Autour de la musique classique

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 SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015

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Montfort
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MessageSujet: SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015   SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015 EmptyDim 1 Mar 2015 - 10:32

Deux représentations de l'opéra de ce compositeur japonais.
Il s'agit d'une création mondiale - le compositeur est un proche de Boulez, Oetvoes, Benjamin - donc sur le plan stylistique rien à voir avec Boesmans...
L'oeuvre est inspirée du roman de Stanislas Lem, qui est semble-t-il un roman -culte et qui a une large postérité artistique : deux films, Tartovski et Soderbergh, et trois opéras, sans compter celui-là.
Il faut s'attendre à un spectacle total qui fera appel à l'Ensemble Intercontemporain, des chanteurs, des danseurs, on annonce la participation de Nicolas Le Riche, des effets sonores avec l'IRCAM, de la vidéo 3 D...
J'y vais le 7 mars - je ferai un C R.

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Xavier
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MessageSujet: Re: SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015   SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015 EmptyDim 1 Mar 2015 - 11:02

Montfort a écrit:
Deux représentations de l'opéra de ce compositeur japonais.
Il s'agit d'une création mondiale - le compositeur est un proche de Boulez, Oetvoes, Benjamin - donc sur le plan stylistique rien à voir avec Boesmans...

Le Boesmans de Julie ou Yvonne, pour moi, c'est tout à fait la même esthétique de Benjamin, en tout cas vraiment pas loin.
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DavidLeMarrec
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MessageSujet: Re: SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015   SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015 EmptyDim 1 Mar 2015 - 13:30

Xavier a écrit:
Le Boesmans de Julie ou Yvonne, pour moi, c'est tout à fait la même esthétique de Benjamin, en tout cas vraiment pas loin.

Tout à fait. Mais très loin de Boulez : ce sont davantage des réseaux que des esthétiques communes.

D'ailleurs Fujikura est assez loin de ça, plus proche de Hosokawa ou Mantovani, une musique très plastique, jouant beaucoup de strates, de vagues…
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Montfort
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MessageSujet: Re: SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015   SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015 EmptySam 7 Mar 2015 - 10:58

Les quelques commentaires de ceux qui y ont assisté jeudi ne sont pas très encourageants...

 Je ferai un C R demain.

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Montfort
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MessageSujet: Re: SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015   SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015 EmptySam 7 Mar 2015 - 23:11

Encore raté !!!
Quel ennui - j'y reviens demain...

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DavidLeMarrec
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MessageSujet: Re: SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015   SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015 EmptyDim 8 Mar 2015 - 2:16

Le peu de vocabulaire du livret anglais était spectaculaire, mais sinon, très belle œuvre, pleine de pôles, et avec une atmosphère évolutive… Chouette soirée, j'essaierai d'en parler plus longuement.

En plus, chanteurs excellentissimes, ce n'est pas toujours le cas pour des créations.
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MessageSujet: Re: SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015   SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015 EmptyDim 8 Mar 2015 - 8:27

Représentation du 7 mars

 Livret tiré du roman éponyme de Stanislaw Lem par Saburo Teshiwagara
 Mise en scène, chorégraphie, décors,  costumes, lumières : Saburo Teshiwagara
 Images vidéo : Ulf Langenreich

  Hari : Sarah Tynan
  Kris Kelvin : Leigh Melrose
  Kris Kelvin -voix amplifiée : Marcus Farnworth
  Snaut ; Tom Randle
  Gibarian : Callum Thorpe

  Danseur Hari : Rihoko Sato
 Danseur Kelvin : Vaclav Nunes
 Danseur Snaut : Nicolas Le Riche
 Danseur Gibarian : Saburo Teshiwagara

 IRCAM - Gilbert Nouno - amplification vocale
 Ensemble Intercontemporain - Erik Nielsen

