Je reproduis ce que je viens de poster sur CSS, je me dis que mon éloge des jeunes musiciens d'aujourd'hui mettra en joie
Calbo… (en tout cas, je le souhaite, sinon j'aurai droit à l'arsenal de torture…)
L'Académie Européenne de Musique de Chambre (ECMA pour le sigle international) se tenait cette semaine au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Gratuite comme toutes les manifestations au Conservatoire, c'était une soirée qui ressemblait à un cadeau à mon intention — non seulement c'était bon, mais de surcroît chaque pièce au programme semblait avoir été choisie pour mon agrément personnel :
- Premier mouvement du Quatuor Op.33 n°5 de Haydn.
- Premier mouvement du Quinzième Quatuor de Mozart.
- Quatrième mouvement du Quatuor Op.18 n°3 de Beethoven.
- Premier mouvement du Premier Trio avec piano de Brahms.
- Deuxième mouvement du Quatuor avec piano de Suk.
- Premier mouvement du Quatuor de Ravel.
J'y allais à l'aveugle, le CNSM n'ayant pas été très efficace sur la communication de ses programmes — mais autant je trouve cela dommage lorsque les œuvres sont prévues depuis des mois pour une audition, autant ici, pour une académie éphémère, il est évident que le morceau final a été sélectionné peu de temps auparavant, même si une publication sur le site en même temps que l'impression des programmes n'aurait pas été de refus.
C'est donc l'impression insolite d'un concert d'anniversaire : car toutes les œuvres, et jusqu'aux mouvements retenus, figurent parmi mes préférés… Les voir s'enchaîner les uns après les autres, c'était vraiment aller d'émerveillement en émerveillement.
Quoi qu'il en soit, car cela ne sera pas de grande utilité pour vous, aimable lecteur qui me faites la considération de m'abandonner un peu de votre temps sur cette Terre, un mot sur les ensembles présents, dont certains sont appelés à devenir des représentants majeurs de la musique de chambre vivante. L'occasion de donner leurs noms et leurs sites.
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Étrangement, les trois ensembles français étaient, de loin, les plus intéressants. (Rayonnement local de l'Académie ?)
Le
Trio Acros (dans Brahms), qui souhaite promouvoir en particulier la musique d'Amérique du Sud (et Centrale), comme tous les participants à cette soirée, dispose bien sûr d'un niveau instrumental hors du commun : pour chaque ensemble présent, les cordes claquent et scintillent avec autorité et facilité.
La seule exception a été Andrés Añazco (en espérant qu'il ne me lise pas), dont le piano m'a paru assez terne — mais il est vrai que les pianistes ne doivent pas forcément s'exercer tous les jours sur un Fazioli (cher pour une salle de répétition, et peu fréquent dans les salles de concert, et que cela peut déstabiliser). Cela me semble aussi dû à des prémisses techniques ; mais la petite réserve tient surtout, en réalité, au petit manque de maturité de la formation : peu de contrastes, et les progressions dramatiques sont un peu écrasées, alors que ce mouvement se prête particulièrement à une construction par palliers.
À suivre : cela fait partie des choses qui s'améliorent, en général, au fil d'une carrière.
C'est un peu la même chose pour le
Quatuor Pacific (dans Mozart) : le son est très limpide, un peu acide métallique, vraiment idéal… mais là aussi, on les sent un peu embarrassés avec les figures simples de Mozart : les petits détails (croches régulières au demi-ton, par exemple) restent un peu épais, les contrastes un peu outrés… je suis sûr qu'ils doivent faire merveille ailleurs, vu leur son remarquable, mais ils ont clairement encore un peu de chemin à faire dans leur répertoire classique. Ce n'est pas infamant d'ailleurs : nombre des quatuors les plus intéressants en activité ne sont pas fameux dans Haydn et Mozart.
