J'en rentre juste. Concert assez épatant.
Prévisiblement, j'ai adoré le Jarrell et le Rihm - en particulier cette façon qu'ils ont l'un et l'autre, mais dans des langages et des perspectives très différents, de travailler le bas du registre orchestral et les textures râpeuses (basson, contrebasson, clarinette basse, contrebasse...) en rapport avec les percussions. En plus, Jarrell met en musique des extraits des
Confessions d'Augustin en rapport avec
Vanitas de Boltanski, Rihm évoque le mythe d'Orphée revu par Heiner Müller - c'est quand même assez clairement mon univers, tout ça. Œuvres plutôt austères, au demeurant. (Mais bon, là aussi, pour moi, ce n'est pas franchement un défaut).
La composition de David Hudry,
The Forgotten City, qui convoque un ensemble assez étoffé pour évoquer la ville industrielle abandonnée de Buffalo. Dans le genre hyper-pulsé, on peut dire que c'est une œuvre qui
envoie du bois trop grave de sa race possède un impact physique extrêmement impressionnant. Assez difficile à situer, esthétiquement (Lucien, si tu connais, si tu entends...): le langage est atonal
mais l'élément rythmique est d'une intelligibilité immédiate, et assez saisissant (en particulier avec la scansion à la batterie, le jeu en battuto
col legno...), et il y a un élément mélodique lui aussi assez lisible qui transite la plupart du temps entre les instruments du bas du registre (tuba, basson, clarinette basse, contrebasse). Globalement, c'est assez violent, avec cependant des passages non pas suspendus mais qui donnent une impression de "temps vitrifié" (comme aurait dit Boulez) - notamment un beau solo de trompette peu avant la fin. Ca m'a fait penser tantôt au Grisey de
Vortex temporum, tantôt au Mitterer de
Coloured noise, mais qui auraient bouffé du free jazz. Pas du tout mon univers, en fait, mais extrêmement bien fait, et qui empoigne vraiment l'auditeur.
Le "classique" du programme, les
Eight Songs for a Mad King de Maxwell Davies m'ont laissé un peu moins enthousiaste, peut-être - enfin, l'œuvre elle-même en sa dimension purement musicale: l'engagement (et le mot est faible) de Nigl, auteur d'une mise en espace qui fait de ces monologues une espèce de théâtre intérieur de la folie, est à elle seule capable de faire rendre les armes. Comme avec tous ces compositeurs adeptes d'esthétiques "polystylistiques", fondées sur le collage et la citation, j'ai toujours un peu de mal - là, par exemple, j'ai beaucoup aimé tout ce qui relevait soit d'une écriture atonale un peu agressive, adoré les passages de musique baroque ou de folklore anglais déglingués, beaucoup moins les passages façon cabaret jazz grimaçant. Et d'une manière générale, je trouve que l'exploration vocale de la folie joue un peu trop exclusivement sur l'alternance fausset hystérique / grave rauque essoufflé. Mais la fin tragique est impressionnante.
Sinon une réalisation musicale superlative, l'EIC est décidément grand. Gregor A. Mayrhofer, qui remplaçait Heras-Casado au pied levé, m'a semblé très bon - avec une gestique complètement boulézienne).
- Réflexions égotiques et à ce titre d'un intérêt limité :
- Ça m'a fait plaisir de retrouver l'EIC que je n'avais pas vu depuis très, très longtemps - et de retrouver des têtes connues: Pierre Strauch, Benny Sluchin, Emmanuelle Ophèle...
- Du coup, coup de vieux aussi: je me suis rendu compte que j'avais assisté à la création du Rihm, déjà avec Frédérique Cambreling et l'EIC dans cette même salle... mais sous la direction de Boulez... et il y a quinze ans. (Il y avait la
Passacaille pour Tokyo de Manoury au même programme.)
- Suite de mon week-end contemporain-méchant: dimanche
ici.