Autour de la musique classique Le but de ce forum est d'être un espace dédié principalement à la musique classique sous toutes ses périodes, mais aussi ouvert à d'autres genres. |
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| Débat sur l'interprétation | |
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Auteur | Message |
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Tus Gentil corniste
Nombre de messages : 15293 Date d'inscription : 31/01/2007
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 30 Nov 2007 - 11:55 | |
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| | | Morloch Lou ravi
Nombre de messages : 9912 Date d'inscription : 14/10/2006
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 30 Nov 2007 - 13:52 | |
| ce qui est génial c'est qu'on part tous à la première seconde dans le travers dont parle CK |
| | | Sauron le Dispensateur Etre malfaisant
Nombre de messages : 7003 Age : 41 Date d'inscription : 01/11/2006
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 30 Nov 2007 - 19:46 | |
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| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97900 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 30 Nov 2007 - 21:44 | |
| J'ai commencé à lire, mais je ne parviens pas à tourner les pages. Oui, ça a l'air 1) d'être très stimulant ; 2) de jargonner (immanent, performatif, allographique...). Mais il s'agit de philosophie, où l'on ramasse la pensée avec des concepts, et qui plus est d'article de revue universitaire ; dans ce cadre, tous les lecteurs comprennent très bien ce dont il s'agit, elle n'exagère pas du tout, vraiment ! Je trouve la thèse que je devine en première page ( ) tout à fait intéressante. Merci Morloch ! Je vais essayer de le charger. |
| | | Tus Gentil corniste
Nombre de messages : 15293 Date d'inscription : 31/01/2007
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Sam 1 Déc 2007 - 10:42 | |
| Intéressant ? Moi je trouve que ça pue. |
| | | Kryzstof Mélomane averti
Nombre de messages : 233 Age : 124 Date d'inscription : 01/10/2007
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 3 Déc 2007 - 0:55 | |
| Si je comprends bien, la critique fondamentale est qu'il est vain de jouer sur instruments d'époque puisque l'interprétation ne peut-être d'époque. Certes on ne peut pas jouer du violon baroque comme au 17ème siècle, mais pourquoi se priver d'interpréter aujourd'hui une musique du passé sur un instrument du passé ? Plus clairement peut-être : pourquoi le musicien ne pourrait-il pas tailler sa vision de la musique du 17ème dans un timbre du 17ème ? Qu'est-ce qui légitime la retranscription sur violon moderne ?
Ensuite, j'aimerais moi aussi m'opposer à ce postulat auquel tout le monde adhère silencieusement, sauf deux ou trois, qui est que les instruments anciens sont évidemment moins bons. Je ne suis pas d'accord, comme dit plus haut, il y a une richesse de timbre tout à fait appréciable. Je trouve ça vraiment dommage de devoir les mettre au placard sous prétexte qu'on est plus au 17ème siècle. |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97900 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 3 Déc 2007 - 0:58 | |
| - Kryzstof a écrit:
- Ensuite, j'aimerais moi aussi m'opposer à ce postulat auquel tout le monde adhère silencieusement, sauf deux ou trois, qui est que les instruments anciens sont évidemment moins bons. Je ne suis pas d'accord, comme dit plus haut, il y a une richesse de timbre tout à fait appréciable. Je trouve ça vraiment dommage de devoir les mettre au placard sous prétexte qu'on est plus au 17ème siècle.
Tout le monde joue sur instruments anciens (Vienne, les grands solistes...). Ensuite, la question des cordes en boyau et des archets fins est un choix. Sostenuto plus difficile, mais attaques très précises et incisives. Moins de fondu, mais clarté des plans sonores à cause des timbres naturels. C'est juste une autre possibilité. |
| | | Tus Gentil corniste
Nombre de messages : 15293 Date d'inscription : 31/01/2007
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 3 Déc 2007 - 13:12 | |
| - Kryzstof a écrit:
- Si je comprends bien, la critique fondamentale est qu'il est vain de jouer sur instruments d'époque puisque l'interprétation ne peut-être d'époque.
Pour ma part, je pense surtout qu'il est vain de jouer sur instruments d'époque alors qu'on n'a jamais entendu de véritable instruments d'époque vu qu'on n'y était pas. - Citation :
- Certes on ne peut pas jouer du violon baroque comme au 17ème siècle, mais pourquoi se priver d'interpréter aujourd'hui une musique du passé sur un instrument du passé ?
A ceci près que ces fameux instruments du passé ne sont que des instruments modernes modifiés pour faire authentique. Un peu comme les yaourts aux fruits où on rajoute des arômes artificiels pour leur donner le goût de fruit, quoi. Mais dans l'absolu, tu as raison : pourquoi s'en priver ? - Citation :
- Plus clairement peut-être : pourquoi le musicien ne pourrait-il pas tailler sa vision de la musique du 17ème dans un timbre du 17ème ? Qu'est-ce qui légitime la retranscription sur violon moderne ?
Et alors qu'est ce qui légitime l'utilisation d'instruments soi disant anciens ? Il n'y a aucune légitimité dans l'interprétation. Bien sûr que les baroqueux ont le droit de s'amuser avec leurs crins-crins. Leur vision peut être intéressante et doit être respectée (et contrairement à ce qu'il paraît, je la respecte). Mais pour ma part, ce que je ne respecte pas, c'est la dite supériorité philologique des interprétations utilisant des instruments considérés comme historiques sur les interprétations utilisant des instruments modernes. Quand Christoph Huss, qui n'est pourtant pas le pape des baroqueux, écrit que Dausgaard dirigeant l'Héroïque a "raison musicalement et historiquement", je me scandalise : comment peut-on dire qu'un interprète a plus "raison" qu'un autre, sur une oeuvre que l'on n'a jamais entendue à l'époque de sa création ? - Citation :
- Ensuite, j'aimerais moi aussi m'opposer à ce postulat auquel tout le monde adhère silencieusement, sauf deux ou trois, qui est que les instruments anciens sont évidemment moins bons. Je ne suis pas d'accord, comme dit plus haut, il y a une richesse de timbre tout à fait appréciable. Je trouve ça vraiment dommage de devoir les mettre au placard sous prétexte qu'on est plus au 17ème siècle.
Pour ma part, je discuterais bien cette affirmation - les violons sur corde à linge pour ne pas vibrer, les cuivres comme à Austerlitz, les bois qui font la danse des canards et les percussions de chez Valmy - mais il est vrai que comme le dit Kant, les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas et je conçois bien volontiers que l'on aime ces instruments différents. |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97900 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 3 Déc 2007 - 13:31 | |
| - Spiritus a écrit:
- Kryzstof a écrit:
- Si je comprends bien, la critique fondamentale est qu'il est vain de jouer sur instruments d'époque puisque l'interprétation ne peut-être d'époque.
Pour ma part, je pense surtout qu'il est vain de jouer sur instruments d'époque alors qu'on n'a jamais entendu de véritable instruments d'époque vu qu'on n'y était pas. Heu. Tu es au courant que tout le monde s'arrache les Stradivari ? Et qu'on les joue ? - Citation :
- Quand Christoph Huss, qui n'est pourtant pas le pape des baroqueux, écrit que Dausgaard dirigeant l'Héroïque a "raison musicalement et historiquement", je me scandalise : comment peut-on dire qu'un interprète a plus "raison" qu'un autre, sur une oeuvre que l'on n'a jamais entendue à l'époque de sa création ?
Je n'ai pas lu l'article, mais présenté comme ça, ça n'a pas de sens en effet, c'est un raccourci "journalistique", dû aux limitations de place ou de temps (c'est qu'il en écoute, des disques, et en fournit, des critiques - c'est compréhensible, d'une certaine façon). En revanche, tu sous-estimes beaucoup les travaux scientifiques. Qu'est-ce qui nous prouve que Pluton existe ? Qu'est-ce qui nous prouve que la Guerre de Cent Ans a eu lieu ? Rien, on n'y était pas... Et pourtant, en travaillant sur les textes, on peut apprendre bien des choses ; avec les réserves qu'il faut maintenir, évidemment, puisqu' on n'y était pas. Je crois que la seule réserve sérieuse qui tienne est celle sur l'authenticité, qui est un leurre, on en a déjà discuté : puisque nous n'avons ni les conditions d'écoute, ni la culture exacte de ceux qui entendaient ces musiques. Je soupçonne aussi les ensembles actuels d'être techniquement infiniment plus virtuoses. Mais les chefs sérieux ne s'en revendiquent pas. En revanche, jouer en style - du Lully qui danse, pas comme du Bruckner si possible -, ça réclame un peu d'information, et ça ne fait pas de mal. Oui, Rattle est maladroit dans Rameau, on peut l' "objectiver". - Citation :
- les bois qui font la danse des canards
Il faut absolument que tu te sépares de tes enregistrements Leonhardt. C'est très bien de vouloir tout cliver pour se créer une position, mais tu le verras, on peut apprécier toutes les approches - c'est même le plus intéressant. |
| | | Tus Gentil corniste
Nombre de messages : 15293 Date d'inscription : 31/01/2007
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 3 Déc 2007 - 14:38 | |
| - DavidLeMarrec a écrit:
Heu. Tu es au courant que tout le monde s'arrache les Stradivari ? Et qu'on les joue ? Va pour les Stradivari, évidemment, mais tu ne vas pas me dire que les orchestres baroqueux genre L'Orchestre de chambre des couchers de Louys XIV jouent sur Stradivari ! Tu crois que toutes ces petites formations baroqueuses s'achètent des violons d'époque de bonne qualité, au prix que ça doit valoir ? - Citation :
- Je n'ai pas lu l'article, mais présenté comme ça, ça n'a pas de sens en effet, c'est un raccourci "journalistique", dû aux limitations de place ou de temps (c'est qu'il en écoute, des disques, et en fournit, des critiques - c'est compréhensible, d'une certaine façon).
Je ne dis pas le contraire - et j'estime beaucoup Huss. C'était une illustration. - Citation :
- En revanche, tu sous-estimes beaucoup les travaux scientifiques. Qu'est-ce qui nous prouve que Pluton existe ? Qu'est-ce qui nous prouve que la Guerre de Cent Ans a eu lieu ? Rien, on n'y était pas...
Et pourtant, en travaillant sur les textes, on peut apprendre bien des choses ; avec les réserves qu'il faut maintenir, évidemment, puisqu' on n'y était pas. Pour Pluton, l'exemple est mal choisi puisqu'on a la preuve empirique, sensitive, qu'il existe - puisqu'on le voit. Pour la Guerre des cent ans, ou Jésus, ou Napoléon, ou ce que tu veux d'historique, en revanche, je te suis tout à fait : on est tributaire des textes et de l'invérifiable. Toutefois, il n'y a pas grand chose de commun entre une connaissance scientifique ou une démarche artistique, si ? Je veux dire, en histoire, c'est du rationnel que l'on veut, alors que dans l'art, c'est plutôt du sensible. Et puis on a des preuves matérielles de la guerre des cent ans, alors qu'on aura jamais d'enregistrement du son d'un orchestre de 1750. - Citation :
- Mais les chefs sérieux ne s'en revendiquent pas. En revanche, jouer en style - du Lully qui danse, pas comme du Bruckner si possible -, ça réclame un peu d'information, et ça ne fait pas de mal.
Certes, mais ça ne doit pas s'ériger en dogme ! Les interprétations "en style" (on déplace le débat) ne sont pas musicalement supérieures à celles qui se libèrent du contexte, vu que c'est le texte qui importe et pas le contexte, justement. Lully comme Bruckner, je n'imagine pas ce que ça donne, mais personnellement je n'apprécie jamais tant les 4 saisons que quand on les dirige comme du Weber ou du Berlioz. Peut être qu'elles sont historiquement supérieures, je ne dis pas, mais on s'en fout ! Ce qui m'intéresse, c'est la musique, et toi aussi je suppose. - Citation :
- Je crois que la seule réserve sérieuse qui tienne est celle sur l'authenticité, qui est un leurre, on en a déjà discuté : puisque nous n'avons ni les conditions d'écoute, ni la culture exacte de ceux qui entendaient ces musiques. Je soupçonne aussi les ensembles actuels d'être techniquement infiniment plus virtuoses.
Je le soupçonne aussi. Mais chut ! pas de bruit ! sinon on va voir fleurir sur le marché des interprétations avec des musiciens qui jouent faux, et mal, pour faire authentique. Je suis d'une absolue mauvaise foi, je sais. - Citation :
Il faut absolument que tu te sépares de tes enregistrements Leonhardt. Je n'en ai pas un seul ! - Citation :
- C'est très bien de vouloir tout cliver pour se créer une position, mais tu le verras, on peut apprécier toutes les approches - c'est même le plus intéressant.
Je tiens à dire que si mes chefs romantiques et traditionnels n'étaient pas aussi dénigrés ici, ça me donnerait moins envie de cracher dans le tas en retour. |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97900 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 3 Déc 2007 - 16:27 | |
| - Spiritus a écrit:
- Va pour les Stradivari, évidemment, mais tu ne vas pas me dire que les orchestres baroqueux genre L'Orchestre de chambre des couchers de Louys XIV jouent sur Stradivari ! Tu crois que toutes ces petites formations baroqueuses s'achètent des violons d'époque de bonne qualité, au prix que ça doit valoir ?
Tu ne réponds pas à la question. Les plus grands instrumentistes "à la moderne" jouent sur des instruments très ancien ; cette affaire d'époque est donc un faux-nez. Tout dépend si c'est du boyau, la nature de l'archet et surtout les modes de jeu. - Citation :
- Pour Pluton, l'exemple est mal choisi puisqu'on a la preuve empirique, sensitive, qu'il existe - puisqu'on le voit.
Tu y a été pour vérifier que ce n'est pas une erreur de perception ? - Citation :
- Pour la Guerre des cent ans, ou Jésus, ou Napoléon, ou ce que tu veux d'historique, en revanche, je te suis tout à fait : on est tributaire des textes et de l'invérifiable. Toutefois, il n'y a pas grand chose de commun entre une connaissance scientifique ou une démarche artistique, si ? Je veux dire, en histoire, c'est du rationnel que l'on veut, alors que dans l'art, c'est plutôt du sensible. Et puis on a des preuves matérielles de la guerre des cent ans, alors qu'on aura jamais d'enregistrement du son d'un orchestre de 1750.
C'est pourtant la même chose. La musicologie, quoi qu'on en pense par ailleurs, est une discipline scientifique qui comporte quelques contributeurs sérieux. Et pour le reste, c'est comme l'histoire ou l'archéologie : nous reconstituons avec des traces. Sans certitudes absolues bien entendu. Mais une chose est sûre : le baroque se jouait avec des notes irrégulières et moins de trois cents personnes. Comme par hasard, ça sonne tout de suite mieux quand on respecte cela. Ce n'est pas écrit, mais cela fait partie des conventions en vigueur ; si on ne le joue pas, on ne respecte pas la partition, en fin de compte. - Citation :
- Certes, mais ça ne doit pas s'ériger en dogme !
A part quelques excités, ce n'est plus du tout le cas aujourd'hui. Tout le monde reconnaît la légitimité (non exclusive suivant les répertoires) du "mouvement baroqueux". - Citation :
- Les interprétations "en style" (on déplace le débat) ne sont pas musicalement supérieures à celles qui se libèrent du contexte, vu que c'est le texte qui importe et pas le contexte, justement.
Pour le jugement artistique, c'est plus difficile en effet, parce qu'on peut préférer des choses subverties pour tout un tas de raison (affinités personnelles, méconnaissance, plaisir de la transgression, etc.). Mais le style faisant tout de même partie de l'oeuvre, on peut postuler qu'une version respectueuse est plus recommandable - après, chacun aime ce qu'il veut. Je n'irais pas recommander en priorité le Couronnement de Poppée par Maderna, même si j'adore sa façon de massacrer ça. - Citation :
- Lully comme Bruckner, je n'imagine pas ce que ça donne, mais personnellement je n'apprécie jamais tant les 4 saisons que quand on les dirige comme du Weber ou du Berlioz. Peut être qu'elles sont historiquement supérieures, je ne dis pas, mais on s'en fout ! Ce qui m'intéresse, c'est la musique, et toi aussi je suppose.
Les Quatre Saisons comme du Weber, c'est tout simplement une perte de sens et de richesse énorme sur cette musique. On dirige un esquif avec un gouvernail de caravelle. Quant à Lully, c'est tout simplement le naufrage, car les "romantiques" refusent de danse ; or c'est la nature même de cette musique. Je le redis, Lully sans irrégularité des notes égales, ça ne vaut rien. Oui, à ce point. - Citation :
- Je le soupçonne aussi. Mais chut ! pas de bruit ! sinon on va voir fleurir sur le marché des interprétations avec des musiciens qui jouent faux, et mal, pour faire authentique.
Etrangement, en effet, personne ne souligne ce point (pour la période baroque). Mais c'est pour des raisons marketing chez les éditeurs - et, n'en doutons pas, de la modestie naturelle chez les interprètes. - Citation :
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- Citation :
- C'est très bien de vouloir tout cliver pour se créer une position, mais tu le verras, on peut apprécier toutes les approches - c'est même le plus intéressant.
Je tiens à dire que si mes chefs romantiques et traditionnels n'étaient pas aussi dénigrés ici, ça me donnerait moins envie de cracher dans le tas en retour. Ah, parce que tu te fais tes hiérarchies selon les dégoûts des autres ? Pourquoi pas, remarque, mais quel dommage. Qui plus est, je ne vois pas qui décrie ces chefs ici. OK, Monsieur-J'ai-Un-Style-Et-Il-Fera-L'Affaire-Partout (alias Herbie) ne plaît pas à tout le monde ; et on est nombreux à préférer Bach par Herreweghe que Knappertsbusch. Mais tu trouveras peu d'intégristes ici, il n'y a qu'à voir les pervers dangereux qui font tout à la fois un prêche pour Alessandrini et pour Scherchen. |
| | | Morloch Lou ravi
Nombre de messages : 9912 Date d'inscription : 14/10/2006
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 3 Déc 2007 - 16:52 | |
| Je me demande parfois si les orchestres contemporains des compositeurs sus-nommés étaient tous si mauvais que cela, de façon géographique invariable et à toutes les époques.
Après tout, si la musique était écrite c'était pour être jouée et les compositeurs devaient avoir à l'esprit des formations capables de le faire.
Et en Italie, certaines institutions religieuses avaient des pensionnaires qui ne faisaient que cela à longueur de journée, il devait bien y avoir du résultat à la fin.
Mais je vous rassure, j'ai des souvenirs de concerts baroques dans lesquels ce souci de ne pas apparaître trop virtuose était restitué avec un soin et un engagement admirable en tous points de la part des interprêtes. |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97900 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 3 Déc 2007 - 17:44 | |
| Bien sûr qu'ils n'étaient pas forcément mauvais, mais entre les témoignages sonores du début du XXe et les témoignages écrits antérieurs, ça fait froid dans le dos à imaginer. Il faut bien voir qu'il n'y avait pas, à une certaine époque, des "amateurs spécialistes" dans notre genre, qui y passaient l'ensemble de leur loisir avec force Histoires de la Musique sur leur table et autres Diapason qui leur permettraient de mettre en perspective leur jugement.
Personnellement, j'ai tendance à penser que Malibran nous remplirait d'horreur. (Enfin, perso, la Melba...) |
| | | Kryzstof Mélomane averti
Nombre de messages : 233 Age : 124 Date d'inscription : 01/10/2007
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 3 Déc 2007 - 18:09 | |
| Je pensais qu'il existait encore beaucoup d'instruments vieux de plusieurs siècles... Les violons les plus anciens dateraient donc du 18ème siècle ? Ne reste t'il pas des orgues, des luths, des clavecins ? Pour le reste, je n'avais pas compris que vous vous attaquiez surtout aux revendications idéologiques des « baroqueux ». J'accepte que l'esthétique des interprétation dites « à l'ancienne » restent très éloignées de l'époque, puisque reposant surtout sur des traces et des bribes d'informations, mais ça me plaît déjà davantage que l'esthétique qui naît d'une interprétation résolument moderne. Ce n'est pas qu'une question de goût (le goût relève de l'agréable plutôt que du beau, on parle d'agréable pour un bon vin et de beauté pour de la belle musique...), il y a effectivement une perte de sens. On a perdu une partie de ce sens puisque nous ne sommes plus en ces temps peu prolixes d'informations sur leurs musiques, mais pourquoi se priver totalement du peu qu'il nous reste ? |
| | | Morloch Lou ravi
Nombre de messages : 9912 Date d'inscription : 14/10/2006
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 3 Déc 2007 - 18:33 | |
| Non, le débat sur les baroqueux est sur un autre fil. Ici, ça devait être sur l'interprétation en général, mais on n'est pas tatillons (le chef se balade ailleurs).
Je ne sais pas si Spiritus a compris l'article de Catherine Kintzler comme une défense des baroqueux, il ne me semble pas que cela soit le cas, elle semble même avoir fait attention de choisir ses exemples en dehors de ce débat avec Louis Jouvet et Glenn Gould alors même qu'elle est assez fana d'opéra baroque (je crois). |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97900 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 3 Déc 2007 - 18:38 | |
| - Morloch a écrit:
- alors même qu'elle est assez fana d'opéra baroque (je crois).
En tout cas, elle a abondamment écrit dessus (opéra baroque français). |
| | | antrav Papa pingouin
Nombre de messages : 37304 Date d'inscription : 08/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 3 Déc 2007 - 21:12 | |
| - DavidLeMarrec a écrit:
- Citation :
- Pour Pluton, l'exemple est mal choisi puisqu'on a la preuve empirique, sensitive, qu'il existe - puisqu'on le voit.
Tu y a été pour vérifier que ce n'est pas une erreur de perception ?