 Fujikura est venu à la composition dans la perspective de faire de la musique pour le cinéma - ayant travaillé avec Takemitsu, Oetvoes, George Benjamin il est
 devenu un acteur de la scène contemporaine, apprécié de Boulez.
 Le roman Solaris est devenu un ouvrage culte qui a fait l'objet de deux films, Tarkovski et Soderbergh, et de trois autres opéras.
 N'ayant ni lu le roman, ni vu les films ou les opéras je m'interroge sur ce qui justifie cette notoriété tant ce qui est censé constituer le livret est d'une pauvreté insigne sur le plan intellectuel et dramatique.
En fait, il ne se passe strictement rien : la substance de l'action tourne autour de d'interrogations telles que : puis-je aimer un clone, ou si je le fais disparaître, est-ce un crime ? Et ça dure 1h35 - finalement le mystérieux Snaut décide de faire disparaître le clone, fort opportunément car autrement on continuerait à remâcher ces mêmes interrogations.
A la vacuité du livret correspond un vide visuel presque'équivalent - pas de décor, une boite servant de cadre de scène,des changements de lumière les chanteurs sont plantés immobiles au bord du plateau - reste la chorégraphie, omniprésente - d'ailleurs on peut se demander si l'oeuvre n'est pas davantage un ballet qu'un opéra - c'est la partie visuellement la plus aboutie, meme si elle finit par engendrer une certaine monotonie.
La musique n'est pas déplaisante, mais elle souffre d'un manque d'inspiration, quant à l'écriture vocale, elle est d'une monotonie assommante - j'admire ceux qui prétendent juger de la qualité des chanteurs là dessus.
Dans l'entretien qu'il a donné a une publication de l'IRCAM, le compositeur explique qu'il a souhaité dépasser les conventions de l'art lyrique : mais pour les dépasser, encore faut-il avoir quelque chose de supérieur à proposer...
La construction de ce spectacle reflète - AMHA - l'inexpérience de ses concepteurs : les différentes composantes ne s'additionnent pas, elles se neutralisent.

Critique de Forum Opéra :
http://www.forumopera.com/solaris-paris-tce-singin-in-the-space

L'Obs :
http://tempsreel.nouvelobs.com/culture/20150306.OBS3996/solaris-un-opera-danse-et-chante-assez-ennuyeux.html

Le Monde :
http://www.lemonde.fr/culture/article/2015/03/07/solaris-se-noie-en-3d-dans-un-ocean-conceptuel_4589368_3246.html

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MessageSujet: Re: SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015   SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015 EmptyLun 9 Mar 2015 - 14:08

Une autre critique, sur Altamusica, qui, dans l'ensemble, pointe l'échec - regrettable - de cette entreprise :

http://www.altamusica.com/concerts/document.php?action=MoreDocument&DocRef=5631&DossierRef=5157

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DavidLeMarrec
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MessageSujet: Re: SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015   SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015 EmptyMer 11 Mar 2015 - 21:46

La création au lieu au Théâtre des Champs-Élysées, mais va être poursuivie à Lille et Lausanne.


1. Remplir

Le premier enjeu, quand on veut programmer un opéra contemporain, est de parvenir, sans garantie sur la célébrité (d'autant que Dai Fujikura n'est pas une superstar), à motiver le public à venir voir une œuvre d'un inconnu, et souvent difficile. Pas facile de rivaliser avec un opéra du répertoire, d'autant que les salles ne baissent pas les prix astronomiques des premières catégories !

En l'occurrence, le Théâtre-des Champs-Élysées était assez plein (au moins à 80%, à vue de nez). Il faut dire que pour passer l'écueil de la création par un compositeur peu célèbre, on n'avait pas lésiné sur les moyens : sujet de science-fiction popularisé à la fois par le film d'auteur et le film grand public, livret et chorégraphie de Saburo Teshigawara (doté, lui, d'une notoriété non négligeable), effets de l'Ircam, vidéo liminaire en 3D avec lunettes fournies, et surtout la présence de Nicolas Le Riche (gros facteur de remplissage)…
Autrement dit, lorsqu'on le vend et le distribue bien, on peut faire déplacer les gens — Bordeaux avait fait pareil avec Genitrix de László Tihanyi, même si le succès avait été mitigé au moment des saluts : au moins, sur la foi de Mauriac, les gens (parfois novices), s'étaient déplacés pour entendre de l'assez bonne musique servie par un excellent plateau, et le théâtre était plein.

