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Autour de la musique classique Le but de ce forum est d'être un espace dédié principalement à la musique classique sous toutes ses périodes, mais aussi ouvert à d'autres genres. |
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Gkar Mélomane averti
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Nombre de messages : 272 Localisation : nexussixotaku Date d'inscription : 10/03/2012
![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Lun 9 Jan 2017 - 18:28 | |
| La poésie n'étant pas uniquement des poèmes mais aussi du théâtre, des romans, des épopées :
Shakespeare (Le marchand de Venise, Le viol de Lucrèce, Roméo et Juliette...) Shelley et Keats Mallarmé Schiller (la pucelle d'Orléans) et Goethe (Faust) Les Grecs Sophocle (Antigone) et Homère Les latins Lucrèce (De la nature), Virgile (l'Eneide) et Gabriele d'Annunzio L'indien Rabindranath Tagore (le jardinier d'amour, la jeune lune, l'offrande lyrique), et l'auteur anonyme du Mahabharata Les chinois Bai Juyi (le chant des regrets éternels) et Li Bai Le persan Attar (ses ghazals) Les japonais Basho (ses haïkus) et Mishima (c'est pas seulement de la grande littérature mais aussi de la poésie pure, dans sa tétralogie La mer de la fertilité, dans sa pièce de théâtre Madame de Sade).
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Nombre de messages : 564 Localisation : Complètement à l'Ouest Date d'inscription : 26/07/2010
![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Jeu 25 Mai 2017 - 0:00 | |
| Dans la lignée d'Apollinaire, Albert-Paul Granier (1888-1917) est le grand poète oublié de la Guerre 14-18
La guerre est dure comme une tempête, la guerre est farouche et meurtrière, comme l'Océan, par les nuits d'équinoxe où les vaisseaux perdus hurlent sur les écueils, la guerre, soudain calme et dormante, la guerre folle, sauvage et féroce, la guerre est belle, dites, les gars, la guerre est belle comme la mer !...
La tranchée est une vague pétrifiée, une vague attentive et silencieuse, bouillonnante et débordante de force. [...] Et, là-bas, les obus invisibles, cataractants et foudroyants, se heurtant aux blockhaus d'acier âpres et durs comme des brisants, fleurissent en gerbes soudaines, en hauts bouquets sifflants et fumants, comme si un fabuleux raz de marée donnait du front sur la falaise.
Et, par-dessus, le ronflement des trajectoires comme le cri unanime de la mer.
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Nombre de messages : 9185 Localisation : Pays des Bleuets Date d'inscription : 28/09/2015
![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Jeu 25 Mai 2017 - 11:04 | |
| Merci pour l'extrait du poème de Granier. Je poursuis avec le recueil d'un ami, Romuald Lepalis décédé depuis quelques années déjà. J'ai connu monsieur Lepalis durant des lectures de poèmes dans des lieux publics, c'était un fin lettré d'une extrême gentillesse. Ce recueil Aiguail a été publié en 2001. ![Poésie - Page 5 Aiguai10](https://i.servimg.com/u/f58/19/38/09/77/aiguai10.jpg) |
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Nombre de messages : 1869 Age : 33 Localisation : Orléans-Paris Date d'inscription : 21/07/2013
![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Ven 2 Juin 2017 - 14:10 | |
| Pour les Hispanophones :
Juan Gelman lisant ses poèmes, accompagné par la musique de Rodolfo Mederos: Del amor.
watch?v=9bQZzTroxcI
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Nombre de messages : 5776 Date d'inscription : 03/01/2007
![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Mar 4 Juil 2017 - 11:29 | |
| Gautier : Émaux et Camées |
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Nombre de messages : 9185 Localisation : Pays des Bleuets Date d'inscription : 28/09/2015
![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Jeu 26 Oct 2017 - 16:40 | |
| - Oriane a écrit:
- J'enclenche le mode [autobiographie].
Ça me vient de la musique. Quand j'étais petite, mes parents avaient récupéré des cartons de CDs suite à la faillite d'un voisin disquaire (c'est la partie tristoune de l'histoire). Je ne me souviens plus des circonstances qui m'ont amenée à mettre la main sur la 1ère symphonie de Mahler (la seule de ses œuvres que j'ai écoutée pendant des années), et la version pour piano des Danses Slaves de Dvořák ... Mais ces découvertes ont été décisives. Un peu plus tard, lorsque mes parents m'ont laissé le choix d'un lieu où voyager en famille, j'ai naturellement pensé aux Pays tchèques, dont la musique me faisait rêver. Et je n'ai pas été deçue ; le séjour à Prague qui s'en est suivi m'a enchantée ! Il m'a toutefois fallu des années avant de me lancer "sérieusement" dans l'apprentissage du tchèque, mue par une vieille passion que la lecture de poèmes traduits avait ravivée ...
Mais pas seulement. Il s'agissait aussi de m'écarter d'un savoir entaché par toutes sortes d'angoisses scolaires, et peut-être de me distinguer des autres (inconsciemment, j'ai cherché à me rendre intéressante, à une époque où je me sentais en échec dans les domaines académiques traditionnels).
Voilà, pour résumer c'est un intérêt qui mêle indissolublement des motivations très romantiques, et un besoin plus prosaïque de sortir un peu du lot!
Pour les autres langues / pays : ce sont surtout mes lectures qui me guident désormais. Je m'intéresse au slovène parce que la littérature écrite dans cette langue réserve de très belles surprises. Je suis tributaires de toutes sortes de traductions qui suscitent le désir de rencontrer les textes en "langue originale". - Oriane a écrit:
- Bon courage pour la suite, Aurele. Tes résultats sont super encourageants.
- Ravélavélo a écrit:
- Oriane a écrit:
- J'enclenche le mode [autobiographie].
Peux-tu nous parler un brin de ta vieille passion de poèmes traduits avec quelques noms d'auteurs svp.
Désolée pour cette réponse tardive.
Si je ne devais citer qu'un nom, ce serait celui de Jan Skácel, dont deux recueils ont été traduits en français (il existe aussi des retraductions de poèmes isolés d'après l'allemand, notamment dans D'une lyre à cinq cordes de Jaccottet). Ses poèmes empruntent souvent des formes traditionnelles (surtout des sonnets), mais leur syntaxe est singulière (très elliptique), et leurs images aussi expressives qu'énigmatiques. Ils sont la condensation d'un vaste héritage poétique européen (du romantisme allemand au surréalisme français, en gros), mais pour recréer une atmosphère très intime. La voix lyrique des poèmes de Skácel apparaît par intermittences, s'efface, doute d'elle-même, et par ce vacillement suscite le sentiment d'une individualité à la fois persistante et fragile.
Parmi les oeuvres majeures de la poésie tchèque, je recommande aussi celle de Vladimír Holan, plus perturbante peut-être ( en raison notamment de son ironie), et celle de Bohuslav Reynek, où se rencontrent des inspirations folkloriques, philosophiques et chrétiennes.
Merci pour ta réponse ! ![Smile](https://2img.net/i/fa/i/smiles/icon_smile.gif) |
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Nombre de messages : 1869 Age : 33 Localisation : Orléans-Paris Date d'inscription : 21/07/2013
![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Ven 27 Oct 2017 - 13:21 | |
| Merci à toi de m'inciter à étaler ma confiture!
J'en profite pour recommander aussi l'œuvre d'Ivan Blatný, un poète marqué par le courant moderniste du début du siècle. Ses poèmes jouent sur les mots et les images pour démultiplier les facettes de la perception et créer des zones intermédiaires entre le rêve et l'état de veille. Ce caractère flottant est accentué par un entrelacement fréquent des langues (l'anglais, l'allemand, le tchèque) à partir du moment où Blatný s'exile en Angleterre. Très dur de traduire un tel poète ... Le mélange d'humour et de mélancolie qui imprègne l'ensemble de son œuvre rend néanmoins ses textes accessibles à tous les lecteurs, je pense !
Autres grands noms : Jaroslav Seifert et Vítěslav Nezval, des classiques qui m'ont moins touchée. Il faudrait que je les relise.
Je voudrais bien en mentionner d'autres, mais ils ont été peu traduits en français à ma connaissance ... Viola Fisherová, par exemple. |
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![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Mer 27 Fév 2019 - 10:53 | |
| - DavidLeMarrec a écrit:
- Puisque tu sais très précisément ce que tu veux, peut-être pourrais-tu, si ce n'est pas trop intime, le partager dans un fil adéquat, ou ici même ?
