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Chopin - Quatrième ballade (1842)

Certainement la plus grande oeuvre de Chopin, la Quatrième ballade est une des oeuvres qui synthétise le mieux le style et l'esthétique de compositeur polonais. Elle renferme tout aussi bien le Chopin brillant et séducteur de certaines de ses valses que les sonorités radieuses de la Barcarolle, les accès de brutalité des scherzos que les effusions de lyrisme des nocturnes. Oeuvre d'un grand raffinement sonore et d'écriture, elle fait alterner un thème principal exposé trois fois et un thème contrastant entendu à deux reprises, précédés d'une introduction et d'une coda.

Dès l'introduction, radieuse, aux riches harmonies, on peut entendre ce « son Chopin » toute en transparence et reflets irisés, celui du Nocturne op. 37 n° 2, de la Barcarolle op. 60, et qui fascinera Debussy. Cette lumière méridionale étant là pour mieux amener l'inoubliable thème principal, d'un sentiment nostalgique, et aux intonations mélodiques un peu orientalisantes… Effet moiré de ces motifs, qui changent imperceptiblement d'humeur au gré de leurs subtiles variations mélodiques. Le thème est repris avant un passage en accords et octaves plein de mystère et au rendu sonore presque « liquide » comme un gué entre deux rives. Arrive alors une des plus sublimes inspirations de Chopin : une continuation mélodique du thème principal, d'une grande tristesse, sur de somptueuses harmonies. Lors de sa reprise, le thème, est orné d'un contrechant aux voix intérieures qui, crescendo va aboutir sur une rafales d'octaves virtuoses. L'instrument sonne magnifiquement ; du très grand piano. Le second thème, rêveur, au doux bercement rythmique n'est qu'à peine dérangé par quelques appuis rythmiques décalés. S'ouvre alors un épisode purement « gratuit » dans la structure de l'oeuvre et qui s'abandonne à la pure séduction sonore et instrumentale : des arpèges ascendants qui vont retomber en une fine pluie de sixtes par deux fois, avant une sorte de valse légère et gracieuse, qui s'anime peu à peu avant de recroiser les motifs du thème principal. Ceux-ci complètement renouvelés, dans un miroitement de couleurs qui évoquent la fin de la Barcarolle annoncent le retour du radieux thème introductif, dans une nouvelle tonalité. Art de la variation, lors de cette courte section où les motifs constitutifs du thème principal se trouvent repris dans un épisode en imitation de caractère austère avant le troisième exposé du thème principal. On comprend mal l'art de Chopin si l'on ne perçoit pas son génie de l'écriture et de la résonance pianistique, manifestes dans le Nocturne op. 27 n° 2, ou le Huitième prélude. Ici, le traitement du thème est typiquement chopinien par son écriture ornementale de la mélodie, aux arabesques qui s'insinuent dans l'oreille, son rythme irrégulier et très libre tisse une toile d'une grande finesse de trait. Après quelques mesures de transition réapparait le thème contrastant. Art de la transformation thématique encore. Là où dans la première partie de l'oeuvre ce thème était serein il s'enfièvre ici peu à peu et fait cette fois passionné, sur sur de grandes vagues de la basse avant de venir se fracasser sur trois accords dans la nuance triple fortissimo, tels des gifles assénées. Cinq accords diaphanes assurent alors la transition avec la coda. Qu'on ne s'y trompe pas, cette brutalité des contrastes et cette violence expressive est une constante chez Chopin : elle était déjà présente dans le Premier scherzo en 1835, convulsif et inquiétant. Cette coda conclut la Ballade de manière éclatante et fort avantageuse pour son interprète, dès lors qu'il est en possession des moyens techniques pour se hisser à la hauteur de ce monument du répertoire.

L'oeuvre ultime du piano romantique.