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| | Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI | |
| | Auteur | Message |
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Belcore Mélomaniaque
Nombre de messages : 1048 Date d'inscription : 28/09/2017
| Sujet: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Mar 25 Juin 2019 - 9:54 | |
| J'y vais vendredi.
Je garde un excellent souvenir des quelques œuvres de Stockhausen entendue en concert : Hymnen, mais surtout plus récemment Stimmung entendu lors d'un Festival Messiaen - une merveille...
Belcore |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Mar 25 Juin 2019 - 19:21 | |
| J'y serai moi aussi vendredi! Je me permets de reproduire ici une description sommaire, que j'avais postée dans le fil Stockhausen après ma découverte de l'œuvre au disque - un grand choc. - Spoiler:
Première écoute de l’œuvre en version «opéra» et... contre toute attente, j’ai beaucoup aimé! Plus que ça, même: la seconde moitié de l’œuvre m’a littéralement scotché. Vraiment une grande claque. Je dirais tout d’abord qu’il importe de ne pas se laisser enfermer dans des réactions un peu radicales au propos dramatique de l’œuvre: ni la prendre trop au sérieux (et se triturer les méninges au sujet d’une profondeur ou de logiques ésotériques supposées), ni en ricaner a priori (car, oui, on y trouve tout un fatras mystique proto- New Age et certains gimmicks du théâtre d’avant-garde des années 70) - mais pas non plus décider qu’on ne va se concentrer «que sur la musique», parce qu’il y a aussi un impact lié au contexte théâtral de l’œuvre: sa matérialité instrumentale et vocale très prégnante, son caractère incantatoire ou chorégraphique assez prenant. Il convient aussi de se défaire de l’idée d’un Stockhausen «complexe» ou «intellectuel», car cette musique frappe surtout par son caractère parfois étonnamment consonnant, ses tendances itératives et jazzistiques (pas si éloigné de certains minimalistes américains comme Young ou Riley, ou de certaines performances du free jazz) et son immédiateté presque naïve - je n’ai jamais ressenti aussi clairement le lien, apparemment paradoxal mais justement souligné par lulu, de Stockhausen avec la Neue Einfachheit (je vois d’importantes convergences avec, par exemple, Tutuguri de Rihm.) Pour un descriptif rapide... La première scène s’ouvre sur une fanfare aux harmonies modales distordues et répétitive, LUZIFERs GRUSS, très prenante et continue par un LUZIFERs TRAUM qui n’est autre que le Klavierstück XIII - une pièce pour piano de 3/4 d’heure qui m’a paru essentiellement mélodique, et vraiment belle, entrecoupée d’échanges mi-parlés mi-chantés entre la basse (Lucifer) et la pianiste (incarnant une musicienne onirique) - mais il faudrait que je réécoute encore (j’ai toujours l’impression de rester un peu à la surface des Klavierstücke.) La seconde scène, KATHINKAs GESANG (ou LUZIFERs REQUIEM), la partie que j’ai le moins aimé, est un échange entre une flûtiste (incarnant la «chatte noire Kathinka») et un groupe de percussionnistes (incarnant les six péchés mortels); on est plutôt là comme dans la version théâtralisée d’une «musique concrète instrumentale»: beaucoup de jeu sur les textures sonores, le souffle, les effets bruitistes... Il y a des choses très belles mais ça m’a paru assez étalé au regard de la minceur de la matière musicale. En revanche, la troisième scène, LUZIFERs TANZ est terriblement prenante: accompagnant (mais dépassant largement) un récitatif de la basse, c’est une sorte de grand poème chorégraphique incantatoire, pour le coup souvent très jazzy (tendance free, malgré une superbe cadence de trompette piccolo mélodique et modale), avec un ensemble de cuivres et de percussions (représentant un visage humain géant qui s’agite peu à peu) et des interventions de la flûte et du piccolo (toujours la chatte noire) et de la trompette (le personnage récurrent du cycle, Michael): pour peu que l’on entre dans sa temporalité, elle aussi