Rien d'intime, en fait. La poésie me touche rarement d'une façon "sentimentale" pour ainsi dire. C'est plus le mystère, le regard oblique sur la réalité, l'insaisissable qui me parlent dans ce genre. Il y a bien une exception dans la poésie en anglais cependant, puisque c'est précisément de celle-là que nous parlions. C'est To My Daughter de Stephen Spender, parce que bien que l'ayant découvert plusieurs années après que mes filles soient nées, j'ai trouvé dans ce poème très court et assez simple l'écho exact de pensées que j'avais eues à l'époque où elles commençaient à marcher. Sinon, "mon" anthologie idéale de la poésie anglaise" doit absolument contenir : - Quelques poèmes de la période anglo-saxonne ( The Wanderer, The Seafarer) - Shakespeare : les sonnets XVIII, CXVI et CXXX- Donne : No Man Is an Island, Death, Be not Proud, To His Mistress Going to Bed- Blake : Ah! Sun-Flower, The Sick Rose- Wordsworth : She Dwelt Among the Untrodden Ways- Coleridge : The Rime of the Ancient Mariner- Byron : She Walks in Beauty - Keats : To Autumn, La Belle Dame sans Merci- Tennyson : The Lady of Shalott, Tears, Idle Tears- Whitman : When Lilacs Last in the Dooryard Bloom’d- Arnold : Dover Beach- Yeats : When you Are Old- Frost : Stopping by Woods on a Snowy Evening, The Road not Taken, Fire and Ice- Pound : In a Station of the Metro- Eliot : The Love Song of J. Alfred Prufrock , The Waste Land, The Hollow Men- Cummings : somewhere i have never travelled,gladly beyond, l(a, in Just-- Auden : Musée des Beaux Arts- Spender : To my Daughter- Thomas : Do not Go Gentle into that Good Night - Larkin : This Be the Verse, An Arundel Tomb- Hughes : The Thought-Fox, Pike |
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Nombre de messages : 98014 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Jeu 28 Fév 2019 - 2:22 | |
| Merveilleux ! Beaucoup de poèmes que je n'ai pas lus… Je vais me plonger là-dedans dans les semaines à venir. ![bounce](https://2img.net/i/fa/i/smiles/icon_bounce.gif) Merci ! |
| ![Aller en bas](https://2img.net/i/empty.gif) | | Cricri Mélomane averti
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Nombre de messages : 157 Age : 82 Localisation : Ile de France Date d'inscription : 21/12/2016
![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Mer 10 Juil 2019 - 11:35 | |
| Superbe, en effet ! On pourrait ajouter quelques poèmes, comme celui-ci, de Louis MacNeice (1907-1963):
The sunlight on the garden
The sunlight on the garden Hardens and grows cold, We cannot cage the minute Within its nets of gold, When all is told We cannot beg for pardon.
Our freedom as free lances Advances towards its end; The earth compels, upon it Sonnets and birds descend; And soon, my friend, We shall have no time for dances.
The sky was good for flying Defying the church bells And every evil iron Siren and what it tells: The earth compels, We are dying, Egypt, dying
And not expecting pardon, Hardened in heart anew, But glad to have sat under Thunder and rain with you, And grateful too For sunlight on the garden.
The earth compels, 1936.
Dernière édition par Cricri le Dim 3 Mai 2020 - 17:06, édité 1 fois |
| ![Aller en bas](https://2img.net/i/empty.gif) | | Asturias Néophyte
Nombre de messages : 8 Localisation : Toulouse Date d'inscription : 09/08/2019
![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: écrire Lun 12 Aoû 2019 - 9:51 | |
| Quelqu'un écrit-il ici de la poésie? Moi j'eus une révélation: pour écrire, il faut avoir beaucoup souffert. Un deuil terrible me l'a révélé. Tout à coup j'ai compris ce qu'il y avit derrière Verlaine, et tant d'autres. Un exutoire salvateur. triste et riche expérience, je n'ai plus jamais lu la poésie de la même manière. Sinon, quand j'étais jeune je lisais Marie-Noël. Je la relis encore...
Crépuscule L’heure viendra… l’heure vient… elle est venue Où je serai l’étrangère en ma maison, Où j’aurai sous le front une ombre inconnue Qui cache ma raison aux autres raisons.
Ils diront que j’ai perdu ma lumière Parce que je vois ce que nul œil n’atteint : La lueur d’avant mon aube la première Et d’après mon soir le dernier qui s’éteint.
Ils diront que j’ai perdu ma présence Parce qu’attentive aux présages épars Qui m’appellent de derrière ma naissance J’entends s’ouvrir les demeures d’autre part.
Ils diront que ma bouche devient folle Et que les mots n’y savent plus ce qu’ils font Parce qu’au bord du jour pâle, mes paroles Sortent d’un silence insolite et profond.
Ils diront que je retombe au bas âge Qui n’a pas encore appris la vérité Des ans clairs et leur sagesse de passage, Parce que je retourne à l’Éternité. |
| ![Aller en bas](https://2img.net/i/empty.gif) | | Cricri Mélomane averti
![Cricri](https://2img.net/u/2915/27/61/61/avatars/5395-5.jpg)
Nombre de messages : 157 Age : 82 Localisation : Ile de France Date d'inscription : 21/12/2016
![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Sam 13 Mar 2021 - 17:13 | |
| Dylan Thomas
AU BOIS LACTÉ
Commençons au commencement :
C'est le printemps, nuit noire – sans étoile ni lune – sur le village aux pavés feutrés. Le bois aux lapins amoureux s'étire, invisible, au dos voûté des collines et descend en cahotant vers la mer noir prunelle qui sommeille, noire, noir corneille, et berce les chaluts. Les maisons sont myopes comme des taupes – qui, elles, pourtant voient clair dans les vallons veloutés de cette nuit aux museaux humides – ou aveugles comme le Capitaine Chat, là-bas, sur la place assoupie, près de la pompe et de l'horloge. Les boutiques sont veuves et le dispensaire en deuil. Et tous les villageois, apaisés, assommés, sont endormis.
Chut ! Tout le monde dort, les fermiers et les enfants, les pêcheurs et les commerçants, les retraités, le savetier, le tavernier et l'instituteur, le croque-mort et le facteur, la femme légère, le tailleur, l'ivrogne, le gendarme et le prédicateur, les vendeuses de coques aux pieds palmés et les épouses ordonnées. Les jeunes filles aux lits douillets glissent dans leurs rêves d'alliance et de trousseau, avec escorte de vers luisants et musique d'orgue dans la nef du bois qui résonne. Les garçons rêvent de sexe ou de ruades dans les ranchs de la nuit et la mer pleine de pirates. Et les statues anthracite des chevaux dorment dans les champs, et les vaches dans leurs étables, et les chiens dans les cours renifleuses. Et les chats somnolent sur les coins de toits pentus, ou avancent en tapinois, filent et se faufilent sur le manteau de tuiles.
Vous entendez la rosée qui tombe et la ville silencieuse qui respire. Il n'y a que vos yeux qui soient ouverts pour voir dans l'obscurité la ville repliée, la ville qui, en paix, dort à poings fermés. Et il n'y a que vous pour entendre cette invisible pluie d'étoiles, et le chuchotis de la mer délicatement effleurée de rosée au plus noir avant l'aube, cette mer sombre qui regorge de limandes, et où l'Arethuse, le Courlis, l'Alouette, le Zanzibar, le Rhiannon, le Cormoran et l'Etoile de Galles roulent et tanguent.
Ecoutez. Voici la nuit qui avance dans les rues et le lent cortège du vent salé qui défile en musique dans Coronation Street et Cockle Row, voici l'herbe qui pousse sur Llaregyb Hill, pluie de rosée, pluie d'étoiles, et les oiseaux qui dorment au Bois Lacté.
[...] Regardez. Voici sa majesté la nuit qui serpente en silence parmi les cerisiers de Coronation Street, et qui traverse, tous vents repliés, toute rosée rangée, le cimetière de Bethesda ; la voilà qui trébuche devant le Sailors Arms.
Le temps passe. Ecoutez le temps passer.
Approchez un peu.
Il n'y a que vous pour entendre les maisons dormir dans les rues, en cette nuit lente et noire, calfeutrée de silence et au vif goût de sel. Vous êtes le seul à voir dans les chambres closes, les peignes et les jupons sur les chaises, les brocs et les cuvettes, les dentiers dans leurs verres, les Commandements au mur, et les portraits jaunis des défunts qui gardent la pose. Vous êtes le seul à voir et à entendre, derrière les paupières des dormeurs, les mouvements, contrées, dédales et couleurs, les effrois, arcs en ciel, ritournelles et souhaits, les espoirs, les envols, chutes et désespoirs, et les mers houleuses de leurs rêves.
De l'endroit où vous êtes, vous entendez leurs rêves.
Dylan Thomas
UNDER MILK WOOD
To begin at the beginning :
It is spring, moonless night in the small town, starless and bible black, the cobble-streets silent and the hunched, courters'-and-rabbits' wood limping invisible down to the sloeblack, slow, black crowblack, fishingboat-bobbing sea. The houses are black as moles (though moles see fine to-night in the snouting, velvet dingles) or blind as Captain Cat there in the muffled middle by the pump and the town clock, the shops in mourning, the Welfare Hall in windows' weeds. And all the people of the lulled ans dumbfound town are sleeping now.
