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 CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation)

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Percy Bysshe
Xavier
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MessageSujet: CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation)   CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation) EmptySam 13 Oct 2012 - 13:30

Autant que j'aie pu observer en consultant l'index du forum, la musique pour piano de Chopin a déjà été abordée dans un fil abondant (clic) mais pourrait se prêter à des discussions plus ciblées. En fonction du genre des oeuvres par exemple.

Pour en choisir un en attendant les autres, le présent fil se destine donc spécifiquement au sujet des Ballades : leur genèse, leurs sources d'inspiration, leur analyse, ce qu'elles évoquent pour vous, comment les interpréter sur son piano...


Dernière édition par Mélomaniac le Sam 13 Oct 2012 - 18:17, édité 6 fois
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Xavier
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MessageSujet: Re: CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation)   CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation) EmptySam 13 Oct 2012 - 13:33

Pour l'interprétation, il faut aller en discographie: https://classik.forumactif.com/t706-chopin-nocturnes-polonaises-preludes-etc
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Mélomaniac
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MessageSujet: Re: CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation)   CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation) EmptySam 13 Oct 2012 - 13:34

...et je vais amorcer ce fil par un essai concernant la Ballade n°1, qui s'inscrit dans le cadre d'un projet de guides d'écoute collaboratifs évoqué sur un autre fil (clic).

Les minutages entre parenthèses renvoient à l'enregistrement de Vlado Perlemuter (Nimbus).

Cette succincte analyse provient d'un modeste mélomane qui n'a que quelques rudiments de solfège, ce qui peut impliquer certaines erreurs ou inexactitudes que les lecteurs bienveillants pourront me signaler, afin que je corrige le texte le cas échéant.
Toute réaction sera bienvenue !

CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation) Perlem10

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Ballade n°1 opus 23 : « L'odyssée de l'âme de Chopin » (James Huneker)

Sous une apparence rhapsodique, que le musicographe américain James Huneker (1857-1921) désignait comme « l'odyssée de l'âme de Chopin », le schéma de cette Ballade répond à une forme-sonate : Introduction / Exposition (A-B) / Développement (A-B-C) / Réexposition (B-A) / Coda

INTRODUCTION
Comment capter l'attention et élever l'auditeur à la hauteur poétique qui préside à l'inspiration de cette Ballade ?
Un ut résonne lourdement aux deux mains qui vont progresser en octave parallèle vers l'aigu (0'00-0'12), comme un barde pincerait sa lyre. Un repli cadentiel de tierce mineure à chacun des trois paliers ménage un interstice d'hésitation au sein de cet escalier : ces contremarches en la bémol se comprendront comme sixte napolitaine quand s'affirmera la tonalité de l'oeuvre dans quelques secondes.
Saurait-on mieux dire « il était une fois » ? Mais le récit est intérieur et visite les affects.
L'anamnèse sonde quelques souvenirs (0'12-0'22) puis se résigne à les dévoiler (0'22-0'28).

EXPOSITION (0'29-)
Un moelleusement enfoncé dans les profondeurs du clavier libère le premier thème (nommons-le A) en sol mineur, réitérant une séquence de deux éléments (0'32) :
1) Comme antécédent : deux interrogatives notes longues (blanche pointée) séparées d'un ton tantôt descendant ou ascendant, chacune encadrée d'une double suspension.
2) Comme conséquent : la tension tonale se résout par une cadence « fermée ». Ce motif arqué (nommons-le A2) endosse une signification rassurante et réapparaîtra sous diverses formes dans la Ballade.
Ce cheminement question-réponse s'anime sur un rythme de valse lente à 6/4.
Le sol aigu (1'10) semblerait annoncer une reprise de cette séquence mais s'esquive douloureusement, entrecoupé par les pulsations de basse, et rencontre à la main gauche une variante condensée du « motif arqué » répété trois fois et prolongé par un trille (1'18).

La narration s'émancipe, se permet une gerboyante envolée (1'43) qui desserre l'étau de l'angoisse.
Mais un dérivé de A2 s'insinue à la main droite (1'54), enfle et s'empresse « agitato » (2'03) vers une transition véhémente (2'10) : tempête d'arpèges où viennent gronder de pesantes octaves assénées à la main gauche (2'28).
Les quartes et quintes qui attisaient ce tourbillon tintent enfin dans un silence apaisé (2'40), préparant l'arrivée d'un nouveau thème (nommons-le B), susurré en mi bémol majeur (2'46-) : une des mélodies les plus heureuses écrites par Chopin, sereine et radieuse, ondoyant sur un flot d'arpèges qui vient lécher ce havre de bonheur.
Quelques crêtes d'écume s'y forment (3'22) : moutonnement de triolets qui rappellent l'arche désinentielle A2, décidemment très fécond. L'humeur devient hésitante, contrariée, amenant le...