Au passage, ne confondez pas le Quatuor Pacific (qui vient d'Europe germanique) avec le Quatuor Pacifica (américain, fondé en Californie et résidant en Indiana), plus établi, qui a publié notamment une intégrale Carter chez Naxos, une intégrale Mendelssohn chez Çedille, et un vaste parcours consacré à Chostakovitch et ses contemporains chez le même éditeur.
http://www.pacificquartet.com
Cela m'a fait m'interroger, une fois de plus, sur l'existence d'un Registrar pour les ensembles de musique de chambre. Les célèbres, d'accord, mais tous ces petits quatuors qui naissent dans des cagibis obligeamment prêtés par les conservatoires et se mettent à porter des noms de figures de style grecques, ou le patronyme banal du premier violon… comment vérifient-ils qu'ils n'entreront pas sur le marché simultanément avec un homonyme ? Y a-t-il des moyens de vérifier ce genre de chose (parce que même pour les quatuors célèbres en activité, sauf à avoir une bonne culture discographique… et encore, on en découvre tous les jours) ? Je ne crois pas, mais je laisse la question ouverte, si quelqu'un veut y répondre.
Un membre du
Quatuor Guadagnini ayant été malade durant la session, ils n'ont pas joué.
http://www.quartettoguadagnini.com
Le
Quatuor avec piano Stratos nous a gratifié du rare Quatuor, l'opus 1 de Suk, de très belle facture (même s'il n'atteint pas les sommets de son Quintette avec piano, c'est une pièce assez merveilleuse). Outre la belle ampleur générale, je suis en particulier impressionné par
Pauli Jämsä auquel une posture physique tout en verticalité semble conférer la plus grande aisance pour timbrer un Fazioli qui ne me semblait pas particulièrement facile ou flatteur : le son est profond, égal, jamais dur, et parfaitement équilibré avec ses partenaires. Je n'ai pas entendu souvent de l'aussi beau piano, même en solo.
Restent les trois quatuors français, et là, on plonge résolument dans l'exceptionnel — ce qu'ils ont donné outrepasse l'immense majorité de ce que les grandes formations établies offrent en concert. Les exigences de la carrière (moins de temps pour interroger et roder les œuvres) et les routines rabotent quelquefois les premières ardeurs (à moins que ce ne soit une question de génération, le niveau instrumental semblant s'élever sans fin, de façon aussi mécanique que la médecine ou l'astrophysique). C'est pourquoi les concours de quatuor font souvent entendre le meilleur de la production actuelle, tension de la compétition aidant. [Ce n'est pas forcément vrai pour les autres disciplines, comme le chant, le violon, le piano, la direction d'orchestre.]
Le
Quatuor Arod (dans Beethoven) s'imposent d'emblée par leur limpidité et leur résonance, un son clair et tranchant, une tension omniprésente… et se distinguent par la prise de risque d'un tempo très vif, très bien soutenu, sans sacrifier la finesse du phrasé. Grands moyens et grande réalisation… on peut attendre d'eux une grande carrière.
Leur premier CD est déjà sorti (Beethoven et Brahms).
https://www.facebook.com/arod.quartet
Le
Quatuor Akilone (dans Ravel) s'exprime par un beau truchement : un son franc, bien étage, physique, brillant mais sans rondeurs inutiles. Dans Ravel, on a l'impression de revenir aux sources d'un goût français du
sans façons, loin des fondus d'orchestre et des épaisseurs confortables. Et, surtout : elles savent phraser ! La moindre articulation du discours est amenée avec naturel, et dans une pièce aussi souvent jouée et enregistrée, elles se frayent un chemin personnel sans le moindre effet appuyé. De la musique en barre, émouvante avant d'être (très) impressionnante.
http://www.quatuorakilone.com
Enfin le
Quatuor Hanson, dans l'un des mouvements les plus ludiques et les plus lisibles de Haydn, exploite avec une persuasion hors normes les surprises des sections et les jeux des innombrables fausses fins… Là non plus, pas d'effet, mais une construction tendue comme un arc, en permanence pensée (au delà des seuls moments-clefs), qui donne sans cesse l'impression d'être dans le climax (pendant cinq minutes…). Et une résonance superbe, comme si les cordes sonnaient en permanence avec la liberté de leur émission à vide.
https://www.facebook.com/quatuorhanson
Que du bon, mais trois quatuors à suite de très près, il y avait longtemps (depuis les Quiroga peut-être) que je n'avais entendu de tels candidats à la plus haute excellence, dans ce répertoire. Alors, trois en une soirée, tous les espoirs sont permis !
Je vous laisse découvrir…