RF - Rachma symphonie 1, Chosta 6, ONF/N.Jarvi 17/01/19

Bonjour,

J'ouvre un sujet pour le concert du national qui aura lieu jeudi 17 janvier 2019 à l'auditorium de la maison de la Radio. Jarvi père vient faire sa visite annuelle avec, une fois n'est pas coutume, un programme 100% russe.

Deux symphonies russes parmi les plus mystérieuses du répertoire : la Première de Rachmaninov, écrite par un jeune homme de vingt-deux ans ; la Sixième de Chostakovitch, élégiaque et grimaçante comme un paysage de l’âme. Au pupitre, Neeme Järvi, le plus chaleureux des chefs venus du froid.

Sergueï Rachmaninov
Symphonie n°1

Dimitri Chostakovitch
Symphonie n°6

Orchestre National de France
Neeme Järvi direction

A 80 printemps passés, Neeme Järvi est un chef qu'on ne présente plus, issu du moule de la formation soviétique, père de chefs d'orchestre reconnus (dont Paavo Järvi), il est passé expert dans le répertoire russe. Doté d'un charisme incontestable, il n'a besoin que de peu de gestes pour faire jouer l'orchestre. Le programme qu'il a concocté pour cette soirée mettait face à face deux symphonies russes, qui chacune commence de manière assez sombre pour se terminer assez glorieusement.

Pourtant, le mot gloire n'a pas toujours été associé à la première symphonie de Rachmaninov. Composée en 1894 et créée l'année suivante, il est possible de dire qu'elle est assez mal née. En effet, le chef qui dirigeait la première était en état d'ébriété pendant le concert, il s'agit du fameux Alexandre Glazounov (d'ailleurs professeur de Chostakovitch, lequel lui procurait de l'alcool de contrebande pendant les premières années de l'URSS). L'échec de cette création causa une longue dépression au compositeur. Partition à haut risque qui demande rigueur et précision, notamment en raison de ruptures de rythmes et de bien d'autres joyeusetés. Page étonnamment moderne provenant d'un jeune Rachmaninov âgé de 21 ans lorsqu'on la compare au reste de son oeuvre symphonique. Construite de manière cyclique, un peu comme la symphonie en ré mineur de César Franck, le même thème sombre revient sans cesse tout au long des quatre mouvements. Quatre notes (do - ré - mib - ré) qui jalonnent l'oeuvre et offre peu de répit, ni de véritable résolution. Le premier mouvement, noté Grave - Allegro non troppo, est très lyrique, lent, les cuivres s'expriment avec beaucoup de chaleur et disposent en premier du fameux thème. Le légato des cordes est très beau, mais le tout commence assez calmement avant de s'accélérer. Dans le II, Allegro animato, on ressent comme quelque chose constamment en suspend, sombre, éclairé par le solo de violon dans un style un peu tzigane interprété superbement par Sarah Nemtanu, premier violon de l'ONF. Le III, Larghetto,  continue avec le même motif, énoncé ici par les cordes, le style est ici romantique mais le chef, n'en fait pas trop et évite le côté sirupeux, les instruments dialoguent, notamment les cors et les cordes. Enfin, le finale, Allegro con fuoco, entre totalement dans la démesure. Plus la symphonie avançait, plus l'orchestre était alerte tant et si bien qu'arrivé ici, il donnait sa pleine mesure. Fanfare de trompettes, déluge de percussions avec la caisse claire, le triangle, les timbale, les cymbales, la grosse caisse et surtout l'immense coup de tam-tam suivi d'un point d'orgue. Beaucoup de rythme, de passages syncopés, de contretemps. Le temps est brisé entre des cavalcades de croches aux cordes, avant d'enfin reprendre le thème de manière douloureuse. Mais cette puissance déployée n'est pas libératrice, elle ne fait que renforcer l'incertitude qui jalonne l'ouvrage même si le final est assez lumineux. L'orchestre est totalement engagé dans cette fin énergique et éprouvante.

Après l'entracte, place à la 6ème symphonie de Chostakovitch, composée peu avant le début de la Seconde Guerre mondiale. Pas encore tout à fait une symphonie de guerre comme la 7ème qu'elle précède. Elle s'ouvre pourtant dans une ambiance très sombre. Assez parente de la 5ème symphonie, elle a toutefois un mouvement en moins, ce qui fait parler de symphonie sans tête. Le premier mouvement, Largo, est très sombre, le thème se lamente la première fois qu'il apparait aux cordes avec force vibrato. Puis l'ensemble s'éclaire avec l'Allegro en II, la petite clarinette est joyeuse, les cuivres sont opulents, le tutti est très puissant, beaucoup de rebond dans la musique et le maestro Järvi frétille sur sa chaise. Enfin, le Presto montre un orchestre très alerte et bien en place. Cela ressemble aux caractéristiques les plus saillantes de Chostakovich avec beaucoup d'humour, de sarcasmes et un petit côté grotesque qui semble figurer un match de football selon les musiciens de l'orchestre de Leningrad à l'époque de la création. Le compositeur étant un féru de ce jeu. Les musiciens ne s'y trompent pas en affichant un sourire permanent. On remarque une fois de plus un très joli solo de violon de Sarah Nemtanu. Symphonie concise, représentative de l'oeuvre et de la personne de Chostakovitch, avec un côté dépressif qui contraste avec une fausse joie et un petit côté violent dans l'humour. L'ouvrage a été donné dans une lecture experte par Neeme Järvi, qui a une fois de plus triomphé à la tête du national.