Hush, the babies are sleeping, the farmers, the fishers, the tradesmen and pensioners, cobbler, school-teacher, postman and publican, the undertaker and the fancy woman, drunkard, dressmaker, preacher, policeman, the webfoot cocklewomen and the tidy wives. Young girls lie bedded soft or glide in their dreams, with rings and trousseaux, bridesmaided by glow-worms down the aisles of the organplaying wood. The boys are dreaming wicked or of the bucking ranches of the night and the jollyrodgered sea. And the anthracite statues of the horses sleep in the fields, and the cows in the byres, and the dogs in the wetnosed yards ; and the cats nap in the slant corners or lope sly, streaking and needling, on the one cloud of the roofs.
You can hear the dew falling, and the hushed town breathing. Only your eyes are unclosed to see the black and folded town fast, and slow asleep. And you alone can hear the invisible starfall, the darkest-before-dawn minutely dewgrazed stir of the black, dab-filled sea where the Arethusa, the Curlew and the Skylark, Zanzibar, Rhiannon, the Rover, the Cormorant, and the Star of Wales tilt and ride. Listen. It is night moving in the streets, the processional salt slow musical wind in Coronation Street and Cockle Row, it is the grass growing on Llaregyb Hill, dewfall, starfall, the sleep of birds in Milk Wood.
[...] Look. It is night, dumbly, royally winding through the Coronation cherry trees ; going trough the graveyard of Bethesda with winds gloved and folded, and dew doffed ; tumbling by the Sailor Arms.
Time passes. Listen. Time passes.
Come closer now.
Only you can hear the houses sleeping in the streets in the slow deep salt and silent black, bandages night. Only you can see in the blinded bedrooms, the combs and petticoats over the chairs, the jugs and basins, the glasses of teeth, Thou Shalt Not on the wall, and the yellowing dickybird-watching pictures of the dead. Only you can hear and see, behind the eyes of the sleepers, the movements and countries and mazes and colours and dismays and rainbows and tunes and wishes and flight and fall and despairs and big seas of their dreams.
From where you are, you can hear their dreams. |
| ![Aller en bas](https://2img.net/i/empty.gif) | | Benedictus Mélomane chevronné
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Nombre de messages : 15565 Age : 50 Date d'inscription : 02/03/2014
![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Sam 13 Mar 2021 - 17:55 | |
| Merci! Under Milk Wood est une des plus belles choses qu'il m'ait été donné de lire en poésie de langue anglaise - avec Four Quartets d'Eliot. (Et dans les deux cas, les disques des auteurs interprétant leur œuvre sont aussi des expériences poétiques intenses.) |
| ![Aller en bas](https://2img.net/i/empty.gif) | | Cricri Mélomane averti
![Cricri](https://2img.net/u/2915/27/61/61/avatars/5395-5.jpg)
Nombre de messages : 157 Age : 82 Localisation : Ile de France Date d'inscription : 21/12/2016
![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Sam 13 Mar 2021 - 18:18 | |
| Bien d'accord. Quand j'ai découvert Under Milk Wood pour l'agreg il y a bientôt cinquante ans, j'ai failli pleurer. Et quand je lis T. S. Eliot, là, pas de détail, je pleure.
Dernière édition par Cricri le Sam 13 Mar 2021 - 20:26, édité 1 fois |
| ![Aller en bas](https://2img.net/i/empty.gif) | | Oriane Mélomaniaque
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Nombre de messages : 1869 Age : 33 Localisation : Orléans-Paris Date d'inscription : 21/07/2013
![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Sam 13 Mar 2021 - 18:25 | |
| Absolument d'accord pour Under Milk wood. |
| ![Aller en bas](https://2img.net/i/empty.gif) | | gluckhand Mélomane chevronné
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![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Dim 14 Mar 2021 - 13:47 | |
| Vision optimiste du monde
Tu pleures,parce qu'on enterre quelqu'un.
crois-moi,cela n'en vaut pas la peine, d'autres naissent à sa place.
Consulte donc les statistiques la population s'accoît tous les ans.
Pour un qui meurt, plusieurs viennent au monde, crois-moi, cela ne vaut pas la peine de pleurer(quand nous mourons)
De toutes façons, nous naissons....
Karoly Vazsonyi (1912-1945 )/ adapté du hongrois par Georges Kassai. |
| ![Aller en bas](https://2img.net/i/empty.gif) | | gluckhand Mélomane chevronné
![gluckhand](https://2img.net/u/2915/27/61/61/avatars/4266-24.jpg)
Nombre de messages : 4968 Localisation : Amiens Date d'inscription : 15/07/2013
![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Dim 14 Mar 2021 - 15:17 | |
| AGIR, JE VIENS
Poussant la porte en toi, je suis entré
Agir, je viens
Je suis là
Je te soutiens
Tu n'es plus à l'abandon
Tu n'es plus en difficulté
Ficelles déliées, tes difficultés tombent
Le cauchemar d'où tu revins hagarde n'est plus
Je t'épaule
Tu poses avec moi
Le pied sur le premier degré de l'escalier sans fin
Qui te porte
Qui te monte
Qui t'accomplit
Je t'apaise
Je fais des nappes de paix en toi
Je fais du bien à l'enfant de ton rêve
Afflux
Afflux en palmes sur le cercle des images de l'apeurée Afflux sur les neiges de sa pâleur Afflux sur son âtre... et le feu s'y ranime
AGIR, JE VIENS
Tes pensées d'élan sont soutenues Tes pensées d'échec sont affaiblies J'ai ma force dans ton corps, insinuée ... et ton visage, perdant ses rides, est rafraîchi La maladie ne trouve plus son trajet en toi La fièvre t'abandonne
La paix des voûtes
La paix des prairies refleurissantes
La paix rentre en toi
Au nom du nombre le plus élevé, je t'aide Comme une fumerolle
S'envole tout le pesant de dessus tes épaules accablées Les tètes méchantes d'autour de toi Observatrices vipérines des misères des faibles Ne te voient plus Ne sont plus
Équipage de renfort En mystère et en ligne profonde Comme un sillage sous-marin Comme un chant grave Je viens
Ce chant te prend Ce chant te soulève
Ce chant est animé de beaucoup de ruisseaux Ce chant est nourri par un Niagara calmé Ce chant est tout entier pour toi
Plus de tenailles
Plus d'ombres noires
Plus de craintes
Il n'y en a plus trace
Il n'y a plus à en avoir
Où était peine, est ouate
Où était éparpillement, est soudure Où était infection, est sang nouveau Où étaient les verrous est l'océan ouvert L'océan porteur et la plénitude de toi Intacte, comme un œuf d'ivoire.
J'ai lavé le visage de ton avenir.
Henri Michaux |
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| LA FIN DU MONDE
prendre corps
Je te flore tu me faune
Je te peau je te porte et te fenêtre tu m'os tu m'océan tu m'audace tu me météorite
Je te clef d'or je t'extraordinaire tu me paroxysme
Tu me paroxysme
et me paradoxe
je te clavecin
tu me silencieusement
tu me miroir
je te montre
Tu me mirage tu m'oasis tu m'oiseau tu m'insecte tu me cataracte
Je te lune tu me nuage tu me marée haute Je te transparente tu me pénombre tu me translucide tu me château vide et me labyrinthe Tu me paralaxe et me parabole tu me debout et couché tu m'oblique
Je t'équinoxe
je te poète
tu me danse
je te particulier
tu me perpendiculaire
et soupente
Tu me visible tu me silhouette tu m'infiniment tu m'indivisible tu m'ironie
Je te fragile
je t'ardente
je te phonétiquement
tu me hiéroglyphe
Tu m'espace
tu me cascade
je te cascade
à mon tour mais toi
tu me fluide
tu m'étoile filante
tu me volcanique
nous nous pulvérisable
Nous nous scandaleusement
jour et nuit
nous nous aujourd'hui même
tu me tangente
je te concentrique
Tu me soluble tu m'insoluble tu m'asphyxiant et me libératrice tu me pulsatrice
Tu me vertige
tu m'extase
tu me passionnément
tu m'absolu
je t'absente
tu m'absurde
Je te narine je te chevelure
je te hanche
tu me hantes
je te poitrine
je buste ta poitrine puis te visage
je te corsage
tu m'odeur tu me vertige
tu glisses
je te cuisse je te caresse
je te frissonne
tu m'enjambes
tu m'insuportable
je t'amazone
je te gorge je te ventre
je te jupe
je te jarretelle je te bas je te Bach
oui je te Bach pour clavecin sein et
je te tremblante
tu me séduis tu m'absorbes
je te dispute
je te risque je te grimpe
tu me frôles
je te nage
mais toi tu me tourbillonnes
tu m'effleures tu me cernes
tu me chair cuir peau et morsure
tu me slip noir
tu me ballerines rouges
et quand tu ne haut-talon pas mes sens
tu les crocodiles
tu les phoques tu les fascines
tu me couvres
je te découvre je t'invente
parfois tu te livres
tu me lèvres humides
je te délivre je te délire
tu me délires et passionnes
je t'épaule je te vertèbre je te cheville
je te cils et pupilles
et si je n'omoplate pas avant mes poumons
même à distance tu m'aisselles
je te respire
jour et nuit je te respire
je te bouche
je te palais je te dents je te griffe
je te vulve je te paupières
je te haleine
je t'aine
je te sang je te cou
je te mollets je te certitude
je te joues et te veines
je te mains
je te sueur
je te langue
je te nuque
je te navigue
je t'ombre je te corps et te fantôme
je te rétine dans mon souffle
tu t'iris
Ghérasim Luca (1913-1994)
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| PRIERE A L'OCEAN
Océan :
Divinité de houles et de houles sur des gouffres et des gouffres,
Monstre glauque, semblable à quelque énorme gueule de baudroie suivie d'une incommensurable queue de congre,
Masse mouvante avec, pour âme, cette lame sourde jaillissant en lave d'un puits abyssal,
Époux de la tempête aux griffes de noroît et cheveux de suroît,
Génie double qui souques ta victime entre vent, arrière-vent et vent-debout,
Démon de verre cassant des vaisseaux comme on casse des noix,
Ogre aux dents de récif qui croque des tas d'hommes comme sur la terre nous croquons des pommes,
Nappe d'orgie sur quoi les flottilles sont les friandises, les escadres les gigots,
Insondable estomac où se digèrent les naufrages dont les épaves rares sur les flots figurent les os,
Diaphragme innombrable au muscle soulevé depuis les tréfonds inconnus jusqu'à l'éclair des nues,
Jungle liquide des sautes-de-vent accouplées aux brisants,
Harpagonie de trésors engloutis,
Joute des aventures d'or et des squales d'acier,
Cimetière dansant où les péris se heurtent, l'alliance au doigt,
Farouche pêle-mêle où tout se trouve - sauf un cœur, Océan...
