Mai 2009 - 14:10 | |
| Oui c'est un labyrinthe, avec un côté jusqu'au-boutiste. Tu avais plutôt aimé le 8 je crois, et tu sais qu'ils sont très liés. Tu n'as pas retrouvé le même plaisir ? C'est vrai que le chromatisme ici n'est plus délicat et expressif, il est guerrier, c'est épuisant. L'ajout d'une voix par rapport au 8 peut également obscurcir le contrepoint. |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Jeu 14 Mai 2009 - 1:38 | |
| J'ai l'impression d'un système mené jusqu'à son point de rupture, je ne sens pas la clarté du 8°. C'est un contrepoint idéologique. Je ne suis pas capable d'entendre toute cette complexité sans doute ce qui m'ôte le plaisir de la lecture et de l'écoute. Entendu un contrepoint (le XIII je crois) joué par un ensemble de marimbas... C'est gentil mais sans beaucoup d'intérêt. Le contrepoint seul joué en percussion n'est pas suffisant pour apporter l'émotion. |
| | | Mehdi Okr Mélomaniaque
Nombre de messages : 1703 Date d'inscription : 04/02/2009
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Jeu 21 Mai 2009 - 10:15 | |
| Je mets ça ici, ce n'est peut-être pas le bon endroit, mais pour les ceusses qui sont férus d'analyse comme Jérôme et Cie, et qui causent un peu anglais, voici des liens intéressants : http://www.archive.org/search.php?query=analysis%20bach%20AND%20mediatype%3Atexts |
| | | jerome Fugueur intempéré
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 10/03/2008
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Lun 25 Mai 2009 - 1:01 | |
| Bulletin trimestriel ------------------
Elève : Natrav
Assiduité : Bien Participation en classe : Très Bien Pertinence des remarques : Bien Lecture des clés d'Ut : des efforts sont encore à fournir Manipulations informatiques : risque le renvoi Bon goût contrapuntique : Moyen
Appréciation générale : doit faire ses preuves à l'examen final. |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Lun 25 Mai 2009 - 8:04 | |
| Qu'il est... |
| | | lejoker Mélomane averti
Nombre de messages : 320 Age : 43 Localisation : Paris Date d'inscription : 15/05/2009
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Mar 26 Mai 2009 - 23:40 | |
| L'analyse de l'Art de la Fugue a l'air passionnante. Je ne connais pas encore cette oeuvre (ça ne saurait tarder, le CD est commandé), mais je m'y pencherai dès que je l'écouterai... si mes quelques notions de solfège, qui datent, suffisent ! Je suis en train de découvrir l'Offrande Musicale, qui, apparemment, développe ce même genre de "jeux" : un même thème développé sous forme de canons, contrepoints... J'aimerais savoir si vous connaissiez un site qui ferait une analyse musicale de cette oeuvre. Ou alors si quelqu'un veut se lancer lui-même |
| | | jerome Fugueur intempéré
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 10/03/2008
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Mar 26 Mai 2009 - 23:55 | |
| - lejoker a écrit:
- Je ne connais pas encore cette oeuvre (ça ne saurait tarder, le CD est commandé)
Tu as pris quoi ? - Citation :
- Je suis en train de découvrir l'Offrande Musicale,
J'aimerais savoir si vous connaissiez un site qui ferait une analyse musicale de cette oeuvre. Ou alors si quelqu'un veut se lancer lui-même Je m'y mettrai peut-être un jour, mais je connais beaucoup moins, et dans l'immédiat je n'ai pas le temps. As-tu fouiné sur google ? En tous cas si tu trouves un lien, n'hésite pas à venir le poster ici |
| | | lejoker Mélomane averti
Nombre de messages : 320 Age : 43 Localisation : Paris Date d'inscription : 15/05/2009
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Mer 27 Mai 2009 - 0:25 | |
| J'ai pris la version de Goebel (idem pour l'Offrande Musicale). J'en ai lu du bien (notamment ici), et puis j'adore sa fougue dans les Concertos Brandebourgeois, donc voilà !
