Sérieusement, c'est donc moi le premier à en parler ? La dernière est dans trois jours…
Distribution multiple :

Radvanovsky ou Rowley (remplaçant Stikhina),

Rachvelishvili ou Semenchuk,

Álvarez, Alagna ou Eyvazof,

Lučić ou Viviani,

Kares.
Dirigé par Maurizio Benini tous les soirs.
J'y étais donc le 10 juillet, hier.
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Mon premier
Trouvère en salle – ce Verdi aux atmosphères nocturnes est celui qui me touche le plus.
Davidde in seno a gli angeli. Contre toute apparence, les figures d'accompagnement sont soigneusement pensées (la variété des formules de la fin !).
Je vous le dis tout de suite, on a fait pleurer Radva'. Je n'applaudis presque jamais entre les actes, mais là, lorsque ça a commencé à se lever *pendant* le III, j'étais parmi les premiers debout !
Elle a bissé « D'amore sull'ali rosee » (ça applaudissait en cadence !), hallucinant en effet. (Il y a quand même eu deux décérébrés pour la huer. Être à la fois crétin, méchant et tenir à ce point à le montrer, ça force l'admiration.)
Apparemment, ils ont retransmis la représentation sur le grand écran Place de la Bastille, les gens étaient en transe aussi dehors lorsque je suis sorti – des gens dont je ne me serais jamais figuré l'intérêt pour l'opéra ! Comme quoi, quand on y met les moyens…
Mika Kares (Daland chez Minkowski) confirme sa valeur : belle basse noble, très timbrée. L'aigu manque de mordant et d'éclat pour Verdi (un brin poussé en haut), je sens davantage le potentiel d'un Gurnemanz que d'un Philippe II. Rares sont les Ferrando de cette classe, en tout cas.
Željko Lučić ne ressemble pas aux captations (où il paraît assez fruste) : la voix est très claire en réalité, peu d'assise grave, un remarquable sens du style… J'aime beaucoup. Contrairement à ce que j'ai pu entendre et lire, il ne chante pas du tout faux (la voix blanchit dans l'aigu, oui, mais c'est une affaire de timbre et d'émission, pas de justesse).
Le timbre a toujours ce côté un peu sourd (peu d'harmoniques métalliques, même si le placement est impeccable) et le volume reste circonscrit : il pourrait chanter du français à Bastille ou du Verdi dans de petits théâtres, mais ici, il est souvent couvert par les partenaires. C'est vraiment étonnant : il a fait une immense carrière internationale de verdien avec une voix qui n'est pas du tout de cette nature, et lui qu'on perçoit comme sommaire semble au contraire un chanteur très délicat (je voudrais l'entendre dans de la mélodie, maintenant !).
J'ai toujours adoré
Marcelo Álvarez (en français comme en italien, dans les lourds comme dans les légers) et même si je n'ai jamais été bouleversé par ses Manrico (vraiment central pour lui, et il cherche trop à « faire dramatique » pour laisser épanouir sa voix), pincement au cœur. Je ne comprends pas ce qu'il fait : dans ses stances d'entrée, il arrête de couvrir exagérément et tout sort avec la clarté et la juvénilité de ses meilleures années… et par la suite, il ne fait que tasser son émission, comme pour
faire brigand.
En conséquence, il n'arrive plus à tenir de
legato, il doit mettre toute son énergie pour le moindre la3… la voix ne passe qu'à peine l'orchestre dans la pira (dont il économise les répliques intermédiaires pour pousser un bref si3). On pourrait croire au vieillissement, ou à de l'inadéquation physique, mais pas du tout : en réalité, dès qu'il éclaire le timbre (qui sonne, oui, plus comme un Roméo qu'un Siegmund – et alors ?), tout sort très facilement. Pourquoi chanter moyennement hors de sa voix ce qu'il peut faire sublimement dans la sienne ?
Tellement frustrant, alors que le musicien (et même, par certains côtés, l'acteur – pas un naturel, mais il essaie toujours sincèrement) a tellement ) communiquer… Comment peut-il ne pas se rendre compte qu'il suffit qu'il ne se contrefasse pas pour (re)chanter comme un Dieu ?
Au demeurant, contrairement à ce qui peut se lire, ce n'était pas du tout infâme (sauf si on exige le legato), simplement en deçà de ses partenaires et surtout de ses propres standards. Un peu à la peine, mais pas du tout honteux, les notes et le personnage étaient là.
Autre surprise,
Anita Rachvelishvili. En retransmission, une grosse voix impressionnante. En salle, on entend au contraire le timbre pur d'un soprano, une ligne délicate, l'Azucena la plus fragile et solaire que j'aie pu entendre, extrêmement originale et persuasive. (Au demeurant, elle descend très bas sans presque jamais poitriner, c'est un mezzo… mais elle chante purement dans sa voix, avec une clarté qu'elle ne contrefait pas…)
Cela produit une Azucena qui est encore la fille pure de la malheureuse brûlée, prisonnière – par le sortilège du traumatisme – de son âme d'enfant. Fascinant, surtout que la ligne vocale est d'une tenue extraordinaire. Et à présent je me repens d'avoir boudé ses Carmen et Dalila, si la distance entre la retransmission et la réalité est la même…
Je m'explique encore mieux ses succès, en tout cas.
J'ai entendu pour la première fois
Sondra Radvanovsky en 2004 (Elisabetta di Valois au Met)… la voix est toujours sise sur cette diaprure très particulière qui lui permet miraculeusement de conserver les pppp aussi sonores que les ff. Aussi, elle peut s'autoriser toutes les fantaisies (tous les ré bémol et rares ut optionnels sont là…) et messe di voce qu'elle veut, d'autant que l'artiste est d'un goût sûr et câline extraordinairement sa ligne.
Tout le monde était hystérique, moi aussi. Ce doit être un stress pour les partenaires, d'ailleurs : la projection (impressionnant de loin, on l'entend aussi bien que de près, même du fond de Bastille dans les pppp avec orchestre !) comme la maîtrise ont peu d'exemples… Par ailleurs tout à fait engagée sur scène, elle ne se complaît pas du tout dans la pure contemplation de ses possibilités, toujours au service de l'action. (En retransmission, où l'on n'entend pas cet impact, elle reste tout aussi médusante pour cette raison !)
Même à l'échelle de l'Histoire, je vois très peu de sopranes qui aient assuré les rôles verdiens avec autant d'arrogance, de sûreté, de constance et d'engagement. Je sais qu'un jour, les jouvenceaux baveront quand je dirai : « je me suis levé après le bis de Radva Regina » !
J'ai quand même une réserve : cette technique implique une mise au second plan des mots. Pour moi pour qui Curtis Verna / Tebaldi / De Osma / Tucci / Delunsch (