très «dilatée» (mais ici le matériau musical est d’une richesse et d’une variété remarquable - du point de vue des rythmes, de l’écriture mélodique, des textures...), c’est tout simplement magnifique! À recommander aux fans de Sun Ra période new-yorkaise ou de l’Art Ensemble of Chicago de Fanfare for the Warriors... (En revanche, la version alternative de la conclusion, qui met en scène une «grève de l’orchestre», est franchement dispensable, dans le genre caricature de théâtre expérimental.)La quatrième scène, LUZIFERs ABSCHIED, consiste en fait en un long chœur (représentant 3 x 13 moines), accompagné à l’orgue électrique, aux trombones et aux percussions et avec des effets acoustiques, qui décrit la victoire des vertus cardinales sur les péchés mortels¹... sur un texte de François d’Assise (là aussi: perspicacité de lulu quant à la catholicité fervente de Stockhausen!) On y retrouve le travail sur les effets phonatoires de Stimmung, mais avec des effets de halo choral qui se rapprocheraient parfois du Ligeti à la fois angoissé et planant de Lux æterna et des éclats solistes tirant eux davantage vers celui des Nouvelles Aventures - avec des moments de Sprechgesang distordu et des effets d’homophonie et des chromatismes surprenants. Et puis une monté graduelle de la tension qui en exalte encore le caractère incantatoire. (Là aussi, autre intuition paradoxale mais totalement justifiée de lulu: pas impossible qu’il y ait là une volonté de se confronter à... Orff.) Et puis cette fin, étonnamment sereine, qui met en scène une sortie d’église parmi les volées de cloches et les pépiements d’oiseaux... Franchement, malgré quelques scories «d’époque», les troisième et quatrième scène sont terriblement prenantes et suffiraient à elles seules à justifier une écoute. Décidément, Sto, ça peut être immense... ¹ À ne pas confondre avec les vertus théologales et les péchés capitaux.
Tous les détails sont ici (apparemment, c'est complet pour les deux soirées.) À noter que le public devra se déplacer de la Cité de la Musique (où seront donnés le Gruss et les trois premières scènes) à l'église Saint-Jacques-Saint-Christophe de la Villette, place de Bitche (où sera donnée la scène 4) - mais 20 minutes de marche entre neuf et dix heures du soir, le long du canal de l'Ourcq, ça peut être rafraîchissant après une journée de canicule. Ceux qui comme moi auront eu la chance d'assister aux représentations de Donnerstag aus Licht, en novembre dernier à l'Opéra Comique retrouveront la plupart des acteurs de ce magnifique spectacle: le trompettiste Henri Deléger dans le rôle de Michael, la basse Damien Pass dans le rôle de Lucifer, la danseuse Emmanuelle Grach (extraordinaire Michael dans Donnerstag), le pianiste Alphonse Cemin et le chef Maxime Pascal avec son ensemble Le Balcon et l'Orchestre du CRR de Paris (mais l'orchestre d'harmonie ce week-end alors que c'était l'orchestre à cordes à Favart); la direction scénique sera de Damien Bigourdan, le ténor qui jouait le rôle de Michael dans l'acte I de Donnerstag. Et il seront rejoint par rien moins que le Chœur de l'Armée française. C'est peu dire que je suis très impatient d'assister à cet incroyable Gesamtkunstwerk! |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97860 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Mar 25 Juin 2019 - 21:44 | |
| Merci pour ta présentation. Je trouve Samstag moins fascinant que Donnerstag – peut-être parce que le piano, qu'il a plus de peine à intégrer dramatiquement, y joue une plus grande place.
Sinon je souscris à tout ce que tu en as dit : on peinerait à se représenter ce qu'est cet objet en lisant les commentaires des admirateurs et détracteurs de Strockhausen. C'est avant tout une musique sensible, pas très complexe à écouter (monodies, ou polyphonies très à nu, sans habillage)… il y a des longueurs évidentes (le livret bizarre ne soutenant pas toujours l'attention, et les redites étant nombreuses), mais aussi de réelles beautés de très, très haut vol.
