Ce matin, je me suis dit: je vais en parler sur le forum.
C'est la première fois que j'y pense sérieusement. Ce n'était pas le cas hier, ni avant-hier.
Je ne suis pas encore sûr de savoir pourquoi.
Pour témoigner? Parce que cela me pèse? Ou pris trop de place dans ma vie et que j'ai besoin d'en parler à davantage de monde? Parce que j'ai besoin de tout le soutien que je peux prendre? Je ne suis pas sûr des raisons.
Je me suis laissé la journée pour y réfléchir et je crois que je ne vais pas changer d'avis. On verra d'ici la fin du message.
Peut-être que je vais le regretter... mais je ne crois pas, en tout cas je crois que je suis prêt à prendre le risque.
Ce que je vais vous dire, jusqu'ici, je ne l'ai pas crié sur les toits, je ne l'ai pas dit au tout début, puis j'ai pris conscience qu'il fallait en parler, en tout cas aux proches, que ça ne serait que du positif à terme, ou presque, mais je ne l'ai pas dit à tout le monde, loin de là.
Bien sûr, en le faisant, je me dévoile, tout le monde pourra lire ce que j'étale ici, je me mets dans une situation de vulnérabilité, mais là encore, je n'en suis pas si sûr.
Cela peut faire plus de bien que de mal.
Je n'ai jamais étalé ma vie ici, peu de gens le font, ce n'est pas un lieu qui est fait pour.
Mais, depuis presque 18 ans que ce forum existe, il est devenu (très vite d'ailleurs) un lieu important dans ma vie, j'y passe beaucoup de temps, j'y échange beaucoup, j'y vis beaucoup, finalement.
Et puis il y a des gens que j'apprécie ici, que j'estime, que j'affectionne.
Il y a quelques personnes que je croise très régulièrement au concert, à la Philharmonie ou à Radio France, et qui ne savent rien de ce que je vais dévoiler dans ce message. Et cela ne se voit pas tellement en général.
Peut-être que j'ai envie de leur dire, sans forcément le faire en face, ce qui a souvent été une épreuve quand je l'ai fait.
Il y a beaucoup d'anonymes aussi, mais est-ce un problème?
Qui sait, peut-être que quelqu'un ici est dans le même cas que moi et que ça me permettra d'en parler avec quelqu'un d'autre qui connaît cela.
Cela fait un an et demi que j'ai appris que je suis atteint d'un mal incurable et irréversible, une maladie cérébrale dégénérative, et là j'ai peut-être besoin de franchir un palier supplémentaire dans ma façon d'en parler, peut-être pour partiellement m'en libérer un peu plus que ce n'est le cas actuellement. Chacun fait à sa façon avec ce genre de choses, on le cache souvent, on le dit parfois, pas à tout le monde, en tout cas pas tout de suite. C'est honteux, même, peut-être, dans certaines têtes.
Je suis atteint de la maladie de Parkinson.
Je l'ai appris en septembre 2021, juste après avoir fêté mes 40 ans.
Comme vous, sans doute, je pensais que cette maladie était réservée aux personnes âgées, "la maladie de Parkinson, ce sont des vieillards qui tremblent", en gros.
Pourtant il y a des contre-exemples très connus. (Mohamed Ali, Michael J.Fox...)
Mais la moyenne du diagnostic n'est en fait que de 59 ans.
Du coup, 40 ans, ça reste jeune, mais je ne suis pas seul dans ce cas-là, loin de là.
Bon, ça ne console pas tellement pour autant.
Evidemment c'est un choc.
Evidemment on se dit pourquoi moi, et pourquoi tout court, et qu'est-ce qui va se passer... et comment je vais le dire à mes parents, et comment je vais le dire à ma fille??? Et c'est un choc pour tout l'entourage également, bien sûr...
Je vous passe le détail de comment je l'ai peu à peu compris avant qu'on me le dise clairement, mais bonjour la finesse et la diplomatie des médecins...
Quand vous voyez le résultat de l'examen que vous venez de passer, avec toutes les lumières allumées d'un côté du cerveau, et quasiment aucune de l'autre côté, vous vous dites qu'il y a un problème et pas un petit.
Pour en arriver aux conséquences directes, aux symptômes, et celui qui m'a tout d'abord inquiété... c'est bien ce tremblement.
Il n'est d'ailleurs pas présent chez toutes les personnes qui ont Parkinson (2/3), mais c'est bien mon cas, ça a été le premier symptôme. (après une première phase où simplement ma main se trouvait sans cesse fermée, sans que je ne contrôle vraiment cela)
Ca tremble en permanence, 24h sur 24. (hormis quand je dors, je crois)
Et il y en a eu vite d'autres, des symptômes, une multitude même, ça se compte quasiment en dizaines.
Ils sont plus ou moins gênants, plus ou moins présents, plus ou moins intimes, mais enfin, difficile de ne pas y penser, il y a toujours quelque chose qui me rappelle cette épée de Damoclès qui plane au-dessus, ou dans ma tête.
Mais sans rentrer dans les détails, je peux dire que chez moi (car ce n'est pas identique chez tous les parkinsoniens), les douleurs et crispations (du bras gauche surtout, de l'épaule jusqu'aux doigts, mais parfois ça arrive ailleurs et ça surprend) sont assez présentes, presque en permanence.