Et oui, j'ai cherché sur google, et rien trouvé ou presque... |
| | | Morloch Lou ravi
Nombre de messages : 9912 Date d'inscription : 14/10/2006
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Mer 27 Mai 2009 - 0:38 | |
| - jerome a écrit:
- Je m'y mettrai peut-être un jour, mais je connais beaucoup moins, et dans l'immédiat je n'ai pas le temps.
Surtout que maintenant qu'on a vu que tu pouvais brillamment analyser les trucs casse-pied, on t'attend sur les trucs bien : 9 ème de Mahler, quatuors de Kurtag, sonates de Scriabine, Etudes de Debussy, Etudes symphoniques de Schumann, Tristan de Wagner, Aïda de Verdi, Madrigaux de Monteverdi... Tu n'as que l'embarras du choix |
| | | jerome Fugueur intempéré
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 10/03/2008
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Mer 27 Mai 2009 - 8:04 | |
| Ok ! - Spoiler:
Je commencerai donc par poster prochainement ma thèse de doctorat sur " Verdi, Balavoine, Lorie : deux siècles de musique populaire". |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Lun 1 Juin 2009 - 23:59 | |
| Contrepoint XIVDifficile de commenter cette dernière fugue sans paraphraser ce qu'a déjà relevé Jérôme avec tant d'acuité. On suit plutôt. Mais c'est sans doute la fugue qui m'a le plus enthousiasmé, son mystère comme son raffinement harmonique, le ton si dramatique qui affleure sans excès dans maints endroits et toujours en relation avec une certaine complexité d'écriture qui en fait un double enchantement, l'écoute et la lecture. - Citation :
- Par rapport aux autres fugues, dont certaines sont déjà très posées, on a vraiment ici l'impression d'entrer dans un autre monde.
Et c'est ce qui m'a étonné, la différence avec les autres fugues moins cérémonieuses, moins graves, ludiques même. On a l'impression d'un saut, Bach aurait pu composer une cinquantaines d'autres fugues entre la 13° et celle-ci. Comme si pressé par le temps il passait d'un seul coup à l'essentiel. C'est ample, une marche funèbre mais sans tristesse, celle qui mène au repos, à la connaissance de toute chose, impression de mort ou de fin atténuée par l'animation que fournissent les sauts de quarte et le thème a. Et aussi la grande simplicité à suivre ce qui est en fait le plus sophistiqué probablement de l'écriture de Bach. Sans doute une marque du génie. - Citation :
- On entre maintenant dans la section des strettes à trois entrées.
Là également on peut juger de la maîtrise impressionnante de Bach à mêler ces entrées en strette (deux séries en suivant) avec un coulant et une simplicité apparente confondants. ["Fondant", "coulant", oui je sais, on fait ce qu'on peut] Personnellement, je n'ai pas trouvé l'altération du sujet de la deuxième entrée en strette avec son si bémol au lieu d'un sol mesure 94 si particulier à l'oreille. Dans toutes cette série, comme tu l'as souligné, le sujet est souvent décliné de façon variable (dès la deuxième entrée de l'exposition mesure 7 par exemple) ce qui insensibilise quelque peu l'oreille à ces occurrences originales. Très étonnante également, la transition avec la deuxième partie. On s'attendrait à ce que cet aboutissement cadentiel dramatique mais contenu soit la conclusion simple et majestueuse de toute cette oeuvre. Enfin, elle pourrait suffire. Et de façon surprenante, une petite voix d'alto rampe, discrète, s'extrait nue de cette fin grandiose pour rebondir et tresser de nouvelles guirlandes mélismatiques.
Dernière édition par natrav le Mar 2 Juin 2009 - 0:02, édité 1 fois |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Mar 2 Juin 2009 - 0:01 | |
| deuxième partie - Citation :
- Le Deuxième Sujet s'échappe de la cadence parfaite conclusive, l'air de rien. L'alto est seul pendant de longues mesures, puis rejoint par l'entrée de soprano à la dominante.