En l'occurrence, le succès de la soirée a été assez considérable à l'extinction des lumières. Je ne crois pas avoir déjà assisté à ça pour un opéra contemporain (sauf lorsqu'il faut accueillir Domingo, bien sûr).
[Après, peut-être était-ce rempli par des invités mais j'en doute, on aurait sans doute proposé des ristournes en amont, dans ce cas. Et ça ne suffit pas pour remplir aussi largement, ni à procurer ce genre d'accueil enthousiaste.]
De ce côté-là, mission remplie.



2. Adapter


Solaris, à la fois par son statut de classique romanesque de la science-fiction et d'œuvre largement popularisée par trois films (un local, un « d'auteur », un grand public), a souvent été l'objet d'adaptations opératiques (j'en ai entendu trois, mais il paraît qu'il en existe une quatrième). Il faut dire que son caractère atmosphérique et onirique peut légitimement tenter les compositeurs, surtout qu'il s'agit, pour une fois, d'un sujet d'aujourd'hui et pas d'une resucée des mêmes mythes grecs ou triangles amoureux.

¶ En 2011, Enrico Correggia a proposé à Turin un opéra de chambre, en italien. L'œuvre n'est pas très intéressante à mon sens, écrite dans une modernité « standard », jouant plus sur les textures que sur un discours pourvu d'une direction perceptible, et proposant des lignes vocales brisées en grands intervalles, peu respectueuses de la prosodie. Ni très beau ni très intéressante, à mon gré.

¶ En 2012, Detlev Glanert a proposé une version (cette fois en allemand) pour le Festival de Bregenz. Je n'ai pas fini de l'écouter, mais l'œuvre semble pourvue de réelles qualités dramatiques, exaltant la stupeur et les conflits plutôt que les atmosphères suspendues, dans une langue musicale assez énergique — là non plus, la fonctionnalité des harmonies n'est pas toujours évidente, mais l'on sent très bien les lignes de force, et la prosodie m'a paru d'une grande efficacité.

Il en existerait donc un quatrième (probablement un opéra antérieur, jamais repris, dont les références émergent moins facilement ?), et éventuellement d'autres — un opéra créé en province en Pologne n'aurait pas forcément été référencé.



3. … depuis un roman

Le sujet de Solaris semble se prêter à merveille au cinéma — je ne suis vraiment pas client de Tarkovski de toute façon (comme je ne suis lu que par des lecteurs raffinés, je me garderai prudemment d'exposer mon opinion détaillée), mais je dois admettre que la version de Soderbergh tire très bien parti de ce que le cinéma peut créer par l'œil, quasiment sans paroles. Pourtant, le roman est assez difficile à adapter : contrairement à une grande partie de la littérature de science-fiction, même la plus vénérable, son roman est écrit avec un véritable sens du style et de l'évocation, malgré sa simplicité syntaxique. Ses qualités tiennent d'ailleurs davantage, à mon sens, à cette qualité de climat qu'il suscite qu'aux concepts bouleversants qu'il solliciterait. Or, la littérature de science-fiction pâtit très souvent de la mise en œuvre terne de prémisses assez exaltantes.

Je ne l'ai lu que dans la traduction de Jean-Michel Jasienko, mais on peut tout de même remarquer une certaine qualité de rythme, une économie de mots qui va à l'essentiel et qui peut créer un climat très rapidement. Je vous donne un extrait que, pour des raisons évidentes, vous ne verrez jamais dans une adaptation, mais qui fonctionne très bien, sollicitant des références simples (je parle des références culturelles plus que du stéréotype central), la présence de différents sens, une apparition presque musicale, une sorte de danse irréelle.