) sont un peu l'absolu verdien, il me manque cette composante ici. Mais on a tellement en échange…
Pour ceux qui se demandent quelles sont les notes ajoutées :
¶ interpolation dans la cadence de Tacea la notte (I,2, jamais entendue) ;
¶ ré bémol 5 à la fin du I (traditionnel) ;
¶ ut 5 dans le Miserere (IV,1), rare ;
¶ ut 5 dans Mira che acerbe lagrime (IV,1), rare aussi.
La mise en scène d'
Alex Ollé n'apporte pas grand'chose (peu d'interactions entre personnages – Luna tourne le dos et va vers le front de scène lorsque Leonora se donne à lui, par exemple !), mais elle n'est pas mal scénographiée : les tombes amovibles permettent de créer les lieux (tranchées des soldats, porche du palais, crénelage de Castellor…). Ensuite, la transposition en 14-18 manque vraiment de cohérence (une sorcière brûlée ? rien n'est explicité non plus sur les camps, sur les lieux assiégés…). Il y a même quelques soucis de compréhension littérale du texte : Leonora se tue pour ne pas se donner à Luna, mais elle l'embrasse à pleine bouche sans autre forme de procès… On sent Ollé peu à l'aise avec l'époque médiévale, à vouloir flanquer tout ça dans un coin familier.
Mais ça fonctionnait globalement et ça se regardait agréablement (pour une fois plus de loin que de près), ça va.
Pour finir, très admiratif de
Maurizio Benini : il assure une lecture très tradi mais pas pâteuse ni molle, et parvient à rattraper les décalages (Radva' qui n'entend pas l'orchestre au début du bis, à cause de cris d'exultation), à éviter les imprécisions habituelles… Avec lui, l'orchestre vit vraiment, et ne fait pas qu'accompagner à la louche (Rigoletto avec Luisotti, mon Dieu, c'était vraiment arrondi à la croche près…), il s'investit et participe du plaisir général, essayant de jolies choses çà et là tout en veillant de près aux chanteurs. Je crois que je n'avais jamais entendu ces mauvais sujets se bouger un minimum (même si encore bien en deçà de leur potentiel) pour du Verdi.
Benini était sur tous les fronts, expressif, et même lorsque les tenues de notes du plateau étaient amusicales, aucune couture audible !