DEVELOPPEMENT (3'57-)
Lesté par d'obnubilants mi graves, A se déploie désormais en la mineur, trépigne et débouche sur B (4'29) transfiguré en la majeur, scandé en octaves à la main droite. Cette exultation laisse place à une transition scherzando (5'07), qui se fond dans un nouveau sujet (appelons-le C) en mi bémol majeur (5'21), déroulant un ruban de croches, papillonnant ivre d'une joyeuse et éphémère ivresse.
Les bouts de doigts courent « leggiero » (5'48) sur le clavier et le ravalent de l'aigu jusqu'au grave (5'53).
Cet élan précipite sans hiatus la...

REEXPOSITION (5'58-)
En miroir, car contrairement à l'Exposition, B précède ici A et nous revient en mi bémol majeur (5'58), inaltéré par le précédent interlude du sujet C dont on comprend maintenant le rôle pivot qu'il a joué au coeur de la structure d'ensemble.
La réexposition de B s'accompagne aussi du retour des écumants triolets (6'27) surfant sur la vague d'arpèges à la main gauche.
Là encore, comme à la fin de l'Exposition, le tumulte va refluer, l'humeur s'assombrit et débouche sur le thème A (6'58) désormais en la mineur, ponctué par des pulsations logiquement transposées en (pédale de dominante). Sinistres instants ! minés par un désarroi fébrile et anxieux, qui essaie en vain de retenir des sanglots qui finissent par éclater (7'31).
Cette inconsolable crise de larme (où l'interprète doit doser ritenuto et rubato pour en tirer le maximum d'effet dramatique) s'enchaîne aussitôt à la...

CODA (7'38-)
Les émois s'affolent, se bousculent, comme un chagrin qui trépigne. Faire diversion ? Surenchérir sur le pathos ? Se retrancher dans la pudeur ?
Dans ce passage torturé, certains pianistes s'honorent d'une digne élégance (comme ici Perlemuter). D'autres s'engouffrent dans un zèle éperdu (Vladimir Horowitz, Samson François...)
Quel dénouement maintenant opposer à une émotion si intense ?

Les bas du clavier s'ébranle (8'10), la main droite l'escalade et le dégringole sur tout le registre (8'14) tandis que la gauche martèle un motif anodin, dissipateur de tension.
Une vertigineuse gamme arpégée renaît de ces cendres (8'26) , suivie d'une dolente grappe d'accords.
Une brusque saillie ressuscite A2 (8'35) violemment percuté en sextolet, désormais associé à une vindicte malfaisante.
Le même scénario se répète (8'38-8'49), ensuite conclu par une ébouriffante descente aux enfers : crantées d'appogiatures se piquent de sulfureuses octaves chromatiques à chaque main, qui plaquent finalement deux chapes tonitruantes !

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Percy Bysshe
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MessageSujet: Re: CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation)   CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation) EmptySam 13 Oct 2012 - 19:43

J'avais posté cette analyse, qui peut venir en complément:

Percy Bysshe a écrit:
A propos des quatre Ballades, j'ai assisté il y a quelques semaines à une conférence de Bertrand Ott qui avait pour sujet l'aspect narratif de ces quatre Ballades. Je suis arrivé extrêmement sceptique et reparti convaincu.
Chopin a avoué à Schumann avoir écrit une de ces Ballades sur un poème de Mickiewicz (je ne sais plus laquelle). Les recherches ont montré que chacune des Ballades de Chopin a un socle narratif commun avec des Ballades du poète polonais dont Chopin s'est inspiré, et qu'il exprime le déroulement de l'action avec les moyens expressifs de la musique - ce qui en fait toute la force.