Citation :
Je m’immobilisai, rivé au sol. Une femme géante, de type négroïde, s’avançait tranquillement, en se dandinant. J’entrevis l’éclat du blanc de son œil et j’entendis le doux claquement de ses pieds nus. Elle n’était vêtue que d’une jupe jaune, en paille tressée ; ses seins énormes se balançaient librement et ses bras noirs étaient aussi gros que des cuisses. Elle me croisa — une distance de un mètre à peine nous séparait — sans m’accorder le moindre regard. Sa jupe de paille oscillant en cadence, elle continua son chemin, semblable à ces statues stéatopyges de l’Âge de pierre, qu’on peut voir dans les musées d’anthropologie. Elle ouvrit la porte de Gibarian. Sa silhouette se détacha nettement sur le seuil, cernée par la lumière plus vive qui s’était allumée à l’intérieur de la chambre. Puis elle referma la porte. J’étais seul. De la main droite, je saisis ma main gauche, que je serrai de toutes mes forces, jusqu’à faire craquer les articulations. Le regard absent, je contemplai la grande salle vide. Que s’était-il passé ? Qu’est-ce que c’était ? Soudain, je vacillai ; je me rappelais les avertissements de Snaut. Qu’est-ce que cela signifiait ? Qui était cette monstrueuse Aphrodite ? J’avançai d’un pas, d’un seul pas, dans la direction de la cabine de Gibarian. Je savais bien que je n’entrerais pas. Les narines largement écartées, j’aspirai l’air. Pourquoi ? Ah oui ! Instinctivement, j’avais attendu l’odeur caractéristique de sa sueur ; mais je n’avais rien senti, pas même au moment où nous n’étions qu’à un pas l’un de l’autre.

En ce sens, un livret d'opéra, fondé sur des dialogues — la plupart de ceux de Stanisław Lem se limitent quasiment à des apostrophes, à des phrases simples —, et sans les moyens d'illusion visuelle du cinéma, est une tâche difficile : il sera pompeux s'il confie les descriptions aux personnages, il sera indigent s'il se limite à la matière dialoguée du roman.

C'est pourquoi le choix de Saburo Teshigawara, danseur et chorégraphe, comme librettiste, était risqué. Et, de fait, on ne peut qu'être surpris par l'indigence lexicale incroyable de son texte anglais, qui doit comporter deux fois moins de mots qu'un épisode de série produite par la Fox. À part be, love et exist, il ne doit pas y avoir beaucoup d'autres verbes, quasiment pas d'adjectifs (ah, si, « good girl » !), jamais d'adverbes… On pourrait l'étudier en classe de troisième (LV2 ?) sans obstacle majeur, à mon avis.
On peut supposer que les contraintes prosodiques du japonais (du moins le peu d'habitude de composer lyriquement pour lui) et son caractère peu exportable (surtout pour une commande explicitement franco-suisse) ont fait choisir la langue que les créateurs maîtrisaient le mieux… mais bien que la complexité du vocabulaire ne soit pas forcément bienvenue au théâtre comme en poésie, on se situe à des sommets (abîmes) en la matière, sans éviter non plus l'impression, dans les moments de description scientifique, de postures un peu empruntées.

À cela s'ajoutent :

un problème d'intelligibilité : il n'y a pas d'exposition, et les enjeux de la pièce ne sont jamais vraiment expliqués. Sans avoir lu ou vu l'une de ses versions, il serait difficile de suivre — ou du moins de ne pas trouver ça très sommaire : tiens, une station spatiale ; tiens, un double ; tiens, un double pas forcément réel ; tiens, un double pas forcément réel qui disparaît ; tiens, l'opéra n'est même pas fini après ça.

un problème de structure : l'alternance en scènes, sans doute prise trop littéralement sur son modèle (une fois les suppressions faites), propose une douzaine à une quinzaine de tableaux de moins de dix minutes, dans une alternance permanente les mêmes lieux (le labo de Snaut en alternance avec la chambre de Kelvin où se trouve Hari), où se tiennent exactement les mêmes conversations. Pour le dire simplement : c'est ennuyeux et sans grand intérêt.