Océan :
Ciel à l'envers,
Hublot de l'enfer,
Quelqu'un de formidable parmi tous les êtres,
Chose la plus grande parmi tant de choses,
Geste le plus vaste d'entre tous les gestes,
Majesté la première au rang des majestés,
Océan,
Catastrophe constante,
Agrégat de tourmentes,
Tragédie sans fin,
Oh fais taire tes orgues barbares du large !
Haut sur sa dune aux immortelles d'or
Un poète te parle !
Abaisse donc tes monts sabaothiques De l'Iroise et des loins atlantiques, Calme tes nerfs noués en pieuvres, Scelle tes chiens-de-mer aux creux du Toulinguet, Aspire ma présence de tes branchies toutes, Puis, posant les pieds blancs de ton flux sur la grève, Accueille en cette oreille qu'est ce coquillage Les mots qui te descendent sur la brise tendre Arrivée des vallons de l'Aulne et de l'Élorn ! Dis, mon grand
Si grand qu'il me semble sombrer dans ta barbe d'écume ;
Dis, mon grand si grand que me voici néant,
Vaine fourmi près d'un géant,
Dis, mon grand,
J'ose, moi le veilleur à la proue du vieux monde,
T'implorer pour ceux qui labourent ton onde.
SAINT-POL-ROUX (1861-1940 ) |
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![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Jeu 18 Mar 2021 - 10:39 | |
| Allégeance
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima?
Il cherche son pareil dans le voeu des regards. L'espace qu'il parcourt est ma fidélité. Il dessine l'espoir et léger l'éconduit. Il est prépondérant sans qu'il y prenne part.
Je vis au fond de lui comme une épave heureuse. A son insu, ma solitude est son trésor. Dans le grand méridien où s'inscrit son essor, Ma liberté le creuse.
Dans les rues de la ville il y a mon amour. Peu importe où il va dans le temps divisé. Il n'est plus mon amour, chacun peut lui parler. Il ne se souvient plus; qui au juste l'aima et L'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas?
René Char
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![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Ven 19 Mar 2021 - 11:25 | |
| Ici je t’aime…
Ici je t’aime. Dans les pins obscurs le vent se démêle. La lune resplendit sur les eaux vagabondes. Des jours égaux marchent et se poursuivent.
Le brouillard en dansant qui dénoue sa ceinture. Une mouette d’argent du couchant se décroche. Une voile parfois. Haut, très haut, les étoiles.
Ô la croix noire d’un bateau. Seul. Le jour parfois se lève en moi, et même mon âme est humide. La mer au loin sonne et résonne. Voici un port. Ici je t’aime.
Ici je t’aime. En vain te cache l’horizon. Tu restes mon amour parmi ces froides choses. Parfois mes baisers vont sur ces graves bateaux qui courent sur la mer au but jamais atteint.
Suis-je oublié déjà comme ces vieilles ancres. Abordé par le soir le quai devient plus triste. Et ma vie est lassée de sa faim inutile. J’aime tout ce que je n’ai pas. Et toi comme tu es loin.
Mon ennui se débat dans les lents crépuscules. Il vient pourtant la nuit qui chantera pour moi. La lune fait tourner ses rouages de songe.
Avec tes yeux me voient les étoiles majeures. Pliés à mon amour, les pins dans le vent veulent chanter ton nom avec leurs aiguilles de fer.
Pablo NERUDA / Recueil : "Vingt poèmes d'amour et une chanson désespérée"
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![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Sam 20 Mar 2021 - 8:20 | |
| L'UNION LIBRE
Ma femme à la chevelure de feu de bois Aux pensées d'éclairs de chaleur A la taille de sablier Ma femme à la taille de loutre entre les dents du tigre Ma femme à la bouche de cocarde et de bouquet d'étoiles de dernière grandeur Aux dents d'empreintes de souris blanche sur la terre blanche A la langue d'ambre et de verre frottés Ma femme à la langue d'hostie poignardée A la langue de poupée qui ouvre et ferme les yeux A la langue de pierre incroyable Ma femme aux cils de bâtons d'écriture d'enfant Aux sourcils de bord de nid d'hirondelle Ma femme aux tempes d'ardoise de toit de serre Et de buée aux vitres Ma femme aux épaules de champagne Et de fontaine à têtes de dauphins sous la glace Ma femme aux poignets d'allumettes Ma femme aux doigts de hasard et d'as de cœur Aux doigts de foin coupé Ma femme aux aisselles de martre et de fênes De nuit de la Saint-Jean De troène et de nid de scalares Aux bras d'écume de mer et d'écluse Et de mélange du blé et du moulin Ma femme aux jambes de fusée Aux mouvements d'horlogerie et de désespoir Ma femme aux mollets de moelle de sureau Ma femme aux pieds d'initiales Aux pieds de trousseaux de clés aux pieds de calfats qui boivent Ma femme au cou d'orge imperlé Ma femme à la gorge de Val d'or De rendez-vous dans le lit même du torrent Aux seins de nuit Ma femme aux seins de taupinière marine Ma femme aux seins de creuset du rubis Aux seins de spectre de la rose sous la rosée Ma femme au ventre de dépliement d'éventail des jours Au ventre de griffe géante Ma femme au dos d'oiseau qui fuit vertical Au dos de vif-argent Au dos de lumière A la nuque de pierre roulée et de craie mouillée Et de chute d'un verre dans lequel on vient de boire Ma femme aux hanches de nacelle Aux hanches de lustre et de pennes de flèche Et de tiges de plumes de paon blanc De balance insensible Ma femme aux fesses de grès et d'amiante Ma femme aux fesses de dos de cygne Ma femme aux fesses de printemps Au sexe de glaïeul Ma femme au sexe de placer et d'ornithorynque Ma femme au sexe d'algue et de bonbons anciens Ma femme au sexe de miroir Ma femme aux yeux pleins de larmes Aux yeux de panoplie violette et d'aiguille aimantée Ma femme aux yeux de savane Ma femme aux yeux d'eau pour boire en prison Ma femme aux yeux de bois toujours sous la hache Aux yeux de niveau d'eau de niveau d'air de terre et de feu.
André Breton (1931)
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| VERS UNE FEMME
J'avance dans un couloir orné d'ecchymoses, mais j'avance ; Peut-être vas-tu te lever et me tendre les bras Avec les paroles grises et confuses De l'ombre ouverte aux quatre vents et l'innocence Douloureuse en me voyant si pâle.
As-tu rangé dans l'infini ta robe des jours de fête Avec ce masque de tendresse que tu portais naguère Laissant tes mains atteindre le plus absolu vertige Pour une apothéose inscrite sur la pierre ?
Que ce soit l'aube ou plein soleil je sais Quand va se déchirer l'horizon, si l'herbe est étemelle.
Je distingue une trace, découverte sur tes lèvres Lumineuses puisque s'achève la saison d'hiver et que tu viens Avec cet astre gravé sur ton corsage et le diable Chargé d'un contingent d'encre subtile ou de venin multicolore.
