Personne n'en a parlé, c'était mercredi et jeudi derniers (13 et 14 décembre), avec l'Orchestre de Paris.
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D'abord,
Concerto pour orchestre de Lutosławski.
Je n'aimais pas trop, et de fait ce n'est ni réjouissant ni très subtil (du tonal un peu lâche et gris, vaguement folklorisé sur des thèmes mazoviens), mais il fonctionne très bien en concert, ne serait-ce que visuellement. C'est un peu long, ça brame à la fin, mais le
Capriccio notturno vif et impalpable, l'engagement de
Manfred Honeck (sacré chef) et de l'
Orchestre de Paris font passer un très bon moment.
Bonne surprise aussi pour le
Concerto pour violon de Tchaïkovski : mieux mis en place que d'ordinaire pour les concertos, Honeck le rend aussi un peu plus violent, et Shaham est très attentif à suivre le chef au lieu de jouer dans son coin.
Je tenais
Gil Shaham pour inapprochable, et à force d'entendre les plus grands virtuoses en salle, oui, les doubles cordes sont moins timbrées que d'autres (et peu puissantes), mais à la fin des fins, personne n'est plus musical que lui, tous les traits semblent des mélodies… Tout l'inverse de Joshua Bell, entendu il y a un an et demi avec le même orchestre : lui jouait décalé avec l'orchestre sans s'en soucier, ne valorisait les traits qu'en tant qu'effets, et le son était toujours acide, loin de l'élégance absolue de Shaham – qui vaut mieux qu'un concerto.
(Au demeurant, l'œuvre reste un enchantement, surtout jouée sans épate : sa forme libre, sa veine mélodique, sa douceur, sa tension aussi – à telle enseigne que
toute la salle applaudit la fin du concerto après le premier mouvement, qui a ses allures de final, en effet !)
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Mais je venais pour cette nouvelle
Suite de Rusalka (l'opéra de
Dvořák), plus longue que les précédentes, et réellement enchaînée avec de belles transitions ; ça le méritait, trente minutes du meilleur de ce chef-d'œuvre absolu, très finement agencé. Bonheur en barre.
Ce ne sont pas que des morceaux collés, tout est réagencé, en conservant le meilleur (le motif des Ondines, les plaintes de l'Ondin, le ballet, les grandes fins d'acte, et bien sûr la Romance au violon solo), avec des transitions naturelles.
Commande de
Manfred Honeck (qui a aussi sélectionné les morceaux ?) au compositeur
Tomáš Ille, pour disposer d'une véritable Suite rhapsodique mais construite, plutôt que des juxtapositions de morceaux isolés.
Seule réserve, il est dommage de commencer par la Polonaise du ballet du II, dont j'adore la banale appoggiature de fin de phrase, mais qui est dans un style plus naïf que le wagnérisme folklorisé et féerisé du reste, qui crée un allègement au milieu : débuter par là en gomme la spécificité, la fait paraître un peu sommaire.
Pour autant, les merveilles des différents moments forts (chasse du Prince, invocation de Ježibaba…) passent dans toute leur beauté, sans être occultées par la voix, l'action, la scène. Bouleversant.
Ça valait le concert, rien que ça. J'espère le revoir programmé régulièrement, en plus de l'opéra qui s'est raisonnablement stabilisé au répertoire (et notamment à Paris
). Il paraît d'ailleurs que la production de Carsen pourrait être redonnée à Bastille la saison prochaine – je ne demande pas mieux, un bijou que je réévalue à la hausse à chaque écoute.