Une exceptionnelle carrière de Chef d’orchestre : BBC, Cleveland, New york, Intercontemporain…
Bref, tout cela est connu de tous, donc on y revient pas.
Y a-t-il un son "Boulez" ?
Difficile à dire,cela depend du répértoire pourrait-on dire...
Cependant, on peut tout de même cerner quelques idiosyncrasies dans sa direction :
-un son plutôt sec avec peu de rubato.
-des attaques franches et nettes.
-une tres grande precision dans l’execution.
-une mise en perspective tres nette des differents plans sonores.
-une certaine distanciation interpretative (qu’on pourra qualifier de "neutralité" ou de "froideur").
-un privilége quasi exclusif de la vivacité rythmique par rapport à "la danse" proprement dite.
-des tempis parfois inhabituellement précipités et à l’inverse, des tempis parfois inhabituellement lents.
-une attention scrupuleuse aux timbres.
On ne peut bien evidemment pas passer sous silence le qualificatif qui colle à la peau du Boulez chef d’orchestre et que les journalistes se refilent d’article en article :
Analytique.
Tout le monde l’a lu au détour d’un article :Boulez est analytique.
Bien sûr, ce systématisme taxinomique peut agacer par son apparente facilité, mais il a un fond de vérité : en bon Webernien, Boulez est un adepte du pointillisme interpretatif…ce qui donne un côté à la fois clair et détaillé à ses interprétations mais aussi un aspect un brin clinique et distant.
Mais on y reviendra compositeur par compositeur...
Sony ou DG ?
Comme chacun sait, Boulez a signé un contrat avec DG en 1992, ce qu’il lui a permis de réenregistrer des œuvres qu’il avait deja gravées chez Sony/CBS.
On peut dire que globalement, les versions Sony sont plus sèches, plus vives, parfois plus radicales dans leurs choix interpretatifs et que les versions DG sont plus plastiques, plus esthétistantes, avec des tempis souvent plus lents qui s'accompagnent parfois d'une certaine molesse.
Mais détaillons tout cela...
Je precise d’emblée que je ne vais bien évidemment pas passer en revue tout ce que Boulez a intepreté
Je me bornerai à aborder ceux qui comptent pour lui et qu’il a intepretés le plus fréquemment.
J’ai donc laissé de côté Bruckner (la
, Varése (qu'il a certes beacoup joué ,mais que je ne connais pas assez pour emettre un avis), Janacek, Carter(connais pas), De Falla, Berlioz, ainsi que tous ses potes de chambrée de Darmstadt (Berio, Nono, Stockhausen)...
Wagner
Precisons d’emblée que Boulez n‘aime pas l’opéra :il aime
des opéras, ce qui est tout à fait different.
La theatralité affectuelle et le pathos lié à l’opera heurte sa sophistication d’esthéte amateur de Joyce, Klee, Mallarmé…
Chez Wagner, il admire à la fois la meticulosité du miniaturiste et l’ampleur du bâtisseur d’immensité.
Son
Ring est assez terne est grisâtre dans l’ensemble:
-Un
Or du rhin de bonne tenue.
-Une
Walkyrie bien précipitée
-Un Acte 1 de
Siegfried plutôt roboratif et tonique.
-Un
Crepuscule des Dieux assez fade.
Precisons qu'a sa décharge, il avait à gerer un plateau vocal d'une qualité pour le moins sujette à caution (Jung, Jones, Mazura, Hubner...)
Son
Parsifal est épuré, fluide, allant (tempo très rapide), dramatique (un acte 2 fulgurant)...on est en droit de regretter le côté "desacralisé" de la chose, mais c'est affaire d'appreciation.
Mahler
Ce qui le fascine chez Mahler, c’est le tres haut degré de complexité formelle et structurelle avec lequel celui-ci traite son materiau ainsi que son imagination orchestrale hors du commun.
Evidemment, le materiau en lui-même laisse Boulez plus que dubitatif(landler, marches, folklore local...).