un problème de propos : le contenu originel est complètement expurgé ; il ne reste plus que trois personnages (Kelvin, le docteur Snaut et la fausse Harey [devenue Hari dans le livret – à cause d'une découverte de Teshigawara en traduction japonaise ?]), plus le spectre éphémère de Gibarian ; l'intrigue se limite complètement à l'apparition de Hari, et aux propos de Kelvin sur sa réalité ou non. Avec le super vocabulaire à disposition, ça donne quelque chose du genre « Are you real ? Is she real ? — Kris, I am real. — (No, she is not Hari.) » en mille variations (remplacez par « love » et reprenez, deux tableaux plus tard).
Une fois de plus : compositeurs, bon sang, laissez travailler les professionnels au lieu d'embaucher vos potes (ou de le faire mal vous-même)… Vous ne confieriez pas le violon solo de votre création à votre nièce, et ça aurait pourtant moins d'impact sur le résultat que de prendre le premier non-écrivain venu pour réaliser votre livret – ce n'est déjà pas une garantie, mais un peu d'exprience ne peut vraiment pas nuire…


4. … et un dispositif

Le principe est simple et décrit dans toutes les recensions (assez nombreuses) lisibles en ligne : dans un cube blanc en fond de scène, les danseurs évoluent pour figurer les personnages interprétés par les chanteurs sur le côté du plateau. La grammaire de Teshigawara est vite repérable : tous les déplacements, tous les gestes se font dans le sens de la rétractation (bras qui partent en arrière, pas presque toujours dans le sens du recul)… c'est joli, mais vite tout le temps la même chose, et strictement illustratif, sans message complémentaire. Le principe a permis de remplir la salle, mais le gain sur une mise en scène traditionnelle (ou même une version de concert) ne paraît pas complètement évident. Au demeurant, Rihoko Sato débordait d'une énergie juvénile presque effrayante, très convaincante.

Par ailleurs, deux longues séquences d'une dizaine de minutes en vidéo et sans musique : jolie vidéo 3D semi-figurative due à Ulf Langheinrich, évoquant les oscillations de l'océan plasmatique de Solaris (longuement évoquées au début du roman), mais étrangement silencieuse en début de spectacle, puis une variation solo faite par Teshigawara (jouant qui ?) sur fond de lumière stroboscopique — cette fois vraiment inutile. On peut même se demander, vu le temps ainsi occupé, s'il n'y a pas eu une tentation de compléter un manque de musique (l'opéra durerait à peine plus d'une heure, si l'on supprimait ces deux séquences).


5. … confié à Dai Fujikura

Né en 1977, Dai Fujikura est encore un jeune compositeur. Se destinant à l'origine à la musique de film, ses études l'ont poussé vers la musique de concert atonale (Takemitsu, Ligeti, Boulez…) et il est devenu un protégé d'Eötvös, Benjamin et… Boulez, qui lui a passé commande à plusieurs reprises (Festival de Lucerne, cérémonie de son propre quatre-vingtième anniversaire…). Il s'est notamment spécialisé dans la spatialisation et le rapport à la vidéo, ce qui est évidemment intéressant pour écrire un opéra.

Pour autant, ce n'est pas du tout un radical ou un imitateur des vieilles lunes « officielles » ; certaines de ses œuvres peuvent paraître banales (Es, Time Unlocked – cette dernière tout de même belle, dans un langage syncrétique qui évoque davantage Mantovani que les sériels triomphants) ou d'un tapage pénible (j'ai en tout cas détesté Okeanos, et simplement trouvé moche Calling)… mais il est aussi capable d'écrire une musique frémissante, où abondent les pôles (Secret Forest, par exemple), où l'on entend peu de frottements (alors que le langage n'est pas tonal), un peu comme la recréation d'un discours où s'exercent des tensions et des détentes, voire des consonances.

C'est le cas de Solaris : je n'avais pas prévu d'y aller (faute de temps surtout), considérant la disparité de son legs et le caractère discutablement transposable de leurs qualités à l'opéra. Mais en découvrant les premiers extraits, j'ai libéré mon agenda pour y aller, et bien m'en a pris.