BERNARD HREGLICH (1943-1996 ) |
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![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Dim 21 Mar 2021 - 13:05 | |
| PERSÉPHONE C'EST-À-DIRE DOUBLE ISSUE
Mémoire de mes morts, trou noir à travers tout
béant sur la mer des vertiges,
redescends en spirale au centre de l'horreur,
creuse-toi pour me recevoir
dans ta bouche la goulue,
vers ton cœur brûlant noir, avec le fleuve tiède
du sang de mes multiples corps, le long des siècles,
fleuve lent s'enroulant en serpent rouge sombre
vers ton gouffre dévorant, la nuit brûlante de ventre,
mangeuse sans repos de nos peaux desséchées,
nageuse sans repos dans la mer de nos sangs
mêlés enfin ! et qu'ils coulent et qu'ils déferlent
et sur l'imprévisible rive au-delà des temps,
au-delà des mondes, qu'ils se dressent,
caillés soudain en un mur plein de bulles,
suintant des eaux d'effroi, larmes d'yeux irisés
qui crèvent et c'est le dernier chant,
leur écoulement qui se fige en statues,
neufs animaux appelant l'âme du feu
derrière les océans de peur,
plus loin que les sanglots sous les dernières voûtes
où le dernier des morts à larges pas sans hâte
marche, et rien ne reste derrière lui :
il va dormir dans la vague immobile,
mais prête pour de nouveaux germes, de nos cris,
de nos sangs solides aux yeux de pétrole. Une voix s'éternise et meurt de solitude, une voix se tait.
Et toi, toi qui ne voulais plus renaître, retourne aux maisons de souffrance, retourne aux chœurs souterrains sous les dalles, retourne à la ville sans ciel, refais ton chemin à l'envers. La matrice qui t'engendra se retourne et te bave vivant à la face du monde, larve d'épouvante là-bas, et bientôt tu vas recommencer à te plaindre du ciel, de toi-même et de la vie, ta vomissure.
RENE DAUMAL (1908-1944) |
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![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Lun 22 Mar 2021 - 9:25 | |
| MÉDUSE
Loin de cette langue de terre obstruée de cailloux, Tournant de l’oeil à la vue des cannes blanches, Recueillant l’incohérence de l’océan au creux de l’oreille, Tu héberges le trouble en ta tête – sphère divine, Cristallin charitable,
Pendant que tes doublures S’accrochent frénétiquement à l’ombre de ma coque, Pressantes comme des coeurs, Stigmates rouges en plein centre, Et chevauchent les flots déchirés jusqu’au plus près du point de départ,
Laissant flotter leur chevelure de Sauveur. Me suis-je vraiment tirée d’affaire? Le fil de ma pensée s’entortille autour de toi, Vieil ombilic ventouse, câble transatlantique, Et mon esprit se préserve, il semblerait, par pur miracle.
En tout cas, tu es toujours là, Souffle fébrile au bout de ma ligne, Rondeur aqueuse qui se précipite, Ravie, reconnaissante, sur la perche que je n’ai pas tendue, Et tu touches et tu suces.
Je ne t’ai pas appelée. Je ne t’ai même jamais sonnée du tout. Pourtant, pourtant, Tu t’es lancée sur moi à toute vapeur, Avec ton rouge gluant, placenta
Paralysant les ardeurs des amants. Cobra illuminé Du souffle arraché aux cloches sanglantes Des fuchsias. Je ne respirais plus, Morte, fauchée,
Surexposée comme un rayon X. Pour qui donc te prends-tu ? Une hostie, une ortie, une adipeuse Marie? Tu ne me feras plus rien avaler, Bouteille dans quoi je vis,
Vatican de malheur. Ce bain chaud salé me rend malade à crever Tes désirs verts comme des eunuques Sifflent mes péchés. De l’air, va-t’en, tu poisses, tentacule!
Il n’y a rien entre nous.
SYLVIA PLATH (1932-1963) / Ariel, trad. de l’anglais par Valérie Rouzeau, (Gallimard) |
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| UNE LEÇON DE MODESTIE
Aussi noir que le feu tu distingues un caprice du temps, Un paysage résumé par l’eclaircie éphémère D’un pianiste qui pourrait se nommer Tatum, Monk ou Peterson Mais que reste-t-il de l’équilibre musical si tu voyages Dans la nécessite de vivre sur les rigueurs d’un homme Endolori par quatre nuits de veille, si tu pretends dévorer L’orchestre de Duke Ellington avec la naïve ambition De parvenir à maîtriser les cuivres? Laisse-toi envahir par les attachements de ce couple amoureux ; Solitaire, capable d’enfouir les scories du langage Sous ces ronces où les abeilles thésaurisent leur butin. Laisse venir ton sang dans l’herbe, comme une enfant Avide de scandaliser l’interminable liturgie Si les lignes de son corps (Son absolue transparence, ses manières éblouissantes) Guident le chorus de trois hommes dont les mains ne tremblent pas Lorsque la mort s’installe, improvise dans son style indéchiffrable.
BERNARD HREGLICH (1943-1996 ) |
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| CONNAIS-TOI TA SOLITUDE
Ma main de gloire joue sur les fils de la vierge La nuit est une grande lyre mélodieuse Ma musique brûle l’ombrage des arbres mortels Ma musique brûle d’accord avec l’eau J’apporte ma flamme au cœur de la glace Cristal silencieux de ma solitude Libéré mon ombre mon reflet morts avec les feuillages Je suis seul Au bord d’une mer de lait où nagent des poissons fraternels Mon sang perpétuel connaît sa profondeur Pour aimer il faut être deux L’amour est une grande solitude Étoile de mer la femme est une eau méditative Prisonnier des places des plaines multiples J’ai fui en moi le monde Bel espace restauré grandeur nature Le monde lieu commun Lieu humain Chacun son centre intime égal à l’un à l’autre Du pareil au même on va on vient Tels qu’en nous-mêmes en fin de quête La vérité nous baigne tout nus dans notre nudité rayonnante Mille fois plus seul de se regarder dans les yeux Et de s’y retrouver au fond du puits Puits de science intime Je suis si vaste d’être seul Je me croirai multiple Femme ton corps est une lune rousse Ta nuit une gelée blanche Ton corps de tous les jours est un matin Mais tu es toutes les pluies de la mer Et pour cela je t’aime Aimant la nuit.
STANISLAS RODANSKI (1927-1981) Des proies aux chimères / Plasma
Dernière édition par gluckhand le Mar 23 Mar 2021 - 8:41, édité 2 fois |
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|
ÊTRE ENSEMBLE
Ma femme est un buisson vivant de moire
la mer un grand drapeau tombé
le feu est le rêve de l'arbre
le vent un grand drapeau décoloré
mais la guerre n'est pas la paix.
Il ne suffit pas de parler à l'envers
d'être langouste à longue langue
pour que nous rêvions.
Il ne suffit pas de parler du beau temps
en ouvrant un parapluie
ni d'ouvrir un parapluie
pendant que nous préparons le printemps.
Il ne suffit pas de graisser au beurre les canons
de mettre aux armes des faveurs d'oliviers.
Un mensonge nous réveille
nous ne rêvons que vérité
le petit bout de votre oreille
fait du bruit à réveiller
les morts que nous avons dans la mémoire
et notre rêve ne dort pas
et notre mémoire ne dort pas
nous sommes debout dans nos leçons
et debout dans notre rêve.
Il faudrait nous couper la tête
pour que nous portions vos casques vos erreurs
il faudrait nous arracher le cœur.
Il ne suffit pas d'un masque
pour nous faire peur ou nous faire rire
nous rions à respirer.
Il ne suffit pas de faire du bruit avec des machines
de frapper sur la table où nous écrivons
pour que nous écrivions merci
Il ne suffit pas de lyncher des innocents
de déposer plainte contre la pensée
de traquer ce qui est rouge s'il n'est pas cardinalice.
Il ne suffit pas de nous fermer la porte
pour que nous disions quelle belle maison
ni de nous fermer les yeux.
Mais il suffit d'une flèche du soleil
pour renverser la nuit
il nous suffit d'être ensemble.
CHRISTIAN DOTREMONT (1922-1979)
|
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|
VOICI L'AGE
Voici l'âge des fous charmants.
Tu as leur âge. Es-tu fou ?
Voici l'âge du tohu-bohu.
Tu as le désordre. As-tu son âge ?
Voici l'âge de raison la vraie.
Tu as raison. Es-tu la vérité ?
Voici l'âge des palissades.
Tu es la rue. Es-tu le ciel au-dessus du mur?
Voici l'âge où le rêve est celui des maisons.
Tu as une maison. Vis-tu ton rêve ?
Voici l'âge du marquis de Sade.
Tu es sans plaisir. As-tu la liberté ?
Voici l'âge des morts dans la rue.
Tu cours dans le vent. Est-ce la mort qui t'attrape?
Voici l'âge des amants déments.
Tu es nu. T'es-tu jamais déshabillé ?
Voici l'âge de l'abordage.