Si ça vous intéresse pour une ou deux ballades en particulier, je peux vous faire un petit résumé. Smile

Percy Bysshe a écrit:
Bon alors la 1, en résumant: ambiance médiévale: un religieux chrétien se lamente sur le malheur des guerres de religion contre les Maures (en Espagne): l'introduction (Largo) est un récitatif de ce barde médiéval, qui commence ensuite son chant (Moderato), accompagné par un luthiste (avec cette fameuse ritournelle répétée en note tenue qui exprime la vibration des cordes).
L'agitation qui vient (a Tempo puis Agitato) exprime la folie furieuse de la guerre, avec ces appels de cors dans le grave, etc...
Ensuite, il y a un Maure qui vient annoncer dans un chant de joie que la guerre est finie, que les Maures abandonnent. Dans le texte, il prend dans les bras les plus hauts dignitaires de l'armée qui étaient ses ennemis, pour chanter la nouvelle paix (Meno mosso). Tout le monde est content, sauf le barde et son luthiste qui reprenne leur chant triste, ayant comme une funeste intuition (a Tempo)
Finalement, le Maure rassure tout le monde de plus belle, son chant de paix reprend, fortissimo. Tout le monde s'embrasse, c'est carrément la fiesta (Più animato et un peu plus loin...). Retour des thèmes...
Le barde, lui, ne dégrise toujours pas. (Meno mosso) Et là, le Maure, dans le crescendo qui suit, avoue l'horreur: il a la peste, et n'est venu que pour la refiler à tout le monde! C'est la débandade, tout le monde est horrifié! (Presto con fuoco) Les traits virtuoses, à la fin, symbolisent la fuite de tous les dignitaires et de tous les chefs militaires, mais on n'échappe pas à la mort (accords funèbres, dans le grave). Le Maure meurt dans un dernier éclat de rire victorieux et horrible, avec les octaves en mouvement contraire (Poco rit.).

Voilà, tout ces éléments se trouve dans une ballade de Mickiewicz, et c'est ce que Chopin a mis (remarquablement) en musique.

La 4 plus tard. Wink
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MessageSujet: Re: CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation)   CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation) EmptySam 13 Oct 2012 - 19:54

Percy Bysshe a écrit:

Si ça vous intéresse pour une ou deux ballades en particulier, je peux vous faire un petit résumé. Smile

Merci Percy thumleft

A l'écoute d'une oeuvre aussi narrative par essence que la Ballade n°1, chaque imagination s'invente ses propres histoires.
Très intéressant de lire en contrepoint de l'écoute ce programme qui inspira Chopin !

J'espère que tu auras le temps de rédiger un résumé des autres ! Wink
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Percy Bysshe
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MessageSujet: Re: CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation)   CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation) EmptySam 13 Oct 2012 - 19:59

J'ai déjà écrit un résumé de la No.4, et pas de problème je pourrai écrire celui des No.2 et 3.

Pour le guide d'écoute à proprement parler des Ballades No.2, 3 et 4 tu as déjà prévu quelque chose? On peut peut-être se répartir le boulot. Smile
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MessageSujet: Re: CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation)   CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation) EmptySam 13 Oct 2012 - 22:50

Percy Bysshe a écrit:
J'ai déjà écrit un résumé de la No.4 [...]
... ah, excuse-moi, ça m'a échappé. Où ça ? Tu peux poster le lien ou copier-coller ?

Percy Bysshe a écrit:
[...] pas de problème je pourrai écrire celui des No.2 et 3.
cheers

Percy Bysshe a écrit:
[...]
Pour le guide d'écoute à proprement parler des Ballades No.2, 3 et 4 tu as déjà prévu quelque chose? On peut peut-être se répartir le boulot. Smile
T'as vraiment envie de bosser avec un tâcheron ? hehe
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Zeno
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MessageSujet: La Quatrième Ballade de Chopin   CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation) EmptyDim 21 Oct 2012 - 22:20

Exercices d'admiration, suite...

C’est une œuvre brève, une merveille mais point un monument, dont il sera question ici. A travers elle se trouve questionné le mécanisme de l’expansion mnésique. Tant au plan de l’intensité du phénomène – un envahissement – qu’à celui de la jouissance. Non pas seulement des variations, ce creuset où figurent précisément des cathédrales et dont la succession linéaire sollicite l’intellect au détriment du cœur ; pas davantage une effusion qui ne saurait transformer l’étincelle en lyrisme intérieur ; mais plutôt une forme libre, bien qu’infiniment ciselée. Un rhapsode y amorce son récit au coin du feu, dans la rumeur d’autrefois, puis au plus haut du présent de celui qui l’écoute.