Moi j'ai rien vu. (le pervers dangereux) |
| | | Tus Gentil corniste
Nombre de messages : 15293 Date d'inscription : 31/01/2007
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Mar 4 Déc 2007 - 12:34 | |
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| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Mar 11 Mai 2010 - 15:22 | |
| Suite à une discussion initiée dans le fil des discopathes anonymes, à propos de la place de l'interprète, à propos de l'évolution de cette place dans le temps, l'espace et l'inconscient collectif, et à propos des limites (ou de leur absence) dans la liberté dont l'interprète peut jouir face au texte qui lui est présenté, je me suis dit que je devrais rapatrier ici les fragments épars qui obstruent le fil des discopathes anonymes. Évidemment, le fait que ce soit un des protagonistes de la discussion qui fasse le tri et présente le tout implique une certaine dose de parti pris... Même le fait de choisir ce fil-ci comme lieu d'hébergement d'une discussion HS ailleurs pourrait être considéré comme tendancieux. On peut donc s'attendre à ce que la fièvre reparte de plus belle dans de brefs délais. Mais le but est de la déplacer, pas de la faire tomber. Hormis l'historique de la dérive HS, je ne reprends ci-dessous que ce qui concerne le débat sur l'interprétation. Exit, donc, ce qui a trait aux techniques d'enregistrement, aux débats audiophiles, etc. 0. Historique de la dérive HSIl était une fois, dans le fil des discopathes anonymes : https://classik.forumactif.com/hors-sujet-f4/les-discopathes-anonymes-t3174-163.htmune remarque générale d'Alexandreg sur la primauté de l'interprétation par rapport à la prise de son et sur certains travers (nombre de prises, travail éditorial en patchwork, etc.) rendus possibles par les progrès fulgurants des techniques d'enregistrement (Alexandreg clôturait sa remarque par un envoi désormais célèbre) : - alexandreg a écrit:
- [...] Je considère la qualité d'enregistrement comme une plus-value et non comme primordiale. Surtout que beaucoup d'interprètes d'aujourd'hui font illusion parce qu'ils sont très bien enregistrés et qu'ils font 30 prises pour un prélude de Debussy (tout redécoupé et additionné on peut faire plein de bons enregistrements avec plein de gens). À ce moment-là il deviendrait presque plus intéressant de mettre le nom de l'ingénieur du son que de l'interprète sur la pochette. Alors que vous souhaitez vous rapprocher le plus possible des conditions d'écoute du concert, en réalité vous vous en éloignez puisque beaucoup d'albums ne donnent qu'une image biaisée des capacités de certains interprètes.
Et pourtant quand j'écoute un album je fais toujours attention à la prise de son et j'écoute sur un matériel qui n'est pas trop mauvais. Mais donner la primauté à la prise de son par rapport à l'interprétation, c'est comme préférer Marc Lévy à Julien Gracq sous prétexte que José Corti c'est pas très propre une fois découpé. Scherzian, dans un message encore relativement concentré sur le sujet (une petite anecdote à propos de la qualité très variable du travail des ingénieurs sur certaines prises de son historiques lui avait permis de signaler l'excellence d'un CD The Piano Library -- si, si -- même par rapport à un éditeur confirmé comme Denon), avait été prompt à inoculer le virus du HS (ou, du moins, diverses forces dangereusement centrifuges) : - Scherzian a écrit:
- [...] J'irai même jusqu'à dire que les perfectionnements des techniques d'enregistrement depuis les années 1960 (typiquement) et les possibilités de corrections éditoriales qui vont avec ont puissamment contribué au raidissement déshumanisé de nombreuses interprétations plus récentes, comme si la petite erreur d'exécution, le petit défaut de mise en place étaient incompatibles avec une interprétation habitée d'une œuvre. Ce n'est pas l'absence de défauts qui fonde la grandeur ou la beauté de quelque chose. En matière de raidissement, le choix des rapports de tempos, le rubato et l'agogique sont trois exemples que je trouve frappants des travers de la recherche volontaire de l'exactitude. Comparer le rubato de Pollini et celui de Rosenthal dans la même œuvre permet de mesurer le gouffre qui nous sépare des anciens et l'ampleur de ce que nous avons perdu. [...]
Réagissant à la première des phrases citées ci-dessus et peut-être aussi à ce qu'elle avait de discutable ou aux possibilités de joutes verbales qu'elle ouvrait -- bref, attiré par l'odeur du sang --, DavidLeMarrec posait la question fondamentale : - DavidLeMarrec a écrit:
- C'est aussi une tendance beaucoup plus profonde qui n'est pas liée qu'au petit phénomène du disque. La pratique musicale a énormément gagné en rigueur depuis ces dernières décennies.
Est-ce vraiment un mal ? DavidLeMarrec avait certainement à l'esprit un phénomène beaucoup plus large que celui du disque (et de son effet de loupe impitoyable) comme cause de ce qu'il perçoit comme un important progrès récent sur le plan de la rigueur des pratiques musicales (et donc notamment de l'interprétation enregistrée ou non). Mais Scherzian persiste et signe (il ne le savait pas encore, mais il allait éprouver les pires difficultés à se sortir ensuite de cette nasse) : - Scherzian a écrit:
- C'est lié au disque, dont les perfectionnements techniques ont surexposé de manière impitoyable ce qu'il pouvait y avoir de soi-disant « défauts » dans certaines interprétations plus anciennes. Le disque a fini par imposer un standard de qualité requis en termes de précision, de minutie tatillonne et de rigueur, standard que l'on exige même désormais dans les interprétations en direct ! Mais il ne faut pas oublier que cette rigueur (de lecture de la lettre, de mise en place métrique, d'articulation, d'intonation, etc.) se paie cash sous tous les autres rapports : j'ai cité plus haut les paramètres temporels et ductiles (tempo, rubato, agogique), mais c'est également vrai pour le phrasé, l'accentuation, la couleur (je veux dire ici : la redistribution de l'intensité relative de chaque note dans un même accord), la texture des attaques (le rugueux, le soyeux), etc.
Quant à la question fondamentale, celle de savoir si les progrès sur le plan de la rigueur sont vraiment un mal, les historiens s'interrogent aujourd'hui encore sur ce qui a bien pu piquer Scherzian pour qu'il réponde sans sommation avec l'artillerie lourde : - Scherzian a écrit:
- Je réponds, pour ma part, par un vibrant « oui ! » sans aucune équivoque ni retenue, quand cela fait passer de Moritz Rosenthal, Vladimir de Pachmann, Vitalij Margulis, Vladimir Sofronitsky, Mikhail Pletnev, Josef Lhevinne, Naida Cole, Ignaz Friedmann, Arturo Benedetti-Michelangeli, Edwin Fischer, Sergei Rachmaninoff, Elisso Virsaladze, Igor Zhukov, Sergio Fiorentino, Alfred Cortot, Samuil Feinberg, Ervin Nyiregyhazi, Ernst Levy, Maryla Jonas, Conrad Hansen et tant d'autres (tu remarqueras qu'ils ne sont pas tous anciens, loin de là) à la génération des Brendel, Pollini, Zimerman, Arrau, Perahia, Uchida et al. Mais ces derniers sont d'excellents pianistes pour 2010 !
Dans un effort pour sauver le fil des discopathes anonymes d'un naufrage devenu inéluctable, Alexandreg réagit à son tour : - Alexandreg a écrit:
- Je trouve marrant que tu opposes ABM et Zimerman.
Pletnev j'ai vraiment beaucoup de mal à comprendre son discours.
Les différences que tu présentes là sont principalement liées aux conditions d'enregistrement : les premiers sont quasiment tous enregistrés en live, les autres en studio. Par contre je ne pense pas que les pianistes de ta deuxième liste soient aussi mauvais que tu le dises. Pollini c'est une sorte de piano au premier degré que je trouve très intéressant. Ils sont tous en concert à la hauteur de leurs enregistrements (enfin pour ce que j'ai pu entendre).
Il y a aujourd'hui d'autres pianistes nettement moins talentueux que ceux-là mais que le disque réussit à faire passer pour très bons (c'est ceux-là que je visais plus haut).
Pour les très vieux enregistrements (acétates, ...), j'ai parfois l'impression qu'ils exercent une fascination sur l'auditeur du fait de la distance temporelle et physique (le son est très mal défini). Mais de là à décréter que les interprètes de cette époque sont nettement meilleurs... Par exemple les vieux quatuors je trouve ça horrible au niveau justesse et mise en place. Les positions de chacun se font ensuite plus claires au fil des réponses. C'est à partir d'ici, à mon avis, que cela mérite (voire requiert) une présentation dans un autre fil, plus approprié que celui des discopathes anonymes. C'est aussi à partir d'ici que le travail d'édition que je réalise maintenant devient plus compliqué. 1. Précision de la position de DavidLeMarrec - DavidLeMarrec a écrit:
- Scherzian a écrit:
- C'est lié au disque, dont les perfectionnements techniques ont surexposé de manière impitoyable ce qu'il pouvait y avoir de soi-disant « défauts » dans certaines interprétations plus anciennes.
Mais non, c'est valable pour absolument toutes les formations, y compris celles qui n'enregistrent pas.
Je pense que c'est bien plus l'entrée dans une conception un peu muséelle de la musique, qui est, faute de créations accessibles aussi, devenue un patrimoine. De ce fait, on ne peut plus dialoguer avec le compositeur, il faut le respecter. Même les fantaisies les plus absolues sont justifiées par la présence d'instruments d'époque.
De ce fait, on n'a plus la latitude qu'on avait autrefois.
Dans le même temps, on apprend à interpréter au vingtième de la musique très complexe, qui n'autorise vraiment pas le rubato. D'où aussi une évolution des traditions d'interprétation.
- Scherzian a écrit:
- Mais il ne faut pas oublier que cette rigueur (de lecture de la lettre, de mise en place métrique, d'articulation, d'intonation, etc.) se paie cash sous tous les autres rapports : j'ai cité plus haut les paramètres temporels et ductiles (tempo, rubato, agogique), mais c'est également vrai pour le phrasé, l'accentuation, la couleur (je veux dire ici : la redistribution de l'intensité relative de chaque note dans un même accord), la texture des attaques (le rugueux, le soyeux), etc.
Ca ne me paraît pas vrai du tout. Il y a des pianistes capables de faire ça ; simplement, on publie plus, donc on a plus de choses dans la moyenne, parce qu'on n'a pas plus de génies.
Par ailleurs, entendre des pianistes approximatifs du type Cortot, ça me paraît vraiment pas une chance. On peut attendre quand même d'avoir une interprétation respectueuse, qui ne change pas les accords, ou qui ne distribue pas aléatoirement le poids des notes.
Je ne suis pas un fanatique de ces paramètres : moi-même, lorsque je joue, je considère que l'esprit prévaut toujours sur l'exactitude, quitte à modifier la partition au moment de l'exécution (pas de façon délibérée tout de même). Mais il y a un seuil, et spécialement pour les pianistes professionnels, en deçà duquel l'œuvre est vraiment abîmée, floue, etc.
Après, je suis d'accord que l'adulation du tempo fisso se paie au prix de raideurs ou de platitudes, mais il n'empêche que je trouve Sawallisch presque toujours plus intéressant que Furtwängler, par exemple.
- Scherzian a écrit:
- à la génération des Brendel, Pollini, Zimerman, Arrau, Perahia, Uchida et al. Mais ces derniers sont d'excellents pianistes pour 2010 !
J'aime pas tout le monde dans ce lot (les deux premiers surtout ), mais je ne partage pas l'univers entre tempi giusti et tempi rubati, l'essentiel est ailleurs pour moi, et l'exactitude, sans être ma priorité absolue, me fait bien plaisir. Il y a suffisamment de choix, dans les répertoires pratiqués par tous les artistes cités dans ton message, pour avoir les deux. 2. Précision de la position d'Alexandreg et de celle de ScherzianTout d'abord, un bref échange sur l'influence de l'auditeur lui-même sur les rapprochements que l'on peut ou non établir entre des interprètes différents. C'est intéressant de voir comment un même interprète peut être associé par un mélomane A à un autre interprète qu'un mélomane B apprécie beaucoup, alors que le mélomane B aura plutôt tendance à associer le premier interprète à une mouvance générale qu'il n'aime guère. Il semble en effet qu'Alexandreg associe plus volontiers Benedetti-Michelangeli et Zimerman, tandis que Scherzian considère plutôt Zimerman comme une sorte de nouveau Pollini : - Scherzian a écrit:
- alexandreg a écrit:
- Je trouve marrant que tu opposes ABM et Zimerman.
Pour ma part, j'associe beaucoup plus Zimerman et Pollini, justement. Pour ABM, c'est le feu qui brûle, la passion dévorante, la sensibilité extrême et parfois exacerbée, l'émotion ineffable... tenus en respect par sept plaques de blindage (comme aimait à le dire tu-sais-qui [*]). Et bien sûr, accessoirement, une maîtrise immaculée de tout l'art du piano. [* NDLR : le lecteur attentif aura remarqué que Scherzian ne peut pas s'empêcher de citer Sofronitsky, même dans les contextes les plus incongrus.] Sinon, de manière plus générale, entre les enregistrements en studio et les live : - Scherzian a écrit:
- alexandreg a écrit:
- Les différences que tu présentes là sont principalement liées aux conditions d'enregistrement : les premiers sont quasiment tous enregistrés en live, les autres en studio.
Non, ça c'est faux. Dans ma première liste, seuls Sofronitsky et Fischer ont professé leur haine des studios d'enregistrement. Cela ne les a pas empêchés d'enregistrer en studio de véritables miracles (Sonate opus 28 de LvB et Poème Vers la flamme de Scriabine pour VS, par exemple). Non, franchement, ce qui distingue les pianistes de ma première liste de ceux de ma seconde, c'est le fait qu'ils sont bien souvent supérieurs à eux-mêmes en live, ce qui est la marque ultime des grands musiciens. En outre, la plupart des plus anciens d'entre-eux ne nous sont plus accessibles que par des enregistrements en studio (Rosenthal, Hofman, de Pachman, Lhevinne, etc.).
- alexandreg a écrit:
- Par contre je ne pense pas que les pianistes de ta deuxième liste soient aussi mauvais que tu le dises. Pollini c'est une sorte de piano au premier degré que je trouve très intéressant. Ils sont tous en concert à la hauteur de leurs enregistrements (enfin pour ce que j'ai pu entendre).
Pollini est égal à lui-même en concert (à tel point qu'on se demande bien ce qui pourrait insuffler un peu de vie dans ses interprétations) et Arrau est légèrement supérieur à lui-même en concert (Sonate de Liszt, Préludes de Chopin, Fantaisie opus 17 de Schumann), mais ce n'est pas très significatif. Perahia, Uchida et surtout Brendel s'effondrent en direct s'ils sont en face des plus dangereuses pages de leurs répertoires respectifs.
- alexandreg a écrit:
- Il y aujourd'hui d'autres pianistes nettement moins talentueux que ceux-là mais que le disque réussit à faire passer pour très bons (c'est ceux-là que je visais plus haut).
Oui, je suis d'accord sur ce point. C'est d'ailleurs l'extrapolation poussée à outrance de ce que tu soulignes très justement plus haut qui a permis la falsification et le scandale Joyce Hatto. Cela explique aussi pourquoi des enregistrements audios ne devraient jamais avoir valeur de preuve devant un tribunal, du moins à mon avis. Il y a eu aussi un échange (relativement avorté par chacun des deux protagonistes, ce dont le lecteur ne pourra que se féliciter, je suppose, étant donné les circonstances) à propos des vieux enregistrements (avant 1950) de quatuors à cordes : - Scherzian a écrit:
- alexandreg a écrit:
- Pour les très vieux enregistrements (acétates, ...), j'ai parfois l'impression qu'ils exercent une fascination sur l'auditeur du fait de la distance temporelle et physique (le son est très mal défini). Mais de là à décréter que les interprètes de cette époque sont nettement meilleurs... Par exemple les vieux quatuors je trouve ça horrible au niveau justesse et mise en place.
La mauvaise définition du son n'empêche nullement l'appréciation du rubato, de l'agogique, des phrasés, des couleurs, des textures, du chant, de la diction, de l'articulation, de l'accentuation. De toute manière, il y a, dans ma première liste, de nombreux pianistes actuels ou quasi actuels (Zhukov, Virsaladze, Cole, Pletnev et Margulis, par exemple) qui prouvent que je ne suis pas un nécrophage abusé par le nacht und nebel des vieux enregistrements. Et pour les vieux quatuors à cordes, j'attends toujours de pied ferme celui qui atteindra la cheville des Busch, des Capet, des Flonzaley, des Pro Arte, etc. (J'aurais quand même pu/dû préciser que c'est en effet dans le domaine de la musique de chambre que je ressens le plus fortement les progrès accomplis dans la pratique musicale. C'est juste que la plus-value induite par ces progrès m'indiffère et que ce qui est en contrepartie perdu me semble irremplaçable.) - alexandreg a écrit:
- Pour ce qui est des vieux quatuors je ne comprends pas du tout. Certes c'est représentatif d'un style particulier mais je les trouve souvent très approximatifs techniquement et au niveau de la justesse. La mise en place n'est souvent pas très propre ce qui dans certaines œuvres (au hasard les derniers Beethoven) nuit dangereusement au discours musical.
Et puis j'ai vraiment du mal à écouter des cordes sur des enregistrements inférieurs à 1950 (les violons qui pleurent sans arrêt c'est pas trop mon truc). 3. Précision salutaire de la position des plus hautes instances - Wolferl a écrit:
- Attention à ne pas trop dévier, si vous voulez parler des pianistes il y a d'autres fils pour ça.
- Xavier a écrit:
- Je rappelle quand même à tout hasard que pour parler pianistes, il y a un sujet, et que pour parler prises de son, il y a un sujet aussi.
Là en principe c'est juste un topic hors-sujet où on évoque notre folie des achats! - Wolferl a écrit:
- DavidLeMarrec a écrit:
- on sera forcément HS quelque part
Alors autant s'y enfoncer, n'est-ce pas ?
Dommage qu'une discussion intéressante soit perdue ici, il ne serait pas possible de répondre à tous les points abordés dans des sujets différents ? (Je continue dans le message suivant, j'ai vraiment trop peur de perdre le boulot d'édition déjà réalisé.) |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Mar 11 Mai 2010 - 19:00 | |
| 4. Poursuite du débatIl me semble qu'une partie importante du débat portait en fin de compte sur l'affirmation (que l'on entend si souvent de nos jours) selon laquelle, pour pouvoir être considérée de référence, une interprétation se doit d'être rigoureuse, minutieusement mise en place, avec une articulation et une intonation parfaites. Cet objectif étant plus souvent atteint aujourd'hui que par le passé, faut-il pour autant considérer cela comme un progrès en soi ? Et cela ne risque-t-il pas de disqualifier d'emblée presque toutes les interprétations en direct (sans aucune possibilité de correction éditoriale), et ce alors même que les interprétations live ont cet avantage sur celles en studio d'avoir existé, d'avoir occupé un fragment plein de l'espace-temps, d'avoir été partagées par une communauté ? Quels interprètes sont capables, funambules sans filet, de produire en récital des réussites techniques comparables à celles qu'ils obtiennent -- ou, comme l'a fait justement remarquer Alexandreg, semblent obtenir pour certains d'entre eux -- en studio ? 4.1. Une influence des progrès de l'enregistrement musical ?Je voulais y voir l'influence sans pitié du microphone d'enregistrement, mais DavidLeMarrec a, je pense, remporté la victoire sur ce point précis : - DavidLeMarrec a écrit:
- Scherzian a écrit:
- C'est lié au disque, dont les perfectionnements techniques ont surexposé de manière impitoyable ce qu'il pouvait y avoir de soi-disant « défauts » dans certaines interprétations plus anciennes.
Mais non, c'est valable pour absolument toutes les formations, y compris celles qui n'enregistrent pas. Je persiste encore un peu dans cette voie, plus loin : - Scherzian a écrit:
- Bien sûr, mais tu ne démontres pas ta thèse en écrivant cela : toutes les formations (qu'elles enregistrent ou non) sont des enfants de leur temps et sont donc soumises à la règle qui veut que, de nos jours, une interprétation dite de référence doit impérativement être rigoureuse, minutieuse, mise en place, articulée et intonée de manière quasi parfaite. Cette règle tacite, cette exigence sclérosante viennent de ce que le disque a réussi à faire passer ce qui est parfait pour quelque chose de désirable. [...] Que la formation enregistre ou non ne vient rien faire ici, selon moi, puisque je constate simplement que la plupart de ces formations semblent gagnées par le dictat inoculé dans les oreilles actuelles par le miroir (grossissant et déformant) de l'enregistrement.
DavidLeMarrec élargit ensuite le champ de la discussion : - DavidLeMarrec a écrit:
- Je persiste à penser que ce qui est déterminant est le retour à l'exactitude de façon sacrée. Ce n'est pas le disque qui a obligé à jouer les opéras et lieder en langue originale !
C'est un mouvement de fond, auquel le disque a bien sûr contribué, mais dans une proportion bien moindre.
Je me répète (à défaut de pouvoir démontrer, puisqu'on parle de mouvement de société, rien n'est écrit) : - l'éloignement du répertoire dans le temps, avec le côté sacré qui s'accroît puisque "le moule est cassé" ; - la pratique tout de même du répertoire vingtième, qui réclame beaucoup plus de rigueur. Un Sacre du Printemps où on s'autoriserait les décalages qu'on mettait à l'époque dans Verdi ou Wagner serait absolument inintelligible.
Tout cela sont des causes intrinsèques qui, par principe, me paraissent plus convaincantes (et antérieures) qu'une hypothétique cause extrinsèque qui a dû, effectivement, contribuer au mouvement ensuite. Pour finir sur cette question : - Scherzian a écrit:
- Tu marques un point (mais ce n'est pas vraiment en ces termes que la question s'est posée plus haut).
