Votre dernier film visionné

Jacques Deray : Le gang        1977


J'avais été assez ennuyé par Flic story la fois passée ; ce film partage en fait quelques points communs avec ce dernier : Delon (ici avec une coupe frisée totalement improbable), une affiche hideuse et un scénario assez plat et convenu. Le film raconte l'histoire du gang des tractions avant - gang qui a opéré peu après la seconde guerre mondiale, semble-t-il ; c'est un peu lassant à la longue, même s'il y a quelques brèves incises humoristiques - notamment lorsque Delon monte la police contre la gendarmerie et qu'ils se tirent dessus, pensant tirer sur le gang. Par contre, ce qui est infernal, dans ce film, c'est la façon dont les personnages féminins sont écrits : c'est simple, elles n'existent que par les hommes, attendent toujours leur retour ; entre Marinette dont l'interaction avec son compagnon n'est que la main au cul et cette scène au bar où on hurle sur la femme parce qu'elle n'apporte pas le vin blanc assez vite ou qu'elle entre dans "la pièce des hommes, des vrais." ; c'est vraiment superlatif. Il y a d'ailleurs quelques arrêts sur image particulièrement hideux (surtout celui à la bijouterie à la fin).

Punaise, ça a l'air assez effarant, en effet - je ne l'ai jamais vu.
Cela dit, entre Delon en moumoute frisée et l'affiche rainbow-flagged, ça pourrait facilement devenir culte...

(Oui, le gang des tractions-avant a vraiment existé - c'est même de là que vient le nom de «Pierrot le Fou», c'était le surnom de son chef, Pierre Loutrel. Ce qu'il y a de fascinant dans l'histoire de ce gang, c'est que les truands qu'il réunissait avaient suivi pendant la guerre des itinéraires particulièrement contradictoires: on y trouvait des anciens de la Carlingue comme des anciens FFI ou un rescapé de Mauthausen, et pour certains futurs barbouzes; Loutrel lui-même avait d'abord travaillé dans la Gestapo française avant de se blanchir dans un réseau de résistance - on trouve d'ailleurs pas mal d'allusions à tout ce monde-là dans Lacombe Lucien et dans certains romans de Modiano.)

Benedictus a écrit:

(Oui, le gang des tractions-avant a vraiment existé - c'est même de là que vient le nom de «Pierrot le Fou», c'était le surnom de son chef, Pierre Loutrel. Ce qu'il y a de fascinant dans l'histoire de ce gang, c'est que les truands qu'il réunissait avaient suivi pendant la guerre des itinéraires particulièrement contradictoires: on y trouvait des anciens de la Carlingue comme des anciens FFI ou un rescapé de Mauthausen, et pour certains futurs barbouzes; Loutrel lui-même avait d'abord travaillé dans la Gestapo française avant de se blanchir dans un réseau de résistance - on trouve d'ailleurs pas mal d'allusions à tout ce monde-là dans Lacombe Lucien et dans certains romans de Modiano.)

D'accord, merci pour cet éclaircissement, je ne savais (notamment) pas du tout que Pierrot le fou venait de ce genre de choses. 

C'est peut-être excessif de dire que Pierrot le Fou «vient de là»; disons qu'entre le titre, les gangsters un peu gag (le nain!) et les allusions à Céline, il y a tout au plus un réseau d'allusions très vagues, et jouant sur leur polysémie.