Très beau concert, bien décrit par Andika !

C'était la première fois que je voyais Järvi "père". J'adore la symphonie n°1 de Rachmaninov et je ne connaissais pas du tout la n°6 de Chostakovitch, malgré quelques écoutes sur Internet pour préparer le concert.

Rachmaninov : tempo lent et appuyé dès le premier mouvement. Le thème de 4 notes est vraiment inquiétant, sinistre, il installe un suspens angoissé avec un minimum de moyen. Ce thème a été repris dans le film Stalingrad, où on il contribue grandement à l'ambiance terrifiante de la traque entre un nazi et un soviétique, au milieu des ruines et de la guerre... Thème magnifiquement exposé jeudi soir ! Frissons dès les premières notes.
Malheureusement, le tempo lent et la direction vraiment minimaliste de Neeme Järvi ne m'ont pas emballé de la fin du premier mouvement au troisième. Plusieurs longueurs m'ont fait décrocher. Dès les premières notes du quatrième mouvement, la tension reprend et ne lâche plus. Mouvement difficile à réussir, souvent tourné en fanfare sur disque. On se demande tout au long du mouvement jusqu'où ça va nous mener, tellement la tension monte et monte encore, jusqu'à un point de relâchement particulièrement puissant en quantité sonore et en intensité. La fin qui reprend le thème initial de plus en plus fort, de plus en plus épuré, de plus en plus appuyé est déchirante. Excellente intervention du percussionniste sur lequel reposait toute la réussite de ce final.
C'était magnifique, intense, malgré quelques baisses de tension aux deuxième et troisième mouvements.

Malgré tout, je n'ai jamais réussi à retrouver une qualité d'interprétation en concert de ma version de référence au disque, à savoir une direction par Gennady Rozhdestvensky de l'Orchestre du ministère de la culture de l'URSS. Connaissez-vous cette version ? Je vous la recommande vivement, car j'accumule les interprétations diverses au disque, et je n'ai jamais retrouvé autant d'émotions.

Chostakovitch : Neeme Järvi semblait parfaitement à l'aise dans ce répertoire. A l'inverse du morceau précédent, sa lecture m'a semblé plus accessible que la plupart de mes écoutes par ailleurs. Mis à part le premier mouvement lent qui m'a passablement ennuyé, les mouvements suivants m'ont surpris : rapides, vivifiants, parfois drôles comme le souligne Andika. Vraiment une belle réussite qui m'incite à réécouter cette symphonie par d'autres chefs.

Pas de rappel, mais un véritable triomphe pour Neeme Järvi, avec une partie du public debout (mais pas pour partir plus vite hein !).

Rocktambule a écrit:

Très beau concert, bien décrit par Andika !

Malgré tout, je n'ai jamais réussi à retrouver une qualité d'interprétation en concert de ma version de référence au disque, à savoir une direction par Gennady Rozhdestvensky de l'Orchestre du ministère de la culture de l'URSS. Connaissez-vous cette version ? Je vous la recommande vivement, car j'accumule les interprétations diverses au disque, et je n'ai jamais retrouvé autant d'émotions.

C'est noté, je vais essayer d'écouter ça !

Je suis bien content que quelqu'un d'autre sur ce forum ait assisté à ce concert qui m'a semblé très bon. Sinon, oui, le premier mouvement de la 6ème de Chostakovitch est beaucoup trop sinistre, j'avais le jetons dans la salle !

andika a écrit:

C'est noté, je vais essayer d'écouter ça !

Elle n'y est ni sur Youtube ni sur Deezer. Sinon, elle se trouve en CD dans ce merveilleux coffret Intégrale de Rachmaninov où les interprétations sont vraiment excellentes, y compris par des noms méconnus (https://www.amazon.fr/Serge-Rachmaninov-Loeuvre-int%C3%A9grale/dp/B001IAGQXG/ref=sr_1_1?ie=UTF8&qid=1548071291&sr=8-1&keywords=int%C3%A9grale+rachmaninov).

Edit : la version par ce chef sur Youtube est par l'orchestre de la BBC : limite pas en place, quatrième mouvement fanfare à souhait et fin du final ratée car sautillante au lieu d'être lourde et appuyée. A éviter !

Une critique du concert sur Bachtrack: https://bachtrack.com/fr_FR/critique-rachmaninov-chostakovitch-neeme-jarvi-orchestre-national-de-france-auditorium-maison-de-la-radio-paris-janvier-2019?platform=hootsuite