4.2. Doit-on passer du tutoiement au vouvoiement ?DavidLeMarrec constatait (ce qui ne veut pas dire qu'il s'en félicitait) que nous étions entrés dans une conception muséelle de la pratique des compositeurs anciens. C'est une réalité, mais j'ai fait remarquer que les classiques, les romantiques, et même d'autres compositeurs un peu plus récents, étaient tout aussi morts à l'époque des interprètes que je trouve plus libres que nous (il y a chez eux une forme délectable de tutoiement ou d'intimité avec l'ineffable, frappante chez Fischer/Bach ou Feinberg/Bach par exemple) qu'ils le sont de nos jours. Voici les échanges : - Scherzian a écrit:
- DavidLeMarrec a écrit:
- Je pense que c'est bien plus l'entrée dans une conception un peu muséelle de la musique, qui est, faute de créations accessibles aussi, devenue un patrimoine. De ce fait, on ne peut plus dialoguer avec le compositeur, il faut le respecter. Même les fantaisies les plus absolues sont justifiées par la présence d'instruments d'époque.
Beethoven, Liszt, Chopin, Schumann, Schubert et tant d'autres ne nous sont pas plus distants qu'ils l'étaient des contemporains d'Edwin Fischer au moment où celui-ci jouait leurs œuvres. C'est nous qui avons décrété (de manière assez arbitraire) qu'en respectant la lettre jusqu'à la constipation au stade terminal, nous allions « respecter » le compositeur. Pour ma part, je l'ai déjà dit, en procédant ainsi on ne respecte pas le compositeur, on le viole, on le méprise, on l'injurie. Il y a un aphorisme fulgurant de Nietzsche sur cette question que je juge essentielle ; si tu veux, je le retrouverai [*] (il vaut son pesant de cacahuètes).
- En réponse au paragraphe qui précède, DavidLeMarrec, un peu plus loin, a écrit:
- Je ne vois pas en quoi c'est contradictoire avec ce que j'ai dit. Il est un fait qu'on est passé de l'un à l'autre. Et on n'a pas décidé de jouer Verdi en italien partout dans le monde pour être aussi rigoureux que les pianistes fantaisistes des années cinquante.
Tu disais qu'aujourd'hui on ne peut plus dialoguer avec le compositeur, qu'il faut le respecter. Je faisais alors remarquer qu'à l'époque d'Edwin Fischer (par exemple), Beethoven, Liszt, Chopin, Schumann, Schubert et tant d'autres étaient tout aussi morts qu'ils le sont aujourd'hui, et que cela n'a pourtant pas empêché l'époque de les aborder avec beaucoup plus de liberté que ce que l'on trouve d'ordinaire aujourd'hui. [* NDLR : Je n'ai pas réussi à retrouver la référence de l'aphorisme. ] - Scherzian a écrit:
- DavidLeMarrec a écrit:
- De ce fait, on n'a plus la latitude qu'on avait autrefois.
Parce que l'on a préalablement décrété l'avoir perdue... Quelle fatalité peut donc bien empêcher un interprète de revendiquer aujourd'hui sa liberté, sa latitude toute-puissante, puisque l'œuvre n'existe jamais qu'au travers de ce qu'il en exprime durant son acte d'interprétation ? Ce n'est même pas grave si son interprétation n'est pas jugée bonne (par qui que ce soit) : le temps fera son travail vers l'oubli ou même, pourquoi pas, vers une tardive réhabilitation. Il y a même eu un bref échange sur un exemple précis : - alexandreg a écrit:
- [...] Les musiciens d'aujourd'hui semblent s'être un peu effacés et cherchent tout d'abord à rendre au mieux la partition telle qu'elle est écrite (par exemple un pianiste comme Paul Lewis). [...]
- Scherzian a écrit:
- C'est parce qu'il [Paul Lewis] cherche à rendre au mieux la partition telle qu'elle est écrite qu'il joue l'introduction maestoso de la Sonate opus 111 de Beethoven comme si elle était notée largo e grave, moltissimo pomposo ?
4.3. Une amélioration de tous les paramètres de la pratique musicale ?S'il n'est pas douteux que certains aspects de la pratique musicale ont beaucoup progressé récemment (par exemple la rigueur métrique et l'articulation pour le piano, l'intonation et la mise en place de l'ensemble en musique de chambre), peut-on vraiment dire que tous les paramètres de la pratique musicale ont connu une amélioration, ou s'agit-il (c'est la thèse que je soutiens) d'un mécanisme de vases communicants où ce qui est gagné ici se paie ailleurs ? Pour recadrer le contexte, j'ajoute quand même que je ne parlais que des pianistes et de petits ensembles de musique de chambre, en aucun cas de la pratique d'exécution orchestrale. - DavidLeMarrec a écrit:
- Scherzian a écrit:
- Mais il ne faut pas oublier que cette rigueur (de lecture de la lettre, de mise en place métrique, d'articulation, d'intonation, etc.) se paie cash sous tous les autres rapports : j'ai cité plus haut les paramètres temporels et ductiles (tempo, rubato, agogique), mais c'est également vrai pour le phrasé, l'accentuation, la couleur (je veux dire ici : la redistribution de l'intensité relative de chaque note dans un même accord), la texture des attaques (le rugueux, le soyeux), etc.
Ca ne me paraît pas vrai du tout. Il y a des pianistes capables de faire ça ; simplement, on publie plus, donc on a plus de choses dans la moyenne, parce qu'on n'a pas plus de génies. - Scherzian a écrit:
- C'est pour cela que je bisque quand je lis que le niveau technique a augmenté au fil du temps. Le niveau technique sous le rapport de certains paramètres de jeu très spécifiques, certes (par exemple l'articulation et la rigueur métrique chez les pianistes, l'intonation et la précision d'ensemble dans le domaine du quatuor à cordes). Mais en aucun cas le niveau technique n'a augmenté selon tous les paramètres de jeu. Un seul exemple : quand on observe que les pianistes anciens semblent moins propres et rigoureux métriquement que ceux que nous avons aujourd'hui, la raison de cela est qu'ils refusaient de laisser leur rigueur textuelle (pourtant bien réelle) altérer la souplesse et la ductilité du temps musical qu'ils voulaient pour l'œuvre, la conduite de leurs phrasés au travers des barres de mesures, le raffinement et la pertinence des textures, l'espressivo et le respect des indications de caractère (qui sont pourtant bel et bien notées sur la partition au même titre que les autres éléments), etc. C'est seulement grâce à un mécanisme de vases communicants que la rigueur actuelle semble si impressionnante. En réalité, elle ne s'exerce qu'au détriment d'autres aspects de l'interprétation. Il se trouve que ce sont ceux auxquels j'accorde la plus grande attention.
4.4. Respect du compositeur et du style de l'œuvre -- personnalité de l'interprèteC'est DavidLeMarrec qui a introduit les questions fondamentales relatives à notre débat sur l'interprétation (et nous en étions restés à peu près là de notre thread-jacking en règle du fil des discopathes anonymes). Il les avait introduites par le biais d'une remarque sur les vertus relatives de Wilhelm Furtwängler et de Wolfgang Sawallisch (la mise en gras est de moi et date des échanges dans le fil des discopathes anonymes) : - À propos de Sawallisch et de Furtwängler, DavidLeMarrec a écrit:
- J'aimerais un tout petit peu plus d'abandon avec Sawallisch, et il n'a pas réussi quelques témoignages aussi bouleversants que les Deutsches Requiem, le Ring ou sa Deuxième Suite de Daphnis, mais on y trouve tellement plus de réussites, à intervalles tellement plus réguliers... et surtout tellement plus respectueux du compositeur !
C'est là où on en revient à la question fondamentale. Pour moi, l'interprétation peut certes bouleverser une œuvre, dans tous les sens, mais le compositeur est premier. Et les interprètes qui imposent leur personnalité sur une œuvre (Furtwängler, comme Callas, Serkin ou parfois Karajan, j'entends d'abord une variation sur un interprète, et ensuite une oeuvre) m'intéressent moins que ceux qui exaltent l'œuvre avec ses spécificités.
Sawallisch, lorsqu'il joue Mendelssohn, lorsqu'il joue Dvořák ou lorsqu'il joue Strauss, j'entends la différence dans la manière. Oui, c'est moins typé, moins fulgurant, tout ça, mais ça va plus à l'essentiel. J'ai eu beau jeu de poser ensuite les questions rhétoriques sur les extraits passés en gras, d'autant que je ne m'attendais pas à ce que l'on y réponde (cf. la dernière phrase du paragraphe suivant) : - Scherzian a écrit:
- De fait, c'est la question fondamentale. Comment sait-on qu'un interprète est respectueux du compositeur ? Parce qu'il joue ce qui est écrit ? Alors c'est le robot qui gagne. Parce qu'il est fidèle à un style ? Mais il n'existe pas de notion immanente de style, en dehors de ce que les interprètes se font comme idée, hic et nunc, du style propre à un compositeur ou à une œuvre, ce qui conduit l'idée du style dans une aporie. Le compositeur est-il plus premier pour Michelangeli que pour Rosenthal ? Si oui, comment le sait-on ? Qu'est-ce qui est préférable, un interprète qui impose sa personnalité (au risque de renouveler la vision que nous nous faisons d'une œuvre ou, au contraire, de sombrer corps et biens) ou un autre qui fait subir à tous sa non-personnalité (sous couvert du pathos de l'objectivité) ? Comment sait-on qu'une interprétation va plus à l'essentiel qu'une autre ? Pour ma part, je préfère de très loin les questions à n'importe quelle réponse qui pourrait en être donnée.
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| | | Mariefran Mélomane nécrophile
Nombre de messages : 14259 Age : 63 Localisation : Lille Date d'inscription : 25/02/2008
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Mar 11 Mai 2010 - 19:05 | |
| ça se lit comme un roman ! Quel talent, Scherzian ! Merci ! J'adore ton humour |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Mar 11 Mai 2010 - 19:14 | |
| Belle synthèse (on a les meilleurs morceaux et ça évite les redondances créées par les citations) Ça va permettre d'y voir plus clair et d'éventuellement continuer cette discussion. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Mer 12 Mai 2010 - 0:27 | |
| - DavidLeMarrec a écrit:
- Scherzian a écrit:
- Quant au retour à l'exactitude de façon sacrée -- et je ne dis pas du tout que c'est une idée que tu partages, je n'en sais rien --, [...]
J'ai des témoins à charge qui témoigneront malheureusement que si c'est une idée, elle reste à l'état d'idée chez moi. Non, ce n'est pas du tout une priorité (il n'y a qu'à voir les trucs que j'aime côté interprétation), mais ça reste quand même un préalable théorique extrêmement valable : jouer comme c'est écrit, c'est déjà un fort bon début ! Nous en revenons alors à ce dont nous avions déjà parlé tous les deux : pour moi aussi, je te l'assure, jouer ce qui est écrit est fondamental (au sens étymologique). Comme je l'avais dit à l'époque, seul celui qui joue volontairement quelque chose de différent de ce qui est écrit ne respecte pas l'œuvre, à mon avis (l'important étant dans l'adverbe volontairement). Pour reprendre un terme que tu avais utilisé à ce moment, je pense que les libertés que je revendique restent de l'ordre de la nuanciation, de l'infime variation sur un substrat rigoureux. La liberté pleine dans un réseau de contraintes sans faille. Le hic, c'est que je ne l'entends plus guère dans les interprétations récentes (l'écoute comparée de la Sonate de Liszt a été assez déprimante, de ce point de vue : je ne comptais plus les interprétations récentes aussi interchangeables que des bosons). - Citation :
- En même temps, si l'on ne croyait pas au progrès d'une façon ou d'une autre, pourquoi ferait-on des efforts ?
Et en ce qui concerne la maîtrise technique et l'exactitude stylistique, on peut incontestablement parler de progrès tout à fait considérables entre 1900 et 2000. Il faut s'entendre sur ce que l'on appelle progrès. Si le progrès est conçu comme cause téléologique du goût de l'effort, alors nous sommes d'accord. Mais il y a aussi une acception plus pernicieuse de la notion de progrès, conçu comme une fin en soi, qui se justifie elle-même. C'est ce second sens que je visais, car il se transforme de plus en plus en une bouée de sauvetage de la modernité. D'un autre côté, si, sous le double rapport de la maîtrise technique et surtout de l'exactitude stylistique, il y a « incontestablement » progrès considérable, je me demande bien qui je suis pour oser contester. Et pourtant je conteste. Qui décide de l'exactitude stylistique ? L'interprète, le musicologue et le mélomane. Donc quelqu'un qui est juge et partie, et surtout qui est inscrit dans le temps. Il n'y a pas d'exactitude stylistique, il n'y a qu'une plus ou moins grande adéquation d'une interprétation donnée au goût du temps, du lieu et/ou du groupe social auquel elle se destine. Ce peut aussi être le compositeur, bien entendu, mais il faut qu'il soit en vie, et cela ne peut concerner qu'une œuvre dont il est l'auteur. C'est pour cette raison que j'avais parlé plus haut d'une aporie. Ne voit-on pas qu'en affirmant l'existence d'une exactitude stylistique immanente à l'œuvre, nous interdisons par principe tout renouvellement ultérieur de la vision que nous portons d'elle ? Que nous la faisons entrer pieds et poings liés dans le pourrissoir du musée ? Je conteste aussi pour ce qui concerne la maîtrise technique (non sans avoir rappelé que je parle surtout des pianistes et de petits ensembles de musique de chambre). Voici une liste des différents paramètres sur lesquels un interprète peut agir pour constituer son interprétation. Pour chaque paramètre, j'indique avec des signes plus (+) ceux qui me semblent avoir progressé et avec des signes moins (-) ceux qui me semblent avoir régressé au fil du temps (sauf si je me limite aux meilleurs représentants de chaque époque, lesquels ne sont pas forcément ceux dont on parle le plus) : - respect de la lettre (+) ;
- articulation (++) ;
- accentuation (+, mais in extremis) ;
- intonation (dans le cas des cordes frottées) (+++) ;
- mise en place instrumentale de l'ensemble (++) ;
- choix des rapports de tempos (-) ;
- rubato (---) ;
- agogique (---) ;
- phrasé (qualité du chant et de la diction instrumentale) (--) ;
- respect des indications de caractère (---) ;
- couleur (distribution de l'intensité relative dans les accords) (--) ;
- raffinement et variété des textures (---).
Je reconnais volontiers que ceux marqués (-) sont malheureusement souvent ceux auxquels j'accorde le plus d'importance. Mais il est certain, du moins pour moi, qu'un musicien qui refuse de voir sa gestion du temps musical, son phrasé, le caractère affirmé ou suggéré de son interprétation, ses couleurs et ses textures altérés par une attention par trop méticuleuse accordée aux autres paramètres se place lui-même, ipso facto, devant de bien plus grandes difficultés techniques qu'un autre. Quoi d'étonnant, dans ce contexte, si ce musicien trébuche plus souvent qu'un autre (en tout cas en récital) ? Et il me semble bien qu'il y a un phénomène de vases communicants : ne trouves-tu pas qu'il est par exemple beaucoup plus difficile de maintenir une mise en place instrumentale rigoureuse et une articulation impeccable lorsque certains des paramètres notés (-) dans la liste sont magnifiés par un interprète ? Et quand il s'agit d'un quatuor à cordes, c'est souvent en outre l'intonation qui fléchit. Mais quelle plus-value sous d'autres rapports, notamment celui de la liberté, de l'aération, de la fluidité ! Au début de cette discussion, j'avais surtout parlé du rubato. En ce qui le concerne, la régression est quand même frappante, je trouve. Aujourd'hui, ce n'est souvent plus qu'une microvariation téléphonée sur une pulsation métronomique. Au temps de Moritz Rosenthal, presque chaque mesure était façonnée, ciselée de rubato selon la nature du passage joué. C'était du cousu-main face au prêt-à-porter industriel. Et je ne pense pas que cette révision du paramètre s'exerce en fonction de l'opinion des auteurs, Mozart et Chopin en l'occurrence. - Citation :
- Je voyais le fait, outre le plus grand éloignement (mais Beethoven, ce n'était pas la veille effectivement !), qu'il y avait encore la présence de compositeurs plus ou moins "grand public" à l'époque (Strauss, Rachmaninoff...), avec de vrais succès, qu'on pouvait côtoyer, avec lesquels on pouvait discuter interprétation, voire s'affronter.
Oui, il y a probablement un problème de « passeurs ». Quand on songe que Sofronitsky était à la fois l'arrière-petit-élève de Beethoven ( via Moscheles et Michalowsky) et celui de Chopin ( via Mikuli et Michalowsky), on se dit que c'est un passage que l'on ne pourra pas maintenir indéfiniment. - Citation :
- Écoute un orchestre français en 1920, un orchestre français en 1950, un orchestre français en 1970 et un orchestre français en 1990.
L'orchestre Pasdeloup est aujourd'hui non seulement bien meilleur que l'orchestre de l'Opéra des années cinquante, mais de surcroît capable de jouer des choses [qui] eussent été tout à fait inaccessibles à son glorieux confrère.
Évidemment, comparativement, ce n'est pas le Philharmonique de Berlin.
Des orchestres qui jouaient bien, ou qui du moins en inspiration compensaient la technique d'aujourd'hui, il y a peut-être Berlin et Amsterdam, mais je n'en vois guère d'autre !
Et je ne vois pas en quoi Bergen ou Trondheim seraient moins souples et inspirés que Berlin dans les années trente, d'ailleurs ! Oh, je concède ce que tu veux dans le domaine de l'exécution orchestrale. Furtwängler lui-même reconnaissait dès les années 1930 la supériorité des phalanges américaines sur tout (ou presque) ce que l'on trouvait en Europe à l'époque... - À propos de la Barcarolle de Chopin, DavidLeMarrec a écrit:
- Si tu voulais bien partager un de ces décorticages (en acceptant évidemment de la soumettre au débat, parce qu'il y aura bien quelqu'un pour exprimer son désaccord...), ce serait extrêmement enrichissant, je crois.
Je peux essayer de mettre en forme, mais cela demandera beaucoup de temps. D'un autre côté, l'interprétation étant libre de droits (20 octobre 1949), je pourrais la mettre en ligne le temps que dure la discussion et me référer à des minutages en plus des numéros de mesures. Pas de problème pour le débat, même si l'exercice d'écriture préalable va certainement épuiser mes capacités à en parler plus avant. - Citation :
- Il est vrai que je suis mauvais juge pour l'interprétation au piano : le fait de pratiquer moi-même me donne l'impression, tout à fait involontaire (et parfaitement prétentieuse bien que ce soit en toute ingénuité ) que je peux jouer la plupart de ce qui est enregistré à part les pièces de haute virtuosité, et de ce fait, je cherche sans doute moins l'émotion ici qu'ailleurs. C'est plus un document qui m'évite d'estropier la partition que la communion avec un interprète, bien souvent. Ce n'est pas pareil avec les autres instruments, parce que la personnalité d'un son de violoncelle n'est pas identique - et me touche plus.
Le piano a quelque chose de très familier, et je ne ressens quasiment pas le besoin d'en écouter à part pour me documenter sur le répertoire.
Je n'en suis pas totalement persuadé, mais il est possible que ça influe sur mes attentes : puisque je peux voir ce qui est émouvant, ou servir mes intentions par mes propres moyens, fussent-ils réduits, je n'attends pas une démonstration de l'interprète, plutôt qu'il ait l'extension technique qu'il me manque pour une exécution bien en place. C'est extrêmement intéressant ce que tu écris là et je te remercie de partager cela. Si je trouve cela si intéressant, c'est parce que la dichotomie dont tu parles, elle se retrouve (de manière drolatique ou tragique, selon la façon dont on la considère) chez Sofronitsky également. Je n'ai malheureusement pas la source directe, mais dans l'article de Pierre-Martin Juban dans International Piano Quarterly (volume 2, n°5, pages 54-62 [en particulier page 61], automne 1998), on trouve la note suivante (traduction libre par moi-même) : - Pierre-Martin Juban a écrit:
- Après le récital, qui pouvait s'allonger d'une demi-heure en raison des rappels, il existait souvent une dichotomie entre l'impression du public et celle du pianiste : plus le récital avait été bien perçu, plus Sofronitsky était troublé. Lorsque des moments d'inspiration sans pareille avaient eu lieu, donnant aux auditeurs l'impression qu'une force avait joué au travers de lui comme s'il n'avait plus contrôlé les événements, il sortait du récital en affirmant qu'il venait de jouer affreusement, « comme un accordeur de piano ». En revanche, il y eut des occasions où le récital avait manqué de magie ou de moments de grandeur, mais où Sofronitsky était satisfait de son jeu -- lequel s'était conformé à ses intentions, ayant été contrôlé de bout en bout --, tout en étant surpris que le public ne puisse pas partager sa satisfaction.
Donc à mon avis oui, la capacité de donner corps soi-même à la vision que l'on porte d'une œuvre, parce que l'on maîtrise l'instrument pour lequel elle a été écrite, cette capacité influe fortement sur les attentes. D'où le véritable dialogue de sourds rapporté par Pierre-Martin Juban. Je ne pense pas que vous, les musiciens, ayez pleinement conscience de la frustration des mélomanes, car la capacité de porter une vision est indépendante de celle de l'incarner. C'est comme une grossesse sans parturiente. J'ai vécu cette frustration pour l'Arietta de l'opus 111 de LvB jusqu'à ce qu'elle soit étanchée par quelqu'un. On peut comprendre le degré de gratitude. - Citation :
- Pourtant, Sawallisch ne coupe pas les œuvres, délicatesse qui manque à Furtie même dans le saint Wagner. Furtwängler joue quand même tout avec la même palette de couleurs (Brahms, Strauss, Ravel, une seule manière), très typée - même sans définir un style, on voit bien qu'il n'en change pas.