Après tous ces enchaînement complexes qu'on vient de quitter, cette phrase au rythme monotone et légèrement pesant est livrée à nu (comme la dernière et mystérieuse mesure) dans un ton de confession, intimité et mélancolie. Les voix s'enchaînent avec aisance et conservent cette tendresse nostalgique du souvenir. Ici il me semble qu'on sent plus qu'ailleurs dans ces fugues le caractère de témoignage, de testament que ce travail pourrait représenter. - Citation :
- Le Deuxième Sujet est de toutes façons rarement à quatre voix sur toute sa longueur.
Ce qui conserve la légèreté du discours, le contrepoint est momentanément en retrait au profit de l'entremêlement des voix qui demeurent aériennes. - Citation :
- Le soprano revient à l'occasion d'un divertissment très diatonique sur la queue du sujet.
Cette simple dérive de la queue du sujet s'articule avec grâce et ne prépare pas l'oreille à ce qui va succé der de façon si poignante. - Citation :
- il s'agit dorénavant d'exposer la combinaison des deux sujets. La première combinaison, entre le soprano et la basse, est exactement celle prévue pour l'emboîtement final de tous les éléments. Seul le ténor complète le contrepoint.
Et c'est magistralement dramatique. Ça n'a l'air de rien mais c'est d'une efficacité stupéfiante. Alors que la voix de soprano semble s'envoler, la basse vient l'envelopper du premier sujet lent, pesant et signifiant. Le contraste est étonnant. - Citation :
- L'alto, depuis longtemps muet, entre avec le Deuxième Sujet à la dominante, rejoint par le Premier Sujet rectus au ténor ; la combinaison est la même que la précédente, transposée.
La combinaison est la même, mais le rapprochement des deux sujets aux deux voix médianes aboli le contraste marquant utilisé précédemment. - Citation :
- Un divertissement de caractère excessivement gentil, mettant en jeu des imitations à deux voix sur la queue du sujet et une basse continue au dessin répétitif, installe le ton relatif de Fa Majeur. Le ténor entre avec le Deuxième Sujet dans cette tonalité, contrepointé par le Premier Sujet rectus au soprano, dans une combinaison néanmoins nouvelle.
D'une autre façon Bach réintroduit cette idée de contraste entre ce divertissement facile "gentillet" presque italien et le retour des deux sujets qui s'enchaînent, là c'est le soprano qui domine avec le premier sujet si tellurique. Une splendeur. - Citation :
- A l'issue de ces quelques mesures, l'entrée de basse à la sous-dominante a un caractère plus aggressif. La double strette qui ne tarde pas à s'installer provoque des harmonies plus tendues que précédemment
Et malgré l'utilisation du même matériel, le ton devient tragique, un débordement momentané qui laisse sourdre ce que ces sujet finalement assez austères ont de désespéré parfois. - Citation :
- La cadence assez traditionnelle et à peine retardée semble abandonner à contre-coeur les débits de croches pour laisser la place au troisième sujet.
Comme si on avait du mal à quitter ces moments d'émotion, ces quelques sanglots étouffés qui retombent dans le même ton grave ou juste mélancolique du début de cette deuxième partie. Ce passage au demeurant fort simple, économique sur la partition semble témoigner de la grande habileté de Bach à donner un sens dramatique, psychologique au mélange de ces sujets. On a ici comme rarement une véritable dialectique synérgique qui en dit plus que chacun des sujets pris et traités séparément. Je ne sais pas si je me fais comprendre mais en tout cas ça me plaît. Une parenthèse concernant les versions à écouter. Je vais certainement faire hurler Jérôme, mais j'élis sans aucune hésitation la version orchestrée par Scherchen et enregistrée par l'Orchestre de la Radio de la Suisse italienne le 14/5/65 (et uniquement celle-ci). Elle est la plus lente (14'18") mais ne donne pas cette impression soporifique et atone de la version pourtant plus courte des Keller (10'31"). Pris plus rapide ça ne ressemble plus à rien, Goebel avec ses 7'31" est complètement en dehors, un vrai gâchis. Le piano non plus ne rend absolument pas compte du besoin que ce contrepoint nécessite de frottements, de heurts de timbres différents, Aimard avec ses 7'18 compense par l'accélération du tempo ces manques mais en vain. Je ne suis pas fan de la version Scherchen habituellement (en dehors de sa forte lisibilité qui facilite la lecture de la partition), mais ici on sent que la partition vibre, respire, s'envole, éprouve avec profondeur. |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Mar 2 Juin 2009 - 0:03 | |
| 3° partie - Citation :
- D'une manière générale, les notes B A C H couronnent vraiment l'ensemble d'une sublime manière, apportant un mordant inouï et très audacieux à la combinaison des deux premiers qui sans cela pourrait s'abîmer dans une certaine routine diatonique.
