Je reviens à l’instant de Lyon où j’ai fait le déplacement depuis Genève pour mon premier Pelléas sur scène… et je suis à la fois très heureux de ce que j’y ai entendu, et un peu mitigé par ce que j’ai vu!
La musique, tout d’abord: l’orchestre est très beau, les masses sonores sont amples, les tempi plutôt lents en général, un grand soin d’ensemble, même si parfois ça manque un peu de dynamique, de rugosité mais aussi d’atmosphère.
Le plateau vocal est assez remarquable: entièrement francophone et donc très clair à écouter (diction impeccable), personne ne « chante » trop, bref : tout comme j’aime.
Le Golaud de Vincent Le Texier m’a semblé très inégal: toute la première scène est très bien amenée, mais d’autres m’ont nettement moins convaincu (la scène de la blessure avec Mélisande, celle avec avec Yniold). Sa tendance au parlando ou dans les cris par d’autres moments m’ont un peu décontenancé. J’ai trouvé parfois qu’il surjouait carrément les attitudes et émotions. Etait-il peut-être mal à l’aise avec cette mise en scène? Ou simplement vocalement usé?
La Geneviève de Sylvie Brunet avait tout pour me plaire: clarté de l’expression(quoi qu’elle donne l’impression d’un léger accent par moments) et du verbe, elle a pourtant tendance à précipiter certaines phrases, ce qui oblige parfois le chef à lui courir après. Quel dommage, ses scènes étant parmi mes préférées…
L’Arkel de Jérôme Varnier est presque parfait : diction, intention, pesanteur, tout y est… ou presque. Il lui manque un coffre de basse qui nous fasse vibrer. Sa voix est presque trop fluette par moments. Mais c’est un détail car dans l’ensemble c’est un excellent Arkel.
La Mélisande d’Hélène Guilmette m’a beaucoup plu: finalement assez sobre et juste. Elle a un beau timbre et une bonne projection, même s’il lui manque ce je-ne-sais-quoi dont sont faites les grandes Mélisande (on cherche la fêlure d’oiseau blessé). Cela dit, elle vaut toutes les Dessay du monde à mes oreilles.
Le Pelléas de Bernard Richter est superbe: il a le timbre qu’il faut pour ça, ni ténor trop léger, ni baryton trop sombre, son jeu et son intention collent au personnage. Alors, bien sûr, ce n’est pas Jacques Jansen, mais considérant que c’est sa prise de rôle, j’ose espérer qu’il le reprenne et l’améliore encore à l’avenir car il a vraiment tout ce qu’il faut (à mon goût) pour être un tout grand Pelléas.
Là où ça se gâte, c’est dans la fusion voix-orchestre : on dirait que les chanteurs étaient aujourd’hui comme « déconnectés » de la musique. Quelle sensation étrange! Est-ce mon habitude d’écouter Pelléas au disque? Etait-ce mon placement dans la salle? L’acoustique? Toujours est-il que j’avais parfois l’impression que l’orchestre et les chanteurs évoluaient sur deux strates distinctes.
Enfin, la mise en scène: on est dans l’adaptation moderne (pour vous faire une idée, des extraits vidéo sont dispo sur le site de l’Opéra de Lyon), dans une sorte de garage auto miteux en pleine zone industrielle des années 50. Golaud est un genre de mafieux, pervers sexuel, et Mélisande une sorte de nymphomane… La première scène démarre avec une voiture sur scène (tout comme la dernière).
Ca marche vraiment très très bien par moments car il réussit à éclairer des aspects insoupçonnés dans l’oeuvre (la scène de la fontaine et de l’anneau est très forte en sensualité et dans son approche inédite - la scène avec Yniold où il n'y a pas moins de 5 Yniold sur scène!), mais parfois, le décalage est trop grand entre les mots du livret, l’univers de l’oeuvre et ce que l’on voit sur scène. Cela irait encore s’il n’y avait la vidéo (projetée sur grand écran ou sur les décors), qui prend de plus en plus de place à mesure que l’opéra avance… avec pour conséquence un duo d’amour très étrange où les deux sont à 15 mètres l’un de l’autre, séparés par un écran vidéo en fond de scène qui les montre tournant ces scènes (en répétition): parfois bouche fermée, parfois chantants, mais presque systématiquement en décalage plus ou moins grand avec l’action sur scène (c’est horriblement gênant). Le sommet est dans le Vème acte où Mélisande, là où elle devrait être agonisante sur son lit de mort, se fait prendre par derrière sur le capot d’une voiture par Golaud (sur scène), avant de s’en aller, pierres dans les poches, se noyer dans la mer (on le voit en vidéo).
Au final, ce grand écart stylistique et cette profusion d’éléments « décalés » m’ont gêné dans mon émotion. Je ne suis pas du tout réfractaire aux relectures modernes par principe, mais j’aime davantage de sobriété et de modestie de la part du metteur en scène… car entre la multiplication de vidéos, d’allusions et d’interprétations complètement absentes du livret original (Pelléas et Mélisande couchent ensemble plusieurs fois et du coup ça tombe complètement à plat au IVème acte lorsqu'ils se disent "Je t'aime" /// la "pauvre petite" a au moins 5 ou 6 ans, sans que cela fasse sens /// là où la vidéo aurait pu suggérer des choses, elles les appuie parfois trop lourdement comme pour "l'ami Marcellus" montré à poil sous toutes les coutures, je suis prêt à imaginer que Pelléas est bi, mais j'ai pas besoin de voir un écran avec des images en boucle pendant 5 minutes d'un type allongé sur le tapis, les c*** dans la main), sans parler de ces énormes décors qui ne cessent de bouger (en grinçant, quelle horreur!) parfois même sans raison évidente, pendant les interludes… quel dommage! On sort avec l'impression d'avoir vu "Christophe Honoré" davantage que Debussy et Maeterlinck... et surtout, il faut le dire, quelques moments d'émotions musicales qui ont été gâchés par le visuel.
Malgré tout, une belle soirée!