Parmis les reussites notables citons:
- la
symphonie 1 (le 1er mouvement est une fabuleuse étude de timbres)
-la
symphonie 3 (d'un raffinement et d'une beauté plastique exceptionnelle)
-la
symphonie 6(certes pas bien vigoureuse, mais très detaillée et travaillée...cette molesse handicape peut être le finale qui tourne un peu à vide, mais bon...)
-la
symphonie 9 (1er mouvement très bien pensé et un "rondo burlesque" d'une precision contrapuntique maniaque)
Scriabine
Une catastrophe pure et simple.
Son
poème de l'extase est une quasi-entreprise de sabotage.
Affligeant, vraiment.
(que ce soit Sony ou DG: pas une pour racheter l'autre)
Debussy
Compositeur fondamental pour Boulez. Peut être le seul avec Webern qu'il n'a jamais veritablement critiqué.
Commençons par les versions Sony:
-Le
Prelude à l'Apres-midi d'un Faune est joué sans grand lyrisme ni poésie... c’est souvent precipité…interpretation au scalpel.
-
Jeux est ultra-analytique, dirigé comme du Webern, les points d’extase sont laissés aux vestiaire...precision maniaque qui laisse une impression étrange.
-
La Mer:assez froide et distanciée...le 2 ème mouvement est fascinant.
-
Nocturnes:assez précipité
Un
Pelleas plutôt sobre avec un cast assez discutable (sur le plan de la diction, notamment).
Globalement des versions Sony qui laissent une impression mitigée (trop distant et froid).
A contrario, les Versions DG sont vraiment magnifiques, d'un raffinement extrême (à cet égard, le 2ème mouvement de
la Mer est tout simplement renversant de beauté plastique).
Ravel
Chez Ravel, l'interesse l'orchestrateur chatoyant et coloré, l'inventeur meticuleux...beaucoup moins le côté "séducteur" et "facile".
Les versions Sony sont bien sèches, mais fonctionnent parfaitement si on aime son Ravel strict et carré…une approche qui peut rebuter cependant…
Les versions DG sont plus plastiques, à l'image d'un merveilleux
Daphnis et Chloé à la fois poétique et hyper-détaillé.
Bartok
Un compositeur qui compte pour Boulez (notamment sur le plan rythmique), mais qu'il revère moins qu’un Stravinski, qu’un Debussy ou que les 3 Viennois. Ce qui peut paraitre paradoxal, tellement il semble à l'aise dans cette musique.
Son
Mandarin merveilleux (Sony) est exceptionnel de tonicité et de vivacité, c'est detaillé, precis et vivant.
Idem pour la
Musique pour cordes, le
Prince de Bois ou le
Chateau de Barbe Bleue:des versions exceptionnelles.
Stravinski
Une de ses très grandes admirations.
Il est passionné par la période des 3 ballets.
Il venere son genie de la couleur orchestrale et par dessus tout, son génie absolu du rythme
Detestation de sa periode neo-classique.
Ses interpretations de Stravinski appartienent à l'histoire:
Un
Sacre du Printemps tout simplement génial (le terme s'impose vraiment), le
Petrouchka n'est pas en reste (tout cela chez Sony..versions DG plus molles ) et la suite de
l'oiseau de feu est au diapason (quel dommage qu'il n'ai pas enregistré l'integrale).
Une magnifique version (DG) de la
symphonie des Psaumes et de la
symphonie pour Instruments à Vents.
A l'instar de Bartok, il a un vrai "feeling" avec ce compositeur (pardon Pierrot pour le gros mot
)
Messiaen
Il admire le pédagogue, le rythmicien.
Il deteste sa foi, son ornithologisme naif, son eclectisme, la vulgarité de certains de ses thèmes.
Je ne peux pas en dire grand-chose, vu qu’il dirige les œuvres de Messiaen que j’apprecie peu(
chromonchromie,
sept-hakai) et ne dirige pas celles qui me plaisent(
turangalila,
les petites lithurgies…)
Je peux juste dire que ses
Poemes pour Mi (DG) sont superbes.
J'ai tenu à garder pour la fin ses chouchous Viennois :
L'ecole de Vienne.