Le dispositif lui-même ne m'a pas beaucoup intéressé : j'ai mis les deux tiers du spectacle à m'expliquer pourquoi le chanteur qui faisait Snaut chantait aussi Kelvin en alternance avec le baryton (il s'agissait en réalité d'un autre ténor, qui chantait plus ou moins les pensées de Kelvin, souvent retraité par les moyens de l'Ircam), et la modification de la voix (superbe) de Marcus Farnsworth (coupée les trois quarts du temps, comme lors d'une mauvaise transmission numérique) était très pénible… Une fois, pourquoi pas pour faire un effet, mais pendant tout le spectacle, amplifier et altérer cette voix, quel intérêt — en plus, sur le plan de la logique, qu'on puisse vivre en orbite dans des univers lointains mais pas faire une bonne télécommunication avec soi-même laisse songeur.
En revanche, l'amplification partielle et ponctuelle des chanteurs est efficace, bien équilibrée, et laisse entendre nettement la source du son. Il faut dire qu'ils sont suffisamment puissants pour se faire entendre même sans elle, et on en conserve toute la saveur dans l'acoustique merveilleuse du Théâtre des Champs-Élysées — on n'y voit rien, mais à Paris, il faut bien admettre qu'il n'y a pas mieux pour entendre de l'opéra.

Avec toutes ces réserves et demi-teintes, le spectacle restait captivant. Pourquoi ? Parce que la musique était bonne !

¶ Sur le plan strictement vocal, la prosodie était très respectueuse, ne cherchant pas forcément la mélodie, mais n'éclatant jamais la voix en trop grands intervalles. Une sorte de semi-déclamation très adéquate.

¶ La musique elle-même est très fonctionnelle, au sens harmonique du terme : alors qu'elle est atonale et complexe (il suffit de voir les changements incessants de mesure – le pauvre chef doit avoir de bons réflexes, il y a des virages à tous les coins !), ses accents et ses durées créent des pôles, suscitent des tensions et des détentes, permettent à la musique de progresser, de s'exprimer. Le tout dans de très jolis équilibres de timbres.

¶ Et ce n'est pas que de l'artifice de textures : la plus belle section de l'œuvre est peut-être celle où les cordes seules (six musiciens) soutiennent un tableau entier, avec de grands aplats discrets et poétiques, sans se réfugier derrière les effets de jeu dont abusent nombre de compositeurs au lieu de soigner la clarté de leur propos. Assez évident, en fin de compte.

¶ Par ailleurs, la musique de Fujikura évolue au fil de l'œuvre, et devient progressivement (alors que l'intrigue semble n'avoir toujours pas évolué) de plus en plus tendue, vers la stridence. C'est ce dernier tiers de l'œuvre où j'ai l'impression d'entendre sensiblement le même spectre sonore (en plus un peu agressif à l'oreille) et où je finis par être un peu moins captivé. Mais il y a quand même trois quarts d'heure de très belle musique, ce n'est pas rien !


6. Gloire vocale

Souvent, les créations pâtissent de voix ternes… Ici, c'est tout sauf le cas : le baryton Leigh Melrose (Kris Kelvin) est un peu brut, mais doté d'une grande présence, les deux ténors Tom Randle (Docteur Snaut) et Marcus Farnsworth (la conscience de Kelvin) sont souples et colorés (en particulier Farnsworth, malgré la dénaturation du traitement électronique, moelleux, une jolie voix mixte radieuse et très bien articulée, que j'aimerais vivement réentendre)… et la soprane Sarah Tynan (Hari) force le plus grand respect pour l'ampleur et la docilité de l'instrument, à la fois lyrique et puissant, sans jamais sacrifier la diction, d'un impact réellement physique, et d'une couleur quasiment fruitée. Vu comment elle se tire, sans une égratignure, d'une partie aussi longue et exigeante (aussi bien sur l'implication des parties déclamatoires que sur les écueils techniques du jonglage entre les registres), elle doit pouvoir à peu près tout chanter de Susanna à l'Impératrice en passant par Eboli…
En voilà qu'on aimerait entendre en salle ou sur disque, largement plus intéressants que la plupart des artistes les plus prisés par les théâtres — pour être tout à fait juste, les artistes les plus exposés ont souvent été eux aussi plus intéressants que leurs prédécesseurs, mais la scène à haut niveau exerce une pression sur les voix, et plus encore la course vers les rôles plus prestigieux (c'est-à-dire plus larges). En tout cas, Tynan ou Farnsworth peuvent chanter n'importe quoi, j'irai les entendre.