Tu dis des mots qui ne sont pas humains.
Voici la grève des maquis.
Tu ne suis pas les saisons.
Voici les chars et la police.
Tu as mis ton cœur dans ta tête.
Tu fuis comme un voyou.
Voici l'âge où je m'en fous.
J'en ai assez. Qu'on m'arrête.
Qu'on m'arrête avec la foule.
JEAN COCTEAU
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| JE N'AIME PAS DORMIR
Je n'aime pas dormir quand ta figure habite, La nuit, contre mon cou ; Car je pense à la mort laquelle vient trop vite, Nous endormir beaucoup.
Je mourrai, tu vivras et c'est ce qui m'éveille! Est-il une autre peur? Un jour ne plus entendre auprès de mon oreille Ton haleine et ton coeur.
Quoi, ce timide oiseau replié par le songe Déserterait son nid ! Son nid d'où notre corps à deux têtes s'allonge Par quatre pieds fini.
Puisse durer toujours une si grande joie Qui cesse le matin, Et dont l'ange chargé de me faire ma voie Allège mon destin.
Léger, je suis léger sous cette tête lourde Qui semble de mon bloc, Et reste en mon abri, muette, aveugle, sourde, Malgré le chant du coq.
Cette tête coupée, allée en d'autres mondes, Où règne une autre loi, Plongeant dans le sommeil des racines profondes, Loin de moi, près de moi.
Ah ! je voudrais, gardant ton profil sur ma gorge, Par ta bouche qui dort Entendre de tes seins la délicate forge Souffler jusqu'à ma mort.
Quand je te vois sortir plus qu’à moitié du songe, Et de sa glu tirant un à un tes esprits, Ayant le vrai mêlé d’ingénieux mensonge, Et tes membres bougeant, à cette mort repris ;
Je pense aux monstres, fous de ce chant de Trace, S’ils ne l’eussent lâché sitôt qu’il s’en alla. Ainsi je voudrais voir suivre dehors ta trace, Le bétail de ton rêve, étonné d’être là.
Je découvrirai donc ceux qu’en un tour d’horloge, Inerte à mes côtés, loin de moi tu charmais, Lorsque tu t’en reviens et que je t’interroge, Et que tu me réponds : je ne rêve jamais.
Mauvaise compagne, espèce de morte, De quels corridors, De quels corridors pousses-tu la porte, Dès que tu t’endors ?
Je te vois quitter ta figure close, Bien fermée à clé, Ne laissant ici plus la moindre chose, Que ton chef bouclé.
Je baise ta joue et serre tes membres, Mais tu sors de toi, Sans faire de bruit, comme d’une chambre, On sort par le toit.
Lit d’amour, faites halte. Et, sous cette ombre haute, Reposons-nous : parlons ; laissons là-bas au bout, Nos pieds sages, chevaux endormis côte à côte, Et quelquefois mettant l’un sur l’autre le cou.
Rien ne m’effraie plus que la fausse accalmie D’un visage qui dort ; Ton rêve est une Egypte et toi c’est la momie Avec son masque d’or.
Où ton regard va-t-il sous cette riche empreinte D’une reine qui meurt, Lorsque la nuit d’amour t’a défaite et repeinte Comme un noir embaumeur ?
Abandonne , ô ma reine, ô mon canard sauvage, Les siècles et les mers ; Reviens flotter dessus, regagne ton visage Qui s’enfonce à l’envers.
Notre entrelacs d’amour à des lettres ressemble Sur un arbre se mélangeant. Et, sur ce lit, nos corps s’entortillent ensemble, Comme à ton nom le nom de Jean.
Croiriez-vous point, ô mer, reconnaître votre œuvre, Et les monstres de vos haras, Si vous sentez bouger cette amoureuse pieuvre Faite de jambes et de bras.
Mais le nœud dénoué ne laisse que du vide ; Et tu prends le cheval aux crins, Le cheval du sommeil, qui, d’un sabot rapide, Te dépose aux bords que je crains.
Je regarde la mer qui toujours nous étonne Parce que, si méchante, elle rampe si court, Et nous lèche les pieds comme prise d’amour, Et d’une moire en lait sa bordure festonne.
Lorsque j’y veux plonger, son champagne m’étouffe, Mes membres sont tenus par un vivant métal ; Tu sembles retourner à ton pays natal, Car Vénus en sortit sa fabuleuse touffe.
Ce poison qui me glace est un vin qui t’enivre. Quand je te vois baigner je suis sûr que tu mens ; Le sommeil et la mer sont tes vrais éléments... Hélas ! tu le sais trop, je ne peux pas t’y suivre.
Au moment de plonger sous les vagues du songe Tu sembles hésiter ; Craindrais-tu, par hasard, qu’à ta suite je plonge Et du même côté.
Ne crais rien, nos sommeils ont une différence, Car lorsque je m’endors, Le cauchemar te mêle aux lieux de mon enfance Avec mes amis morts.
Tu traverses les bois, les groseilliers, les fermes, Les routes que j’aimais ; Tandis qu’en la torpeur profonde où tu t’enfermes, Je ne marche jamais.
Il me serait bien doux de déranger ton rêve, De l’habiter longtemps. Alors je tremblerais que le soleil se lève Et t’ouvre à deux battants.
Lorsque nous serons tous deux sous la terre, Plus ou moins dessous, Un moyen nouveau nous venant extraire De nos corps dissous ;
Dessous ou dessus (là-bas notre langue N’ayant plus de cours) Nous ne serons pas de visage exsangue, Ni légers, ni lourds.
Tout sera changé de ce que nous sommes, Oui, tout à l’envers. Et les murs épais du sommeil des hommes Nous seront ouverts ;
Si je meurs premier, dans tes rêves j’entre ; Je verrai comment, Lorsque je dormais, la main sur ton ventre, Tu changeais d’amant.
Je peux regarder le soleil en face, Ton œil ne le peut. Voilà bien mon tour, c’est la seule place Où je gagne au jeu.
Lorsque nous devrons aux enfers descendre, S’il est des enfers, Nous n’habiterons pas le même scaphandre, Ni la même mer.
Tu sauras trouver d’autre compagnie Au séjour des morts. Ah ! Comment guérir sa folle manie De m’ôter ton corps ?
Tes rires retroussés comme à son bord la rose, Effacent mon dépit de ta métamorphose ; Tu t’éveilles, alors le rêve est oublié. De nouveau je me trouve à ton arbre lié, Tu me serres le corps de ta petite force. Que ne sommes-nous plante, et d’une seule écorce, D’une seule chaleur, d’une seule couleur, Et dont notre baiser serait l’unique fleur.
JEAN COCTEAU (1889-1963)
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![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Jeu 25 Mar 2021 - 4:39 | |
| UN MOT AU SOLEIL POUR COMMENCER
Soleil ! soudard plaqué d'ordres et de crachats, Planteur mal élevé, sache que les Vestales À qui la lune, en son équivoque œil-de-chat, Est la rosace de l'Unique Cathédrale,
Sache que les Pierrots, phalènes des dolmens Et des nymphéas blancs des lacs où dort Gomorrhe, Et tous les bienheureux qui pâturent l'Éden Toujours printanier des renoncements, -t'abhorrent.
Et qu'ils gardent pour toi des mépris spéciaux, Bellâtre, Maquignon, Ruffian, Rastaquouère À breloques d'œufs d'or qui le prends de si haut Avec la terre et son Orpheline lunaire.
Continue à fournir de couchants avinés Les lendemains vomis des fêtes nationales, A styler tes saisons, à nous bien déchaîner Les drames de l'Apothéose Ombilicale!
Va, Phoebus! Mais, Dèva, dieu des réveils cabrés, Regarde un peu parfois ce Port-Royal d'esthètes Qui, dans leurs décamérons lunaires au frais, Ne parlent de rien moins que mettre à prix ta tête.
Certes, tu as encor devant toi de beaux jours; Mais la tribu s'accroît, de ces vieilles pratiques De l'À QUOI BON? qui vont rêvant l'art et l'amour Au seuil lointain de l'Agrégat inorganique.
Pour aujourd'hui, vieux beau, nous nous contenterons De mettre sous le nez de Ta Badauderie Le mot dont l'Homme t'a déjà marqué au front; Tu ne t'en étais jamais douté, je parie?
-Sache qu'on va disant d'une belle phrase, os Sonore, mais très nul comme suc médullaire, De tout boniment creux enfin : c'est du pathos, C' est du PHŒBUS! -Ah ! Pas besoin de commentaires...
Ô vision du temps où l'être trop puni, D'un : «Eh ! Va donc, Phœbus ! » te rentrera ton prêche De vieux crescite et multiplicamini, Pour s'inoculer à jamais la Lune fraîche!
JULES LAFORGUE (1860-1887)
Dernière édition par gluckhand le Jeu 25 Mar 2021 - 9:31, édité 2 fois |
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![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Jeu 25 Mar 2021 - 4:41 | |
| Devant la grande rosace en vitrail, à Notre-Dame de Paris Cupio dissolvi et esse cum Christo.