Que dire ? Ce n'est pas du tout ainsi que j'entends Furtwängler. Tout se passe comme s'il parvenait souvent à débusquer la nécessité de l'œuvre qu'il joue, sa clef de voûte, et à l'incarner par des sons vivants. Je trouve au contraire que chaque œuvre y reçoit sa couleur, sa texture, sa pulsation secrète. Quant à dire que Brahms, Strauss, Ravel ou n'importe quel autre compositeur devrait avoir une manière ou une palette de couleurs qui lui soit propre, c'est oublier un peu vite que l'on ne joue pas un compositeur mais une (de ses) œuvre(s), et qu'entre deux œuvres de n'importe quel compositeur que tu cites, il y a souvent autant de distance qu'entre deux galaxies. Furtwängler est un tragique et ses interprétations sont toujours terriblement sérieuses, frappées d'un destin. Je comprendrais donc qu'on l'oppose à Hermann Scherchen, par exemple. Ou à Toscanini, beaucoup plus régulier que lui (Furtwängler semble assez journalier, et il y a des soirs où les dieux n'ont pas daigné). Sawallisch est quelqu'un que je conseillerais volontiers pour des intégrales d'œuvres qui semblent fuir les interprètes, comme par exemple celle des symphonies de Schumann, moi qui déteste tant le concept même d' intégrale. - Citation :
- [...] Mais quand j'ai deux interprètes engagés, que l'un fait toutes les notes et l'autre non, ou que l'un s'efface devant la partition et que l'autre enchaîne les effets, fussent-ils profonds, j'ai tendance à donner ma confiance au premier. Mais c'est tout à fait théorique, ça dépend vraiment de ce que j'entends au bout du compte.
Le problème de cette argumentation, à mon avis (et je sais bien que je la coupe pour le moment deux paragraphes avant son terme), c'est qu'aucun interprète ne s'efface vraiment tout à fait devant une partition, qu'aucune interprétation n'est assez transparente pour laisser la musique s'exprimer d'elle-même. Quand une personnalité puissante impose sa vision, il nous est toujours possible de la refuser (combien de fois cela m'est-il arrivé avec Horowitz !) ; quand un interprète en apparence plus réservé semble s'effacer, c'est en fait son absence (relative ou non) de personnalité qu'il impose à l'œuvre (et à nous), et cela ni elle ni nous n'y pouvons plus rien faire. - Citation :
- C'est pourquoi tout de même j'ai tendance à beaucoup apprécier les orchestres de cacheton, il y a souvent quelque chose de frémissant dans leur fébrilité, mais aussi une absence de prétention à imposer une vision envahissante par-dessus l'œuvre.
Et ça n'empêche nullement que si c'est fulgurant et que je le sens, j'adhère à n'importe quel excès, comme tout le monde. Si bien qu'on peut surtout constater que nous n'attirons pas notre intention sur les mêmes paramètres. (Et pourtant, je ne pensais pas être indifférent aux couleurs et aux phrasés... ce doit donc être encore une subdivision de ces catégories !) Je suis d'accord, mais c'est quand même un peu dommage (maintenant que j'ai laissé l'argumentation se développer jusqu'à son terme) qu'il y ait d'une part un interprète assez modeste mais engagé, frais et frémissant, respectueux des notes, et d'autre part un visionnaire torturé qui ne fait pas toutes les notes (probablement parce qu'il estime avoir compris l'œuvre mieux que celui qui l'a conçue -- ce qui peut d'ailleurs arriver), enchaîne les effets (même s'ils sont profonds, cela ne fait pas une arche), excessif et fulgurant. Il me semble qu'entre ton infrarouge et ton ultraviolet il y a tout un spectre moins caricatural et peut-être même un continuum. Mais sinon, je suis d'accord. |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97900 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Mer 12 Mai 2010 - 13:09 | |
| Merci Scherzian pour cette présentation méthodique, c'est un plaisir à lire. C'est tout à ton honneur d'en souligner le possible biais, mais dans ce que j'ai relu, je n'ai rien vu que de très honnête et objectif sur le déroulement de notre discussion. Ce dont je n'avais à vrai dire guère douté. Poursuivons, alors. Selon les répertoires ? - Citation :
- La liberté pleine dans un réseau de contraintes sans faille.
Pourtant, lorsqu'on joue un clavecin ou un orgue et qu'on n'a pas de vraie nuance dynamique (à chaque fois, quelqu'un sort du bois pour me dire que si, mais enfin, ce sont des exépdients qui n'ont aucun rapport avec ce qui est possible sur tout autre instrument), la latitude expressive est une bande étroite. Et on y parvient. Même chose pour les oeuvres ultra-écrites, on peut émouvoir avec du Boulez au piano, par l'interprétation. Cela dit, je m'empresse de préciser que j'ai pris ton propos dans son sens le plus général. Pour l'orchestre et la musique baroque et ancienne, le progrès me paraît considérable et assez incontestable (on peut toujours regretter des paramètres à la marge, et reconnaître de très grandes interprétations, mais le saut qualitatif est tel qu'on aurait du mal à regretter le passé). Pour les voix, on en a mainte fois parlé sur sur forum très lyricocentré, et c'est quand même avant tout une affaire de goût, parce que le style a tout simplement changé, et les propriétés techniques avec. (L'instrument étant ici soumis à des contraintes de facture sur lesquelles on a peu d'emprise.) Si tu penses en priorité au piano et aux petits ensembles, je vais essayer de préciser mon sentiment. Pour les petits ensembles, on a beaucoup gagné en exactitude, et dans certains répertoires (les plus récents), c'était absolument indispensable. Pour le répertoire plus traditionnel, on peut discuter parce qu'effectivement entre les Busch et les Berg, il y a plusieurs mondes. Néanmoins, lorsque tu dis qu'on a perdu en personnalité sonore, je ne puis que t'engager à aller assister, si tu en as la possibilité, à un concours de quatuor de haut niveau type Evian-Bordeaux. On est au contraire saisi par la diversité des sons, peut-être moins radicale qu'autrefois, mais tout de même... totale. Entre la rugosité des Ebène, la fine acidité des Quiroga ou l'opulente des Atrium, on ne peut vraiment pas faire de confusion de styles. Pour le piano, le cas est plus limite, et donc peut-être plus intéressant. Dans tout ce qui concerne l'accompagnement - et j'y suis particulièrement sensible puisque j'écoute beaucoup plus de lied et de musique de chambre que de piano solo -, ce n'est même pas un progrès, c'est une autre conception. Au lieu de chefs de chant laborieux, déjà incapables de jouer correctement et en plus sans aucune qualité expressive (sans même essayer pour la plupart). Ecouter les accompagnateurs de Lotte Lehmann ou de Ljuba Welitsch constitue un supplice des plus raffinés. Quant à Istomin, il n'a pas fait carrière que dans le répertoire de chambre, certes, mais j'ai du mal à regretter ce type de quatrième couteau, très sympathique, mais pas spécialement fulgurant. Pour le piano solo, j'ai du mal aussi à entendre les partitions écornées, pour les raisons que j'énonçais et qui me sont tout à fait personnelles - écouter du piano au disque ne me fait pas beaucoup rêver, donc tant qu'à faire, autant avoir la documentation exacte. Il y a effectivement des types de jeu qui ont disparu, mais je ne suis pas d'accord avec l'idée qu'on aurait régressé dans les paramètres que tu indiques plus bas. - Citation :
- Le hic, c'est que je ne l'entends plus guère dans les interprétations récentes (l'écoute comparée de la Sonate de Liszt a été assez déprimante, de ce point de vue : je ne comptais plus les interprétations récentes aussi interchangeables que des bosons).
Liszt n'est peut-être pas, effectivement, le lieu où le génie pianistique s'est récemment distingué avec le plus d'éclat. Mais dans le lied, la mélodie et le répertoire français, le piano s'est très considérablement amélioré, ne serait-ce qu'en ce qui concerne la profondeur du propos musical - il n'y en avait à peu près pas du tout avant. (Quant au progrès, oui, on parle bien de la même chose, je ne prétends pas qu'il existe une progression nécessaire, soit parce qu'elle serait inévitable, soit parce qu'avancer serait bien.) |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97900 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Mer 12 Mai 2010 - 13:12 | |
| Le style est-il quantifiable ? - Citation :
- Ne voit-on pas qu'en affirmant l'existence d'une exactitude stylistique immanente à l'œuvre,
C'est sur ce point que je pense que tu fais erreur. Je ne suggère pas UNE exactitude stylstique, mais plutôt un souci du style. Et c'est pour cela que je citais des interprètes qui jouent tout de la même façon : à défaut de définir le style, on peut toujours remarquer qu'ils ne le respectent pas... Je veux bien qu'il y ait une aporie, et on risque effectivement s'arracher les cheveux longtemps, même en étant d'accord, avant de trouver une définition fonctionnelle. Néanmoins, entre le Charpentier de Nadia Boulanger et le Charpentier de William Christie, je constate un usage de la partition qui est très différent, et plus pertinent dans le second cas, car ce qui est écrit y est pleinement exploité. (Et cela, sans compter le point fondamental du respect des normes implicites attestées par les écrits d'époque.) Evidemment, c'est moins fondamental pour jouer Beethoven ou Debussy, mais cette démarche était tout de même fort réduite dans les années cinquante... - Citation :
- [*] accentuation (+, mais in extremis) ;
Ca me paraît assez peu évident, finalement. Ca dépend vraiment des pianistes. - Citation :
- [*] choix des rapports de tempos (-) ;
Là aussi, ça dépend vraiment de qui l'ont parle. - Citation :
- [*] rubato (---) ;
Il est moins visible, mais ce n'est pas pour autant qu'il n'existe pas de façon très expressive chez certain. Mais c'est sûr qu'il est moins bien vu. - Citation :
- [*] agogique (---) ;
- Citation :
- [*] phrasé (qualité du chant et de la diction instrumentale) (--) ;
[*] couleur (distribution de l'intensité relative dans les accords) (--) ; Pas d'accord non plus avec ça. - Citation :
- [*] raffinement et variété des textures (---).
Et là aussi, il faudra s'entendre sur les "textures". Un peu comme si l'on voulait hiérarchiser entre vibrato et non-vibrato sur un violon ou une voix. Ca dépend de ce qu'on trouve raffiné... - Citation :
- ne trouves-tu pas qu'il est par exemple beaucoup plus difficile de maintenir une mise en place instrumentale rigoureuse et une articulation impeccable lorsque certains des paramètres notés (-) dans la liste sont magnifiés par un interprète ?
Ca dépend vraiment du profil de l'interprète. Certains sont galvanisés par la liberté, d'autres par la netteté, et ça peut produire dans les deux cas de très belles choses. Evidemment, il y a ceux qui se contentent de jouer nettement (catégorie qui existait peu autrefois, puisque les pianistes moyens avaient déjà des difficultés à assumer les notes), mais l'on parle bien des plus brillants, non ? Parce que si on fait une moyenne, ça fera très mal au passé, en ce qui concerne le piano. - Citation :
- Et quand il s'agit d'un quatuor à cordes, c'est souvent en outre l'intonation qui fléchit. Mais quelle plus-value sous d'autres rapports, notamment celui de la liberté, de l'aération, de la fluidité !
La liberté, ce n'est tout simplement pas vrai. Il y a peut-être eu une période, dans les années 70-80 ou comme pour d'autres domaines, l'internationalisation a créé des choses un peu similaires (je n'en suis vraiment pas certain pour le quatuor à cordes), mais ce n'est plus vrai du tout aujourd'hui. Pour avoir assisté à plus d'une demi-douzaine de festivals ou concours de quatuor en dix ans, vraiment, on trouve énormément de liberté - sans doute plus, même, qu'autrefois. L'aération, oui, mais c'est là une autre conception stylistique : les quatuors d'antan ont beaucoup moins de fondu et de legato que les formations d'aujourd'hui, et cela se ressent en effet dans la clarté des voix... mais c'est vrai essentiellement au disque, le problème se pose beaucoup moins en salle. Aujourd'hui, on considère plus le quatuor comme une formation homogène que comme une réunion de quatre. Les deux conceptions se discutent. Enfin la fluidité, je trouve au contraire ça bien poussif, ne serait-ce qu'au niveau des tempi, difficile d'y revenir parfois... Mais pour ce critède, il faudra détailler ce qu'on entend exactement... - Citation :
- Au temps de Moritz Rosenthal, presque chaque mesure était façonnée, ciselée de rubato selon la nature du passage joué. C'était du cousu-main face au prêt-à-porter industriel. Et je ne pense pas que cette révision du paramètre s'exerce en fonction de l'opinion des auteurs, Mozart et Chopin en l'occurrence.
Et pourtant, je t'assure qu'on joue Chopin avec beaucoup plus de rubato que Mozart. C'était déjà vrai autrefois, et c'est assez logique vu la nature des partitions. Je suis tout à fait prêt à convenir avec toi que la réprobation morale du rubato qu'on voit aujourd'hui est plus une limite qu'une vertu. - Citation :
- Oh, je concède ce que tu veux dans le domaine de l'exécution orchestrale.
C'est bien la peine que je sorte l'artillerie lourde et que je lâche les trolls de combat, s'il n'y a même pas un peu de sang. - Citation :
- Je peux essayer de mettre en forme, mais cela demandera beaucoup de temps. D'un autre côté, l'interprétation étant libre de droits (20 octobre 1949), je pourrais la mettre en ligne le temps que dure la discussion et me référer à des minutages en plus des numéros de mesures. Pas de problème pour le débat, même si l'exercice d'écriture préalable va certainement épuiser mes capacités à en parler plus avant.
Aucune obligation bien sûr, mais je crois que ce serait passionnant pour tout le monde (pas seulement pour moi). Excellente idée de laisser l'enregistrement en ligne. Si ton travail est complet comme à l'habitude, il risque juste y avoir peu à répliquer, mais le but n'est pas tant de te contredire que de voir exactement ce que tu défends avec tant de flamme. |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97900 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Mer 12 Mai 2010 - 13:12 | |
| Sur le rapport entre pratique et écoute - Citation :
- Pierre-Martin Juban a écrit:
- Après le récital, qui pouvait s'allonger d'une demi-heure en raison des rappels, il existait souvent une dichotomie entre l'impression du public et celle du pianiste : plus le récital avait été bien perçu, plus Sofronitsky était troublé. Lorsque des moments d'inspiration sans pareille avaient eu lieu, donnant aux auditeurs l'impression qu'une force avait joué au travers de lui comme s'il n'avait plus contrôlé les événements, il sortait du récital en affirmant qu'il venait de jouer affreusement, « comme un accordeur de piano ». En revanche, il y eut des occasions où le récital avait manqué de magie ou de moments de grandeur, mais où Sofronitsky était satisfait de son jeu -- lequel s'était conformé à ses intentions, ayant été contrôlé de bout en bout --, tout en étant surpris que le public ne puisse pas partager sa satisfaction.
Donc à mon avis oui, la capacité de donner corps soi-même à la vision que l'on porte d'une œuvre, parce que l'on maîtrise l'instrument pour lequel elle a été écrite, cette capacité influe fortement sur les attentes. Le plus paradoxal, en ce qui me concerne, est que je n'ai pas forcément cette maîtrise - plutôt la potentialité. Rien ne me paraît réellement injouable dans la Sonate en si, et je dois pouvoir en jouer une bonne partie de façon reconnaissable, mais pour l'amener à un niveau rien que vaguement correct, il me faudrait très, très longtemps. Cependant le sentiment de cette potentialité, la conscience d'avoir quelques bases nécessaires pour le mettre en place à l'occasion, fait qu'effectivement je n'attends pas forcément des pianistes de m'apporter l'émotion que je peux aller puiser directement à la source de la partition. Parce qu'à défaut de la jouer correctement, je peux la parcourir vaguement de mes yeux et de mes doigts, et la faire résonner intérieurement. Il arrive bien sûr souvent que des interprètes puissent nous amener plus loin, mais rares sont ceux qui surpassent l'émotion de la prise directe avec la partition. - Citation :
- D'où le véritable dialogue de sourds rapporté par Pierre-Martin Juban. Je ne pense pas que vous, les musiciens, ayez pleinement conscience de la frustration des mélomanes, car la capacité de porter une vision est indépendante de celle de l'incarner.
On en peut-être encore plus conscience. Parce qu'il est fréquent qu'on ait des choses à dires et que les doigts ne répondent pas assez bien, soit pour restituer l'intention dans un environnement sonore pas trop dévasté ( ), voire pour restituer l'intention elle-même. Mais il est certain que les avoir (ou avoir le sentiment de les avoir, parce que l'idée qu'on se fait de la réalisation peut être fausse), ce peut être très frustrant lorsqu'on ne peut pas les exprimer. - Citation :
- J'ai vécu cette frustration pour l'Arietta de l'opus 111 de LvB jusqu'à ce qu'elle soit étanchée par quelqu'un. On peut comprendre le degré de gratitude.
Oui. Quel bonheur d'entendre SA vision empruntée et magnifiée par quelqu'un de compétent. Sur Furtwängler et la transparence de l'interprète - Citation :
- et qu'entre deux œuvres de n'importe quel compositeur que tu cites, il y a souvent autant de distance qu'entre deux galaxies.
Oui, mais même entre deux compositeurs éloignés, j'entends peu de différence de couleurs, même si je suis très souvent séduit par le souffle extraordinaire qui en émane. - Citation :
- Je comprendrais donc qu'on l'oppose à Hermann Scherchen, par exemple. Ou à Toscanini, beaucoup plus régulier que lui (Furtwängler semble assez journalier, et il y a des soirs où les dieux n'ont pas daigné).
Toscanini, je n'aime pas beaucoup la plupart du temps. Voilà bien l'exemple que je citerais de la rigueur desséchante. Scherchen, c'est vraiment autre chose, irrégulier lui aussi, mais capable de tellement de choses opposées. Je ne lui ai jamais trouvé un beau son, toujours très gris, mais alors une imagination dont on a peu d'exemple dans l'histoire de l'interprétation. - Citation :
- c'est qu'aucun interprète ne s'efface vraiment tout à fait devant une partition, qu'aucune interprétation n'est assez transparente pour laisser la musique s'exprimer d'elle-même.
Oui, mais... il y en a qui respectent la lettre sans donner de réels parti pris. Il suffit d'écouter les labels économiques fin des années 80 début des années 90, les Pilz, Arpège, Arabesque, Classica Licorne... pour constater l'absence d'audaces avec des pianistes ayant relativement peu de charisme, et des orchestres constitués de cachetonneurs issus d'orchestres tout à fait sérieux (mais mal équipés et mal rémunérés). Ce sont quasiment des lectures à vue par des interprètes réellement professionnels. D'habitude, sûreté et déchiffrage produisent le pire, mais ici, il y a une espèce de probité étonnante qui fait que tout est joué avec implication, mais comme sans parti pris. Et généralement, le résultat a quelque chose d'idéal de mesure. J'aurais envie, pour éclairer mon propos, d'opposer Karajan et Haitink. L'un a toujours quelque chose à dire, mais pas forcément au bon endroit, imposant sa manière aux compositeurs ; l'autre a sans doute moins à dire, mais le fait toujours dans le respect du style. Si on n'aime pas l'oeuvre, il ne nous convertira pas ; il ne nous amènera pas découvrir des choses nouvelles. Mais il donne toute sa chance à l'oeuvre. J'aurais envie de dire la même chose de Hickox, mais en réalité je trouve qu'il s'agit d'un très grand chef passionnant, qui a quand même dans certains cas des lectures assez personnelles avec des orchestres limités techniquement - autres cas qui peuvent s'avérer bien plus intéressant que les fulgurances d'authentiques génies. - Citation :
- Je suis d'accord, mais c'est quand même un peu dommage (maintenant que j'ai laissé l'argumentation se développer jusqu'à son terme) qu'il y ait d'une part un interprète assez modeste mais engagé, frais et frémissant, respectueux des notes, et d'autre part un visionnaire torturé qui ne fait pas toutes les notes (probablement parce qu'il estime avoir compris l'œuvre mieux que celui qui l'a conçue -- ce qui peut d'ailleurs arriver), enchaîne les effets (même s'ils sont profonds, cela ne fait pas une arche), excessif et fulgurant. Il me semble qu'entre ton infrarouge et ton ultraviolet il y a tout un spectre moins caricatural et peut-être même un continuum.
Je précise qu'en parlant d'effets, j'incluais toute la palette de l'interprète, bien au delà de ce qu'on désigne habituellement par le terme d'effets (y compris la construction, les phrasés, les couleurs, donc). Je suis bien sûr d'accord avec toi, mais on est obligé, pour débattre dans l'abstraction, de catégoriser, avec des boîtes et des pôles, pour recouvrir la généralité. Evidemment qu'on aime. Et comme il n'y a guère de généralité possible en art, je pourrais citer maint cas, même s'il en est peu au piano, où je suis bien plus séduit par l'échevelé que par l'exact. C'est d'ailleurs toujours le cas lorsque j'écoute des voix... mais je demande à ce que cet écart ait des contreparties, je n'en fais pas un sujet de regret lorsque je ne l'ai pas, en somme. Disons qu'il me paraît étrange d'accuser une vertu d'être à l'origine des vices. Je suis d'accord avec toi pour souhaiter plus de souplesse quelquefois, moins de morale à propos de l'exactitude... mais je ne fais pas porter le chapeau à ce souci très honorable des manques sur d'autres paramètres. On peut avoir les deux de toute façon... ou voguer de l'un à l'autre. Et quoi qu'il en soit, nos sensibilités et priorités, quand on parviendrait un jour à objectiver tout ça, n'en seraient pas forcément lourdement bouleversées. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Jeu 13 Mai 2010 - 17:50 | |
| Selon les répertoires ? - DavidLeMarrec a écrit:
- Scherzian a écrit:
- La liberté pleine dans un réseau de contraintes sans faille.
