Le concerto pour violon de Dutilleux s'appelle l'Arbre des songes. Il s'agit d'une commande de Pierre Vozlinsky au nom de Radio France, datant de 1979. Le concerto a été créé en 1985 au Théâtre des Champs-Élysées, par le National dirigé par Lorin Maazel avec le violoniste Isaac Stern à qui il était dédié. Leonidas Kavakos quant à lui travaillait cette œuvre durant son service militaire en Grèce, d'où son attachement à ce concerto. Et c'est une partition qu'il défend avec vigueur. En quatre mouvements qui s'enchaînent mais toutefois, pas de facture classique ou romantique. Il ne s'agit pas d'un morceau de bravoure pour le soliste même si les difficultés sont présentes. Cette pièce joue sur les climats et les timbres avec une orchestration d'une richesse rare. On y convoque par exemple l'inhabituel hautbois d'amour ou encore le cymbalum. Au niveau de la forme, on a un sujet qui fait l'objet de variations incessantes. Tout au long de l'exécution, le chef conserve une clarté du son dans l'orchestre, dans un style brillant bien français. Le soliste quant à lui rend les choses très fluides par son jeu, dans lequel on perçoit une grande expressivité. L'arbre des songes, c'est le jeu sur les timbres (ces aigus) aux cordes, c'est la richesse de l'orchestration, c'est l'imagination débridée. D'où l’absence de bis !
En deuxième partie, après l'entracte, place maintenant à la Symphonie n°6 de Bruckner, surnommée par ce dernier « Die Keckste » (la plus effrontée). Chose étonnante et inhabituelle, il ne l'a jamais révisée, peut-être parce qu'elle n'a été créée entièrement que de manière posthume, ou simplement parce que l'esprit lui avait parlé de façon claire dès le début. Issue d'une période assez heureuse où il avait l'opportunité d'improviser à sa guise sur le grand orgue de Linz. Achevée en 1881, il a fallu attendre l'année 1899 pour qu'elle soit créée à Vienne par Mahler, et encore, dans une version avec des coupes. Et pourtant, que couper de cette symphonie de près d'une heure, d'une richesse et d'une hardiesse phénoménales. On parle souvent de l'austérité du chrétien Bruckner, des ses longues symphonies bâties telles des cathédrales, de son écriture par blocs. Mais Bruckner, c'est aussi la fougue, le son massif, la force, la virtuosité, et n'ayons pas peur de le dire, le plaisir ! Le plus grand défi est de conserver la cohérence entre les différents plans sonores, et d'y imprimer de la personnalité dans l'interprétation. L'orchestration de cette symphonie est assez rudimentaire, bois par deux, quatre cors, trois trompettes, trois trombones, un tuba les cordes. Et pourtant, ça sonne de fort belle manière, sans artifice. La sobriété de Chung se fond parfaitement dans cette partition. Il offre une mécanique bien huilée. Un son clair, vigoureux. La tension de l'ostinato de cordes du début premier mouvement Maestoso est bien rendue aux cordes graves. L'énergie est ménagée pour mieux se déployer dans les tuttis ou lorsque les cuivres doivent se déployer à pleine puissance. En même temps, des passages laissent la part belle à la petite harmonie, comme par exemple à la très belle flûte solo de Magali Mosnier. L'acoustique de l'auditorium de la maison de la radio encaisse sans mal ce volume sonore et il devient très plaisant de goûter à ces fortissimos. Le deuxième mouvement est noté quant à lui Adagio. Sehr feierlich (très solennel). Tempo large, progression dynamique gérée avec délicatesse par Chung, équilibre des plans sonores parfait et surtout, superbe hautbois solo d'Olivier Doise dans une véritable lamentation au début, avant de laisser les cordes prendre la main dans un thème au lyrisme exacerbé. Musique majestueuse et riche, où l'on apprécie le contrechamp et surtout la manière qu'a de circuler subtilement le thème entre les violons et les violoncelles placés de part et d'autre du plateau. Le long silence à l'issue de ce mouvement est un moment de recueillement profond. La rupture de ton est des plus radicales avec le Scherzo qui suit. D'une part, il n'est plus question de solennité. Et d'autre part, le corps même de ce mouvement est fondé sur des ruptures de ton et de rythme assez plaisantes. La mélodie qui s'échange entre les différents pupitres, qui prennent chacun leur tour la balle au bond, cette petite harmonie supplétive qui colore l'ensemble de façon remarquable. C'est un peu une vision de paradis que d'entendre ce pupitre jouer ses parties dans cette symphonie. Et enfin, cette tenue des cordes dans les graves. Et que dire de ce trio élégant, qui calme un peu les choses dans ce mouvement au tempo effronté. Enfin, le final, Bewegt, doch nicht zu schnell (agité, mais pas trop rapide) est impressionnant de puissance et de précision. On revisite un des thème du I et on dépolit encore une grande verve musicale. Mouvement parfois décrié, il n'en est pourtant pas moins plaisant que le reste de la symphonie. La 6ème symphonie de Bruckner est de façon incompréhensible la mal aimée de ce compositeur. Et pourtant, elle recèle de beautés tout à fait saisissantes. Myung-Whun Chung tout en sobriété, est parvenu à y mettre a patte en conservant constamment clarté et conviction dans sa direction. En entendant cela, on veut encore plus de Bruckner à Paris !