Edison Denisov

J'écoute le Soleil des Incas pour la troisième fois (merci Alifie) — Rojdé deux fois, car il s'avère que je préfère de beaucoup ce dernier : j'adore le timbre acidulé de la chanteuse, mais surtout c'est profondément vivant et animé de l'intérieur, avec des couleurs incroyables malgré la prise de son (Lazarev a des airs de musée Grévin à côté...).

L'œuvre elle-même me plaît évidemment, sans quoi je ne me la farcirais pas trois fois de suite sans rien percuter à ce que la dame raconte (j'avoue que lire un texte en espagnol en écoutant une traduction russe me tentait moyennement, le titre et un coup d'œil rapide au texte en fournissant tout de même une petite idée); le langage n'interdit pas une profusion de couleurs et d'atmosphères contrastées, ce qui me fait paraître d'autant plus surprenante la relative grisaille de son idiome plus tardif...

J'écoute Les Pleurs dans la foulée (Italian songs me tentait moins, allez savoir pourquoi) : ici l'instrumentarium est exclusivement percussif (y compris le piano et surtout le vibraphone, seul à accompagner la voix dans la troisième section), et l'ambiance générale nettement plus minimaliste — avec un peu de lassitude vers la fin en ce qui me concerne, sans doute lié au trop-plein (même pas le courage de réécouter Peinture après ça, mais il me semble que j'y ai été nettement plus sensible)...

Je ne sais pas si Анастасия a envie de nous dire deux mots de cette œuvre (Soleil des Incas), j’ai cru comprendre que c’était l’une de ses préférées…

Songeur a écrit:

Je ne sais pas si Анастасия a envie de nous dire deux mots de cette œuvre (Soleil des Incas), j’ai cru comprendre que c’était l’une de ses préférées…

Je n'ai pas le même savoir encyclopédique qu'un membre récemment déchu au sujet de la musique d'Edison Denisov en particulier, donc je vais m'abstenir d'expliciter des propos certainement erronés.

Et oui, Le Soleil des Incas est l'un de mes chefs-d’œuvre favoris (de toute façon il y a peu de choses que je n'aime pas chez ce compositeur).

Je vois qu’il a aussi reconstitué l’opéra Rodrigue et Chimène de Debussy. Il sait tout faire celui-là…

Il adorait Debussy apparemment, et en particulier Pelléas (Cf. la citation mentionnée par Анастасия plus haut), ce que je n’ai pas encore spécialement entendu dans sa musique — mais ça explique peut-être que Peinture notamment m’ait autant plu…

Dans la même veine néo-impressionniste de Peinture, il y a Aquarelle pour 24 cordes (1975), quoique ça puisse sonner d'une manière plus grisâtre et filandreuse... à essayer.

J'écoute plus attentivement Les Pleurs (sans texte malheureusement, mais les titres des différents morceaux sont explicites) : pour le coup, le terme "pointilliste" convient parfaitement à la partie instrumentale (ensemble de percussions), mais d'une part le chant déploie en permanence une ligne mélodique extrêmement ample et expressive, d'autre part la palette de couleurs déployée par les percussions est irrésistible — et lorsque l'accompagnement se fait minimal (vibraphone seul dans la 3e pièce, et même woodblock seul pour une bonne part du dernier), la tension non seulement ne faiblit pas mais aurait plutôt tendance à s'exacerber — ce que fait Lydia Davydova ("ma" soprane acidulée, une colorature manifestement) est absolument grandiose...

J'enchaîne cette fois avec Peinture : le langage est encore à peu près le même (c'est mon impression), même si le grand orchestre arrondit nettement les angles et que certains passages (vers les 7e et 8e minutes) annoncent nettement l'idiome filandreux ultérieur... Et effectivement, en-dehors de ces passages plutôt néo-mahlériens, l'admiration de Denisov pour Debussy est très perceptible dans cette pièce (mais que ce soit Debussy ou Mahler, je suis a priori totalement acquis à sa cause).
Et puis, il y a le solo de contrebasson.

(J'écouterai Aquarelle sur les conseils d'Анастасия, bien que l'orchestre à cordes m'inquiète nettement plus qu'un ensemble de percussions — je n'aime pas énormément les orchestres à cordes en général...)

Songeur a écrit:

Je vois qu’il a aussi reconstitué l’opéra Rodrigue et Chimène de Debussy. Il sait tout faire celui-là…

De façon vraiment intelligente en plus, ça ressemble assez au premier Debussy massenetisant de l'Enfant Prodigue, congruent avec la période d'écriture. Mêlé avec les influences tristaniennes évidentes et le pré-pelléasseries de ce qui écrit au piano, ça produit un assez joli résultat – même si le livret est particulièrement peu mobile.