Pourtant, lorsqu'on joue un clavecin ou un orgue et qu'on n'a pas de vraie nuance dynamique (à chaque fois, quelqu'un sort du bois pour me dire que si, mais enfin, ce sont des exépdients qui n'ont aucun rapport avec ce qui est possible sur tout autre instrument), la latitude expressive est une bande étroite. Et on y parvient. Même chose pour les oeuvres ultra-écrites, on peut émouvoir avec du Boulez au piano, par l'interprétation. Oui bien sûr, je n'ai pas dit autre chose. « Un réseau de contraintes sans faille », cela se rapporte au répertoire joué (le système de contraintes est en raison directe du répertoire). « La liberté pleine », c'est ce que j'exige de l'interprète, quel qu'il soit et quel que soit le répertoire joué. Mais puisque je dis que la liberté s'exerce dans le réseau de contraintes, cela signifie que je la subordonne à lui et donc que le réseau de contraintes est premier. - Citation :
- Si tu penses en priorité au piano et aux petits ensembles, je vais essayer de préciser mon sentiment. Pour les petits ensembles, on a beaucoup gagné en exactitude, et dans certains répertoires (les plus récents), c'était absolument indispensable. Pour le répertoire plus traditionnel, on peut discuter parce qu'effectivement entre les Busch et les Berg, il y a plusieurs mondes.
Je suis très largement d'accord, mais encore faudrait-il que les pratiques nécessaires à l'interprétation de certains pans récents du répertoire n'affectent pas celles que l'on met au répertoire plus ancien. D'une part parce que, en termes de respect de la nature des œuvres et des pages concernées, cela me paraît anachronique (par exemple, l'exactitude n'était pas ce que Beethoven exigeait en premier et il y a des documents de témoins directs et indépendants qui en attestent), sclérosant et raidissant (c'est du moins ce que mon oreille m'enseigne), pontifiant voire lénifiant (je veux dire que c'est souvent doctoral, j'ai plus l'impression d'assister à un cours que d'écouter des œuvres vivantes) et parfois même trivialisant. D'autre part parce que, si c'est pour avoir les quatuors à cordes de Beethoven interprétés de manière stylistiquement systématique comme les Budapest, les Juilliard, les Smetana (dans une certaine mesure, car les Smetana y ont réussi deux ou trois grandes choses), les Guarneri, les Italiano, les Berg et al, merci bien mais cela sera sans moi. - Citation :
- Néanmoins, lorsque tu dis qu'on a perdu en personnalité sonore, je ne puis que t'engager à aller assister, si tu en as la possibilité, à un concours de quatuor de haut niveau type Evian-Bordeaux. On est au contraire saisi par la diversité des sons, peut-être moins radicale qu'autrefois, mais tout de même... totale. Entre la rugosité des Ebène, la fine acidité des Quiroga ou l'opulente des Atrium, on ne peut vraiment pas faire de confusion de styles.
Je sais que ton invitation part du désir de faire découvrir, mais s'il y a un endroit au monde où je ne mettrai jamais les pieds, c'est bien un concours. Il y a là quelque chose qui m'est étranger et antipathique. Il faut bien voir que c'est par essence le genre d'endroits où un écosystème se reproduit, essentiellement par cooptation. Pour mon malheur, je connais moi-même très bien ce milieu, et ce de l'intérieur, ayant été universitaire pendant treize ans. Sous des abords feints de grande ouverture d'esprit et d'universalité, ce sont en réalité des milieux normatifs et très peu universels. Les musiciens que j'aime le plus ne sont jamais passés par des concours (même si je reconnais bien sûr que j'apprécie de nombreux musiciens qui ont bien dû sacrifier à ce qui est devenu une règle) et je ne pense pas que cela soit un hasard. Quoi qu'il en soit, s'il s'agit, pour une petite formation comme un quatuor à cordes, de se forger une signature comme la rugosité, l'acidité (même fin, un acide cela ronge) ou l'opulence, et ensuite de retrouver peu ou prou cette signature ou cette texture dans la plupart des pages jouées, non merci. Le quatuor Busch, par exemple, soumettait sa rugosité ou son soyeux, son acidité ou son amertume, son opulence ou sa pénétration, sa limpidité ou son opacité, etc., au caractère de chaque page jouée, de chaque mesure de la page, de chaque note de la mesure. Ce qui caractérise ce quatuor et de nombreux autres, ce n'est pas ce qu'il rejette mais ce qu'il embrasse, c'est-à-dire son caractère protéiforme. - Citation :
- Pour le piano, le cas est plus limite, et donc peut-être plus intéressant. Dans tout ce qui concerne l'accompagnement - et j'y suis particulièrement sensible puisque j'écoute beaucoup plus de lied et de musique de chambre que de piano solo -, ce n'est même pas un progrès, c'est une autre conception. Au lieu de chefs de chant laborieux, déjà incapables de jouer correctement et en plus sans aucune qualité expressive (sans même essayer pour la plupart). Ecouter les accompagnateurs de Lotte Lehmann ou de Ljuba Welitsch constitue un supplice des plus raffinés.
Quant à Istomin, il n'a pas fait carrière que dans le répertoire de chambre, certes, mais j'ai du mal à regretter ce type de quatrième couteau, très sympathique, mais pas spécialement fulgurant. D'accord sur ce point aussi (décidément...), même s'il n'est pas impossible de trouver d'assez intéressants (Michael Raucheisen) voire d'excellents (Edwin Fischer, Sviatoslav Richter) pianistes accompagnateurs dans des enregistrements relativement anciens. Mais si l'on considère en général, il est impossible de ne pas te donner raison pour ce qui est de l'accompagnement. - Citation :
- Pour le piano solo, j'ai du mal aussi à entendre les partitions écornées, pour les raisons que j'énonçais et qui me sont tout à fait personnelles - écouter du piano au disque ne me fait pas beaucoup rêver, donc tant qu'à faire, autant avoir la documentation exacte.
Il y a effectivement des types de jeu qui ont disparu, mais je ne suis pas d'accord avec l'idée qu'on aurait régressé dans les paramètres que tu indiques plus bas. Ah, enfin un point de désaccord complet ! Je ne te cache pas que je n'aurai ni le temps ni l'énergie d'aborder en détail chacun des paramètres en question, et j'en suis désolé, mais je vais faire l'effort d'en choisir deux (agogique et rubato), donc les deux paramètres temporels, et de les développer à fond. Je sais bien que cela revient à prendre le problème par le petit bout de la lorgnette (j'aimerais bien avoir le temps de discuter aussi des paramètres de phrasé, de couleur et de texture, pour lesquels je soutiens également la thèse d'une régression), mais peut-être que cela suffira, si l'on veut bien prendre le risque d'extrapoler un peu, à faire comprendre pourquoi je suis de ceux (nombreux) qui estiment que le jeu pianistique solo d'aujourd'hui, strict au niveau métrique à un point où cela devient raide, constitue en moyenne une régression abyssale par rapport à celui du passé. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Jeu 13 Mai 2010 - 17:58 | |
| Le style est-il quantifiable ? - DavidLeMarrec a écrit:
- Scherzian a écrit:
- Ne voit-on pas qu'en affirmant l'existence d'une exactitude stylistique immanente à l'œuvre, [...]
C'est sur ce point que je pense que tu fais erreur. Je ne suggère pas UNE exactitude stylstique, mais plutôt un souci du style. Et c'est pour cela que je citais des interprètes qui jouent tout de la même façon : à défaut de définir le style, on peut toujours remarquer qu'ils ne le respectent pas... On peut cependant toujours retrouver, dans les termes mêmes de la suggestion que tu m'opposes, l'affirmation spontanée, antérieure et exercée du principe premier de l'existence d'une exactitude stylistique qui serait immanente à l'œuvre... Principe que je conteste. C'est l'époque (actuellement sous le couvert de disciplines qui se prétendent scientifiques) qui attribue à l'œuvre son style, l'œuvre a eu autant de styles qu'elle a eu d'époques lors desquelles elle a été jouée. C'est la raison pour laquelle le style d'interprétation d'une œuvre donnée change au fil du temps : il est conçu pour convenir à l'époque en question et semble donc incongru voire insupportable à l'inactuel. Sinon, pour ce qui est des interprètes cités et qui jouent tout de la même façon, si tu vises Karajan (disons surtout le Karajan post-1960 pour que ses mânes restent en paix) alors je suis d'accord avec toi à un point que tu n'imagines pas. C'est tellement homogène (même si, comme tu l'as dit, cela convient parfois très bien à certaines pages) que je comprends le sévère coup de barre donné dans l'autre sens par de jeunes interprètes (vers la fin de sa carrière, quand son ubiquité est devenue par trop gênante). Mais si tu parles de Furtwängler, alors non, ce que j'entends de lui n'est pas du tout ce que donnerait une même manière uniment appliquée. - Citation :
- [...] (Et cela, sans compter le point fondamental du respect des normes implicites attestées par les écrits d'époque.)
Ce sont quand même toujours fatalement les yeux actuels qui lisent ces écrits d'époque et les cerveaux actuels qui interprètent ce qui est lu. (Ce que j'écris ici n'est guère compréhensible dès maintenant, c'est juste l'avant-garde de ce que je développe plus loin à propos du rubato.) Rubato et agogiqueConcernant le paramètre agogique, d'abord. J'affirme qu'il y a en moyenne de moins en moins de minimes variations de rythme dans l'interprétation pianistique solo au fil des décennies. Par « minime variation de rythme », j'entends l'art de faire tendre perceptiblement mais discrètement (il ne s'agit bien entendu pas de faire n'importe quoi) par exemple une croche pointée/double croche vers une croche doublement pointée/triple croche, ou par exemple deux croches successives vers un groupe plus fluide (moins carré) constitué d'un triolet avec une noire et une croche. Tout ceci bien sûr si l'interprète estime que le caractère (par exemple le lyrisme) du passage le suggère. À tort ou à raison, j'établissais une distinction nette entre le rubato (écart ou variation par rapport au temps musical, voir ci-dessous) et l'agogique en elle-même (petites variations locales de rythme). En fait, je la conçois plus comme une manière d'accentuer sans qu'il y ait aucune accentuation. Quand on écoute la plupart des grands pianistes solistes du passé, leur emploi de l'agogique est souvent une délectation (ce qui n'empêche pas que l'on puisse y trouver des exemples d'une agogique foireuse, c'est une arme à double tranchant ces petites bêtes). En ce qui concerne le rubato, on ne peut qu'être frappé par le fait que les termes utilisés par Mozart et Chopin à son sujet nous semblent bien difficiles à comprendre. En 1777, Mozart avait indiqué que « ce que ces gens ne parviennent pas à saisir, c'est qu'en tempo rubato dans un adagio, la main gauche devrait continuer à jouer en tempo strict. Avec [ces gens], la main gauche en fait toujours autant. » Chopin ne disait d'ailleurs pas vraiment autre chose, même si les termes employés semblent déjà plus souples : « La main gauche est la conductrice. Elle ne doit pas vaciller ou céder du terrain. Faites avec la main droite ce que vous voulez et pouvez. » Si l'on analyse ces propos (qui émanent quand même de personnes de référence) avec notre cerveau cartésien pétri d'exactitude et d'objectivité, on se trouve face à l'alternative suivante : - soit on tolère le minimum de mise en exergue de la main droite sur la ligne conductrice stricte, auquel cas il n'y a plus guère de rubato possible à proprement parler ;
- soit on lit au pied de la lettre (main gauche en tempo strict ou, en tout cas, sans céder de terrain, et main droite qui fait ce que l'on veut et peut), auquel cas on se retrouve avec un gros n'importe quoi.
Il faut bien sûr rejeter la seconde possibilité (sauf à supposer que Mozart était un dangereux anarchiste). Seule reste la première possibilité et l'on arrive ainsi à la conclusion que le rubato est une idée belle mais impossible à réaliser dans la pratique de l'exécution musicale. Bien entendu, j'ai présenté l'argument comme une démonstration par l'absurde : c'est l'hypothèse de départ qui doit voler en éclats -- il ne faut pas analyser les propos de Mozart et de Chopin avec la terminologie du vingtième siècle. En insistant dans cette voie, on arriverait aux interprétations raides, aussi peu naturelles et vivantes que cela est possible, si dénuées de flair et de spontanéité, dont j'ai déjà dit que je ne les aime pas et qu'elles font pourtant désormais florès (avec un petit bout de pseudo-rubato ici ou là). Dans le groupe de discussion Yahoo des pianophiles, il y a un article de Farhan Malik daté du vendredi 2 avril 2010 (23h03) qui donne l'explication bien mieux que je ne pourrai jamais le faire. Je vais essayer de résumer ce qu'il y dit. C'est tout le concept de rythme et de temps qui a varié au fil des époques. Au vingtième siècle, le fondement admis est le tempo strict et le rubato est une petite déviation à partir de celui-ci. Mais plus on remonte vers le passé, plus ce jeu en tempo strict s'efface et devient l'exception. Il est probable que notre jeu en tempo strict n'aurait pas été considéré comme une pratique valable par Chopin et même par Mozart ; les interprètes du passé nous répondraient qu'ils jouaient de manière tout à fait régulière, si nous avions encore la possibilité de leur poser la question. En quoi un tempo strict serait-il le seul garant, pour l'auditeur, de la perception des barres de mesure et des deux ou trois ou quatre temps que la mesure comporte ? Farhan Malik donne l'exemple du Prélude opus 28 n°7 de Chopin joué par Moiseiwitsch, où presque aucune mesure n'est jouée en tempo strict mais où n'importe qui peut néanmoins suivre, conduire et ressentir chaque temps. Aujourd'hui on dirait peut-être qu'il joue en « rubato continuel ». Ce serait ridicule de dire cela, car le rubato doit rester l'exception (sinon, on n'aurait pas inventé un terme supplémentaire pour désigner la pratique de base). Le rubato, c'est en fait un paramètre de jeu encore plus libre que cela, mais aussi utilisé avec beaucoup plus de parcimonie que cela, et qui vient se greffer sur un substrat dont le temps musical n'est pas notre tempo strict. Le jeu que l'on entend dans cet opus 28 n°7, c'est cela, l'ancrage temporel rigoureux assuré par la main gauche et qui permet à chaque auditeur d'y ressentir les mesures et les temps sans erreur possible et en dépit du fait que ce n'est pas le tempo strict. Le rubato, c'est un aspect supplémentaire, un degré de liberté encore plus élevé. - Spoiler:
Après tout ceci, que l'on vienne encore me dire que le niveau de qualité moyen n'a pas baissé, et je me fâche tout rouge. Nous avons perdu un degré de liberté, la perte est infinie au sens mathématique du terme.
- DavidLeMarrec a écrit:
- Et pourtant, je t'assure qu'on joue Chopin avec beaucoup plus de rubato que Mozart. C'était déjà vrai autrefois, et c'est assez logique vu la nature des partitions.
Je suis tout à fait prêt à convenir avec toi que la réprobation morale du rubato qu'on voit aujourd'hui est plus une limite qu'une vertu. Pour la phrase que j'ai passée en gras, c'est faux : on ne met maintenant plus de rubato ni à l'un ni à l'autre. Juste un corset bien noué. Pour le reste, il est probable que ceux qui réprouvent moralement le rubato sont précisément ceux qui ignorent ce dont il s'agit.
Dernière édition par Scherzian le Jeu 13 Mai 2010 - 23:34, édité 2 fois |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Jeu 13 Mai 2010 - 18:06 | |
| Sur le rapport entre pratique et écoutePas grand-chose à ajouter à ce que tu dis. Malgré la grande différence entre tes « conditions initiales » et les miennes, je crois que nous nous sommes parfaitement compris. Il y a peut-être un seul point sur lequel j'aimerais réagir, car, contrairement à la pratique musicale et à notre différence de niveau ici, c'est un domaine où nous sommes beaucoup plus à égalité, je suppose. Je te cite d'abord. - DavidLeMarrec a écrit:
- Cependant le sentiment de cette potentialité, la conscience d'avoir quelques bases nécessaires pour le mettre en place à l'occasion, fait qu'effectivement je n'attends pas forcément des pianistes de m'apporter l'émotion que je peux aller puiser directement à la source de la partition. Parce qu'à défaut de la jouer correctement, je peux la parcourir vaguement de mes yeux et de mes doigts, et la faire résonner intérieurement. Il arrive bien sûr souvent que des interprètes puissent nous amener plus loin, mais rares sont ceux qui surpassent l'émotion de la prise directe avec la partition.
(La musique et le théâtre étant deux arts de la scène, je pense que ce qui suit est pertinent.) Je ne pense pas que ce soit la relative faiblesse de ma potentialité en pratique musicale qui me fait attendre des pianistes interprètes une émotion que je suis ou non capable de puiser dans la partition (selon son degré de complexité). De fait, nous sommes en revanche tous parfaitement capables de lire une pièce de théâtre, ce qui ne m'empêche pas de chercher et parfois de trouver dans la représentation une émotion d'une tout autre ampleur que celle pourtant bien réelle ressentie à la source. Idem pour la représentation en musique, j'attends des interprètes qu'ils soient possédés par elle et que leur interprétation soit une poésie en acte. Sur [certains interprètes] et la transparence de l'interprète - Citation :
- Toscanini, je n'aime pas beaucoup la plupart du temps. Voilà bien l'exemple que je citerais de la rigueur desséchante.
Moi non plus je n'aime pas beaucoup. Pourtant, en direct et dans le répertoire vocal et surtout concertant (peut-être placé là face à l'obligation d'interagir ou de communier avec un soliste ou des chanteurs), et principalement avant les années 1940, « rigueur desséchante » est une expression que j'aurais scrupule à lui associer... Entièrement d'accord avec toi, en revanche, à propos de Hermann Scherchen. J'avais choisi son art comme exemple du jeu ou de la danse qui surpasse parfois la philosophie ou la métaphysique de Furtwängler. - Citation :
- J'aurais envie, pour éclairer mon propos, d'opposer Karajan et Haitink. L'un a toujours quelque chose à dire, mais pas forcément au bon endroit, imposant sa manière aux compositeurs ; l'autre a sans doute moins à dire, mais le fait toujours dans le respect du style. Si on n'aime pas l'oeuvre, il ne nous convertira pas ; il ne nous amènera pas découvrir des choses nouvelles. Mais il donne toute sa chance à l'oeuvre.
Sur le principe et la pertinence de ce genre d'oppositions, je suis à nouveau d'accord. Sur les vertus qui peuvent émerger de l'exercice, je suis déjà un peu plus réservé. Je n'apprécie beaucoup ni Karajan ni Haitink, mais je reconnais que c'est précisément pour les raisons que tu indiques. [langue de vipère]Charybde ou Scylla, je choisis aussi Haitink.[/langue de vipère] - Citation :
- Disons qu'il me paraît étrange d'accuser une vertu d'être à l'origine des vices.
Ne t'inquiète pas, je m'efforce de me situer Par-delà vertu et vice. Ce n'est pas en ces termes que je raisonne, c'est en termes d'équilibre. De toute manière, au terme de toute généalogie, il n'y a plus ni vice ni vertu, il n'y a que des forces congruentes ou non, et éventuellement des points d'équilibre. |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97900 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Jeu 13 Mai 2010 - 18:44 | |
| - Scherzian a écrit:
- (La musique et le théâtre étant deux arts de la scène, je pense que ce qui suit est pertinent.) Je ne pense pas que ce soit la relative faiblesse de ma potentialité en pratique musicale qui me fait attendre des pianistes interprètes une émotion que je suis ou non capable de puiser dans la partition (selon son degré de complexité). De fait, nous sommes en revanche tous parfaitement capables de lire une pièce de théâtre, ce qui ne m'empêche pas de chercher et parfois de trouver dans la représentation une émotion d'une tout autre ampleur que celle pourtant bien réelle ressentie à la source. Idem pour la représentation en musique, j'attends des interprètes qu'ils soient possédés par elle et que leur interprétation soit une poésie en acte.
