D'Ersnt Theodore "Amadeus" Hoffmann, on connaît surtout (et encore : souvent pas si bien que ça, en France) le versant littéraire de son œuvre, en particulier ses contes. Une œuvre dans laquelle la musique joue un rôle significatif — qu'on songe à des nouvelles comme "Le chevalier Gluck", son premier texte publié, ou "Don Juan", ou au personnage du fantasque maître de chapelle Johannes Kreisler, véritable alter ego d'Hoffmann, présenté comme l'auteur d'une partie des
Fantaisies à la manière de Callot, et, en tant que personnage, maître du chat Murr dans le roman sternien éponyme —, et une œuvre, bien sûr, qui en retour inspirera largement la musique : les
Kreisleriana (justement) de Schumann,
Les Contes d'Hoffmann d'Offenbach,
Coppelia de Delibes,
Casse-Noisette de Tchaïkovski,
Cardillac d'Hindemith, pour ne citer qu'eux. Il est aussi considéré comme l'un des pères de la critique musicale.
Mais Hoffmann fut également lui-même un compositeur, pas le moins doué de son temps, et relativement prolifique : on lui doit notamment, liste non exhaustive, une douzaine d'opéras, une symphonie, trois messes, cinq sonates pour piano, un trio, un quintette, une musique de ballet, et une demi-douzaine d'œuvres vocales diverses. Je connaissais ce fait, "en théorie", depuis longtemps ; ironiquement, grâce à un autre ouvrage littéraire, lu à l'adolescence, la Trilogie de Cornish du Canadien Robertson Davies, dont le dernier tome,
La Lyre d'Orphée, tourne autour de la tentative, par un groupe d'universitaires de province, de recréer et monter un opéra inachevé d'Hoffmann. Mais "en pratique", il m'aura fallu attendre ces dernières heures pour avoir la curiosité / l'opportunité d'entendre pour la première fois une de ces œuvres. Et pour découvrir qu'effectivement, c'est pas mal du tout

— à défaut d'être génial.
E.T.A. Hoffmann - Dirna (1809)
Angelika Krautzberger, Martin Herrmann, Werner Klockow
Kammerchor "Cantemus", Deutsche Kammerakademie Neuss, dir. Johannes Goritzki
Il s'agit là d'un mélodrame (donc un texte joué mais non chanté, entrecoupé ou soutenu par la musique), en trois actes, dont l'action se situe en Inde. Point de couleur locale à rechercher dans la musique toutefois. D'ailleurs, de façon plus générale, autant le dire tout de suite, ce qui m'apparaît comme le principal défaut de l'ouvrage est la déconnexion entre le fond et la forme.
Fanatique bien connu de Mozart, qu'il considérait comme le compositeur "romantique" par excellence à égalité avec Beethoven, il est manifeste à la découverte de
Dirna qu'Hoffmann se situe musicalement dans la filiation directe de son idole. L'œuvre pourrait apporter une contribution intéressante sur la question des
livrets glauques d'hier et d'aujourd'hui :
Dirna ne nous raconte en effet rien moins que l'histoire d'une femme violée, viol dont sont nés deux enfants, dont un brahmane insiste qu'elle doit en tuer un en expiation de sa "faute" ; malgré cela, passé une ouverture qui envoie du bois, l'œuvre traduit musicalement
assez peu le caractère tourmenté de la chose, la veine mozartienne n'étant peut-être pas la plus adaptée à un tel sujet. Et ce n'est certes pas la déclamation peu engagée des trois acteurs de cet enregistrement CPO (le seul enregistrement existant de l'œuvre intégrale, il va sans dire), qui va arranger cette impression.
Cette réserve émise, considéré du pur point de vue musical,
Dirna contient de fort jolies pages, tout à fait intéressantes (à commencer par l'ouverture, donc, mais pas seulement), et, me semble-t-il, dignes de l'intérêt des curieux du répertoire méconnu du tournant des
XVIIIe et
XIXe siècles. L'interprétation chambriste et énergique de Johannes Goritzki sert bien la partition. Pour ma part, je ne compte pas laisser passer à nouveau une quinzaine d'années avant de poursuivre mon exploration de l'œuvre musicale d'ETAH.