Tristan und Isolde Bayreuth 2009 (Marthaler/Schneider)

Tristan et Isolde : 04/08/2009


Festspielhaus, Bayreuth

Tristan : Robert Dean Smith
Isolde : Irène Theorin
Kurwenal : Jukka Rasilainen
Brangäne : Michelle Breedt
Roi Marke : Robert Holl
Melot : Ralf Lukas
Un jeune marin : Clemens Bieber
Un berger : Arnold Bezuyen
Un capitaine : Martin Snell

Mise en scène : Christoph Marthaler
Direction musicale : Peter Schneider

Chœur et Orchestre du Festival de Bayreuth


Ce Tristan avait déjà fait couler beaucoup d'encre au sujet de la mise en scène, mais avait été créé par une bien belle distribution dominée par Stemme et Dean-Smith. Cette année, si Dean-Smith continue à chanter Tristan, c'est Irène Theorin qui campe Isolde…

Du point de vue mise en scène déjà, on se trouve dans un décor typique de l'imagerie de Marthaler. Tout est gris ou sale et on se trouve dans des décors rappelant encore une fois les années 70… Le premier acte se déroule dans une salle du bateau; encombrée de chaises et fauteuils en tous genres, Isolde et Brangäne occupent bien l'espace. Isolde est une jeune fille tout juste sortie de l'adolescence à priori, pouvant avoir un comportement de femme dans ses décisions, tout comme une façon de donner des ordres à Brangäne telle une gamine capricieuse. Cette dernière est une vieille nounou plus qu'une jeune confidente, toujours à trébucher, à chercher ses lunettes (à double foyer sûrement!) dans la poche de son chandail! Disons que mis à part le personnage de Brangäne, tout le monde est caractérisé avec beaucoup d'idées. Mais pourquoi avoir rendu ce personnage ainsi, alors qu'il est si noble et si beau? Quel dommage, d'autant plus de la rendre ridicule et de demander à la chanteuse de prendre une voix désagréable (ses appels du 2ème acte seront tellement beaux!)…
Le deuxième acte nous trouve dans le petit couple bourgeois de Marke et Isolde. Cette dernière remise dans la bonne conduite par une Brangäne toujours aussi désagréable. Isolde est clairement une jeune fille, le filtre ayant détruit la femme qui pointait dans le premier acte, pour ne laisser que la jeune fille. Une bonne idée de cette mise en scène est le jeu de lumière. Au plafond se trouvent une cinquantaine d'ampoules, qu'Isolde veut éteindre en allant appuyer sur l'un des interrupteurs qui se trouve dans la pièce. Mais c'est plus un casse-tête qu'autre chose, les interrupteurs allumant certaines ampoules tout en en éteignant certaines. L'arrivée de Tristan nous le montre dans le même état qu'Isolde : un jeune adolescent… Du coup, le duo d'amour sera plus une découverte timide de l'autre que la fusion qu'on peut voir d'habitude. A l'arrivée de Marke, Isolde est totalement déboussolée, se comportant encore plus comme une gamine. Tristan semble reprendre un peu de plomb dans la cervelle, alors qu Marke est clairement le bourgeois qu'on pouvait attendre. Pour le coup de couteau, très bonne idée : Melot met le couteau dans la main de Marke, qui ne sait quoi en faire. Tristan le prend et va menacer Melot, qui lui prend le couteau et poignarde Tristan à plusieurs reprises, avant de remettre le poignard ensanglanté dans la main du roi. Tout au long de la scène, les lumières clignotent et s'éteignent au plafond.
Au troisième acte, peu d'idées. Les habitants de Kareol défilent autour du lit de Tristan, transformé en mosolé digne de Lénine. Tristan est sur un lit médicalisé, Kurwenal tourne autour du garde fou en traînant la patte… Quand Isolde arrive, elle cherche, flâne, sans se précipiter même vers le lit!! Presque jamais elle ne va aller voir son amant, elle reste distante. Les autres personnages arrivent au fur et à mesure, et lorsqu'ils n'ont plus rien à dire, ils se tournent vers le mur. Aucun mort… Et une mort d'Isolde qui ressemble plus au plaidoyer d'un avocat derrière sa barre qu'à un mort d'amour.
Donc, la mise en scène peut avoir de bonnes idées, mais rabaisse tellement l'histoire à un simple fait divers, nivelant tout héroïsme. Au final, si par moments on trouve un intérêt, on reste souvent sur sa faim et dans le troisième acte, on s'ennuie ferme même!