C'est vraiment stupéfiant de voir s'immiscer ainsi entre les deux sujets, à la voix médiane, retardé, rajoutant un effet de surprise à l'admiration. - Citation :
- La sensation de dépassement, voire d'héroïsme, est à son comble dans cette reprise hardie du discours.
Un beau passage, que tu as bien commenté, mesure 217 avec cette impression que le BACH énoncé au soprano est poussé avec ténacité, qu'il tire toutes les autres voix derrière lui de façon désespérée. - Citation :
- Le A et surtout le C consacrent un emprunt à Fa Majeur, porteur d'une luminosité magnifique. Le H est peut-être le plus beau, impliquant une majorisation du quatrième degré, immédiatement contredite, par fausse relation, par la seconde station du Deuxième Sujet sur si bémol. La fin de la combinaison est une cadence tout ce qu'il y a de plus standard.
Moi j'aime beaucoup l'entrée du B avec le frottement douloureux qu'il compose avec le la de la basse, ensuite le H presque enthousiaste. - Citation :
- La combinaison de ces trois sujets avec le Grand Thème a été mise en évidence dès le XIX par Gustav Nottebohm. Les croches du Grand Thème complètent idéalement la première station de l'alto, et il est probable qu'une imitation serait venue combler la deuxième. C'est en particulier cet emboîtement parfait qui a mis la puce à l'oreille de Nottebohm et, semble-t-il, achevé de convaincre Moroney. Bach est au ténor, ce qui serait effectivement sa place s'il jouait de l'alto dans un ensemble de cordes, et l'on sait que c'était selon ses propres dires sa « voix » préférée, à l'intérieur de l'harmonie. Notons également que chacun des sujets sera énoncé la première fois à la même voix que celle qui lui est réservée dans cette combinaison définitive.
Il est inconcevable que cette possibilité contrapuntique soit le fruit du hasard et n'ait pas été préméditée par Bach. Plus clairement, est-ce que tu veux dire que c'est cette configuration de 4 thèmes combinés qui viendrait achever ce dernier contrepoint ? - Citation :
- Dès la deuxième entrée, on saisit dans quelle tempête chromatique on est emporté. On est sans cesse dans le dépassement, l'approfondissement, ce que permet très bien le sujet, dont on sait que chaque nouvelle entrée amène naturellement au moins un chromatisme ascendant.
Oui ! - Citation :
- Puis la cadence parfaite, puis...
