• MorgenSTRAUSS: Vier letzte Lieder. Malven. Klavierstück, op. 3 nº1. Morgen, op. 27 nº4. / RACHMANINOV: Six Romances op. 38. Étude-Tableau op.33 nº2 / DUPARC: L’Invitation au voyage. Phidylé. Sérénade florentine. Aux étoiles (arr. pour piano). Chanson triste. Extase. La Vie antérieure.Elsa Dreisig (soprano), Jonathan Ware (piano)
Paris, VII.2019
EratoSi j’en crois ce qu’en disent habituellement
David,
Adalbéron et
Polyeucte (et même les glottophiles que hérisse la personnalité publique de la chanteuse), le lied et la mélodie seraient le meilleur répertoire d’Elsa Dreisig: peut-être avais-je du coup trop attendu ce disque - qui, je dois l’avouer, m’a assez nettement déçu.
Côté répertoire, que du connu, voire du très, très connu (même si la version piano des
Vier letzte Lieder n’est pas si souvent enregistrée.) La composition du récital est un peu bizarre - la notice d’intention des deux artistes est assez peu claire sur ce point: autant l’univers à la fois poétique et musical de Duparc, Strauss et Rachmaninov (un langage postromantique expansif et luxuriant, des atmosphères crépusculaires et nostalgiques) justifie de manière assez évidente leur rapprochement, autant la nécessité de mélanger les recueils, et même d’éclater un cycle aussi profondément concerté que les
Vier letzte Lieder, ne saute pas aux yeux.
Côté chant, c’est très bien, mais pas exactement ma tasse de thé. Le timbre est très beau, lumineux, un peu rond et homogène (mais sans doute pas assez typé pour m’électriser.) En revanche, j’ai été assez déçu par la diction et l’interprétation.
Certes, la diction reste globalement plus que très correcte: on a clairement à faire à une vraie
liedersängerin - mais à une
liedersängerin qui couvre déjà un petit peu trop pour mon goût, ce qui produit de beaux effets de
squillo mais amoindrit la focalisation et rend la diction un peu moins franche que je ne l’attendais; le résultat, c’est que souvent on n’entend de façon vraiment nette qu’une partie du poème, la proportion intelligible variant en fonction de la sollicitation des aigus et de la dynamique. Dans les Duparc et les Strauss, on se sent du coup dans une espèce d’entre-deux esthétique - ce n’est pas assez net et verbal pour satisfaire pleinement mon goût pour les chanteuses-diseuses, mais aussi trop articulé et pas assez capiteux vocalement pour une lecture ouvertement «instrumentale.» (Par ailleurs, toujours à propos de diction, dans les Strauss, l’aperture des sons vocaliques semble souvent un peu exotique - ce qui confirme l’impression que j’avais eue en entendant l’allemand de la chanteuse dans le 2ᵉ Quatuor de Schoenberg sur le disque des Arod.)
Quant à l’interprétation, elle m’a surtout paru très appliquée, au détriment du relief: on sent une sorte de volonté d’articuler chaque syllabe (ce qui explique probablement les tempi globalement lents) tout en préservant la continuité de la ligne mélodique - peu de détachés, des phrasés assez liés et homogènes, peu accidentés, bridant un peu l’intensité verbale. Le résultat est beau, et convient particulièrement bien à l’écriture de Strauss (probablement aussi de Rachmaninov, mais je manque de repères dans la mélodie russe); je trouve ça en revanche assez frustrant dans Duparc: j’avais encore dans l’oreille l’interprétation de
L’Invitation au voyage par Véronique Gens (dans le récital
Néère, intensément éloquente) et, par comparaison, la lecture d’Elsa Dreisig semble vraiment trop précautionneuse.
Par ailleurs, je suis un peu décontenancé par la prestation du pianiste Jonathan Ware: celui-ci semble avoir été partie prenante dans l’élaboration du récital, dans le texte de présentation il parle éloquemment de l’écriture pianistique des trois compositeurs, il s’est réservé trois plages de piano solo (dont la rare version pour piano d’
Aux étoiles de Duparc); pourtant, ce que l’on entend manque singulièrement de couleurs, de relief, d’intensité pour des compositions où l’écriture pianistique est si foisonnante: on a vraiment l’impression d’entendre un pianiste-accompagnateur à la Moore-Parsons (alors que, sur la scène française, enregistrant pour des labels indépendants, on trouve des gens comme Alain Jacquon, François Kerdoncuff, Jeff Cohen, Susan Manoff, Tristan Raës, Anne Le Bozec...)
Au total, donc, un beau disque, mais qui reste très en-deçà de ce que j’attendais d’Elsa Dreisig dans ce répertoire-là après ce que j’avais pu lire d’elle ici.