Plus qu'un pionnier ou un expérimentateur, Sto était un poète à ses heures.
Il reste des places sur la bourse aux billets. (J'y serais volontiers allé, mais c'est un peu cher pour moi vu ma consommation de spectacles, surtout que je risque vraiment trouver ça fascinant, beau mais très long…) |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Mar 25 Juin 2019 - 21:51 | |
| - DavidLeMarrec a écrit:
- Je trouve Samstag moins fascinant que Donnerstag
En tant que totalité, Samstag est probablement plus inégal, oui, mais les beautés des scènes 3 et 4 n'ont, à mon sens, pas d'équivalent dans Donnerstag. - DavidLeMarrec a écrit:
- peut-être parce que le piano, qu'il a plus de peine à intégrer dramatiquement, y joue une plus grande place.
D'un autre côté, cette incorporation du Klavierstück XIII, si elle est peut-être théâtralement pas totalement satisfaisante, m'a vraiment permis d'entrer dans cette pièce qui, dans sa forme purement pianistique, me résistait pas mal jusque là. - DavidLeMarrec a écrit:
- Plus qu'un pionnier ou un expérimentateur, Sto était un poète à ses heures.
Oh que oui, et en particulier dans ces premiers volets (en termes de date d'achèvement) de Licht. |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
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| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Mar 25 Juin 2019 - 22:00 | |
| Ah, moi c'est l'inverse, j'aime beaucoup les Klavierstücke en isolé, mais là (sans le visuel il est vrai !), ça me laisse un peu au bord du gué. Il faut que je retente les scènes 3 et 4 pour me décider, alors ! Des moments / minutages à conseiller plus exactement ? - Citation :
- ["DavidLeMarrec"]Plus qu'un pionnier ou un expérimentateur, Sto était un poète à ses heures.
Oh que oui, et en particulier dans ces premiers volets (en termes de date d'achèvement) de Licht.[/quote] … et à l'autre bout pour le cycle Klang, probablement ce que j'aime le plus de lui. |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Mar 25 Juin 2019 - 22:04 | |
| - DavidLeMarrec a écrit:
- Il faut que je retente les scènes 3 et 4 pour me décider, alors ! Des moments / minutages à conseiller plus exactement ?
Pas vraiment - je ne pense pas que ça puisse fonctionner en bouts: la dimension de déploiement temporel est quand même assez consubstantielle à ces deux scènes (ne serait-ce que pour le tissage de matériaux très différents en termes de langage.) |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97860 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Mar 25 Juin 2019 - 22:06 | |
| Donc tu veux dire que l'entièreté des scènes 3 & 4 est incommensurable ? Je suis vraiment passé à côté, alors. |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Mar 25 Juin 2019 - 22:11 | |
| Non, bien sûr, mais je dirais que c'est un peu comme Wagner: c'est inégal, il y a des longueurs, mais on perd énormément à l'écouter en tranches plutôt qu'en continuité. |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97860 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Mar 25 Juin 2019 - 22:14 | |
| - Benedictus a écrit:
- Non, bien sûr, mais je dirais que c'est un peu comme Wagner: c'est inégal, il y a des longueurs, mais on perd énormément à l'écouter en tranches plutôt qu'en continuité.