Pour le théâtre, c'est à mon avis très différent : il y a beaucoup plus de libertés dans son exécution, un lien beaucoup plus direct aussi avec un sens, et par conséquent le représentation peut apporter plus. C'est peut-être à remettre dans le contexte de ma consommation culturelle, cela dit : j'ai eu peu d'occasions en province de voir des représentations extraordinaires dans ce domaine, et aujourd'hui j'en profite avec une gourmandise non dissimulée. Aussi, ça me paraît avoir un pouvoir que je remettrai peut-être en perspective dans quelques années. - Citation :
- Sur le principe et la pertinence de ce genre d'oppositions, je suis à nouveau d'accord. Sur les vertus qui peuvent émerger de l'exercice, je suis déjà un peu plus réservé. Je n'apprécie beaucoup ni Karajan ni Haitink, mais je reconnais que c'est précisément pour les raisons que tu indiques. [langue de vipère]Charybde ou Scylla, je choisis aussi Haitink.[/langue de vipère]
Le plus amusant, c'est que de mon côté, dans les oeuvres qu'ils abordent tous deux, je suis à 95% plus convaincu par Karajan (à part pour Pelléas et certains volets du Ring, il l'emporte de très loin à chaque fois, et en symphonique à tous les coups, hors style ou pas). J'assume tout à fait la contradiction : j'ai proposé une position de principe, qui défendait la rigueur actuelle en musique comme non contradictoire avec l'expression et la liberté d'autres paramètres, même un peu plus contrainte. Mais dans les faits, je me moque bien du positionnement rigoureux ou idéologique de celui qui joue, si je suis séduit. Comme tous ceux d'entre nous qui ne sont pas ligotés par une vision impérative et morale de la musique, je suppose. J'aime beaucoup justement ceux qui sortent de piste, pas forcément volontairement comme tu le décrivais pour Sofronitsky, mais avec une grande puissance d'évocation. Apparemment, je suis beaucoup moins sensible à cela pour le piano (voire la musique de chambre) que pour l'orchestre et le chant. Pour le piano, ce peut être parce que je le pratique peu (et donc que je me tourne logiquement vers quelque chose de plus respectueux et standard). Pour la musique de chambre, c'est plus une question de goût et de principe, à ce qu'il semble. Je crois aussi qu'il faut rapprocher mon propos de mes activités actuelles. Dans ma pratique musicale, je travaille activement sur la netteté, justement, pour mener à bien tout un tas de projets ; il y a pas mal de répertoires que tout seul dans mon coin de province, je ne jouais que pour moi, quitte à suppléer par l'évocation leurs manques dans la réalisation... et qu'il faut rentre sortables à présent que je suis cerné de mélomanes exigeants. Ca explique sans doute aussi pourquoi je me pose plus la question en ce moment de l'exactitude si jamais je mets un disque. Et aussi, dans mon rapport à la musique, la partition a une grande place, et je suis content de pouvoir faire confiance à l'interprète dans certains cas pour avoir accès à certaines choses, sans être induit en erreur par des exécutions erronées. Bref, tout ces détails pour montrer à quel point cela dépend de la démarche même, et qui peut évoluer, que l'on a vis-à-vis de la musique, même en dehors de la stricte écoute. |
| | | Golmon Mélomane averti
Nombre de messages : 121 Age : 36 Date d'inscription : 21/02/2010
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Ven 28 Mai 2010 - 21:52 | |
| Je me demande quel est le bien fondé des interprétations baroque de Bach. Par exemple Bach réclamait constament à ses employeurs plus de chanteurs pour ses choeurs, donc pourquoi vouloir absolument exécuter ses passion avec les trops maigres effectifs dont il disposait ? |
| | | Rameau Mélomaniaque
Nombre de messages : 699 Date d'inscription : 12/01/2009
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Sam 29 Mai 2010 - 0:35 | |
| Parce que ça peut donner des résultats musicaux magnifiques... |
| | | Cololi chaste Col
Nombre de messages : 33399 Age : 43 Localisation : Bordeaux Date d'inscription : 10/04/2009
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Sam 29 Mai 2010 - 9:01 | |
| Ce débat sur l'interprétation est à mon avis un non sens. Que Bach ai voulu celà ou son contraire ... en fait on s'en fiche. L'authenticité pour l'authenticité, ça n'a pas de sens. Par la force des choses ça musique sera interprétée différement selon les époques et finalement c'est très bien. C'est sans parler du fait qu'il est impossible de savoir ce qui est vraiment authentique ... c'est donc un leurre.
C'est comme Cosima qui voulait garder dans le formol les 1° mes de Bayreuth ... Alors que Wagner avait dit à la fin du 1° Ring ... "La prochaine fois ... nous ferons tout autrement !". _________________ Car l'impuissance aime refléter son néant dans la souffrance d'autrui - Georges Bernanos (Sous le Soleil de Satan)
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| | | jerome Fugueur intempéré
Nombre de messages : 8896 Date d'inscription : 10/03/2008
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Sam 29 Mai 2010 - 9:11 | |
| - Cololi a écrit:
- Ce débat sur l'interprétation est à mon avis un non sens.
Que Bach ai voulu celà ou son contraire ... en fait on s'en fiche. L'authenticité pour l'authenticité, ça n'a pas de sens. Par la force des choses ça musique sera interprétée différement selon les époques et finalement c'est très bien. C'est sans parler du fait qu'il est impossible de savoir ce qui est vraiment authentique ... c'est donc un leurre. Bah le débat et la recherche sur ce sujet sont quand même nécessaires, pas forcément dans le but d'atteindre la vérité historique la plus parfaite, mais au moins de creuser des pistes. Mais vu que t'aimes quasi-rien avant la fin XVIIIe, je comprends que tu te sentes pas très concerné. - Golmon a écrit:
- Bach réclamait constament à ses employeurs plus de chanteurs pour ses choeurs, donc pourquoi vouloir absolument exécuter ses passion avec les trops maigres effectifs dont il disposait ?
Mais ça n'a peut-être rien à voir avec son intention musicale profonde. Il avait vraisemblablement des chanteurs assez médiocres, donc c'était peut-être mieux de les noyer dans la masse, finalement. Ses colères à ce sujet étaient peut-être dûes à la déception d'entendre un tel fossé entre la finesse de son écriture et la médiocrité des interprètes disponibles (un orchestre ou un choeur qui se traînent, c'est quelque chose qui peut être lamentablement déprimant). S'il entendait aujourd'hui l'exactitude avec laquelle on joue sa musique, il aurait sûrement une petite larme à l'oeil. |
| | | Zeno Mélomane chevronné
Nombre de messages : 4648 Localisation : Yvelines Date d'inscription : 05/04/2008
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Sam 29 Mai 2010 - 10:51 | |
| Est-ce que l'excès de conjectures intellectuelles, aussi brillantes et passionnantes soient-elles, ne serait pas de nature à altérer la perception vraiment vivante et consciente d'une interprétation ? Depuis la physique quantique, on sait que l'observateur influence la chose observée. Alors, transposé à un art, à cette merveille infiniment mouvante et subtile qu'est la musique... Il est clair que nous n'entendons pas tous la même chose en écoutant le même artiste jouer la même oeuvre. Et non moins évident que d'un jour à l'autre, d'une époque à l'autre de notre vie, les fluctuation sont la règle. Bach n'est plus là mais les options sont sur le marché : gros effectifs, petites formations, etc. C'est disponible, on peut faire son marché. Mais vouloir se mettre d'accord à partir de suppositions invérifiables et de préférences de toute manière irrationnelles, franchement, est-ce seulement possible ? C'est la raison pour laquelle, en observant avec du recul ces joutes par ailleurs remarquables - j'insiste - je finis par penser que le plaisir de l'échange et de la confrontation constitue en soi un objet esthétique déconnecté de ce qui se joue ailleurs - à tous les sens du terme. Autrement formulé, il y a trop de miroirs pour que l'on puisse identifier l'image originelle et, par voie de conséquence, rendre un culte à ce qu'il est convenu d'appeler "une vérité". Une autre manière de le dire : après avoir lu Scherzian et David (et ça pourrait durer sur des centaines de pages car les grands génies obsessionnels sont inépuisables ), est-ce que je perçois la musique d'une autre manière, est-ce que mes goûts changent ou s'affinent ? Ce qui va me faire évoluer, c'est le contact direct avec telle interprétation, parce que ma sensibilité est prête à recevoir quelque chose, parce que j'ai levé des filtres, des barrières émotionnelles. Mais je suis frustré qu'un débat aussi riche et pointu n'ébranle pas les couches profondes de mon être. C'est une question que je pose, du reste, étant peut-être un âne rétif à tout argument intellectuel. Grosso modo, si un certain type de langage fait bouger un certain pourcentage de moi-même, et si ce phénomène se répète, je m'autorise à penser que le créneau émetteur est en phase ontologique avec le créneau récepteur. Il va sans dire que faire n'importe quoi avec une oeuvre musicale n'est pas défendable pour autant. |
| | | Cololi chaste Col
Nombre de messages : 33399 Age : 43 Localisation : Bordeaux Date d'inscription : 10/04/2009
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Sam 29 Mai 2010 - 11:00 | |
| - Zeno a écrit:
- . Mais vouloir se mettre d'accord à partir de suppositions invérifiables et de préférences de toute manière irrationnelles, franchement, est-ce seulement possible ?
Voilà ce que je voulais dire. _________________ Car l'impuissance aime refléter son néant dans la souffrance d'autrui - Georges Bernanos (Sous le Soleil de Satan)
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| | | Mehdi Okr Mélomaniaque
Nombre de messages : 1703 Date d'inscription : 04/02/2009
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Sam 29 Mai 2010 - 11:34 | |
| - Zeno a écrit:
C'est la raison pour laquelle, en observant avec du recul ces joutes par ailleurs remarquables - j'insiste - je finis par penser que le plaisir de l'échange et de la confrontation constitue en soi un objet esthétique déconnecté de ce qui se joue ailleurs - à tous les sens du terme. Cela me semble vrai sur tous les forums de discussions, qu'il s'agisse de politique, de langue, etc. Seuls peut-être les forums de jardinage et de cuisine parviennent-ils réellement à échanger concrètement. |
| | | Zeno Mélomane chevronné
Nombre de messages : 4648 Localisation : Yvelines Date d'inscription : 05/04/2008
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Sam 29 Mai 2010 - 13:40 | |
| Ca me frappe toujours : on débat passionnément avec un interlocuteur dont on sait au fond qu'on n'a pas la moindre chance de le convaincre. Par contre, quand j'ai découvert ce forum, je suis tombé sur les imposantes contributions de David concernant Takemitsu et j'ai découvert une musique que je ne connaissais pas encore. Et depuis, Takemitsu est parmi mes compositeurs favoris. A l'inverse, tous les plus beaux arguments du même David concernant Meyerbeer n'ont pas la moindre chance de me faire changer d'avis sur une musique qui me déplaît radicalement. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Dim 30 Mai 2010 - 11:28 | |
| - Zeno a écrit:
- [...] Il est clair que nous n'entendons pas tous la même chose en écoutant le même artiste jouer la même oeuvre. Et non moins évident que d'un jour à l'autre, d'une époque à l'autre de notre vie, les fluctuation sont la règle. [...]
Je suis tout à fait d'accord avec ton développement (dont je ne reprends ici que deux extraits) et même avec ta conclusion de frustration, que je partage mais dont je n'attendais pas de l'échange qu'il étanche une soif. Finalement, il en va ici comme en amour : comment donc est-il possible que l'ami, même le plus intime, persiste à trouver assez quelconques les traits du visage aimé, le timbre et les inflexions de sa voix, la grâce d'un de ses gestes ? En fait, nous renonçons à essayer de convaincre et je pense que c'est souhaitable. Peut-être quand même de tels échanges ont-ils la capacité de préciser des pensées et des termes ? Pour ma part, même lorsque je constate des progrès, je ne parviens toujours pas à croire au progrès ; ce qui est gagné ici me semble fatalement perdu ailleurs et si la perte concerne un aspect que je juge essentiel de l'interprétation (par exemple l'agogique et le rubato au piano) alors le progrès ressemble trait pour trait à une régression. - Citation :
- [...] Ce qui va me faire évoluer, c'est le contact direct avec telle interprétation, parce que ma sensibilité est prête à recevoir quelque chose, parce que j'ai levé des filtres, des barrières émotionnelles. [...]
C'est exactement ce qui m'est arrivé. Placé devant le mélomane que j'étais il y a quinze ans, il est peu probable que nous nous comprendrions. La seule chose permanente, c'est l'impermanence. C'est pour cela qu'à tort ou à raison je me suis lancé dans ce débat, sentant une raideur gagner (surtout au piano, mais aussi dans une moindre mesure en musique de chambre) depuis le début des années 1970 environ. Comme une volonté désespérée et vaine de rendre permanent (définitif, « de référence ») ce qui ne peut l'être. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 31 Mai 2010 - 2:59 | |
| Dans le fil discographique consacré aux Concertos pour piano de Brahms, nous avons, Hippolyte et moi, à partir d'une discussion sur les interprétations de ces œuvres par Claudio Arrau, sensiblement élargi le débat jusqu'au point où il n'était plus possible de continuer la discussion dans ce fil sans dériver hors du sujet. Voici la liste de nos échanges, rapatriée dans ce fil-ci qui nous semble plus approprié. - Scherzian, s'adressant à Adriaticoboy, a écrit:
- [...] Pour Arrau, c'est au-dessus de mes forces et je te le laisse volontiers. C'est ampoulé, chichiteux, prétentieux, doctoral et pontifiant au possible. Claudio Arrau me semble s'arrêter sans cesse sur des détails et rompre à tout instant la phrase, le flux et le temps musical. Ses nuances sont très rudimentaires (un seul piano, un seul mezzo-forte, un seul fortissimo, etc.) et appliquées « en paliers », sans continuité ni fluidité. Ses phrasés sont hachés, criblés de petites pauses rhétoriques pour souligner ici une inflexion mélodique, ici un événement harmonique (elles m'apparaissent d'ailleurs comme des poses plutôt que des pauses). Cela me donne plus l'impression d'assister à un cours que de vivre une interprétation. Ses accentuations sont un peu toujours les mêmes, très dures voire raides, ce qui n'aide guère le galbe qu'il pourrait donner aux phrasés. Je reconnais qu'il a une très belle sonorité, mais c'est vraiment difficile de passer sous silence le fait qu'il n'en a qu'une seule. (Idem pour les textures, d'ailleurs.) Que ce soit avec Giulini ou avec Haitink (perish the thought!), je n'aime pas, mais pas du tout, ses concertos pour piano de Brahms...
- Hippolyte, réagissant à la citation ci-dessus, a écrit:
- Quel tableau ! C'est à croire que j'aime le piano "ampoulé, chichiteux, prétentieux, doctoral et pontifiant" ! C'est drôle comme sur quasiment les mêmes bases je pourrais écrire au contraire tout le bonheur que j'ai souvent à écouter Arrau ! Je ne dis pas qu'on ne peut pas ne pas l'aimer, bien sûr que non, je comprends qu'on n'aime pas cette façon-là d'aborder les oeuvres. Moi elle m'a bouleversé maintes fois.
Ses interprétations ne se livrent pas à la première écoute, dédaignent la séduction première, cherchent d'autres voies, pour creuser le son, fouiller les articulations et les points de rupture, comme pour chercher inlassablement quelque mystère, quelque dimension enfouie du chant, au point de sembler frôler la rupture, au bord du gouffre, et de faire passer au second plan la ligne première de l'oeuvre. Pour l'auditeur, ça passe ou ça casse, on entre dans l'aventure ou on reste dehors. Je remarque que les avis tièdes sur lui sont rares, et c'est tant mieux !
L'allusion aux écoutes comparées comme preuve à l'appui me fait plutôt sourire. Arrau, comme certaines autres fortes personnalités, lorsqu'il est écouté sur les quatre premières minutes d'une oeuvre, ne peut le plus souvent qu'être écarté dès lors que la comparaison cherche du premier coup et sur les premières notes une "version de l'honnête homme".
Je me souviens très bien de cette Tribune sur le 1er de Brahms, j'en avais parlé ici, un peu plus haut : https://classik.forumactif.com/discographie-f2/les-concertos-pour-piano-de-brahms-t1217-197.htm J'ai ensuite réécouté ce premier mouvement, et mon sentiment s'est vérifié : le sens de l'interprétation n'apparaît que sur la totalité du mouvement ; il suffisait de continuer un peu l'écoute pour comprendre ce que ce début préparait. Si analytique soit-il, Arrau a une conception d'ensemble qui prend sens sur la durée et qui ne se donne pas d'emblée. Et l'intro de Giulini, dans l'optique sombre et tragique qui est la sienne et de laquelle surgit progressivement, d'abord fragile, la lumière du piano, est l'une des plus tendue et glaçante qui soit, en dépit d'une prise de son peu flatteuse.
A contrario, j'avais été séduit ce jour-là, sur les quelques minutes d'écoute, par la version Leonskaïa/Inbal qui avait gagné le "match". Je me suis empressé de l'acheter : c'est en effet une très bonne version, bien meilleure que beaucoup de "références" déclarées, jouée avec sensibilité et caractère, mais curieusement, tout admiratif que j'aie été, elle ne m'a pas marqué outre mesure par une vision personnelle et inédite de la partition. Simplement, elle paraît d'emblée évidente... - Scherzian a écrit:
- Hippolyte a écrit:
- Quel tableau ! C'est à croire que j'aime le piano "ampoulé, chichiteux, prétentieux, doctoral et pontifiant" !
Ce n'est pas ce que j'ai dit et ce n'est pas non plus ce que j'ai voulu dire. Si l'on désigne une critique par « [...] », on peut bien sûr toujours la remplacer par « À mon avis, [...]. » Comme cela est vrai de n'importe quelle critique, partout et en tout temps, j'ai supposé que cela ne rimait à rien de préciser « à mon avis » partout ; autant ne l'indiquer nulle part.
- Citation :
- Ses interprétations ne se livrent pas à la première écoute, dédaignent la séduction première, cherchent d'autres voies, pour creuser le son, fouiller les articulations et les points de rupture, comme pour chercher inlassablement quelque mystère, quelque dimension enfouie du chant, au point de sembler frôler la rupture, au bord du gouffre, et de faire passer au second plan la ligne première de l'oeuvre. Pour l'auditeur, ça passe ou ça casse, on entre dans l'aventure ou on reste dehors. Je remarque que les avis tièdes sur lui sont rares, et c'est tant mieux !
J'aimerais quand même dire que je ne juge jamais après une seule écoute et que je connais les interprétations des concertos de Brahms par Arrau depuis plus de vingt ans. Concernant le premier concerto, je n'ai jamais apprécié son approche. Je concède cependant volontiers que je suis bien en peine d'indiquer une interprétation du premier concerto qui me satisfasse pleinement. Au sujet du second -- j'hésite à l'avouer --, il fut un temps où Arrau/Giulini a exercé sur moi une certaine fascination, et même presque exclusive par moments. C'est que ses sortilèges sont désormais dissipés.
Le problème avec cette argumentation selon laquelle certaines interprétations ne se livreraient qu'après plusieurs écoutes (ce qui implique ipso facto que les autres interprétations révéleraient toutes leurs richesses immédiatement, de prime abord), c'est que la musique est un art de la scène (et que les enregistrements en studio ne changent rien à ce fait, contrairement à ce qui est affirmé avec de plus en plus d'insistance de nos jours). Peut-être que Claudio Arrau, dans sa réflexion préalable sur l'œuvre, en a creusé l'essence, en a fouillé les articulations et les points de rupture, en a recherché inlassablement les mystères et dimensions cachées. Peut-être. Mais dans l'acte même de son interprétation, ce sont là des considérations qui n'ont désormais plus aucune importance. C'est un peu comme si l'on demandait de juger un mets ou un plat en tenant compte de tout le travail sous-jacent en cuisine. Ou de juger d'une représentation théâtrale en y faisant intervenir tout le travail préalable en répétitions et en coulisses. Si Arrau estime avoir décelé dans l'œuvre des aspects négligés par d'autres ou des profondeurs inconnues, il se (et il nous) doit de les présenter avec simplicité et naturel, avec franchise, de manière directe et vivante. Il se doit de nous faire grâce du travail d'introspection qu'il a peut-être mené (celui-ci étant une condition nécessaire mais non suffisante dans le cas d'un art de la scène). Il doit subordonner tout son art à l'idéal d'interprétation, qui est de faire disparaître l'art. Ce qu'il a trouvé dans l'œuvre est-il profond, essentiel ? Celui qui se sait profond s'efforce à la clarté ; celui qui veut paraître profond... En reproduisant, durant son acte même d'interprétation, toute la gestation de ce que fut sa réflexion sur l'œuvre, Arrau nie, selon moi, l'essence même de la musique au moment où on la fait et où on la reçoit, c'est-à-dire d'être un art vivant et éphémère, sans cesse renouvelé. C'est un art qui n'a qu'une seule parole : en la redisant sans cesse, il ne la répète jamais. En m'infligeant la redémonstration de son théorème (plutôt qu'en incarnant sa vision de l'œuvre pendant tout le temps qu'elle dure), ce n'est pas la rupture ou la lèvre supérieure du gouffre qu'Arrau frôle, c'est la constipation au stade terminal, la pétrification. C'est la soumission de Dionysos à Apollon.
- Citation :
- L'allusion aux écoutes comparées comme preuve à l'appui me fait plutôt sourire. Arrau, comme certaines autres fortes personnalités, lorsqu'il est écouté sur les quatre premières minutes d'une oeuvre, ne peut le plus souvent qu'être écarté dès lors que la comparaison cherche du premier coup et sur les premières notes une "version de l'honnête homme".
Je t'assure que je n'ai fait aucune allusion aux écoutes comparées (je les déteste au moins autant que toi, et justement pour les raisons que tu soulèves dans ton paragraphe ; je me suis également trouvé à moins d'un angström de renoncer à l'écoute en aveugle de la Sonate en si mineur de Liszt, toujours pour ces mêmes raisons). En revanche, ce à quoi j'ai fait allusion, c'est aux écoutes en aveugle, car l'expérience m'a assez souvent montré que l'on aime plus Arrau lorsque l'on sait qui joue que lorsqu'on l'ignore. Quand je dis « on », cela vaut notamment pour moi-même : j'aimais beaucoup Arrau jadis et c'est l'exercice en aveugle qui m'a permis d'y voir clair et de surmonter cela. Cet exercice peut toujours être mené indépendamment de celui, détestable, de la comparaison. Soit parce qu'il n'y a qu'une seule interprétation à écouter et que la comparaison ne se pose donc même pas. Soit parce qu'il est toujours possible d'établir une intimité profonde avec un interprète inconnu : il suffit de recourber l'espace et le temps sur lui, de l'écouter plusieurs fois à l'exclusion de tout autre.
Pour le reste, les phrasés d'Arrau, ses nuances, ses accentuations, sa sonorité invariable, ses textures et ses couleurs, je campe fermement sur mes positions. - Hippolyte a écrit:
- Scherzian a écrit:
- Hippolyte a écrit:
- Quel tableau ! C'est à croire que j'aime le piano "ampoulé, chichiteux, prétentieux, doctoral et pontifiant" !
Ce n'est pas ce que j'ai dit et ce n'est pas non plus ce que j'ai voulu dire. Si l'on désigne une critique par « [...] », on peut bien sûr toujours la remplacer par « À mon avis, [...]. » Comme cela est vrai de n'importe quelle critique, partout et en tout temps, j'ai supposé que cela ne rimait à rien de préciser « à mon avis » partout ; autant ne l'indiquer nulle part. C'est évident ! C'était juste une manière amusée de dire ma réaction à ce que j'ai bien lu comme ton avis !