Philippe Garrel : L'amant d'un jour       2017


On prend les mêmes et on recommence : le noir et blanc, l'amour, les amant(e)s, des petits appartements ; Garrel est sans doute le cinéaste le plus obsessionnel que je connaisse. J'ai en tout cas été agréablement surpris par ce film, le noir et blanc va très bien avec cet aspect un peu intimiste voire pudique du cadre - ce que renforce la voix-off, également, externe. Comme dans La jalousie, le traitement du film est très spatial et très mouvant : ici, le titre suggère un aspect éphémère auquel l'appartement du père/de l'amant sert de relais ; les plans sont d'ailleurs assez éloquents à ce sujet, il y a beaucoup de plans sur des fenêtres et des scènes d'extérieur. J'ai été aussi agréablement surpris par les acteurs/trices qui sont tous/tes convaincants ; le format reste le même que celui de La jalousie d'autant plus qu'ici, la musique de Jean-Louis Aubert reste discrète, et c'est mieux comme ça. C'est une belle découverte qui me rapproche un peu du cinéma de Philippe Garrel.

Giulio Questi : La morte ha fatto l'uovo        1968

 +
La filmographie de Jean-Louis Trintignant comporte des films bien atypiques dont celui-ci, par exemple. Il s'agit d'une sorte de giallo politique très influencé par Godard (le montage fait énormément penser à celui de Week-end) mais qui n'a en fait pas grand-chose à faire des préoccupations du giallo. Le résultat n'est pas une réussite, la machine tourne un peu à vide, le montage est inutilement sophistiqué, le propos politique est assez caricatural (il se résume à "la société de consommation, c'est pas bien ; vous avez vu, ils sont morts à cause d'elle" sans qu'il ne soit plus développé que ça), le scénario n'est pas très fouillé. Il y a cependant des points intéressants (sans être extraordinaires) notamment la gestion des trouples avec ce basculement centré autour de l'amante du personnage de Trintignant et puis la fin est quand même un peu drôle malgré tout. La musique m'a surpris, je ne savais pas que Maderna avait écrit des musiques de film. En somme, c'est assez décevant et parfois irritant de superficialité.

Fritz Lang : Man hunt        1941

 +
Il y a tout de même des choses remarquables dans ce film : tout d'abord les fondus entre les plans dans la séquence d'ouverture parmi les branchages, et ensuite l'utilisation de la flèche du chapeau de Jerry (et aussi l'idée de la grotte/caverne) puis la scène qui termine le film. La photographie noir et blanc est très soignée et nous offre notamment des vues brumeuses de Londres. Il y a également quelques séquences plutôt saisissantes - la croisière en bateau, la poursuite dans le métro londonien - mais j'ai trouvé quand même quelques longueurs - surtout dans la partie centrale, le propos devient nettement moins intéressant avec cette espèce d'histoire un peu niaise, sans parler du personnage de Jerry qui n'est franchement pas passionnant -, je préfère les films dans le genre de Fury ou Beyond a reasonnable doubt ; celui-ci reste tout à fait plaisant mais en-dessous, je trouve.

George Sanders en nazi dans Manhunt...  


C'était un acteur remarquable, abonné, bien malgré lui, aux rôles de salopards.

Son autobiographie, Mémoires d'une fripouille, est particulièrement savoureuse.

François Ozon : Une nouvelle amie        2014

 +
Ce film vient juste après Jeune & jolie dans la filmographie du réalisateur, à peine un an après. Un procédé semblable est au centre du film : la non-explication, tout comme la prostitution du personnage de Marine Vacth n'était jamais justifiée, il en va de même du travestissement du personnage de Romain Duris - il ne s'agit pas de genderfluidisme mais bien d'une envie visuelle, il dit qu'il aime juste s'habiller en femme. C'est cependant le seul point commun qu'il a avec ce dernier ; dans le premier, on était plutôt dans quelque chose d'ascétique alors que le second fait vraiment dans l'opulence, la photographie est superbe, très chaleureuse, les couleurs automnales sont somptueuses et la mise en scène superbement maîtrisée - c'est d'ailleurs le directeur de la photographie qui apparaît en premier au générique de fin - et elle fait beaucoup penser à Sirk et Hitchcock (un peu à la manière de Duelles de Masset-Depasse, sauf que le Ozon est bon.) Le film est d'ailleurs très hitchcockien autrement que par les couleurs : cette quête un peu obsessionnelle sur fond de deuil rappelle Vertigo} - mais donc, et sans doute davantage, Obsession de de Palma - ce n'est d'ailleurs sans doute pas un hasard si les perruques que porte Duris sont blondes ; un autre point hitchcockien, c'est un caméo d'Ozon dans une salle de cinéma - je n'avais jamais vu une telle chose chez ce réalisateur - ; il y a également ce jeu incessant sur la multiplicité. Les acteurs sont également remarquables Mais ce film, c'est aussi un message qui semble être une évidence (hélas pas universelle) que le genre du ou des parents n'est pas important dans l'éducation d'un enfant. J'ai donc plutôt aimé ce film, même si je dois reconnaître que la fin prend des tournures un peu convenues scénaristiquement.