Évidemment. Mais disons que pour se lancer dans Tristan, si tu donnes le duo Brangäne-Isolde du début du II ou « O diese Sonne », tu donnes un point d'accroche. Là pareil, et je n'aurai pas le temps de tout réécouter d'ici la fin de semaine. |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Mar 25 Juin 2019 - 22:17 | |
| Il faudrait que je réécoute ça pour te dire... et je n'ai pas sûr d'avoir le temps pour te convaincre d'ici samedi. |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97860 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Mar 25 Juin 2019 - 22:21 | |
| Non, non, ne prends pas de ton temps pour réécouter… C'était si jamais tu avais eu quelque chose sous la main, comme dans le I de Donnerstag la polyphonie des parents, ou encore Mond-Eva…
Je réécouterai donc l'une des deux scènes en entier. Laquelle me conseilles-tu en priorité ? |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Mar 25 Juin 2019 - 23:01 | |
| Je viens de réécouter le 3, du coup... Je t'y recommanderais bien les boucles du début (Linker Augenbrauentanz, Rechter Augenbrauentanz), le solo de piccolo (Zugenspitzentanz et Bändertanz) et les grands tutti conclusifs (plages 23 à 26 du disque 3 chez DG.) |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97860 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Mar 25 Juin 2019 - 23:05 | |
| - Benedictus a écrit:
- Je viens de réécouter le 3, du coup...
Je t'y recommanderais bien les boucles du début (Linker Augenbrauentanz, Rechter Augenbrauentanz), le solo de piccolo (Zugenspitzentanz et Bändertanz) et les grands tutti conclusifs (plages 23 à 26 du disque 3 chez DG.) Parfait, merci ! Je viens de finir mon disque (cpo) (paru en mai) de musique de chambre de Loewe et je suis en train de boucler ma notule sur les habitudes rythmiques des partenaires de Callas… J'écoute ça ensuite ! |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Mar 25 Juin 2019 - 23:20 | |
| Quant au 4, les choses les plus saisissantes sont peut-être l'Eingang initial (un côté Ligeti avec des gutturalités à la Organum et cette soudaine averse de percussions...), les visions dantesques de la Période VII, la monodie suspendue de la période XII et sa métamorphose polyphonique et l'espèce poésie unanimiste des rumeurs de l'Ausgang. |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97860 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Mar 25 Juin 2019 - 23:32 | |
| J'ai réécouté le solo de piccolo et je retente la Danse du sourcil droit (dans des versions séparées et mal captées), j'y retrouve le côté un peu bricolage qui ne m'avait pas trop séduit. Bon, j'irai voir le Sixième Quatuor de Mendelssohn ou le Septuor à vent de Hindemith, samedi, si je n'en ai pas plus envie. (Je m'encroûte terriblement… ) |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Sam 29 Juin 2019 - 3:02 | |
| J'en rentre juste - à la fois exalté, abasourdi et émerveillé. Juste quelques remarques sur le vif: 1. Tout ce qui, à l'écoute du disque m'avait paru plus faible - à savoir la Scène 2 et la «grève de l'orchestre» qui conclut la Scène 3 - fonctionne en fait remarquablement bien en version scénique. Et d'une manière générale, ce à quoi j'ai assisté confirme ce que nous en disions: la poésie et l'émotion directe, presque naïve, du spectacle vivant, court-circuitent en quelque sorte tout ce qui relèverait du discours ou du concept (y compris celui du «livret» de Sto lui-même) pour emporter le spectateur avec une sorte d'évidence qui fait que même les choses les plus apparemment incongrues (les moines faisant exploser des noix de coco sur le parvis de l'église...) «passent.» 2. La Scène 2, KATHINKAs GESANG, m'a même paru être le sommet poétique de l'œuvre, porté par une sorte de grâce tant dans la qualité scénique (que ce soit les silhouette des six percussionnistes - frêles sous leurs costumes étranges qui intègrent leurs instruments et de petites guirlandes lumineuses - dispersés au balcon, ou, au centre de la scène, la flûtiste au visage si expressif finement sculpté par le maquillage et la lumière et dont les mouvements dessinaient une fragile chorégraphie, en équilibre sur le piano recouvert d'un drap noir) que par la musique (incomparablement mieux qu'au disque, on pouvait percevoir la finesse de textures de tous les objet percussifs, et les jeux d'écho, de circulation, de réponse de l'un à l'autre, leurs effets de pépiement et de miroitement dans les unissons - et toute la richesse du jeu de flûte, qui en exploite toute les possibilités, des lignes volubiles et virtuoses aux purs effets bruissants de souffle et à son usage étonnant comme amplificateur de chant vocal.) 