- Citation :
- Le problème avec cette argumentation selon laquelle certaines interprétations ne se livreraient qu'après plusieurs écoutes (ce qui implique ipso facto que les autres interprétations révéleraient toutes leurs richesses immédiatement, de prime abord), c'est que la musique est un art de la scène (et que les enregistrements en studio ne changent rien à ce fait, contrairement à ce qui est affirmé avec de plus en plus d'insistance de nos jours).
Je me suis donc mal exprimé : je ne veux pas dire qu'il faut nécessairement plusieurs écoutes pour aborder les interprétations d'Arrau, pas plus que pour Serkin, Sofronitski, Guilels ou Grinberg par exemple, mais qu'elles désorientent d'abord celui qui s'attend à y retrouver une image connue de l'oeuvre. Du coup, on peut soit être saisi soit trouver la chose absconse, non pas parce qu'il faudrait un mode d'emploi ou une préparation, mais parce que la lecture a tendance à brouiller nos repères. En l'occurrence, l'art d'Arrau m'a "parlé" immédiatement. Par exemple, sa fameuse Waldstein ne correspond pas à l'allure courante d'une Waldstein habituelle ; on est d'abord dérouté, et c'est moins un effort que cela exige que de s'abandonner à quelque chose d'inouï (pour le dire vite).
- Citation :
- Peut-être que Claudio Arrau, dans sa réflexion préalable sur l'œuvre, en a creusé l'essence, en a fouillé les articulations et les points de rupture, en a recherché inlassablement les mystères et dimensions cachées. Peut-être. Mais dans l'acte même de son interprétation, ce sont là des considérations qui n'ont désormais plus aucune importance. C'est un peu comme si l'on demandait de juger un mets ou un plat en tenant compte de tout le travail sous-jacent en cuisine. Ou de juger d'une représentation théâtrale en y faisant intervenir tout le travail préalable en répétitions et en coulisses. Si Arrau estime avoir décelé dans l'œuvre des aspects négligés par d'autres ou des profondeurs inconnues, il se (et il nous) doit de les présenter avec simplicité et naturel, avec franchise, de manière directe et vivante. Il se doit de nous faire grâce du travail d'introspection qu'il a peut-être mené (celui-ci étant une condition nécessaire mais non suffisante dans le cas d'un art de la scène). Il doit subordonner tout son art à l'idéal d'interprétation, qui est de faire disparaître l'art. Ce qu'il a trouvé dans l'œuvre est-il profond, essentiel ? Celui qui se sait profond s'efforce à la clarté ; celui qui veut paraître profond... En reproduisant, durant son acte même d'interprétation, toute la gestation de ce que fut sa réflexion sur l'œuvre, Arrau nie, selon moi, l'essence même de la musique au moment où on la fait et où on la reçoit, c'est-à-dire d'être un art vivant et éphémère, sans cesse renouvelé. C'est un art qui n'a qu'une seule parole : en la redisant sans cesse, il ne la répète jamais. En m'infligeant la redémonstration de son théorème (plutôt qu'en incarnant sa vision de l'œuvre pendant tout le temps qu'elle dure), ce n'est pas la rupture ou la lèvre supérieure du gouffre qu'Arrau frôle, c'est la constipation au stade terminal, la pétrification. C'est la soumission de Dionysos à Apollon.
Je ne suis évidemment pas d'accord sur le fait que l'art d'Arrau se réduise à la démonstration répétée d'un "théorème" ni qu'il n'incarne aucunement sa vision de l'oeuvre ! Si c'était cela, à coup sûr je m'ennuierais comme toi ; je n'ai pas commencé à aimer Arrau pour la beauté de son nom, il y a d'ailleurs des disques de lui que je n'aime pas du tout. Tu dis : "Si Arrau estime avoir décelé dans l'œuvre des aspects négligés par d'autres ou des profondeurs inconnues, il se (et il nous) doit de les présenter avec simplicité et naturel, avec franchise, de manière directe et vivante." Mais la simplicité et le naturel en art, c'est quand même aléatoire et sujet à caution : Richter et Serkin, par exemple, sont-ils simples et naturels ? Bof, pas sûr. Tout ça ne relève que de l'impression sur l'auditeur, qui s'accorde mal avec l'énoncé d'une règle. J'ai curieusement le plus souvent avec Arrau l'impression d'une sincérité, d'une mise à nu et d'une expérience profonde et vraie de l'oeuvre dans l'instant ; c'est manifeste pour moi dans ses prises de concert. C'est pourquoi je ne comprends pas ce reproche que tu lui fais. Je ne discute pas l'impression que tu as, très légitime, mais ce que tu dis d'un soi-disant manquement à ce que devrait être l'art de la scène, à la façon dont la profondeur doit se manifester, à ce que doit être l'art ("l'idéal d'interprétation, c'est de faire disparaître l'art", c'est une belle formule, très discutable, et à géométrie variable selon "l'art" que l'on décèle...), tout cela me laisse fort dubitatif.
- Citation :
- car l'expérience m'a assez souvent montré que l'on aime plus Arrau lorsque l'on sait qui joue que lorsqu'on l'ignore. Quand je dis « on », cela vaut notamment pour moi-même : j'aimais beaucoup Arrau jadis et c'est l'exercice en aveugle qui m'a permis d'y voir clair et de surmonter cela.
On peut dire ça de beaucoup de pianistes qui ont eu leur heure de gloire et leurs fans inconditionnels. J'ai ainsi été amené à être déçu d'enregistrements de Serkin, de Richter, de Guilels, de Nat, de Zimerman, pour ne citer que ceux-là que j'aime habituellement, et bien sûr aussi d'Arrau. Mais pas au point de les rejeter en bloc. En revanche, l'écoute en aveugle m'a permis de redécouvrir Rubinstein sous un heureux jour, ce dont je suis ravi.
- Citation :
- Cet exercice peut toujours être mené indépendamment de celui, détestable, de la comparaison. Soit parce qu'il n'y a qu'une seule interprétation à écouter et que la comparaison ne se pose donc même pas. Soit parce qu'il est toujours possible d'établir une intimité profonde avec un interprète inconnu : il suffit de recourber l'espace et le temps sur lui, de l'écouter plusieurs fois à l'exclusion de tout autre.
Bien d'accord avec toi ! - Scherzian a écrit:
- Hippolyte a écrit:
- [...] [J]e ne veux pas dire qu'il faut nécessairement plusieurs écoutes pour aborder les interprétations d'Arrau, pas plus que pour Serkin, Sofronitski, Guilels ou Grinberg par exemple, mais qu'elles désorientent d'abord celui qui s'attend à y retrouver une image connue de l'oeuvre. Du coup, on peut soit être saisi soit trouver la chose absconse, non pas parce qu'il faudrait un mode d'emploi ou une préparation, mais parce que la lecture a tendance à brouiller nos repères. [...]
Quand j'écoute une interprétation, je ne m'attends pas à y trouver ni à y retrouver une image connue ou inouïe de l'œuvre jouée. Je perds tous les repères, même ceux de ma propre conception de l'œuvre. La seule chose que j'attends (et cela ne dépend ni de l'œuvre, ni du répertoire, ni du « style », ni de l'époque de composition), c'est l'expression nécessaire et immédiate (sans strates intermédiaires, sans sophistication) de la vision d'un possédé. C'est ce que je voulais dire à propos de l'art qui doit faire disparaître l'art. Nous savons tous que cet acte, quel que soit l'interprète, est un Himalaya de représentation, que tout y est pensé et voulu, que tout a été réfléchi et ruminé sans cesse et pendant longtemps. Mais justement, l'essentiel des ressources de l'interprète doit être consacré, lors de l'acte, à faire disparaître tout ce qu'il y a de préméditation, de pensée voulue, de rouages internes. C'est ce que je reproche le plus aux interprétations de Claudio Arrau dans les concertos de Brahms : j'y trouve beaucoup trop le squelette sous-jacent et ses ressorts internes, beaucoup trop peu l'organisme vivant. Si ce dernier est absent (et pour moi, il l'est), que peut bien m'importer tout l'arsenal intellectuel qu'il m'impose ?
C'est infiniment trop réflexif, sans que cela m'apporte de plus-value. Car, pour reprendre les quatre autres interprètes que tu mentionnes, s'il y en a deux qui désorientent au sens fécond du terme, et ce beaucoup plus que Serkin, Guilels et Arrau réunis, ce sont bien Sofronitsky et Grinberg -- ou par exemple Richter (même en studio affublé de Leinsdorf) et Rubinstein (tout particulièrement avec Albert Coates en 1929) dans le deuxième concerto de Brahms. Arrau n'a pas, loin de là, l'apanage de la désorientation (féconde ou non). Pour ce que je ressens aujourd'hui de son art, cela varie simplement entre l'ennui insondable (face à la vision projetée) et l'exaspération (face aux rouages manifestés de l'expression de cette vision).
- Citation :
- [...] Tu dis : "Si Arrau estime avoir décelé dans l'œuvre des aspects négligés par d'autres ou des profondeurs inconnues, il se (et il nous) doit de les présenter avec simplicité et naturel, avec franchise, de manière directe et vivante."
Mais la simplicité et le naturel en art, c'est quand même aléatoire et sujet à caution : Richter et Serkin, par exemple, sont-ils simples et naturels ? Bof, pas sûr. Tout ça ne relève que de l'impression sur l'auditeur, qui s'accorde mal avec l'énoncé d'une règle. Je ne suis pas d'accord du tout avec cela. Quand Arrau ne cesse de ralentir (et souvent de briser) le flux rythmique, la phrase, la respiration et le temps musical, afin de mettre en exergue certains aspects de la composition (choisis de manière discutable, d'ailleurs : on sent très souvent dans son Brahms [HS]et singulièrement dans son Beethoven[/HS] le désarroi du romantique face au granit de la grande forme, de l'arche impérieuse), cela ne relève pas de l'impression sur l'auditeur mais de quelque chose que l'on peut mesurer avec un instrument de mesure physique (que ce soit un métronome ou un rythme cardiaque). C'est on ne peut plus tangible. De même pour ses « nuances » et ses accentuations en noir ou blanc, qui sont souvent assenées de manière brutale, aux dépens du galbe des phrasés. De même pour sa couleur pianistique, toujours le même cuivre bronzé que l'on retrouve dans toutes ses interprétations (quelle que soit l'œuvre, c'est une sorte d'intégrale première de son jeu). De même pour ses textures rudimentaires, conséquences notamment de ses accentuations et de son articulation. Tout cela respire la préméditation, qui est le contraire du naturel et de la simplicité.
S'agissant de Serkin, non son art n'est ni simple ni naturel. Comparée à celles de Richter et d'Arrau, sa technique pianistique très rudimentaire lui interdit de toute façon de telles qualités dans son jeu. Il est sans arrêt en lutte avec l'instrument. Ce sont ses limites, que l'on accepte ou que l'on rejette. Dans le pire des cas (ce qui arrive souvent), cela donne des interprétations d'une raideur incroyable. Dans le meilleur des cas, cela incarne une idée de la lutte qui est très profitable à l'œuvre jouée.
S'agissant de Richter, oui son art est simple et naturel, direct et franc. C'est même souvent le comble du naturel et de l'expression directe dénuée de tout artifice. Il existe certes encore plus admirable et bouleversant sous le rapport de l'intimité et du tutoiement avec le sublime (Feinberg, Sofronitsky, Edwin Fischer), mais il incarne tant ses conceptions que cet aspect ne manque pas forcément toujours. Et quel naturel, quelle immédiateté dans la manière de projeter sa vision des œuvres !
- Citation :
- J'ai curieusement le plus souvent avec Arrau l'impression d'une sincérité, d'une mise à nu et d'une expérience profonde et vraie de l'oeuvre dans l'instant ; c'est manifeste pour moi dans ses prises de concert. C'est pourquoi je ne comprends pas ce reproche que tu lui fais. Je ne discute pas l'impression que tu as, très légitime, mais ce que tu dis d'un soi-disant manquement à ce que devrait être l'art de la scène, à la façon dont la profondeur doit se manifester, à ce que doit être l'art ("l'idéal d'interprétation, c'est de faire disparaître l'art", c'est une belle formule, très discutable, et à géométrie variable selon "l'art" que l'on décèle...), tout cela me laisse fort dubitatif.
D'accord avec toi qu'Arrau est marginalement supérieur à lui-même lors d'un récital en direct. Ce n'est pas marquant dans le cas des œuvres qui nous occupent ici, mais il y a plusieurs exemples que je pourrais citer également (Préludes opus 28 de Chopin, Fantaisie opus 17 de Schumann). Tu marques donc un point. Je pense d'ailleurs qu'il a consacré une part bien trop importante de son temps et de son énergie au studio. Cependant, même en récital cela reste largement inférieur à ce que d'autres projettent comme vision des œuvres.
Mais en quoi la « formule » (qui n'en est d'ailleurs pas une) serait-elle discutable et à géométrie variable ? Ce que je reproche aux concertos de Brahms par Arrau, c'est que jamais celui-ci ne dépasse le niveau de ses proches recherches menées sur les partitions. Il y a une quantité redoutable de strates de sophistication entre la musique qu'il joue et le public auquel il la destine, et de cela en tout cas il est responsable. À force de souligner doctement tout ce qu'il y a lu, il semble refuser à l'auditeur tout plaisir autre que intellectuel, et surtout il finit même par ne plus rien souligner du tout, par pétrifier la musique. Mais celle-ci n'est pas un art plastique ! Pourquoi faudrait-il paraître profond pour prouver que l'on est profond ? On ne lui demande pas de prouver qu'il a compris l'œuvre, on lui demande de projeter la compréhension qu'il s'en fait. Pour moi, il s'arrête à mi-chemin de ce parcours et ce que j'entends, pour être parfois très impressionnant, ne provoque que frustration. - Hippolyte a écrit:
- Scherzian a écrit:
- Quand j'écoute une interprétation, je ne m'attends pas à y trouver ni à y retrouver une image connue ou inouïe de l'œuvre jouée. Je perds tous les repères, même ceux de ma propre conception de l'œuvre. La seule chose que j'attends (et cela ne dépend ni de l'œuvre, ni du répertoire, ni du « style », ni de l'époque de composition), c'est l'expression nécessaire et immédiate (sans strates intermédiaires, sans sophistication) de la vision d'un possédé. C'est ce que je voulais dire à propos de l'art qui doit faire disparaître l'art. Nous savons tous que cet acte, quel que soit l'interprète, est un Himalaya de représentation, que tout y est pensé et voulu, que tout a été réfléchi et ruminé sans cesse et pendant longtemps. Mais justement, l'essentiel des ressources de l'interprète doit être consacré, lors de l'acte, à faire disparaître tout ce qu'il y a de préméditation, de pensée voulue, de rouages internes.
- Scherzian a écrit:
- Quand Arrau ne cesse de ralentir (et souvent de briser) le flux rythmique, la phrase, la respiration et le temps musical, afin de mettre en exergue certains aspects de la composition (choisis de manière discutable, d'ailleurs : on sent très souvent dans son Brahms [HS]et singulièrement dans son Beethoven[/HS] le désarroi du romantique face au granit de la grande forme, de l'arche impérieuse), cela ne relève pas de l'impression sur l'auditeur mais de quelque chose que l'on peut mesurer avec un instrument de mesure physique (que ce soit un métronome ou un rythme cardiaque).
Quand je parlais de "formule", je voulais dire qu'elle pouvait s'appliquer à des perceptions fort différentes. En l'occurrence, la sophistication n'est pas forcément contraire à la perception d'une "expression nécessaire et immédiate". Ce débat sur l'interprétation mériterait un fil à lui seul ; je ne théorise pas, je ne suis ni spécialiste, ni musicologue, ni pianiste ; simplement je fais partie de ce public qui sans connaître les rouages du métier apprécie la musique de façon plus sensible qu'intellectuelle. Et c'est justement comme l'"expression nécessaire de la vision d'un possédé" que j'ai reçu il y a des années certains des disques d'Arrau et en particulier ses 1er de Brahms. Tout ce que tu décris, je l'ai justement entendu de façon "immédiate" comme une révélation sensible bouleversante. Je trouve en effet que quelques-uns de ses enregistrements tombent dans ce travers que tu décris bien, notamment certains Schubert ou sa Pastorale ou encore sa 3e sonate de Chopin, mais nous ne sommes pas d'accord pour le reste : je ne saurais entrer dans le détail, mais quand même, ce qui m'enchante c'est justement l'impression que le son devient matière, que les textures sonores deviennent matérielles, et que le pianiste est comme ce "paysan" dont Rimbaud disait, parlant du poète, qu'il était "rendu au sol" avec la "réalité rugueuse à étreindre" et "un devoir à chercher" - rares sont les pianistes qui donnent l'impression de toucher ainsi l'essentiel. Ses accentuations, tu les trouves raides, je les trouve éloquentes, les couleurs ne sont pas son fort, mais la gradation des ombres oui, comme dans un dessin au fusain. Mais je n'ai pas ta science pour continuer le débat sur ce terrain trop technique, je parle par impressions et par images.
Tu parles des ralentis, de la respiration et du temps musical, oui bien sûr c'est mesurable, je ne disais pas le contraire ; ce qui n'est pas mesurable en revanche c'est l'effet : ce que tu perçois comme pur artifice, je le perçois comme une respiration intrinsèque de l'interprétation. Il y a chez Arrau une expérience du temps qui d'une certaine manière m'a souvent fait penser à ce que je ressentais à l'écoute de Knappertsbusch ou Furtwängler dans sa dernière période.
Quant au naturel et à la simplicité, je trouve réducteur de ne juger une interprétation qu'à l'aune de ces deux notions fort discutables car, même si elles s'appuient sur des "mesures", elles ne sauraient rendre compte que de ce que l'auditeur ressent comme naturel et simple. En l'occurrence, Richter ne m'a jamais paru naturel et simple, fulgurant oui, possédé oui, mais par exemple sa D960 à Prague ou son Appassionata de studio sont tout sauf naturelles et simples à mes oreilles, et pourtant je les aime beaucoup. Naturel et simplicité sont à mon sens des catégories de la réception et non des notions objectives, surtout dans le cas d'un art dont tu dis justement qu'il s'adresse à un public venu vivre de façon sensible une expérience musicale sans avoir les rouages de la partition en tête. Il ne peut y avoir qu'un effet de naturel et de simplicité, effet qui ne conditionne pas la réussite de l'interprétation mais qui en fait partie par choix ; autrement dit, le naturel et la simplicité sont des partis pris esthétiques (en cela la musique rejoint la poésie où l'effet de simplicité ou son contraire se côtoient). (Il faut vraiment créer un autre fil, parce que là on est HS ! ) J'imagine cependant bien, à te lire, et à lire Alexandreg, que le piano d'Arrau puisse laisser ses propres procédés trop apparents, et qu'il fasse écran entre soi et l'oeuvre, et que cela devienne insupportable ; j'en suis apparemment préservé.
- Citation :
- Tu marques donc un point.
C'est gentil, mais ce n'est quand même pas un match ! Si c'était le cas, je serais perdant d'avance !
- Citation :
- Il y a une quantité redoutable de strates de sophistication entre la musique qu'il joue et le public auquel il la destine, et de cela en tout cas il est responsable. À force de souligner doctement tout ce qu'il y a lu, il semble refuser à l'auditeur tout plaisir autre que intellectuel, et surtout il finit même par ne plus rien souligner du tout, par pétrifier la musique. Mais celle-ci n'est pas un art plastique ! Pourquoi faudrait-il paraître profond pour prouver que l'on est profond ? On ne lui demande pas de prouver qu'il a compris l'œuvre, on lui demande de projeter la compréhension qu'il s'en fait. Pour moi, il s'arrête à mi-chemin de ce parcours et ce que j'entends, pour être parfois très impressionnant, ne provoque que frustration.
Mon écoute est à l'opposé de la tienne et de la frustration dont tu parles : pour moi Arrau projette, plus que jamais, la compréhension qu'il a de l'oeuvre. Mais je comprends ce que tu dois ressentir si tu n'entends qu'une intention là où j'entends un monde. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Dim 6 Juin 2010 - 17:01 | |
| - Hippolyte a écrit:
- [...] [L]a sophistication n'est pas forcément contraire à la perception d'une "expression nécessaire et immédiate". [...] Et c'est justement comme l'"expression nécessaire de la vision d'un possédé" que j'ai reçu il y a des années certains des disques d'Arrau et en particulier ses 1er [Concertos] de Brahms. Tout ce que tu décris, je l'ai justement entendu de façon "immédiate" comme une révélation sensible bouleversante.
C'est en particulier sur la phrase passée en gras que je vais achopper. Si la sophistication ressentie à l'écoute est voulue par le style de l'œuvre, elle passera pour moi comme nécessaire et immédiate. En revanche, si elle est du ressort de la représentation ou de l'expression, sans qu'il soit possible de parler de la réponse de l'interprète à une injonction de la partition, je la ressentirai comme quelque chose de contingent et de contourné. Cela pose par exemple un problème lorsque l'on joue le tout simple Andante de la Sonate opus 79 de Beethoven comme s'il s'agissait d'un grimoire de philosophie. Dans le cas d'Arrau, c'est un problème que je constate quand même souvent. Cela se passe comme s'il appliquait et imposait la même grille de lecture (le même sérieux imperturbable) à toutes les œuvres jouées, à tous leurs mouvements, à toutes les pages de leurs mouvements. Je ne conteste pas qu'une telle lecture, enracinée ou tellurique, convienne fort bien à certaines pages (comment serait-il d'ailleurs possible de le contester, après la force que tu donnes à la suite de ton paragraphe ?), mais on ne m'enlèvera pas de l'esprit que ce pianiste ne frappe parfois juste que parce qu'il tire presque toujours dans la même direction sur des cibles esthétiques pourtant diverses et mouvantes. - Citation :
- Je trouve en effet que quelques-uns de ses enregistrements tombent dans ce travers que tu décris bien, notamment certains Schubert ou sa Pastorale ou encore sa 3e sonate de Chopin, mais nous ne sommes pas d'accord pour le reste [...]