...la transposition inférieure à la seconde diminuée de la cellule mélodique qui se trouve à cheval des mesures 9 et 10 du si beau contrepoint VIII. XIV - VIII = 6 6 + 9 = 15 15 x 6 = 90 ! C'est simple et bien rosicrucien. CQFD Inutile que je remercie une fois de plus Jérôme pour ce sujet magnifique et généreux qui fait un des bonheurs de ce forum. Je n'ai pas été très loin en solfège (fin d'étude si cela a quelque sens dans les niveaux actuels), je n'ai pris ni cours d'harmonie, de contrepoint ou d'écriture. Comme tous les violonistes, j'ai plus de facilité à suivre le caractère mélodique de la musique que ses composantes harmoniques et contrapuntiques, à la différence des pianistes sans doute. Et pourtant, avec un peu d'attention à lire ces pages, quelques bonnes versions à écouter et la partition j'ai pu approcher des beautés de cette oeuvre que je ne faisais que deviner auparavant. D'un abord qui me paraissait fastidieux, je suis passé par la suite à un émerveillement à suivre les élucubrations inventives du compositeur. J'invite vraiment chacun à se lancer là-dedans, c'est très gratifiant et on est bien accompagné par un excellent guide. Et les vacances qui viennent avec leurs longues et chaudes après-midi se prêtent bien à mon avis à ces travaux plaisants. Voilà, comme ça ! - Spoiler:
|
| | | jerome Fugueur intempéré
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 10/03/2008
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Mar 2 Juin 2009 - 14:31 | |
| Merci Vartoche Je n'osais pas imaginer avoir un lecteur aussi attentif, qui suive tout musique en main, écoute plusieurs versions et corrige même mes coquilles On sent une légère volonté de vengeance dans tes réponses à rallonge qui exigent à leur tour une lecture concentrée - Citation :
- Mais c'est sans doute la fugue qui m'a le plus enthousiasmé, son mystère comme son raffinement harmonique, le ton si dramatique qui affleure sans excès dans maints endroits et toujours en relation avec une certaine complexité d'écriture qui en fait un double enchantement, l'écoute et la lecture.
Je suis ravi que tu aies été sensible à l'aspect dramatique de l'oeuvre, sous ses abords de gageure technique d'intello. Je trouve comme toi que la césure avec le reste du recueil est frappante. On croit d'abord à un brusque retour à l'archaïsme, mais c'est comme s'il parvenait à organiser une quintessence -discrète- de sa science harmonique au service d'un drame poignant. - Citation :
- Très étonnante également, la transition avec la deuxième partie. On s'attendrait à ce que cet aboutissement cadentiel dramatique mais contenu soit la conclusion simple et majestueuse de toute cette oeuvre. Enfin, elle pourrait suffire.
Et de façon surprenante, une petite voix d'alto rampe, discrète, s'extrait nue de cette fin grandiose pour rebondir et tresser de nouvelles guirlandes mélismatiques. Je trouve toujours cette conclusion de la première partie frustrante ; l'articulation entre les deux épisodes est en ce sens expressive, et excite l'imagination. C'est très narratif, pour moi. - Citation :
- Ce passage au demeurant fort simple, économique sur la partition semble témoigner de la grande habileté de Bach à donner un sens dramatique, psychologique au mélange de ces sujets. On a ici comme rarement une véritable dialectique synérgique qui en dit plus que chacun des sujets pris et traités séparément. Je ne sais pas si je me fais comprendre mais en tout cas ça me plaît.
Je comprends, et te suis tout à fait. C'est une question centrale ici, à mi-chemin entre technique musicale et psycho-acoustique. "Dialectique synergique", c'est joli et ça décrit bien le processus. C'est un peu de cette notion épineuse que je parlais dans mon post sur le symbolisme, la question me hante. En tous cas, elle nous amène à des kilomètres de la machine à coudre que les petits plaisantins se plaisent à évoquer. La question des interprétations est ardue... Scherchen m'agace par ses timbres, mais je pourrais essayer de m'y faire. Keller, j'aime bien tout de même ; ils ont des murmures du bout de l'archet très recueillis. - Citation :
- Un beau passage, que tu as bien commenté, mesure 217 avec cette impression que le BACH énoncé au soprano est poussé avec ténacité, qu'il tire toutes les autres voix derrière lui de façon désespérée.
C'est du madrigal Il n'y a plus qu'à imaginer le texte. - Citation :
- Plus clairement, est-ce que tu veux dire que c'est cette configuration de 4 thèmes combinés qui viendrait achever ce dernier contrepoint ?