Oh! l'orgue solennel entonne L'Alleluia du dernier jour! La grande Rosace octogone Plus douloureusement rayonne D'adoration et d'amour.
Avalanches de roses pâles, Et de lis tièdes de langueur, Déluge éternel de pétales, Encens, musiques triomphales, Prenez, broyez mon cœur, mon Cœur!
Je suis le Parfum du martyre, L'Amour sans chair, sans but, l'ardeur! Je veux baigner mon Cœur de myrrhe, Je veux pleurer, saigner, sourire, Et puis me fondre de pudeur.
Vêtus d'ineffable et d'extase, Diaphanes et fulgurants, Les Martyrs que l'Amour embrase, Au sein de gloires de topaze, Frêle, m'ont pris dans leurs torrents
Gloire! Douleur! Douleur! Encore! Et devant les Tristes des cieux, Dont la chair blême s'évapore, Les Portes d'azur et d'aurore Volent sur leurs gonds furieux!
Alléluia! Douceur! Faiblesse! Spasme universel sans retour! Fouettés d'ouragans d'allégresse, Se nouent et se dénouent sans cesse Les Soleils, défaillant d'amour!
Et, seul, le grand Sanglot des choses Roule, lointain, répercuté À travers les apothéoses Des Sphères fraîchement écloses. Aux Échos de l'Éternité!
JULES LAFORGUE (1860-1887)
Pour en savoir plus/ http://laforgue.org/sanglot.htm
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| Je ne puis vivre avec toi
Je ne puis vivre avec toi Ce serait la vie Et la vie est là-bas Derrière l’armoire
Dont le fossoyeur tient la clé, Rangeant Notre vie – sa porcelaine – Comme une tasse –
Rejetée par la ménagère – Désuète – ou cassée – Un Sèvres plus neuf plaît – Les vieilles tasses se fendent.
Je ne pourrais mourir avec toi Car l’un doit attendre Pour fermer les yeux de l’autre –
Tu ne pourrais le faire – Et moi – pourrais-je rester là Et te voir – te glacer – Sans avoir ma part de glace – Privilège de la mort ?
Et je ne pourrais ressusciter avec toi Car ton visage Effacerait celui de Jésus – Cette grâce nouvelle Brillerait laide – et étrangère Pour mes yeux regrettant leur demeure –
Si tu n’étais pas là Luisant plus près de moi – On nous jugerait – comment – Toi – tu servais le Ciel – n’est-ce pas, Ou cherchais à le faire –
Moi, je ne pouvais pas – Car tu rassasiais ma vue – Et je n’avais plus d’yeux Pour une perfection sordide Comme le paradis.
Et si tu étais perdu, je le serais – Quand bien même mon nom Fît le plus grand bruit Dans la renommée céleste –
Et si tu étais sauvé – Et que je fusse – condamnée Là où tu ne serais point – Cela même – pour moi serait l’enfer – Donc nous devons rester séparés – Toi là-bas – moi ici – Avec juste la porte entrouverte Que sont les océans – et la prière – Et cette pâle consolation – Le désespoir.…
Emily Dickinson (1830-1886 )– Je ne puis vivre avec toi (Traduction : Pierre Messiaen)
Dernière édition par gluckhand le Ven 26 Mar 2021 - 10:12, édité 1 fois |
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| Si tu devais venir à l’Automne
Si tu devais venir à l’automne, Je chasserais l’été, Sans souci et sans merci, comme de la cuisine, une mouche.
Si dans un an je pouvais te revoir, je roulerais les mois en boules – Et les mettrais chacun dans son tiroir, De peur que leurs nombres se mêlent –
Si tu tardais quelque peu, des siècles, Je les compterais sur ma main, Les soustrayant, jusqu’à la chute de mes doigts En Terre de Van Diemen.
Si j’étais sûre que, cette vie passée – La tienne et la mienne soient – Je la jetterais, comme une peau de fruit, Pour mordre dans l’Eternité –
Mais, incertaine que je suis de la durée De ce présent, qui les sépare, Il me harcèle, Maligne abeille – Dont se dérobe – le dard.….
Emily Dickinson (1830-1886) Van Diemen's Land, est le nom utilisé par la plupart des Européens pour désigner l'île de Tasmanie, jusqu'au 1 janvier 1856.
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| nous les enfants de la guerre nous avons vécu dans des décombres minuscules la maison tombée dans le trou de cave ça faisait un nid d’oiseau
on couchait à la belle étoile visités par des chiens dont il ne restait que les âmes
dans un corps de brindilles et d’étoiles
nous avons vécu dans des villes plus petites que vos villages
notre sang faisait l’escargot autour du cœur notre mémoire resta minuscule
le rouge-gorge le petit voyou des haies je l’ai vu en premier dans les ruines il chantait ecce homo et je répliquai en le regardant ecce homo
l’enfant lui serre ses livres son petit univers dans son cartable et il court à la maison
Pierre Garnier (1928-2014) Extrait de Une mort toujours enceinte, Corps puce, 1996.
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| La Somme
Ce fil tendu entre sa source et la mer – sinueux parfois – c’est la vie : elle fait là, dans les criques, des poèmes, des tableaux, des concerts
la carpe est immobile sur le fond l’enfant pense qu’il n’y a que la surface de la rivière qui coule
il regarde le pêcheur qui enfonce son hameçon dans le dos d’un vif – encore un crucifié, pense l’enfant
le goujon le vif identique à la Somme
la tête vers la source, la queue vers la baie, parfois lent parfois rapide nageant droit, faisant des cercles – presque transparent
accroché, crucifié, dévoré parfois gai aussi sur le bord clair le vif
les poissons sont magnifiquement attachés à la source on les voit, comme des poètes, nager à contre-courant les vairons par exemple, avec cette petite roue de mots poétiques autour de leur bouche – ils font face
Pierre Garnier (1928-2014) |
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| BRISE MARINE La chair est triste, hélas ! et j’ai lu tous les livres. Fuir ! là-bas fuir ! Je sens que des oiseaux sont ivres D’être parmi l’écume inconnue et les cieux ! Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux Ne retiendra ce cœur qui dans la mer se trempe Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe Sur le vide papier que la blancheur défend Et ni la jeune femme allaitant son enfant. Je partirai ! Steamer balançant ta mâture, Lève l’ancre pour une exotique nature ! Un Ennui, désolé par les cruels espoirs, Croit encore à l’adieu suprême des mouchoirs ! Et, peut-être, les mâts, invitant les orages Sont-ils de ceux qu’un vent penche sur les naufrages Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots... Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots !
Stéphane Mallarmé (1842-1898)
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| Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui …
Le vierge, le vivace et le bel aujourd’hui Va-t-il nous déchirer avec un coup d’aile ivre Ce lac dur oublié que hante sous le givre Le transparent glacier des vols qui n’ont pas fui !
Un cygne d’autrefois se souvient que c’est lui Magnifique mais qui sans espoir se délivre Pour n’avoir pas chanté la région où vivre Quand du stérile hiver a resplendi l’ennui.
Tout son col secouera cette blanche agonie Par l’espace infligée à l’oiseau qui le nie, Mais non l’horreur du sol où le plumage est pris.
Fantôme qu’à ce lieu son pur éclat assigne, Il s’immobilise au songe froid de mépris Que vêt parmi l’exil inutile le Cygne.
Stéphane Mallarmé (1842-1898)
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![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Lun 29 Mar 2021 - 2:11 | |
| La pluie
La pluie tombe infinie. Les horizons s'enfuient. Où vont-ils ces coteaux, ces coteaux sous la pluie, qui portent sur leur dos ces forêts qui s'ennuient ? Où donc est Andely, Andely-le-Petit ? son coteau ? son château ? Je les voyais tantôt. Les horizons s'enfuient. La pluie tombe infinie. Du côté des forêts,qui donc réapparaît ? Ce géant, est-ce lui ? Est-ce toi, vieux château qui vas courbant ton dos sous neuf siècles d'ennui ? La pluie tombe infinie.
Paul FORT (1872-1960)
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![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Lun 29 Mar 2021 - 2:13 | |
| Nuit d’amour
L’œil de la raison Chavire et valse Et le signe d’entre les jambes des femmes S’ouvre Pour les fleurs d’or de la justice. Le boyau d’étain mou Roule des sentiments liquides, Expulse des baisers Sur les mains chaudes aux ongles noircis Par la nuit. La nuque abrite Les rats nourris de sueur et les rats d’eau des larmes Déjà pourris et verts. Les doigts de Dieu sur les flancs Et les dents de la révolte Sont aux deux bouts de la haine ; Entre les deux les seins boivent au zodiaque Comme du petit lait L’haleine des vieux souvenirs crevés Sur deux cuisses mortes et froides. Si sur ce champ sans aurore Renaît le soleil Et s’évapore L’humidité de la mort, Racines des étoiles, Sirènes nues, C’est par l’hélice de la langue Que vous ferez jaillir la vérité vêtue Mors de la bouche fontaine Du prochain jour.
