Adapté de Playlist...
Mihkel KEREM (1981-)Violonniste estonien, il est également compositeur, présent au disque au travers de deux monographies. Une série de sonates pour violon, composées très tôt (13 et 15 ans respectivement pour les deux premières) non dénuées d'intérêt.

Mais surtout, une publication récente d'œuvres autrement ambitieuses...
Mihkel KEREM : Symphonie No. 3 "For the Victims of Communism", Sextuor à cordes, Lamento (Mikk Murdvee, dir. et alto)Un
Lamento pour alto et cordes désespéré, très
Vasks dans l'idée. Un sextuor inspiré par le
Schoenberg de
Verkärte Nacht, évidence auditive qui dépasse les notes d'intention.
Surtout, une magistrale symphonie, que l'on croirait écrite par
Shostakovich. L'Adagio initial est à s'y méprendre, exsude la douleur et l'oppression ; ce n'est pas le Shosta gesticulant et grimaçant, c'est celui du désespoir, de la machine à broyer les hommes, avec une conclusion grandiose et obstinée assez cinématographique. Le Vivacissimo du II est celui de la farce méchante, mais sans la grimace systématique de la mélodie cabossée. J'y entends plus les galops de
Prokofiev et, très rapidement, le
Sacre, qui alimente toute la seconde moitié (
La danse des cités rivales et
Glorification de l'Élue, en particulier, mais pas que). Le Grave conclusif démarre dans la paix des cimetières, mais l'on se rend compte qu'il s'agit d'une sorte de crescendo du malaise, comme une version étirée de
l'entrée du Prince dans
Roméo et Juliette.
Peut-être très premier degré, mais débarassé des tics qui m'irritent chez Shosta, et puisant auprès de compositeurs qui me parlent intimement, j'ai adoré de la première à la dernière note.
Mischa SPOLIANSKY (1898-1985)Compositeur aux multiples vies. Né dans une famille juive en Russie tasriste, enfance à Vienne dont il devra fuir à cause de la première guerre, compositeur de cabaret à Berlin (
Weill sans le côté grotesque), autre ville qu'il fuira suite à l'irrésistible ascension d'un certain chancelier, il passera le reste de sa vie à Londres, principalement comme compositeur de musique de films (dont
Les Mines du roi Salomon et
Aux frontières des Indes parmi les très connus).
Au disque, on trouve quelques chansons dans des anthologies cabaretières ou à la gloire d'un chanteur (par exemple, Wunderlich), ainsi que quelques foxtrots (volume 3 de la rétrospective Wallisch). Il existe à ma connaissance deux monographies...

Un disque dirigé par
Gamba contenant des morceaux choisis de sa production filmique, sympathique mais pas exactement passionnante, trouvé-je, dans un idiome proto-hollywoodien, entre
Korngold et
Rosza. Le charme exotique de certains morceaux, le talent pour les atmosphères (la musique de fantôme, très Harry Potter)... font que l'on passe un bon moment malgré tout.
Mischa SPOLIANSKY : Symphonie en 5 mouvements ; My Husband and I: Overture ; Boogie (Paul Mann, dir.)Le disque de musique de concert, publié chez Toccata, est par contre immanquable.
L'ouverture est une sorte de pot-pourri façon famille
Strauss, un délicieux pastiche viennois riche en glucose.
Le
Boogie est un petit chef d'œuvre. Une ouverture grandiose et caricaturale, façon
Haendel, qui se transforme rapidement en boogie-woogie, enchaînant les morceaux de bravoure, les effets, à la limite d'une série de variations en mode cabaret (ou cirque), sans avoir peur d'une orchestration ou de couleurs très russes (du
Tchaikovsky revu par Hollywood). Voilà une pièce drôle, endiablée, pleine de pompe et de tension, incroyablement virtuose, dans le goût des meilleures compositions d'
Arnold dans ce genre. Un reproche toutefois : elle est un peu trop longue pour son propre bien. Le gag ne dure qu'une dizaine de minutes, mais il s'essouffle sur la fin.
La pièce de résistance est la titanesque symphonie en 5 mouvements (une heure !), écrite sur près d'une trentaine d'années. Ultra-dramatique, avec un leitmotiv caractéristique qui rappelle
Korngold (une phrase déclamée, parsemée de brusques coupures, concluant sur un crescendo roulant épicé de harpes). Le premier mouvement, la création de l'homme, possède un beau cœur dansant, entre
Tchaikovsky et
Mendelssohn, des tournures rappellent
Dukas, l'inventivité mélodique ne tarit jamais, tirant toujours la partition vers le domaine du cinéma par ces incessants rappels de l'impérieuse déclamation initiale (la voix de Dieu, car Dieu travaillait pour
Cecil B Demille, comme chacun sait).
L'Ode à l'amour qui suit débute par un perpétuel jaillissement, suivi d'un beau thème grave et un peu inquiet, filmique en diable, qui débouche sur une version adoucie de la voix divine. La coda très positive est assez caricaturale, mais si l'on accepte de se prendre au jeu, il faut reconnaître que cela est diablement efficace.
Le Scherzo est une parodie du style classique, du même type que le Boogie ;
Leroy Anderson revisite
Haydn avec un soupçon de
Strauss.
Les lamentations du IV sont un hommage aux victimes de l'Holocauste. Outre le ton élégiaque, les couleurs orchestrales évoquent clairement une culture victime des atrocités. Quant aux thèmes, ils sont en partie tirés et retravaillés du deuxième : l'amour et la haine sont les deux faces de l'expérience humaine.
Le dernier mouvement va puiser sans vergogne chez
Tchaikovsky et ses épanchements n'ont aucune retenue. Le pardon divin semble enfin prononcé, et une période heureuse est instaurée, chahutée, la conclusion ne vient jamais, une sorte de farce renouvelée, collage de thèmes précédents, d'interruptions abruptes en transitions grandiloquentes, qui n'est pas sans évoquer à nouveau
Malcolm Arnold, avec en plus un message sur la nature de l'expérience humaine.
Au final, une pièce outrée, sur-orchestrée, truffée de trouvailles mélodiques ou coloristes ; probablement une caricature "hollywoodienne", mais d'une grande sincérité et terriblement attachante.