La direction musicale de Schneider est propre, faisant ressortir avec bonheur les bois à de nombreux moments… Mais il manque le souffle du mythe dans cette direction! C'est appliqué, mais il ne s'y passe rien! On a ni la magnificence orchestrale de certains, ni l'humanité et la passion des autres. Ça reste tristement banal, sans idée.

Dommage, car la partie vocale est assez bien traitée! Les différents petits rôles sont bien tenus, même si je préfère des voix plus légères pour le marin et le berger. Le Melot de Ralf Lukas est très bien, aboyant un petit peu, mais plein de hargne et de mordant.
En Marke, Robert Holl nous fait entendre une voix assez fatiguée, mais il est d'une grande humanité, plein de retenue devant ce coup du sort. Alors bien sûr, certains aigus puissants sont entachés d'un vibrato large… mais peut importe. L'impact émotionnel est au rendez-vous.
En Brangäne, je ne m'étendrais pas trop. La voix semble tellement rêche et acide durant tout l'opéra, qu'on se trouve étonné d'entendre comme elle peut sonner ronde dans les appels du 2ème acte! Quel dommage de maquiller une si belle voix avec ce masque de vieillesse et d'acidité!
Rasilainen est manifestement beaucoup plus à sa place en Kurwenal qu'en Wotan! S'il a tout de même tendance à aboyer (particulièrement dans la fin du 3ème acte), le côté brut du personnage s'associe bien avec son timbre sans classe. Par encore pardonné par ce qu'il nous a fait subir à Paris, mais il y a beaucoup de mieux!
Dean-Smith chante ce Tristan depuis maintenant 5 ans. Et la voix est plus à l'aise manifestement. Mais il reste néanmoins assez limité en puissance et en résistance! Ainsi, toute la première partie du duo du 2ème acte le trouve totalement noyé par l'orchestre. Quel dommage! Car les passages beaucoup plus poétiques et en retenu nous le montrent magnifique! Trouvant de très belles couleurs et une légèreté rarement entendues! Le 3ème acte le trouve en assez bonne forme, mais la voix reste trop propre, trop attentive à ce qu'elle fait pour que toute l'émotion puisse sortir. Au final, un Tristan assez réussi, mais qui pourrait exceller dans bien d'autres rôles, alors qu'il est bien dans celui-ci.
Mais la grande gagnante de la soirée, c'est Theorin. Le timbre est beau, la tessiture maîtrisée, et les émotions au rendez-vous! Le premier acte nous permet de voir la fougue et le feu de sa voix, sachant imposer une Isolde puissante, trahie et digne! Dans le duo du 2ème acte, elle allège considérablement la voix pour ne pas couvrir Tristan, nous délivrant tout de même quelques aigus biens percutants, et une émotion qui va culminer dans la réponse à Tristan lorsqu'il demande à Isolde si elle veut le suivre dans son exil! Alors que souvent, c'est Tristan qui est émouvant dans ce passage, Isolde lui vole la vedette! On retrouvera une telle émotion dans sa mort, chantée avec beaucoup de retenue, montant progressivement, pour exploser avant de s'éteindre doucement sur un aigus piano sorti d'on ne sait où.

Au final, ce Tristan laisse une impression de mitigé. Si la partie musicale est tout de même d'un bon niveau, malgré les carences des uns et des autres, la mise en scène gomme la puissance des personnages et des situations, sans en proposer de marquantes. Du coup, on enlève tout le mythe pour ne plus garder qu'une histoire d'amour et de trahison.
Indigne de Bayreuth, peut-être pas, mais ne valant tout de même pas le voyage, malgré la découverte d'Irène Theorin.

Je te hais.