Oui exactement, je crois que la thèse est majoritairement acceptée de nos jours. - Citation :
- Voilà, comme ça ! Mr. Green
Spoiler: Une image du bonheur Moi aussi il m'arrive d'avoir une p'tite bosse au pantalon quand je lis cette XIV... |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97888 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Mar 2 Juin 2009 - 14:48 | |
| Contrairement à ce qu'on aurait pu croire, le bonheur n'est pas dans le pré mais dans le ruisseau. |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Mar 2 Juin 2009 - 23:46 | |
| - Citation :
- [quote="jerome"]
Je comprends, et te suis tout à fait. C'est une question centrale ici, à mi-chemin entre technique musicale et psycho-acoustique. "Dialectique synergique", c'est joli et ça décrit bien le processus. C'est un peu de cette notion épineuse que je parlais dans mon post sur le symbolisme, la question me hante. En tous cas, elle nous amène à des kilomètres de la machine à coudre que les petits plaisantins se plaisent à évoquer. Tu parles de madrigal ailleurs mais ici aussi on pourrait faire ce lien, si ce n'est que Bach cherche à se passer de la poésie avec un projet sans doute plus audacieux, plus abstrait. On n'a pas gardé trace des improvisations virtuoses et contrapuntiques des Frescobaldi, Bach et autres Buxhtehude dont on peut imaginer que le caractère spontané pouvait approcher ce résultat d'une autre manière. - Citation :
La question des interprétations est ardue... Scherchen m'agace par ses timbres, mais je pourrais essayer de m'y faire. Keller, j'aime bien tout de même ; ils ont des murmures du bout de l'archet très recueillis. Ecouté encore les 4 versions ce soir et franchement il n'y a pas photo pour moi. Les Keller en font presque de l'anecdotique. Scherchen ménage des changements très fréquents de pupitre, c'est très vivant même si ce n'est pas exempt d'un certain maniérisme. Et puis Scherchen est le seul à appeler ce contrepoint "Quadruple fugue" - Citation :
- Citation :
- Voilà, comme ça ! Mr. Green
Spoiler: Une image du bonheur
Moi aussi il m'arrive d'avoir une p'tite bosse au pantalon quand je lis cette XIV... Oui, la XIV elle est bonne. |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Mar 2 Juin 2009 - 23:49 | |
| - DavidLeMarrec a écrit:
- Contrairement à ce qu'on aurait pu croire, le bonheur n'est pas dans le pré mais dans le ruisseau.
Allons plus loin, disons-le tout de go, j'étais plus proche du marais que du ruisseau. |
| | | frere elustaphe Aurelia Aurita
Nombre de messages : 10071 Age : 64 Date d'inscription : 17/12/2006
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Mer 3 Juin 2009 - 0:02 | |
| L'entretien du gazon laisse à désirer, c'est pour laisser la sauge en paix ? |
| | | jerome Fugueur intempéré
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 10/03/2008
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Mer 3 Juin 2009 - 7:38 | |
| hop hop hop je vous vois venir, ma petite dame... Natrav, je vais réécouter aussi plusieurs versions, on se retrouve en discographie si tu veux. |
| | | jerome Fugueur intempéré
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 10/03/2008
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Sam 13 Juin 2009 - 9:17 | |
| - Cololi a écrit:
- natrav a écrit:
- Pourquoi crois-tu que je lui ai demandé d'intervenir ? Comme ça mon sujet a de la visite.
Jérôme aurait dû mettre des photos de filles nues entre chaque fugue. Beh ouai ça serait de suite devenu plus digeste Merci pour ce conseil astucieux. Pour agrémenter la lecture de ce topic d'une petite touche de grivoiserie, je vous offre donc ce portrait de la pin-up du mois : Tatiana - Spoiler:
|
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Sam 13 Juin 2009 - 13:18 | |
| Le charme slave n'est plus à vanter, un toucher divin. Et une grande claveciniste en plus. Tiens, Scott Ross est mort il y a 20 ans aujourd'hui. |
| | | jerome Fugueur intempéré
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 10/03/2008
| Sujet: Re: Bach : Musikalisches Opfer & Kunst der Fuge Jeu 16 Juil 2009 - 20:31 | |
| Je viens de remarquer que le thème du 3ème mouvement de la 1ère sonate pour violoncelle et piano de Brahms est fortement inspiré du contrapunctus 13, d'abord en inversus puis en rectus. Etonnant, non ? |
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