Voici donc la Quatrième Ballade de Chopin. Il n’est pas jusqu’aux gratouillis des vieux enregistrements dont il ne faille louer le décor si propice à la réminiscence, inclinant à aimer l’interprétation d’Alfred Cortot autant que celle de son élève Thierry de Brunhoff. Toutes deux sont d’une intelligence polyphonique et d’une clarté solaire sans égales, malgré le sombre du propos (ce même Thierry de Brunhoff, après avoir exploré le spirituel chez Chopin, devait se retirer en l’abbaye d’En Calcat, où il prie désormais dans un silence qu’il entendit peut-être dans la musique mieux que nulle part ailleurs).

En écoutant ces neuf ou dix minutes de piano, l’évidence s’impose : la mémoire ne peut chanter qu’à force de répétition conçue de manière invasive, jusqu’au tréfonds de structures mouvantes qui sont un paradigme commun entre les lois de l’architecture et celles de la psychologie. Chopin se serait inspiré du Budri de Mickiewicz, l’histoire d’un père envoyant ses fils à la guerre, mais on ne voit pas que la littérature ait ici dicté quelque forme que ce soit. Le compositeur n’a jamais été aussi grand que dans cette Ballade, où s’exposent au burin du souvenir deux thèmes parmi les plus inspirés qu’il ait écrits. C’est évidemment le premier qui serre le cœur pour ne plus le lâcher. Chopin recourt à un procédé déjà employé par Beethoven dans sa Sonate Hammerklavier, au commencement de son monumental adagio. Il s’agit d’un préfixe sonore, d’un presque rien qui déverrouille la conscience et la fait accéder à un absolu. Chez Beethoven, ce sont seulement deux noires pointées en double octave – la, do dièse – doucement posées una corda au seuil du thème en fa dièse mineur qui s’apprête à affronter son inaccessible double. Cette mesure aux portes de la nuit change tout ; qu’on fasse l’expérience de l’ôter et l’Everest devient la Butte Montmartre. Chopin, quant à lui, développe : ce ne sont plus deux notes fantomatiques mais un bloc de sept mesures en doubles croches qu’il fait planer au-dessus de nos eaux intérieures (en médecine chinoise réside ici la profondeur hivernale du yin extrême que le rein transmute en le passant de vie à trépas pour mieux assurer sa renaissance printanière).

Schubert avait écrit le Chant des Esprits au-dessus des eaux, Chopin le réincarne en préambule, non à la manière d’un Carnaval qui s’apprête au tumulte comme chez Schumann huit ans plus tôt, mais dans la promesse de l’éveil. Un dévoilement commence sur le do suspendu, si seul pour commencer, chargé de dire l’épuisement mélancolique d’un des plus beaux fa mineur de toute la musique (avec l’Appassionata beethovénienne, la Fantaisie à quatre mains de Schubert et le prélude du troisième acte de Tristan où Wagner atteint l’extrême de la douleur).

Sous les doigts de Thierry de Brunhoff, le spirituel est à l’œuvre. Nommons ainsi ce qui transcende - l’idée est simple, elle décourage l’envie d’argumenter. Lorsque Chopin déroule ce thème sublime, qu’entend-on vraiment ? Non quelque tristesse qui lui serait consubstantielle (comme ce mot lui a causé du tort !), mais l’immédiateté dramatique des choses perdues. Privé de basse, un petit tortillon chromatique s’enroule autour du do et se voue très vite au pur lyrisme, cependant que la main gauche entame une marche dont l’allure se trouve déjà dans Bach, que Chopin chérissait, singulièrement dans le prélude en si mineur du premier livre du Clavier bien tempéré. Une autre référence, plus inspirée encore, est celle du plus beau choral d’orgue jamais écrit, le Vater unser in Himmelreich BWV 682. Son rythme iambique rend immarcescible le pas fatigué mais digne de celui qui va comparaître. Si, chez Bach, cette comparution a lieu devant le trône divin, il n’en va pas de même pour Chopin. L’un propose l’ultime passage, l’autre ne renvoie qu’au souvenir. Le premier thème de la Ballade désarme, non devant la promesse d’un au-delà, mais à l’examen des souvenirs. Ces quelques notes vont leur chemin dans une forêt touffue ; peut-être s’agit-il des cernes d’un tronc d’arbre, de la mesure non pas linéaire mais circulaire du temps, tel qu’il grandit en nous, parfois. Il n’est que d’écouter l’impressionnant développement final de la Ballade pour percevoir ce qu’il advient de la mémoire lorsque la conscience intègre l’existence d’un paradis terrestre (on voudrait ici que le lecteur tienne pour acquise l’existence d’un éden ici-bas, sur la topographie duquel veillent depuis des siècles les pourvoyeurs de beauté que sont les grands artistes, fussent-ils devenus moines).

