¶ François Chouverd & Bénédict Thouze – La Grippe-Fleur choucarde
Jean-Paul Fouchécourt, Lucas Debargue (sur Érard 1999)
(enregistrement salle Wagram le 12.09.2000 et villa Debargue les 03-04-05-06-07-08-09.05.2020. HM-EMI-Warner-Erato.)
Extrait
Trimarder, c’est le fade du gripis,
Trimarder!
Sûr, c’est un gripp’-fleur à trois sous la brouette,
Çui qu’a jamais gambergé de trimarder,
Trimarder !
C’est le bouillon qui nous a dessalés,
C’est l’bouillon !
À la flemm’ ni au luisant ni à la brune,
I’ n’ se croutonne jamais que de trimarder,
C’est l’bouillon.
Ça s’pige aussi avec les roues d’chignole,
Les roues d’chignole !
E’ blair’ pas d’êt’ plantées comm’ des échalas,
Y faut qu’elles tournaillent toute la journaille,
Les roues d’chignole !
Mêm’ les caillasses, e’s ont beau êt’ mastoc,
Les caillasses!
Elles guinchent en rond, elles en sont tout’s jouasses,
Et elles veul’ toujours mettre plus fort les gaz,
Les caillasses!
Oh trimarder, trimarder, mon panard,
Oh, trimarder !
Eh vozigues, mon taulier et ma taulière,
Lâchez-moi don’ les joyeuses que je puisse
Trimarder.
Une aventure éditoriale et humaine
Parution inattendue d'un disque qui a bien failli ne jamais voir le jour. Lorsque Lucas Debargue, à l'aube de ses 10 ans, reçoit un Érard spécialement conçu pour concurrencer le Steinway de concert du grand salon dont il trouve les basses trop puissantes – et le clavier trop haut –, il cherche d'emblée un projet artistiquement cohérent pour rendre hommage à ce beau cadeau.
De son côté, Jean-Paul Fouchécourt vient de découvrir l'existence du cycle du tandem Thouze-Chouverd, d'une verve irrésistible – un des très rares cycles en français dialectal du répertoire. Cependant, la musique en est si simple qu'aucun pianiste ne se révèle intéressé. Alain Planès prétend même qu'il est en train d'enregistrer une intégrale Beethoven – ce qui a depuis été révélé comme une affabulation polie (cf. La Lettre du Musicien du 07.05.2017 : « Alain Planès a menti »). Cependant Jean-Paul Fouchécourt sent que sa voix commence à lui échapper. Il obtient d'Harmonia Mundi, déjà en plein revirement éditorial, d'enregistrer les bandes sur sa voix seule, et de se préparer pour un re-recording éventuel.
Lui-même se remet d'arrache-pied au piano, quand il croise à Musicora le jeune Debargue de 10 ans qui lui parle de son projet : trouver un sens à son cadeau. Il se sont dit rendez-vous dans dix ans, même jour, même heure, mêmes pommes, ils se verront quand il aura vingt ans.
Et puis le tourbillon des carrières, vous savez ce que c'est. Debargue devient célèbre, enregistre les piliers du répertoire pianistique comme Scarlatti et Messiaen.
Ce n'est qu'en avril dernier qu'ennuyé par le confinement, celui-ci se décide à répondre favorablement au démarchage de Warner pour le débaucher de Sony. Il accepte à condition de recevoir en secret du matériel d'enregistrement professionnel : son premier disque sera pour tenir sa promesse. À la suite de négociation rocambolesques où Warner parvient à obtenir les bandes de Fouchécourt chez Harmonia Mundi en se faisant passer pour EMI (y a-t-il un pilote dans le navire HM ?), Erato sonnant trop comme une maison concurrente au oreilles de l'autre ancien label pionner de la musique baroque française.
Debargue grave sa partie en mai, et c'est la fusion des deux bandes, à distance dans l'espace et dans 20 années de temps, que vous entendez au disque. Thouze ayant révisé son texte dans l'intervalle, Jean-Paul Fouchécourt a même réenregistré de son côté la dernière chanson, jouée en bis de leur premier concert post-confinement (à distance bien sûr !).
Critique
Cette version dialectale des chansons de Chouverd a pour mérite de réactiver le sens d'expressions trop démonétisées, de raviver ses couleurs qui pouvaient sembler passées, lui redonnant ses lettres de noblesses paradoxales d'un authentique art populaire.
Les conditions d'enregistrement sont évidemment sensibles, la voix réverbérant largement dans Wagram tandis que le piano (droit ? Kawai quart de queue mal réglé ?) semble capté dans un placard. Pour ne rien dires des chansons reprises a posteriori par Fouchécourt, où l'état de la voix démontre dramatiquement l'urgence pressentie par le chanteur d'enregistrer ce chef-d'œuvre au plus tôt.
Pour autant, le naturel de la diction et la sophistication de l'accompagnement fusionnent pour donner à ce qui ne pourrait être qu'un standard de crooning un peu canaille, à classer entre La Madelon et Mon légionnaire, des allures d'œuvre d'art authentique, comme un lied viennois des origines.
Une épopée à découvrir pour le frisson de l'aventure, en dépit de toutes ses imperfections. Tout particulièrement VI. « Le Doulos » et XX. « Le bail de l'oued ».