Il m'est souvent difficile de penser à autre chose, de travailler, de vivre normalement en fait.
Et oui, pour répondre à une question qui vous viendra sans doute, ma pratique du piano est déjà assez touchée, ma main gauche ne peut plus faire certaines choses du type trémolos ou notes répétées, même pas trop rapides. C'était le cas déjà dans les mois qui ont précédé le diagnostic. (il faut savoir qu'en moyenne on a la maladie depuis 5 à 10 ans quand est diagnostiqué)
Je ne suis pas démesurément touché par ce problème-là en particulier, car je n'ai pas une carrière de pianiste, je ne joue pas du piano 5 heures par jour, et ma pratique pour mon plaisir ou au travail n'est pas pour l'instant empêchée, cela amoindrit un peu les performances de ma main gauche qui n'a jamais été d'une virtuosité bouleversante, mais je continue à jouer, en ayant conscience de ce que je peux faire ou pas.
Evidemment ma hantise, une de mes craintes les plus terribles, c'est que ma main droite subisse le même sort, cela peut arriver très tard, ou très vite... J'ai parfois l'impression que cela arrive déjà (pas un tremblement, mais une crispation, une très légère douleur), mais ce n'est pas encore net.
Ecrire au clavier, notamment un long message comme celui-ci, crispe énormément ma main et bien sûr il arrive souvent que des lettres se mélangent et que je doive corriger. Je suis devenu très maladroit de la main gauche.
Aussi, je ne marche pas tout à fait normalement; c'est très léger, mais mon pied gauche piétine légèrement, et j'ai déjà fait une chute sans conséquence mais qui aurait pu être pire. C'est d'ailleurs le symptôme qui fait le plus chuter l'espérance de vie d'une personne atteinte par cette maladie. Il faut y faire très attention.
J'ai bien sûr un traitement, et j'aurai de toute façon des traitements assez lourds jusqu'à la fin de ma vie.
Est-ce que ça marche?
Ces traitements n'ont aucun effet sur la marche implacable de la maladie, ils ne sont là que pour traiter (très partiellement) les symptômes, si jamais ils servent vraiment à quelque chose, car il m'arrive assez souvent d'en douter.
Donc j'ai un traitement conséquent et quotidien, avec des horaires précis, mais sans être convaincu que cela serve à quelque chose.
Le facteur psychologique joue beaucoup: quand je parle de la maladie, des symptômes, la tension et la crispation du bras et de la main se décuplent quasi-automatiquement.
Ne plus en parler, ne plus y penser, n'est pas toujours suffisant pour faire disparaître les symptômes, mais souvent, cela a quand même un effet positif.
Certains sentiments peuvent aussi être décuplés, et je ne désespère pas d'y trouver du positif, d'une certaine façon.
Par exemple, je sais qu'il y a un risque qu'un jour, le plus tardivement possible, mais on ne sait pas quand, je sois très diminué dans mon autonomie et mes déplacements.
Jusqu'à quand pourrai-je aller au concert 1 ou 2 fois par semaine comme je le fais souvent?
Du coup je viens au concert dans un état d'esprit qui a progressivement évolué, et je crois que mes émotions en sont décuplées.
Je suis très souvent, plus souvent bouleversé.
Et à la fin du concert, je me dis souvent "encore un de gagné", encore un beau concert que cette putain de maladie n'aura pas pu m'empêcher d'aller apprécier.
Voilà, j'hésite sur quoi dire et quoi ne pas dire, c'est évidemment un sujet vaste, qui a pris beaucoup de place dans ma vie, et qui me cause beaucoup de désagréments et d'angoisses, ainsi qu'à mon entourage...
Mais si j'en parle, c'est que j'estime que cela ne doit pas être tabou, et que je me sens suffisamment en confiance pour en parler ici.
Je n'ai pas que des amis proches ici, mais pour la plupart, ou au moins certains, vous me connaissez depuis un certain temps, peut-être que vous aussi dans une certaine mesure vous m'appréciez ou vous sentez plus ou moins proches de moi.
J'ai décidé de parler si je jugeais que cela pouvait me faire du bien, donc aujourd'hui, ici, je le fais.
Votre possible soutien, je le prends.
Votre éventuelle compassion, je la prends.
Je prends tout ce que je peux prendre de positif.
Vous pensez surement, comme beaucoup de monde, que vous ne pouvez rien pour moi.
En fait ce n'est pas complètement vrai, j'en suis persuadé.
Je précise cependant que ce message n'est pas un appel à l'aide, mes mots sont pesés, réfléchis, le choc initial est passé depuis un moment, je suis aidé pour faire face à tout ça, ne vous inquiétez pas trop pour moi non plus.
Même si évidemment c'est dur, et de façon assez irrégulière selon les jours.
Si vous avez des questions vous pouvez me les poser, ici ou en message privé, à vous de juger.
Je me permets de vous en parler, donc vous pouvez vous permettre de m'en parler également.
On se rend compte, quand on cherche un peu, que si la maladie est connue, de nom, elle l'est en fait assez peu dans le détail.
Les symptômes possibles sont innombrables, et ils sont présents (ou absents) de façon différente selon chaque individu.
Maintenant j'en sais évidemment beaucoup plus, et c'est tant mieux, il faut savoir contre quoi on lutte.
Même si d'un autre côté il faut aussi penser à autre chose tant que possible!