Thierry de Brunhoff fait partie des interprètes qui portent mal leur nom. Plus qu’une lecture, c’est un retranchement qu’il opère. Il efface, autant que possible, la dimension émotionnelle et subjective qui pourrait être la sienne, surtout dans un tel répertoire. Retranché par avance comme il le sera bientôt après son entrée dans les ordres, il donne lecture d’un texte, sobrement, prêtant ses doigts à ce qui le dépasse. Plus on l’écoute et plus on perçoit, entre les notes pourtant nombreuses, la profondeur féconde que restituent les musiques inspirées. Avant de se consacrer à la prière, un homme nous parle d’une possible transfiguration, d’un détachement sentimental au profit d’une ascension que la littérature échoue à décrire, mais dont l’évocation musicale est rendue possible par le jeu inspiré d’un pianiste déjà en prière.

Chez Chopin, la virtuosité sert presque toujours l’essence de son propos, elle mobilise l’énergie nécessaire au festin musical. Rien de moins gratuit que cette vigueur torsadée, rien de plus indispensable au mouvement brownien qui change les neurones en comètes. A plusieurs reprises, s’appuyant par contraste sur le second thème où l’on perçoit la présence très physique d’un corps pérégrinant, on rend les armes devant une expansion magistrale de la pâte sonore. Le génie de l’interprète dévoile mais parfois il déroute ; on pense à Furtwängler, jouant avec les tempi de manière affolante dans un enregistrement de la Symphonie Héroïque en décembre 1944, à Vienne – une apocalypse d’airain où des hommes transfigurés par leur désastre jouèrent en se souvenant, si l’on peut dire, qu’ils allaient disparaître dans des camps soviétiques quelques jours plus tard. A l’urgence de jouer Beethoven une dernière fois avant le chaos, répond celle où fut Thierry de Brunhoff d’être éloquent, avant sa retraite. Il n’y a rien de plus émouvant que ces impératifs au bord du vide. Et lorsque le texte est celui d’un grand maître…

La Quatrième Ballade est riche de multiples facettes. On y perçoit aussi la trépidation de l’enfant intérieur qui retrouve dans son passé les germes de son futur lyrisme. Comment ne pas entendre, dans le doux rebond du second thème, le pas insouciant d’une jeune âme qui court à travers champs, se perd dans les blés, offrant à l’arbre et au ruisseau le spectacle de son cœur toutes voiles dehors ? On ne peut vraiment dire d’une œuvre d’art qu’elle est universelle, mais elle parle à ce qui l’est en nous, à ce qui nous relie et nous fait hommes, malgré nos faiblesses. Il entre là matière à se consoler, à espérer, à partager et à aimer au coin d’une phrase musicale, en plein bonheur. Quand bien même le passé aurait-il essuyé des tempêtes, on ne peut qu’aller en paix, et dans la joie, lorsque le compagnon de route se nomme Mozart ou Ravel.

Six minutes après le début de la Ballade, une merveille nous attend. Lors d’un bref épisode canonique issu du premier thème, Chopin dépeint un effroi lunaire, une terreur de jeune fille qui contamine son soupirant jusqu’alors audacieux. Modulant de manière éperdue - et avec quelle modernité ! – il livre sa confession avant qu’un bouquet de mesures, succédant à un chaos féérique, distille enfin le retour pacifié, sinon voluptueux, du premier thème. Tout vient de se jouer, ce fut l’affaire d’une brève transhumance entre le retour du flottement initial et ce qui vient d’être semé dans la nuit. Car très vite, la main droite s’offre à l’arabesque. Jamais déploiement mélodique n’aura à ce point collé à l’alchimie qui permet à nos structures cérébrales de chanter ensemble. Le besoin de territoire, la mémoire émotionnelle et la jubilation esthétique se réconcilient en s’accouplant à la chair du passé. On se plaît à visualiser quelque artisan au meilleur de son art, maîtrisant une ample gestuelle dont les courbes sculptent peu à peu la matière même de l’élégance. Mais cela n’est rien encore, si n’entre pas dans le tableau le désir d’inscrire dans la durée le jaillissement des émotions. Et rien, décidément, si la mémoire ensemencée ne reçoit pas le grain et la pluie bienfaisante qui la changeront en moisson.