3. Les deux scènes qui, au disque, m'avaient le plus frappé (la 3 et 4) fonctionnent tout aussi remarquablement sur scène. C'est peut-être dans la Scène 3, LUZIFERs TANZ, cependant, que la plus-value scénique m'a paru la moins forte, malgré la dimension gestuelle et les projections vidéo - peut-être en raison du côté globalement plus classiquement frontal de la scène et parce que la musique en est déjà assez directement éloquente et animée. Mais la Scène 4, LUZIFERs ABSCHIED, prend en situation une dimension incroyablement prenante: la circumgiration des membres du chœur autour du public, le déploiement spatial des cellules chantées (monodiques, déclamatoires ou purement phonatoires), l'impact des percussions corporelles (avec leurs gros sabots - ce n'est pas une image) ou liturgiques (crécelles et clochettes), les effet de faux-bourdon et de notes soutenues sur les jeux de fond de l'orgue, les fracas du plein jeu et de trombones qui semblent s'abattre dans la nef - tout contribue à un incroyable effet d'immersion, presque suffocant, tant le spectateur a la sensation physique d'être au milieu d'un intense tourbillon sonore. Et le Chœur de l'Armée française y est très impressionnant d'impact, de détail et d'engagement. 4. S'agissant de LUZIFERs TRAUM, la Scène 1, version scénographiée du Klaviertsück XIII: je n'osais pas trop contredire David lorsqu'il disait - Citation :
- Je trouve Samstag moins fascinant que Donnerstag – peut-être parce que le piano, qu'il a plus de peine à intégrer dramatiquement, y joue une plus grande place.
parce que, au disque, cela paraissait une opinion tout à fait défendable. Mais sur scène, et surtout dans cette mise en scène, avec la présence très physique de la basse Damien Pass mais aussi et surtout le fabuleux Alphonse Cemin - capable en même temps de jouer une pièce pour piano incroyablement complexe (qui, outre beaucoup de virtuosité digitale et de musicalité, demande au pianiste de jouer des percussions sur le châssis, d'aller pincer les cordes...) et de composer un vrai personnage en action, à la fois chanteur, mime et danseur. 5. J'ai trouvé très intéressante aussi la capacité d'interprétation de l'œuvre par les concepteurs du spectacle, Maxime Pascal et Damien Bigourdan. Comme dans DONNERSTAG à Favart (où la mise en scène était confiée à Benjamin Lazar), ils revendiquent une lecture qui, n'étant pas sous la supervision de la famille Stockhausen, reste fidèles à l'œuvre (à son ethos religieux comme à son économie scénique globale), mais en refusant tout littéralisme. Ainsi, certains costumes disparaissent: pas de trombone déguisé en diable dans la Scène 4 (de même que dans DONNERSTAG les clarinettistes n'étaient pas déguisés en «hirondelles clownesques.») Le traitement même de certaines scènes introduit des éléments assez étrangers aux premières créations: de même que, dans DONNERSTAG, Lazar avait privilégié, pour la première moitié de l'œuvre une lecture très contextualisée et didactique (très brechtienne), ici Pascal et Bigourdan introduisent des éléments visuels qui m'ont paru renvoyer, certes légèrement, à des données beaucoup plus contemporaines: culture queer (les déguisements et les maquillages de la première scène; la «danseuse à rubans», très androgyne, qui semble lutter pour s'extraire d'une gangue de latex noir qui l'enserre toujours de nouveau - ça rappelle certaines performances d'Arca); mangas (la coiffure et le maquillage du pianiste dans la Scène 1) ou comics (les cuirasses musculeuses et les visages d'or ou d'argent de Michael ou de la danseuse à rubans) - tandis qu'à l'inverse, les mains des choristes-moines de la Scène 4 reproduisaient des postures très finement imitées de l'iconographie religieuse médiévale... 