Max Ophüls : Caught        1949


Il s'agit de l'avant-dernier film d'Ophüls aux États-Unis, juste après l'intense Letter from an unknown woman et c'est vraiment décevant ! Tout d'abord, le scénario est d'une platitude assez sidérante : il s'agit d'une femme qui se marie avec un homme très riche mais ohlàlà, attention, c'est un connard - mais un sacré connard ; bon, on a le droit à toutes sortes de topoi et variations toposiques sur "l'argent ne fait pas le bonheur", elle décide de s'émanciper en travaillant elle-même, mais évidemment elle tombe sous le charme d'un autre homme - bah oui, c'est Ophüls quand même ! Et sinon, le montage est totalement pété : à un moment, il y a une ellipse de dix mois alors que le raccord de plans était similaire à celui lorsque l'on ouvre une porte. Ce qui est encore plus décevant, c'est qu'on ne retrouve même pas la virtuosité ultime du réalisateur derrière la caméra, il y a bien quelques fulgurances dans les travellings et une belle photographie noir et blanc mais ça ne va pas au-delà... Le producteur aurait-il fait des coupes de son propre chef dans le film ?

Pas vu depuis longtemps, mais la complète fragilité du scénario m'avait semblé très audacieuse. De fait, il ne se passe rien et l'enjeu dramatique est très mince et pourtant, cette espèce d'attente est captivante, pour moi. C'est un film que j'avais beaucoup aimé, il faudrait que je le revoie.

Je commence une thèse en études cinématographiques, sinon. Je suis tout excité par cette perspective (c'est ma deuxième thèse mais ça garde son charme … )

Francesco a écrit:

Je commence une thèse en études cinématographiques, sinon. Je suis tout excité par cette perspective (c'est ma deuxième thèse mais ça garde son charme … )

Félicitation! et quel courage une deuxième thèse!

Ça seras sur quel sujet (si ce n'est pas indiscret bien sur)?

Un sujet très opposé à la vision classique/française/"auteur" des études cinématographiques et qui portera sur la politique des studios américains pour le casting des rôles dramatiques féminins dans les années 40 et 50. C'est plutôt du star studies en fait, matinées de pas mal de gender. Je suis content. C'est un sujet qui me tient vraiment à cœur. Depuis l'agreg j'ai du temps et pas particulièrement de perspectives professionnelles exaltantes, donc repartir dans la fièvre des publications et des journées doctorales … à mon grand âge, c'est une perspective réjouissante.

Tout autre sujet m'eût déçu, venant de toi...

En tout cas, bravo, et bon courage!

Rappelez vous que je suis le gars qui a osé en colloque une communication sur Sutherland, hein ….

Francesco a écrit:

Rappelez vous que je suis le gars qui a osé en colloque une communication sur Sutherland, hein ….

Et tu as osé le dire ici aussi (et t'en vanter )

Cololi a écrit:

Et tu as osé le dire ici aussi  (et t'en vanter )

Exactement: le risque était beaucoup plus grand de s'en vanter ici. (Déjà, ici, il y a des gens qui savent qui est Sutherland.)