Georges Ribemont-Dessaignes (1884-1974)
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![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Lun 29 Mar 2021 - 2:21 | |
| À une morte
tu avances toujours aux confins de la nuit le feu s’est éteint où finit la patience même les pas sur des chemins imprévus n’éveillent plus la magie des buts
braises braises l’amour s’en souvient
rien ne nous distrait de l’attente assise sur les genoux enfants aux plénitudes chaudes pourrais-je oublier le son de cette voix qui contribue à répandre la lumière au-delà de toute présence
fraises fraises à l’appel des lèvres
comme la mer contenue toute une vie enlacée et sur les innombrables poitrines des vagues l’incessant froissement des ours effleurés
rêves rêves au silence de braise
pourrais-je oublier l’attente comblée le temps ramassé sur lui-même le jour jaillissant de chaque parole dite le long embrasement de la durée conquise
sèves sèves ma soif s’en souvient
Tristan Tzara (1896-1963)
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![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Mar 30 Mar 2021 - 1:12 | |
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TOUJOURS AU BORD
Toujours au bord. Mais au bord de quoi?
Nous savons seulement que quelque chose tombe de l’autre côté de ce bord et qu’une fois parvenu à sa limite il n’est plus possible de reculer.
Vertige devant un pressentiment et devant un soupçon : lorsqu’on arrive à ce bord cela aussi qui fut auparavant devient abîme.
Hypnotisés sur une arête qui a perdu les surfaces qui l’avaient formée et resta en suspens dans l’air.
Acrobates sur un bord nu, équilibristes sur le vide, dans un cirque sans autre chapiteau que le ciel et dont les spectateurs sont partis.
ROBERTO JUARROZ / Extrait de: 1993, Treizième Poésie Verticale, (José Corti)
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![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Mar 30 Mar 2021 - 1:12 | |
| LE FRUIT EST LE RÉSUMÉ DE L’ARBRE Le fruit est le résumé de l’arbre, l’oiseau est le résumé de l’air, le sang est le résumé de l’homme, l’être est le résumé du néant.
La métaphysique du vent s’informe de tous les résumés et du tunnel que creusent les paroles par-dessous tous les résumés.
Car la parole n’est pas le cri, mais l’accueil ou le congé. La parole est le résumé du silence, du silence, qui est le résumé de tout.
Roberto Juarroz
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![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Mar 30 Mar 2021 - 1:15 | |
| NOUS N’AVONS PAS DE LANGAGE POUR LES FINS
Nous n’avons pas de langage pour les fins, pour la chute de l’amour, pour les labyrinthes compacts de l’agonie, pour le scandale bâillonné des enlisements irrévocables.
Comment dire à celui qui nous abandonne ou que nous abandonnons qu’ajouter encore une absence à l’absence c’est noyer tous les noms et dresser un mur autour de chaque image?
Comment faire des signes à qui meurt, quand tous les gestes se sont figés, quand les distances se brouillent en un chaos imprévu, que les proximités s’écroulent comme des oiseaux malades et que la tige de la douleur se brise comme la navette d’un métier disloqué?
Ou comment se parler tout seul quand rien, quand personne ne parle plus, quand les étoiles et les visages sont neutres sécrétions d’un monde qui a perdu le souvenir d’être monde?
Peut-être un langage pour les fins exige-t-il l’abolition totale des autres langages, la synthèse imperturbable de la terre brûlée.
A moins de créer un langage d’interstices, capable de resserrer les moindres espaces imbriqués entre le silence et la parole et les particules inconnues sans désir, qui seulement là promulguent l’équivalence ultime de l’abandon et de la rencontre.
ROBERTO JUARROZ ( 1925-1995)Extrait de: 1990, Onzième Poésie Verticale, (Lettres Vives)
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Nous dormirons ensemble
Que ce soit dimanche ou lundi Soir ou matin minuit midi Dans l'enfer ou le paradis Les amours aux amours ressemblent C'était hier que je t'ai dit Nous dormirons ensemble
C'était hier et c'est demain Je n'ai plus que toi de chemin J'ai mis mon cœur entre tes mains Avec le tien comme il va l'amble Tout ce qu'il a de temps humain Nous dormirons ensemble
Mon amour ce qui fut sera Le ciel est sur nous comme un drap J'ai refermé sur toi mes bras Et tant je t'aime que j'en tremble Aussi longtemps que tu voudras Nous dormirons ensemble.
Louis Aragon (1897-1982) / Recueil : Le Fou d'Elsa (1963).
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| J'arrive où je suis étranger
Rien n'est précaire comme vivre Rien comme être n'est passager C'est un peu fondre pour le givre Et pour le vent être léger J'arrive où je suis étranger Un jour tu passes la frontière D'où viens-tu mais où vas-tu donc Demain qu'importe et qu'importe hier Le coeur change avec le chardon Tout est sans rime ni pardon Passe ton doigt là sur ta tempe Touche l'enfance de tes yeux Mieux vaut laisser basses les lampes La nuit plus longtemps nous va mieux C'est le grand jour qui se fait vieux Les arbres sont beaux en automne Mais l'enfant qu'est-il devenu Je me regarde et je m'étonne De ce voyageur inconnu De son visage et ses pieds nus Peu a peu tu te fais silence Mais pas assez vite pourtant Pour ne sentir ta dissemblance Et sur le toi-même d'antan Tomber la poussière du temps C'est long vieillir au bout du compte Le sable en fuit entre nos doigts C'est comme une eau froide qui monte C'est comme une honte qui croît Un cuir à crier qu'on corroie C'est long d'être un homme une chose C'est long de renoncer à tout Et sens-tu les métamorphoses Qui se font au-dedans de nous Lentement plier nos genoux Ô mer amère ô mer profonde Quelle est l'heure de tes marées Combien faut-il d'années-secondes À l'homme pour l'homme abjurer Pourquoi pourquoi ces simagrées Rien n'est précaire comme vivre Rien comme être n'est passager C'est un peu fondre pour le givre Et pour le vent être léger J'arrive où je suis étranger.
Louis Aragon (1897-1982) / Recueil : La Diane française (1944)
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![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Mer 31 Mar 2021 - 4:19 | |
| Les yeux d'Elsa
Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire J'ai vu tous les soleils y venir se mirer S'y jeter à mourir tous les désespérés Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire
À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent L'été taille la nue au tablier des anges Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés
Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure
Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée Sept glaives ont percé le prisme des couleurs Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé
Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche Par où se reproduit le miracle des Rois Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois Le manteau de Marie accroché dans la crèche
Une bouche suffit au mois de Mai des mots Pour toutes les chansons et pour tous les hélas Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux
L'enfant accaparé par les belles images Écarquille les siens moins démesurément Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages
Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où Des insectes défont leurs amours violentes Je suis pris au filet des étoiles filantes Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août
J'ai retiré ce radium de la pechblende Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu Ô paradis cent fois retrouvé reperdu Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes
Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent Moi je voyais briller au-dessus de la mer Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa.
Louis Aragon (1897-1982) / Recueil : Les Yeux d'Elsa (1942).
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| ![Aller en bas](https://2img.net/i/empty.gif) | | AntiGhost <VAX>~% Mélomane averti
Nombre de messages : 263 Age : 45 Date d'inscription : 24/03/2018
![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Dim 2 Mai 2021 - 5:47 | |
| Merci beaucoup pour tous ces poèmes, Gluckhand, si tu me lis. J’en ai découvert beaucoup parmi ce choix, et je ne prétends pas les avoir tous bien lus ni approfondis, mais ce tour d’horizon est très beau. |
| ![Aller en bas](https://2img.net/i/empty.gif) | | arnaud bellemontagne Gourou-leader
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Nombre de messages : 26028 Date d'inscription : 22/01/2010
![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Mar 31 Aoû 2021 - 13:35 | |
| Paul Valéry : La Jeune Parque et poèmes en prose La Jeune Parque me fait penser à du Racine agencé comme du Mallarmé. Malgré l'extrême sophistication du dispositif, je me surprends a trouver tout cela assez sensuel... |
| ![Aller en bas](https://2img.net/i/empty.gif) | | xoph Mélomane chevronné
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Nombre de messages : 6220 Age : 66 Localisation : là Date d'inscription : 12/10/2011
![Poésie - Page 5 Empty](https://2img.net/i/empty.gif) | Sujet: Re: Poésie Mar 31 Aoû 2021 - 14:36 | |
| - arnaud bellemontagne a écrit:
- Paul Valéry
Malgré l'extrême sophistication du dispositif, je me surprends a trouver tout cela assez sensuel...
Je ne connais pas ce recueil mais pour ce que je connais de Valéry trouve cela juste (Degas-Danse-Dessin ou certains poèmes : La Dormeuse par exemple - Dormeuse, amas doré d'ombres et d'abandons,… in Poésies / Gallimard) |
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