6. Totalement bluffé (j'ai déjà cité certains d'entre eux) par l'engagement total de ces musiciens qui se font à la fois instrumentistes ou choristes, mais aussi mimes et danseurs - et jouent par cœur (selon l'injonction de Sto) une musique sans doute complexe à maîtriser. (Et qu'on ne vienne pas me dire «tu parles, dans une musique comme ça, on n'entendrait même pas les pains, hahaha»: les pains peut-être pas, mais des décalages rythmiques et gestuels sauteraient aux yeux et aux oreilles.) 7. Totalement fasciné par la puissance créatrice de Stockhausen: voici des œuvres dont le langage musical passe pour dépassé et dont la matière scénique paraît, sur le papier, relever de tous les gimmicks éculés du théâtre expérimental des années 70 - et qui, quarante ans après leur création, mobilisent aussi inconditionnellement leurs interprètes et conservent une qualité d'impact émotionnel stupéfiante sur un public nombreux (y compris des gens qui, manifestement, semblaient y aller à reculons, sachant que ce serait «spécial» et en sont ressortis enthousiasmés.) Au total, donc, un des spectacles vivants qui m'aura le plus frappé, touché, impressionné (vraiment une expérience qui saisit son public); et une œuvre que j'aimais déjà énormément au disque, mais qui après l'expérience du concert, peut assez facilement figurer dans les corpus de mes dix opéras (enfin, «opéra»...) préférés.
(Ah oui, et puis sinon, il m'a semblé reconnaître Adalbéron dans le public.) |
| | | DavidLeMarrec Mélomane inépuisable
Nombre de messages : 97860 Localisation : tête de chiot Date d'inscription : 30/12/2005
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Sam 29 Juin 2019 - 8:55 | |
| Hé bien. (Je n'ose pas dire où je vais ce soir… Véronique pour Quintette avec piano + nuit de l'orgue au Temple de l'Étoile) Je n'ai pas trop saisi pourquoi c'était le seul concert sans tarifs bas (ni même tarifs réduits pour les jeunes, à ce qu'on m'a dit !), mais ça fait plaisir de voir que ça fonctionnait. J'avoue que je trouve tout de même les durées écrasantes : se laisser saisir par une poésie aussi exotique et exigeante, ça marche bien pendant une heure, mais au delà, il faut un peu d'endurance ! Je suis tout de même assez marri de manquer ça… C'était plein sur le site, mais était-ce plein dans la salle ? Si oui, ils continueront sans doute à nous offrir des expérimentations dans ce genre ! |
| | | Belcore Mélomaniaque
Nombre de messages : 1048 Date d'inscription : 28/09/2017
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Dim 30 Juin 2019 - 10:24 | |
| Fatigué je n'ai pas eu l'énergie pour aller jusqu'à l'église pour "Luzifer Abschied", et après avoir visionné des vidéos de cet épisode, je le regrette vivement, car c'est un moment très intense..
Rien à ajouter au très beau C R de Bénédictus. Il a mille fois raison quand il souligne qu'une telle œuvre n'exprime vraiment son potentiel artistique et émotionnel que comme spectacle vivant : le disque ne le restitue pas vraiment... J'avais déjà eu cette expérience avec Stimmung : lorsque je l'avais vue au Festival Messiaen de La Grave, j'avais eu le sentiment d'assister à un cérémonial magique - sentiment que je n'avais pas ressenti en réécoutant l’œuvre au disque.
Belcore |
| | | Belcore Mélomaniaque
Nombre de messages : 1048 Date d'inscription : 28/09/2017
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Mer 3 Juil 2019 - 8:43 | |
| Tout le bien que F. O. pense de "Samstag" :
https://www.forumopera.com/samstag-aus-licht-samedi-de-debauche
Belcore |
| | | Belcore Mélomaniaque
Nombre de messages : 1048 Date d'inscription : 28/09/2017
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Jeu 4 Juil 2019 - 9:38 | |
| Et Concertonet :
http://www.concertonet.com/scripts/review.php?ID_review=13978
Belcore |
| | | JosefK Mélomane averti
Nombre de messages : 412 Date d'inscription : 13/04/2018
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Jeu 4 Juil 2019 - 18:29 | |
| - Belcore a écrit:
- J'avais déjà eu cette expérience avec Stimmung : lorsque je l'avais vue au Festival Messiaen de La Grave, j'avais eu le sentiment d'assister à un cérémonial magique - sentiment que je n'avais pas ressenti en réécoutant l’œuvre au disque.