Dans la fosse, l'Ensemble Intercontemporain, que je n'avais pas eu l'occasion d'entendre depuis trois ans, m'a surpris. Probablement largement à cause de la direction d'Erik Nielsen, qui n'imprimait pas du tout l'exactitude métronomique un peu froide qui a pu être la marque de Susanna Mälkki, par exemple : au contraire, les strates très lisibles et la virtuosité hors du commun des musiciens s'épanchait avec une générosité qui n'avait rien de rigide, et qui coulait au contraire au naturel. Quand une musique bien faite rencontre des interprètes non seulement infaillibles, mais inspirés par elle, on entend d'aussi belles choses.

Malgré la faiblesse du livret et un dernier tiers un peu lassant, la soirée n'avait, étrangement, rien de frustrant — quelle bouffée d'air frais que d'entendre de la musique neuve qui sonne aussi naturellement. (et dans un langage qui ne s'y prêtait pas forcément) Le public a réservé une très chaleureuse ovation au compositeur, ce qui n'était pas si évident face à une soprane charismatique et à des danseurs stellaires… Je crois que c'est la création la mieux accueillie en salle que j'aie vue (tandis que la critique l'assassinait sans faire trop de détail – la musique ne se limite pas à ce qu'on voit, tout de même…). Si, peut-être Yvonne avait-elle été très bien reçue, mais étant mitigé, je n'avais pas forcément ressenti le souffle (voire – et c'est mal – soupçonné l'emphase vis-à-vis de la pièce, des interprètes, d'un compositeur à la mode – ce qui ne pouvait être le cas ici).

(je précise qu'il y a un extrait sonore sur Carnets sur sol)
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MessageSujet: Re: SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015   SOLARIS - Dai Fujikura - TCE - mars 2015 EmptyJeu 12 Mar 2015 - 7:52

Le long, et instructif, post de David ne modifie pas mon jugement.
 Il énumère d'ailleurs les nombreuses faiblesses de l'oeuvre :
 Un livret dépourvu d'action ou de ressort dramatique
 Un langage d'un prosaïsme consternant
 Une absence de mise en scène : on peut comprendre le dispositif : les chanteurs, immobiles en bordure du plateau, limités à une expression strictement vocale, l'incarnation corporelle étant dévolue aux danseurs - mais ça ne fonctionne absolument pas, c'est une juxtaposition arbitraire, et malgré le grand talent d'un Nicolas Le Riche la chorégraphie n'arrive pas à intéresser par elle-meme.
L'écriture vocale, très morne, n'arrange rien - je ne vois pas comment on peut évaluer des chanteurs - dont je ne connaissais aucun - là dessus
Reste la musique, en effet intéressante, et par moment raffinée - je la réécouterai volontiers.

Je suis allé voir ce spectacle avec curiosité et envie, mais je me suis mortellement ennuyé.
A mon initiative une vingtaine de personnes - davantage des amateurs d'art contemporain que d'art lyrique - sont allés voir ce spectacle ; après le spectacle, nous avons échangé nos impressions, dans l'ensemble très mitigées.

D' autres critiques :
http://www.concertonet.com/scripts/review.php?ID_review=10505

http://www.lesechos.fr/week-end/culture/0204214150853-opera-solaris-une-asphyxie-musicale-1100629.php

 Montfort
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