J'y étais lundi (avec Dudamel, Bernheim et Arduini, donc).
Le principe de
Guth paraît gratuit sur le papier, mais en réalité, la précarité de la vie en orbite se superpose assez bien au livret original ! Et beaucoup de bons détails ; la trouvaille du corps qui sert de Benoît est remarquable (doublé par Colline, la basse
Roberto Tagliavini qui chante très bien du nez et y ténorise presque).
Au deuxième acte, c'est un peu moins opérant, on revient vraiment aux costumes d'époque, mais il reste le délire grotesque des faux enterrements, des jongleurs phosphorescents…
Hélas, ensuite, rien de neuf dans la conception au III, et le IV ne ressemble plus à grand'chose avec sa scène de cabaret très concrète.
Cela dit, comme le sujet La Bohème ne me touche pas du tout, du n'importe quoi dépaysant ne me dérange pas du tout (accueil très hostile autour de moi !).
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Dudamel très vif et net, pas du tout dégoulinant (quoique généreux sur le
rubato, vraiment hénaurme), l'
Orchestre de l'Opéra sonne vraiment bien là-dedans, diaphane, clair, précis, avec en prime un solo de violon ferme et capiteux !
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Benjamin Bernheim (un peu la raison de ma venue, je l'admets) sonne plus dur en italien, surtout dans la grande salle, il faudrait lui donner des rôles français qui favorisent sa souplesse et sa variété d'émissions et de coloris. Il était miraculeux en Spakos dans
Cléopâtre de Massenet, avec une quantité de demi-teintes et de techniques variées d'émission… les bandes de Londres montrent en partie ça aussi dans son Rodolfo, mais forcément, le premier soir de sa série sur une scène aussi énorme (la première fois qu'il doit y chanter avec un public dedans, et ça rend l'acoustique beaucoup plus absorbante et difficile), il a assuré avant tout, et de quelle façon !
Mais disons que lorqu'il chante à pleine voix, j'entends un excellent ténor lyrique, moins ce qui fait sa particularité comme interprète singulier (possiblement le meilleur ténor lyrique français de sa génération…).
Aida Garifullina est la plus applaudie en Musetta, ce qui est très inhabituel vu l'envergure moindre du rôle et ses difficultés beaucoup plus mesurées, mais c'est effectivement une véritable proposition originale, très fruitée, ample, séduisante, généreuse. (Elle pouvait tout aussi bien faire Mimì si nécessaire.)
Nicole Car est toujours très… australienne : ronde, en arrière, très fondue, mais aussi d'une égalité impeccable, puissante, souple… Ça console des consonnes au second plan, vraiment une bonne voix pour cette salle !
Autre coup de cœur, avec Garifullina,
Artur Ruciński, belle voix mordante quelque part entre Kwecień et le jeune Tézier.
Déçu par
Alessio Arduini (qui chantera aussi dans L'Heure espagnole en fin de saison) : la voix est un peu courte pour cette salle (et elle paraît, peut-être à cause de l'effort, un peu contrainte, alors que les fondements en sont beaux).
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Mon opinion sur la
musique demeure inchangée : le I est phénoménal, et puis Mimì chante un air et tout devient redondant jusqu'à la fin du IV.
Son succès reste un peu un mystère pour moi : la profusion du premier acte, où tout fuse partout, action, orchestre, voix… oui.
En revanche le IV qui répète sans cesse le thème « Cercar che giova », et qui refait en plus la scène du I (qui a été entendue il y a une heure, c'est pas la dernière scène du le Ring, mon gars) : no. way.
Par ailleurs Puccini est un grand harmoniste, un grand orchestrateur. Alors
pourquoi ces horribles doublures (qui sonnent rarement justes et qui couvrent les chanteurs), alors qu'il pourrait dire plein d'autres choses passionnantes simultanément ?
Ces choses sont rageantes, parce que la musique du début est tellement extraordinaire, déborde de grandes choses à écouter, et puis soudain, on n'a plus que des grosses doublures, des pleurnicheries univoques ; quelle frustration, pour moi.
(J'ai déjà testé, aller à la Bohème et choisir dès avant la représentation de partir après l'acte I. Ce que j'aurais probablement fait si je n'étais pas curieux de la mise en scène de Guth, et désireux de retenter l'œuvre en entier dans une version relativement sèche.)