Si c'est en 2011, j'y étais aussi. Expérience de concert effectivement sans commune mesure, et l'expression est faible, avec le disque. Et, du coup, un souvenir marquant, même huit ans plus tard. |
| | | Belcore Mélomaniaque
Nombre de messages : 1048 Date d'inscription : 28/09/2017
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Jeu 4 Juil 2019 - 23:07 | |
| - JosefK a écrit:
- Belcore a écrit:
- J'avais déjà eu cette expérience avec Stimmung : lorsque je l'avais vue au Festival Messiaen de La Grave, j'avais eu le sentiment d'assister à un cérémonial magique - sentiment que je n'avais pas ressenti en réécoutant l’œuvre au disque.
Si c'est en 2011, j'y étais aussi. Expérience de concert effectivement sans commune mesure, et l'expression est faible, avec le disque. Et, du coup, un souvenir marquant, même huit ans plus tard. Tout à fait, à la Salle du Dôme à Monétier. http://www.anaclase.com/chroniques/karlheinz-stockhausen Belcore |
| | | JosefK Mélomane averti
Nombre de messages : 412 Date d'inscription : 13/04/2018
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Jeu 4 Juil 2019 - 23:42 | |
| - Belcore a écrit:
- Tout à fait, à la Salle du Dôme à Monétier.
http://www.anaclase.com/chroniques/karlheinz-stockhausen Belcore Merci, quel souvenir, décidément. J'avais en mémoire la présence de Bruno Serrou, mais pas de Jérémie Szpirglas. Cela dit, vu comme je suis physionomiste... |
| | | Belcore Mélomaniaque
Nombre de messages : 1048 Date d'inscription : 28/09/2017
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Ven 5 Juil 2019 - 7:51 | |
| - JosefK a écrit:
- Belcore a écrit:
- Tout à fait, à la Salle du Dôme à Monétier.
http://www.anaclase.com/chroniques/karlheinz-stockhausen Belcore Merci, quel souvenir, décidément.
J'avais en mémoire la présence de Bruno Serrou, mais pas de Jérémie Szpirglas. Cela dit, vu comme je suis physionomiste...
Parmi les spectateurs assidus, il y avait Michel Barnier, le commissaire européen en charge du Brexit. J'ai vu beaucoup de magnifiques concerts lors de ce festival, dans la belle église de La Grave. Je regrette de ne plus pouvoir y aller, ma famille ayant vendu le chalet - au Freyssinet - dans lequel je séjournais. Belcore |
| | | Adalbéron Mélomaniaque
Nombre de messages : 1224 Age : 1005 Localisation : Rue de la Grande Truanderie Date d'inscription : 21/08/2015
| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI Ven 5 Juil 2019 - 17:54 | |
| - Benedictus a écrit:
- (Ah oui, et puis sinon, il m'a semblé reconnaître Adalbéron dans le public.)
Impossible, j'étais à Toulouse, devant Werther... Merci pour ce compte-rendu détaillé ! J'avais beaucoup aimé Donnerstag et regrette de ne pas avoir pu venir voir Samstag – mais je crois que Le Balcon est parti pour entreprendre une intégrale de Licht ! |
| | | Emeryck Mélomane chevronné
Nombre de messages : 14303 Age : 26 Localisation : Bochum. Date d'inscription : 27/07/2012
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| Sujet: Re: Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI | |
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| | | | Stockhausen Samstag aus Licht Philharmonie 28 et 29 VI | |
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