Nous sommes la au coeur de ce qui a structuré la pensée et l'esthétique de Boulez.Ils les à defendus avec opiniâtreté, les à imposés au repertoire, a tué leur père("Schoenberg est mort").Bref, l'ecole de Vienne c'est le repertoire qui lui est le plus cher:la pierre de touche de sa sensibilité esthétique et intellectuelle.
Sur le plan interpretatif, on peut dire que globalement il est plus "Ecole" que "Vienne".
Ça ne danse et ne valse jamais beaucoup
Pas mal de reussites mais aussi des ratés étonnants.
Mais n'anticipons pas.
Schoenberg
La figure du père.
Admiration evidente pour la stature de l’œuvre et du Bonhomme.
Goût et passion réelle pour
Erwartung, Les 5
Pieces pour Orchestre et le
Pierrot Lunaire; pour le reste de l'oeuvre, le rapport est beaucoup plus distant voire critique.
Peu de passion pour la periode post-romantique(bien qu'il admire la virtuosité de facture de la
Nuit Transfigurée,des
Gurrelieder et de
Pelleas et Melisande) ainsi que pour la période américaine (Les
2 Concertos, Le
4 ème Quatuor à Cordes).
Variations pour Orchestre op.31 accusées de "didactisme brahmsien"
Relation ambivalente à
Moise et Aron (une oeuvre "néo-classique" assez reussie selon lui, livret sans grand interêt).
Il reproche à Schoenberg son indecrottable heritage romantique brahmso-wagnerien dont il n'a selon lui, jamais su se defaire et ses procédés d'ecriture systématiques("du contrepoint d'ecole" selon lui...on le voit ,Boulez n'a jamais menagé le fondateur de l'Ecole de Vienne
)
Du côté des réussites:
-Version DG du
Pierrot Lunaire à la plastique tout simplement renversante.
-
5 pieces pour orchestre(Sony) implacables et detaillées.
-
Variations pour orchestre roboratives (Sony).
-Superbe
Concerto pour piano (avec Uchida chez Philips).
-Une
Symphonie de Chambre miraculeuse(Sony).
-Un inquietant
Erwartung(Sony)
-Un
Die GluckLiche hand acéré(Sony)
Du côté des ratages:
-Une
Serenade assez sèche et austere, guère animée..pas dansante pour un sou.
-
Gurrelieder terne et grisatre.
-2
Moise et Aron mous et sans elan (le 2ème chez DG est un peu plus beau, mais tout aussi soporifique)
Berg
Admiration pour sa complexité formelle, son obsession des symétries, son ambiguité (source de perpetuelle redecouverte),la reussite insolente avec laquelle il a réussi dans
Wozzeck à résoudre l'antinomie entre les formes closes de l'opéra à numéros et la fluidité dramatique de l'opéra wagnerien.
Leger froncement de sourcils quand à son recours à des éléments populaires (airs a boire, musique de bal, marche…l’heritage malherien en quelque sorte …)
-Immense lecture de
Wozzeck(Sony): seche, anguleuse, implacable, tranchante, précise.
-
Lulu (DG)bien austère et très peu sensuel.
-
3 Pièces pour orchestre(Sony) féroces et acerées (quelle 3 ème pièce!).
-Interpretation magique du
Concerto de Chambre(version DG).
Webern
Son chéri d'amour
Webern radicalise ce qui l'attirait déjà chez Debussy:la fin du developpement thematique, le pointillisme, l'espace, l'exploration des silences, la mise à mort de la rhétorique musicale traditionnelle empreinte de pathos romantique, la sculpture du timbre, la rectitude intellectuelle absolue.
Le musicien qu'il admire le plus au monde.Tout simplement.
Il a enregistré
deux intégrales (Sony et DG)
Je n'ai certes pas de point de comparaison avec d'autres interpretes, mais ces deux intégrales me semblent être d'un très haut niveau (avec une preference pour la version DG, pour son attention encore plus meticuleuse aux timbres)
Et puis ce serait un comble s'il se vautrait dans le repertoire de son compositeur de predilection.
Voila donc un petit panorama de Boulez Chef d'orchestre (un peu survolé, j'en ai conscience) que je vos laisse bien entendu commenter, completer, raturer, contester à votre guise...
Bref à vos claviers