Ecoute comparée : la Symphonie n°5 de Chostakovitch

Amaretto : L’enregistrement d’Haitink prématurément éliminé, c’est à la présente version qu’incombe de défendre l’optique néo-classique parfois adoptée dans cet opus. Voilà l’écriture chostakovienne révélée en toute clarté, quitte à faire abstraction du contexte où elle a été créée. Si le chef autorise ses troupes à montrer ses muscles, les grandes manœuvres orchestrales du volet inaugural ressemblent plus à un défilé triomphal qu’à une lutte âprement disputée. Nulle outrance, nul empressement : les fluctuations dynamiques du I s’avèrent relativement restreintes, comme celles du IV. Il convient de saluer ici la virtuosité de la formation – dont on peut cependant regretter qu’elle ne réserve pas mieux que des effets finalement assez attendus (dans le II, notamment). Reste le III, dont l’émotion est assez adéquatement exprimée par cette vision distanciée. Malgré tout, je ne peux mieux offrir à cette version qu’un accessit. => 1 point

Cognac : Sans fondamentalement changer ma religion quant à cette version, je ne saurais accorder que la médaille de bronze à cette lecture sèche et nerveuse de l’opus 47. Certes, le Scherzo se prête particulièrement bien à ce traitement lapidaire. Quant au Moderato, celui-ci se démarque par la scansion vigoureuse de ses motifs et la férocité de son épisode central (des qualités qui feront aussi le prix du finale). Néanmoins, on peut trouver que ce traitement soit tout à fait adéquat pour faire sourdre l’émotion du troisième volet : les traits sont marqués (appuyés par endroits) mais dessinent en fin de compte un paysage désaffecté où la poésie affleure de loin en loin. Je décerne donc une médaille de bronze à cette version, mais avec la conviction d’avoir déniché une lecture à laquelle je reviendrai avec plaisir. => 2 points

Calvados : Certes, la captation accuse son âge, les cordes vibrent trop, la mise en place est assez aléatoire, sans parler de ces cuivres pour le moins prosaïques… Cette formation avait-elle l’habitude de jouer Chostakovitch à l’époque de cet enregistrement ? Il est permis d’en douter… Et pourtant, que de choses passionnantes dans cette version, à commencer par ce Moderato enténébré oscillant entre déploration et révolte. Entre la scansion hargneuse des basses, les interventions pétaradantes des percussions et les pirouettes enlevées des souffleurs, le second volet est une franche réussite. Sans doute le vibrato outré des cordes obère-t-il une partie de l’émotion que le chef voudrait solliciter dans le III, auquel on pourrait reprocher une direction trop séquentielle. La remarque vaudrait aussi pour le finale, où le chef ose des effets de baguette pour le moins surprenants. Au final, nous tenons là une lecture au plus près des tourments, des élans subits et des interrogations de l’écriture chostakovienne. => 3 points

Chartreuse : Doit-on le dire ? Mais si cette version me semble sortir gagnante de cette confrontation, c’est bien grâce au modèle de direction orchestrale proposé par le chef. Qu’il s’agisse de ménager des contrastes dynamiques, relancer le discours, camper des atmosphères, la baguette qui s’empare ici de l’opus 47 est à son affaire. De même que le premier mouvement entretient un climat pessimiste sans avoir besoin d’étirer les tempi, le Largo parvient à déclencher l’émotion par une lecture cursive, admirablement servie par les cordes. Ce serait oublier l’ambivalence du II, entre (fausse) candeur et violence, ainsi que la révolte sans espoir théâtralisée par le volet final dont les coups de grosse claire viennent mettre l’auditeur à genoux. Exemplaire. => 4 points

Le disque vainqueur de cette écoute ne verrait-il pas la vie en rose ?