Dans ce que je ressens, c'est beaucoup plus que quelques-uns. Cela recouvre presque tout son Schubert et en particulier celui enregistré assez tardivement (après 1980), sauf peut-être son enregistrement plus précoce, chez EMI, des Impromptus posthumes D946, toutes ses Sonates de Beethoven, sauf peut-être sa Waldstein voire la version EMI de son Appassionata en avril 1960 qui est assez surprenante et intéressante (la question de la Pastorale est à mon avis réglée depuis le 26 février 1953...), presque tout son Chopin (j'y reviens en exemple), toute la partie que j'ai entendue de son Liszt (en particulier sa Sonate en si mineur), presque tout son Schumann. En ce qui concerne son Chopin, par exemple, seuls émergent un peu ses Préludes opus 28 enregistrés en récital (mais cela ne va pas au-delà d'une interprétation impressionnante sur le strict plan instrumental, car elle n'est pas assez ténébreuse, assez tragique, assez désespérée, assez slave à mon goût, et pour ce qui est de son Prélude opus 28 n°16 que l'on tient souvent en haute estime, on peut écouter le vieil enregistrement libre de droits de Josef Lhévinne, /watch?v=PusSc-RC8-k, pour entendre ce qu'est une interprétation de possédé maîtrisant pourtant son art de manière vertigineuse). Quant à ses Nocturnes, je leur préfère de très loin les versions isolées que je connais de ces œuvres (l'opus 9/2 [Sofronitsky 1950], les opus 15 [idem 1958 et 1960], les opus 27 [Sofronitsky 1952 et 1949, Margulis pour l'opus 27 n°2 dans le tuyau], l'opus 37/2 [Sofronitsky 1949], l'opus 48/1 [Sofronitsky 1949, Gilels 1949], l'opus 72/1 [Richter dont Alexandreg a parlé dans le fil Chopin et dont une interprétation est dans le tuyau]). Quant à sa Barcarolle, c'est le résumé de ce que je lui reproche. Il n'est guère de mesure où il ne torde le cou (par une conception asphyxiée de l'expression) des phrasés, de leur fluidité, de leur lyrisme. Le temps musical y perd avec lui toute ductilité. - Citation :
- [...] [J]e ne saurais entrer dans le détail, mais quand même, ce qui m'enchante c'est justement l'impression que le son devient matière, que les textures sonores deviennent matérielles, et que le pianiste est comme ce "paysan" dont Rimbaud disait, parlant du poète, qu'il était "rendu au sol" avec la "réalité rugueuse à étreindre" et "un devoir à chercher" - rares sont les pianistes qui donnent l'impression de toucher ainsi l'essentiel. Ses accentuations, tu les trouves raides, je les trouve éloquentes, les couleurs ne sont pas son fort, mais la gradation des ombres oui, comme dans un dessin au fusain.
Difficile de reprendre la parole après un paragraphe pareil... Ce que tu dis me semble non seulement une porte d'entrée idéale vers une part importante de l'art d'Arrau, mais aussi probablement une qualité d'interprète nécessaire pour aborder certains aspects de certaines pages de Brahms. J'ai réécouté ces deux Concertos (version Giulini) en gardant à l'esprit ce que tu dis. C'est vrai que certaines pages de ces deux œuvres sont ainsi placées dans une perspective bien plus pertinente que si l'on est privé de la clef esthétique que tu indiques. Mais qu'en est-il lorsque la musique se fait esprit (opus 83/IV, marqué « avec grâce ») ou lumière (opus 83/III), ou même simplement lorsqu'elle exprime une immense ardeur juvénile teintée de nostalgie (les deux grands élans de l'opus 15/II) ? Qu'en est-il lorsque les textures se font légères ou diaphanes (opus 83/IV) ou lorsqu'elles évoquent, par l'accentuation de certaines notes, les étoiles de première magnitude seules visibles dans une voûte céleste qui n'est pas encore tout à fait noire (opus 83/III, épisode central) ? Il n'y a pas qu'au sol que le poète soit rendu, il l'est aussi au ciel. Il l'est aussi au feu (opus 15/III, opus 83/II) et à l'eau (opus 83/IV). Malgré toute cette diversité des œuvres, je ne ressens pas de variation concomitante dans le jeu d'Arrau. Les amples premiers mouvements lui conviennent mieux. Et pourtant, bien que je ne les trouve pas lents (Szell/Curzon ne sont pas plus rapides dans l'opus 15/I et Fischer/Furtwängler ne le sont pas beaucoup plus dans l'opus 83/I), je leur trouve une épaisseur permanente (un engluement) et beaucoup de crampes sur des détails. Au total, je veux bien suivre des cours par Arrau, mais je ne souhaite pas danser avec lui. - Citation :
- Quant au naturel et à la simplicité, je trouve réducteur de ne juger une interprétation qu'à l'aune de ces deux notions fort discutables car, même si elles s'appuient sur des "mesures", elles ne sauraient rendre compte que de ce que l'auditeur ressent comme naturel et simple. [...] Naturel et simplicité sont à mon sens des catégories de la réception et non des notions objectives, surtout dans le cas d'un art dont tu dis justement qu'il s'adresse à un public venu vivre de façon sensible une expérience musicale sans avoir les rouages de la partition en tête. Il ne peut y avoir qu'un effet de naturel et de simplicité, effet qui ne conditionne pas la réussite de l'interprétation mais qui en fait partie par choix ; autrement dit, le naturel et la simplicité sont des partis pris esthétiques (en cela la musique rejoint la poésie où l'effet de simplicité ou son contraire se côtoient). [...]
C'est sur cette question que notre désaccord est le plus profond. D'un côté tu sembles concéder que ces notions peuvent peut-être s'appuyer sur des « mesures », mais tu indiques ensuite qu'elles ne peuvent être tenues pour des notions objectives... « Elles ne sauraient rendre compte que [c'est moi qui souligne] de ce que l'auditeur ressent comme naturel et simple. » Pour ma part, j'estime au contraire qu'il ne peut y avoir d'impression de simplicité et de naturel ressentis par l'auditeur que si ces qualités sont présentes dans l'interprétation, c'est-à-dire dans la volonté préalable de l'artiste. Par exemple, si la volonté de l'artiste était tendue vers le maintien de la vie rythmique d'une œuvre, et si je ne l'ai pas ressentie ainsi, alors j'estime que c'est entièrement mon problème. Mais encore faut-il que l'interprète n'ait pas sciemment privé l'œuvre de sa vie rythmique, en introduisant de multiples poses didactiques, en niant les phrasés, en alourdissant (ou en uniformisant) les textures là où la partition montre qu'elles auraient dû être légères (ou variées). D'un autre côté, je n'ai pas, comme auditeur, le pouvoir de rendre naturelle ou simple une interprétation dont le musicien n'a pas souhaité (ou n'a pas voulu, ou n'a pas pu faire en sorte, etc.) qu'elle le soit. Le meilleur exemple auquel je pense, en ce qui concerne Arrau, est le second mouvement de l'opus 111 de Beethoven ( Adagio molto, semplice e cantabile). J'ai choisi la version Philips de juin 1985. Comment entendre pour simple et chantant son énoncé du thème ? Les phrasés indiqués ne sont pas très longs (au maximum deux mesures), mais ici il est impossible de les distinguer à la seule écoute. Arrau laisse tomber chaque note dans l'indifférence des précédentes et des suivantes, avec un poids fatal, de manière égrenée. Ce n'est ni cantabile ni surtout semplice. Les phrasés n'ont pas de réalité physique sensible. Les nuances (c'est frappant aux mesures n°5 et n°6) n'ont pas de souplesse. À la mesure n°5, le soufflet crescendo fait passer de piano (voire pianissimo) à au moins mezzo forte d'une note à la suivante, sans continuité. Le sommet du crescendo, au début de la mesure n°6, est suivi d'un piano subito non écrit et qui est une autre manière de rompre la vie du thème. La reprise du thème ne varie d'ailleurs pas d'un iota par rapport à son énoncé (alors que pourtant le temps a passé), si ce n'est que le caractère abrupt des nuances y est encore plus accusé. À 2'13, pourquoi s'appesantir ainsi sur la double croche (sur mi) au centre du soufflet decrescendo ? Au début de la variation n°1 (à 2'58), on peut avancer tous les arguments en faveur du ressenti de l'auditeur, il ne me semble pas possible, pour un auditeur qui ne connaîtrait pas la partition et ne l'aurait pas sous les yeux, d'entendre l'indication dolce et que les phrasés, devenus plus vastes (trois mesures), sont notés sempre legato. Il n'y a pas plus de legato ici qu'avant et Arrau applique ici le même poids vertical aux notes, au détriment des phrasés (et toujours ces coquetteries sur les doubles croches après le sommet du soufflet crescendo). Toujours pas de variation (de couleur, de toucher, de texture, d'élan rythmique) au début de la variation n°2 (à 5'23). Je ne demande pas que l'on change de tempo (c'est indiqué l'istesso tempo de manière quasi obsessionnelle par Beethoven), mais l'interprète pourrait au moins reconnaître que le temps a passé et inscrire cette flèche du temps dans les variations. Le prix à payer, pour cette uniformité de l'interprétation, c'est que l'explosion de la variation n°3 et le poudroiement lumineux de la n°4 paraissent comme arbitraires, Arrau ne parvenant pas à transcender la structure cloisonnée d'une forme variation pour en faire une coulée poétique continue. À 6'09, on retrouve encore, vers le sommet du crescendo, un ralentissement arbitraire du tempo que je trouve agaçant : le crescendo se suffit à lui-même, sans qu'il soit nécessaire de le souligner en altérant le flux rythmique. Au début de la variation n°3 (à 7'26), je trouve qu'en fin de compte seule l'intensité change (et encore, pas beaucoup). Je ne ressens pas d'énergie particulière, pas de nécessité rendue évidente par le cheminement précédent. Les séries de sforzando dans les trois mesures qui précèdent la reprise de la première partie de cette variation sont franchement pénibles (agressivité, prosaïsme). Mais le premier véritable échec de cette version, à mon avis, se trouve à la variation n°4 (à partir de 9'41). Un simple coup d'œil à la partition montre que la variation est scindée en huit mesures ancrées dans la terre et huit autres tournées vers les étoiles. Lors de la deuxième partie de la variation, la tonalité mineure apporte une ombre, mais c'est toujours la même opposition en 8+N mesures. Arrau joue cette variation sans mettre de rugosité particulière aux trémolos de la main gauche ni de poids aux interjections de la droite durant les huit premières mesures de chaque partie, mais surtout il ne joue pas avec légèreté (c'est pourtant indiqué) ni avec une lumière particulière les huit dernières mesures de chaque partie. Ces dernières sont en plus affectées de nombreuses ruptures de rythme voire d'intensité dont deux, à 12'11 et à 12'28, ne sont justifiées par rien (harmonie, mélodie, rythme) et relèvent de l'arbitraire. Un peu plus loin, après le triple trille, à partir de 14'44, impossible à nouveau de détecter à la seule écoute l'indication espressivo. Ce sont pourtant des lambeaux du thème que Beethoven abandonne là, pour dix mesures avant le retour du thème complet. Ce sont dix mesures cruciales, espèce de no man's land tragique, piano et pianissimo, où le devenir de la musique ne tient qu'à un fil. Arrau les joue de manière indifférente, sans expression. C'est tout aussi en lambeaux que l'énoncé du thème au début (à moins que ce ne soit l'inverse). Au retour du thème, que ce soit ici (à 15'41) ou plus loin (à 17'59), c'est empesé et prosaïque. Les phrasés sont toujours aussi frustes. Il n'y a pas de jubilation dans les crescendos pourtant nombreux et culminant forte avec un sforzando. Pour le dernier retour du thème dans la coda, à 17'59, celui-ci devrait planer, extatique, sur les trémolos de la main gauche et en dessous puis au-dessus de la lumière du trille. Cela constitue trois textures profondément différentes les unes des autres et pourtant simultanées. Les trémolos d'Arrau sont peu audibles, son trille est perfectible (il avait 82 ans, mais ses autres interprétations ne sont pas différentes de ce point de vue) et il joue le thème toujours aussi haché et peu cantabile, avec plusieurs accents disproportionnés et même hors de propos. Au total, Arrau ne me donne rien de l'extase où d'autres interprètes me plongent. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Dim 13 Juin 2010 - 22:22 | |
| - DavidLeMarrec a écrit:
- Scherzian a écrit:
- [...] Pour moi, une œuvre n'existe qu'au travers des interprétations qui en sont données et la ségrégation entre la section générale et la section discographique introduit un biais avec lequel il faut bien vivre.
On ne va pas reprendre un vieux débat ici, mais tout de même : - lorsque je déchiffre du Wagner avec des pains, c'est suprêmement émouvant, pas à cause du rendu, mais à cause de ce que cela me suggère (oui, l'interprétation est alors mentale plus que digitale, mais ça pose bien la question d'une essence qui ne se réduit pas à ses incarnations) ; - si on ne faisait pas cette distinction, on ne parlerait que des disques, avec Mařeck qui ne fait pas les reprises ou Dhavydd qui a un vilain timbre. Et ce serait très dommage. Tout le monde ne traite pas les deux simultanément, et on tombe rapidement dans l'érudition creuse en faisant de la discographie. Le plus fascinant, dans ce débat (force est de constater qu'il y en a bien un, nous y revenons), c'est qu'en réalité nous sommes, toi et moi, presque à 100% d'accord (pour ce que je puis en dire de mon côté, du moins). C'est la même chose lorsque je déchiffre et que j'essaie de mettre plus ou moins en place, du haut de mes sept ou huit ans (bien révolus aujourd'hui) de piano, tel mouvement de sonate ou telle variation. Je donne une existence - tronquée, maladroite, insupportable pour quiconque autre que moi, indigne au dernier degré de toute forme d'enregistrement - à l'œuvre. Tu remarqueras quand même que lorsque je dis que l'œuvre n'existe qu'au travers des interprétations qui en sont données, je ne dis pas que son essence se réduit à ses incarnations - pas même à la suite ininterrompue des incarnations qu'elle a connues. Tout dépend de ce que l'on place dans le verbe exister. De mon côté, cela veut dire vivre, se déployer, croître et décliner, s'incarner dans le temps, chercher à saisir un fragment d'éternité sans se faire d'illusion quant à l'impermanence. D'un autre côté, lorsque tu dis que si nous ne faisions pas cette distinction nous ne parlerions plus que de disques, ce n'est pas tout à fait vrai. On pourrait parler de toute la musique vivante (par opposition à la phase nécessaire mais préalable de lecture et de représentation mentale), dont la partie enregistrée n'est qu'un aspect. Bon, disons que je ne suis pas contre une ségrégation, mais que les termes choisis me semblent malheureux, pour ne pas dire infamants vis-à-vis de l'interprète qui ne peut être mentionné que dans la section discographique ou dans celle des concerts. |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97900 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Dim 13 Juin 2010 - 22:35 | |
| (Oui, il y a sans doute aussi une affaire de mots.)
Mais non, l'interprète peut être mentionné en rubrique générale, mais si cela influe directement sur la nature de l'oeuvre (instrumentarium différent, coupures, etc.).
Ca me paraît très logique, parce que lorsque je veux me documenter sur Wagner, je n'ai pas forcément envie de lire qu'untel aime ou n'aime pas tel ou tel timbre.
Encore une fois, ton cas est un peu particulier, puisque tu produis vraiment du fond sur les oeuvres à partir des interprétations... mais il est rare ! |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Dim 13 Juin 2010 - 23:04 | |
| - DavidLeMarrec a écrit:
- Mais non, l'interprète peut être mentionné en rubrique générale, mais si cela influe directement sur la nature de l'oeuvre (instrumentarium différent, coupures, etc.).
On pourrait discuter longuement pour savoir ce qui, dans l'interprétation, n'influe pas de manière directe sur la nature de l'œuvre. Tu t'en doutes probablement, mon point de vue est qu'il n'y a que peu d'aspects interprétatifs qui n'ont aucune incidence sur la nature de l'œuvre. |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97900 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 14 Juin 2010 - 19:42 | |
| - Scherzian a écrit:
- DavidLeMarrec a écrit:
- Mais non, l'interprète peut être mentionné en rubrique générale, mais si cela influe directement sur la nature de l'oeuvre (instrumentarium différent, coupures, etc.).
On pourrait discuter longuement pour savoir ce qui, dans l'interprétation, n'influe pas de manière directe sur la nature de l'œuvre. Tu t'en doutes probablement, mon point de vue est qu'il n'y a que peu d'aspects interprétatifs qui n'ont aucune incidence sur la nature de l'œuvre. Certes, mais il y a quand même plus de lien entre deux sonates de Mozart par Staier et par Pires qu'entre un Beethoven et un Weinberg par Gilels. L'essence d'une oeuvre n'est donc pas entièrement relative. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 14 Juin 2010 - 20:36 | |
| J'ai quand même pu retrouver la citation annoncée plus haut dans ce fil. La voici.
« Quand Richard Wagner exécute un morceau de Beethoven, il va de soi qu'à travers Beethoven c'est l'âme de Wagner que l'on entendra chanter et que le temps, les intensités, l'interprétation de phrases isolées, le caractère dramatique imposé à l'ensemble seront wagnériens et non pas beethovéniens. Libre qui veut de s'en scandaliser ; Beethoven, lui, aurait dit : ``Cela est de moi et de toi, mais s'accorde bien ; c'est ce que l'on devrait toujours avoir.'' En revanche, quand de petits interprètes jouent Beethoven, Beethoven y prendra quelque chose de leur petite âme -- car le parfum de l'âme s'attache aussitôt à la musique, dont rien ne peut le chasser -- Beethoven, là le craint, n'y prendrait aucun plaisir, et il dirait : ``Cela est moi et n'est pas moi, le diable t'emporte !'' »
-- Nietzsche, Humain trop humain I (Fragments posthumes) |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97900 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 14 Juin 2010 - 20:39 | |
| Oui, il y a quelque chose, mais c'est loin d'être tout. Et Nietzsche, comme d'habitude, exagère un peu. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 14 Juin 2010 - 21:03 | |
| - DavidLeMarrec a écrit:
- Oui, il y a quelque chose, mais c'est loin d'être tout.
Cela va dans les deux sens, en fait. À tout prendre, je préfère de loin la vision d'un possédé à une restitution clinique, mais ce n'est que moi. Une seule chose est sûre : il y aura toujours l'adjonction d'un sang étranger dans un organisme connu (ou que l'on croit connaître). Seuls les intégristes d'une certaine forme d'authenticité espèrent pouvoir croire le contraire. Mais oui, il y a des limites (« c'est loin d'être tout »). Pour fixer un ordre de grandeur, chez moi elles se situent aux environs de l'interprétation de la sonate Dante de Liszt par Ervin Nyíregyházi (qui est bien sûr amplement du bon côté). - Citation :
- Et Nietzsche, comme d'habitude, exagère un peu.
Il exagère sans doute en prêtant à Beethoven un propos qu'il n'aurait peut-être pas tenu au sujet de son interprétation par Wagner. Sinon je trouve son aphorisme finement senti et sans exagération. Plusieurs témoignages contemporains de Beethoven montrent qu'il était peu regardant quant à la fidélité aux notes du texte mais qu'il était impitoyable quant à l'incarnation et au caractère. |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97900 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 14 Juin 2010 - 21:15 | |
| - Scherzian a écrit:
- DavidLeMarrec a écrit:
- Oui, il y a quelque chose, mais c'est loin d'être tout.
Cela va dans les deux sens, en fait. À tout prendre, je préfère de loin la vision d'un possédé à une restitution clinique, mais ce n'est que moi. Ce que je disais est que je choisis plus volontiers une interprétation médiocre d'une oeuvre géniale qu'une interprétation géniale d'une oeuvre médiocre. - Citation :
- Une seule chose est sûre : il y aura toujours l'adjonction d'un sang étranger dans un organisme connu (ou que l'on croit connaître). Seuls les intégristes d'une certaine forme d'authenticité espèrent pouvoir croire le contraire. Mais oui, il y a des limites (« c'est loin d'être tout »).
On est d'accord sur tout ça. |
| | | Invité Invité
| Sujet: Re: Débat sur l'interprétation Lun 14 Juin 2010 - 21:52 | |
| - DavidLeMarrec a écrit:
- Ce que je disais est que je choisis plus volontiers une interprétation médiocre d'une oeuvre géniale qu'une interprétation géniale d'une oeuvre médiocre.
C'est une autre question, parce que l'alternative refuse par construction le génie de part et d'autre. C'est un peu comme si tu me demandais, en me présentant deux de leurs tableaux, si la sauvagerie est ou non présente en plus grande quantité dans celui de Delvaux que la distance ironique dans celui de Picasso. Placé devant l'alternative, il est probable que je choisirais aussi ainsi. (Bien qu'il y ait d'intéressants exemples de génies qui haussent une œuvre au-delà d'elle-même. Par exemple, je vois un bel aspect de son humanité dans le fait que Sviatoslav Richter se soit donné aux œuvres moindres de son répertoire de la même manière qu'il s'est consacré aux chefs-d'œuvre.) Mais la vraie question est de savoir ce qu'il se passe lorsque la perversion fondamentale de ton alternative ( ) est levée. C'est bien ce dont Nietzsche parlait : il partait du principe qu'il ne s'agissait pas de la Bataille de Vittoria et que Wagner ne s'était pas levé du pied gauche. |
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