La plénitude sonore à l’œuvre dans la dernière partie de la Ballade prouve que tout est encore là, glorifié par la mémoire ; la pente nocturne et les virages trop serrés ont mis à mal le voyageur, il fallait la blessure d’un compositeur génial pour que l’étincelle s’affronte au vent de ce qui a passé. Lorsque s’éteint le dernier accord, une voix suggère qu’on peut avoir été, ainsi qu’on dit parfois, tout en ne cessant pas d’être. Renoncer devient même un délice, tant la dépossession conduit à être possédé.
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Xavier
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MessageSujet: Re: CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation)   CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation) EmptyLun 22 Oct 2012 - 4:35

Est-ce que ça ne pourrait pas rentrer dans ce récent sujet ouvert par Melomaniac qui a commencé par présenter la 1ère?
https://classik.forumactif.com/t6411-chopin-les-ballades-l-oeuvre-et-l-intepretation
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Zeno
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MessageSujet: Re: CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation)   CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation) EmptyLun 22 Oct 2012 - 8:36

Oui, déplace, je ne savais pas trop où mettre ça... Smile
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MessageSujet: Re: CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation)   CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation) EmptyLun 5 Nov 2012 - 15:04

1. La quatrième ballade a toujours habité ma vie, je l'ai écoutée à chaque grand moment "charnière"... D'où ma question : Chopin l'a composée en 1842 mais révisée en 1843. Est-ce que l'un d'entre vous sait s'il existe une édition voire un enregistrement de la version "originale" 1842 ? Il serait trèèèèèèèès intéressant de pouvoir entendre l'évolution chopinienne dans son chef d'oeuvre. Je ne connais d'ailleurs pas l'ampleur des changements.

2. ALERTE CANULAR QUATRIEME BALLADE ! Si certains d'entre vous son branchés sur France Musique, vous avez peut-être entendu il y a quelques mois une excellente série d'émission consacrée à la composition de la Quatrième Ballade par Chopin : le présentateur donnait la lecture du journal de la fille de Georges Sand qui était à Nohan durant l'été 42 et qui témoignait très précisément sur du travail de Chopin, de ses humeurs, de ses recherches mélodiques... Passionnant ... Sauf que..... TOUT ETAIT FAUX ! Ce journal n'a jamais existé, c'était une oeuvre de fiction. Le présentateur s'en est excusé sur son site web plusieurs mois après l'émission... carton rouge

Vinc





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DavidLeMarrec
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MessageSujet: Re: CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation)   CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation) EmptyLun 5 Nov 2012 - 19:15

Mais... est-ce à dire que le présentateur avait lui-même été abusé (comment ?), qu'il avait volontairement induit tout le monde en erreur, que sa présentation n'était pas claire ?
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MessageSujet: Re: CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation)   CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation) EmptyMar 6 Nov 2012 - 14:17

le présentateur s'était (très) mal renseigné sur ses sources... il croyait donner lecture d'un véritable Journal inédit (en n'arrêtant pas de s'extasier sur ses qualités d'écriture compte tenu du jeune âge de son auteur, 14 ans) paru dans une revue de musicologie suisse, alors qu'il s'agissait d'une oeuvre de fiction... Un auditeur/éditeur a contacté le journal qui lui a signifié que c'était une fiction.
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charles
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MessageSujet: Re: CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation)   CHOPIN : les Ballades (l'oeuvre et l'inteprétation) EmptyMer 7 Nov 2012 - 10:41

vinclec a écrit:
le présentateur s'était (très) mal renseigné sur ses sources... il croyait donner lecture d'un véritable Journal inédit (en n'arrêtant pas de s'extasier sur ses qualités d'écriture compte tenu du jeune âge de son auteur, 14 ans) paru dans une revue de musicologie suisse, alors qu'il s'agissait d'une oeuvre de fiction... Un auditeur/éditeur a contacté le journal qui lui a signifié que c'était une fiction.
« Mal se renseigner sur ses sources » est une faute professionnelle en l'espèce (pitoyablement grotesque et si courante de nos jours). Rolling Eyes
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