Stanley Donen : Bedazzled        1967


L'aspect particulièrement gesticulatoire de la caméra donne la tonalité globale du film : l'absurde est de mise. Donen nous propose ici une relecture délirante de Faust et le film est scindé en huit parties parmi lesquelles six petites saynètes qui correspondent aux vœux du personnages principal, un homme introverti assez timide qui rompt sa canalisation d'eau lorsqu'il tente de se suicider. Ensuite, tout à fait logiquement, le diable lui propose un coup de main en réalisant sept de ses fantasmes ; c'est très varié mais j'ai trouvé que c'était parfois un peu inégal : il y a des gags franchement bien pensés - la dernière projection, notamment - mais d'autres tombent nettement plus à plat. Ce film a sans doute inspiré de manière non-négligeable Allen. Je crois avoir plutôt bien aimé, globalement.

Emi (pour les intimes) a écrit:

Ce film a sans doute inspiré de manière non-négligeable Allen.

Ça serait plutôt Woody Allen, après le succès de Quoi de neuf Pussycat ? en 1965, qui a été largement copié

mabuse a écrit:

Emi (pour les intimes) a écrit:

Ce film a sans doute inspiré de manière non-négligeable Allen.

Ça serait plutôt Woody Allen, après le succès de Quoi de neuf Pussycat ? en 1965, qui a été largement copié

Ah oui, c'est vrai qu'il est scénariste de ce film ; je n'ai l'ai pas vu alors je ne peux ni confirmer ni infirmer.

Christophe Honoré : Métamorphoses        2014


Je ne suis en général pas un grand fanatique du cinéma de Christophe Honoré qui comporte parfois quelques idées intéressantes mais me laisse plutôt indifférent - sauf son avant-dernier film en date, Plaire, aimer et courir vite ; sa filmographie éveille toutefois ma curiosité pour son aspect protéiforme, il n'est pas toujours dans ce sillon post-nouvelle-vague ; et précisément, ici, il n'est pas du tout mais alors vraiment pas du tout où on l'attend. Il s'agit d'une adaptation assez libre du texte éponyme d'Ovide qui prend pour appui un passage où il est question de la différenciation de l'époque durant laquelle Ovide écrit et le temps présent ; une sorte d'intemporalité, finalement. Ainsi, Honoré va adapter l'oeuvre dans son temps en se fichant totalement des anachronismes ; il établit également un parallèle entre le titre et le choix de l'âge de ses acteurs/trices, ils sont principalement tous adolescents, c'est certainement la période de métamorphoses (visible) la plus importante. Cette idée pourrait sembler intéressante sur le papier mais en réalité, c'est un ratage complet : l'ennui a été pour moi de plus en plus abyssal puisque le scénario est très mince, la symbolique est parfois lourde et peu subtile, les acteurs sont parfois vraiment mauvais (mais sans que ça donne quelque chose) ; d'autant plus que le réalisateur tente une structure totalement éclatée du récit (manière quand même très littérale de jouer avec le temps...) avec une sorte de récit en mosaïque, quelques personnages en guise de fil rouge.

Gregg Araki : The living end        1992

 + / 
J'ai bien aimé ce film mais j'ai trouvé qu'il était tout de même en-dessous des autres que j'ai vus (Mysterious skin et Smiley face) puisqu'il ne comporte rien de véritablement marquant. Il y a bien sûr des choses qui fonctionnent bien : cette logique de vie centrifuge alimentée par la dynamique du road trip, tous les mouvements intérieurs (entrée dans un bâtiment, étreinte) sont sans cesse comme compensés par des mouvements extérieurs (repoussement, refus, sortie de route) et les objets centraux dans le film (la voiture et le pistolet) présentent simultanément ces deux aspects (la voiture, bien sûr, garantit une mobilité accrue alors que nous sommes contraints de rester dedans ; le pistolet, quand à lui, va souvent ici de pair avec le corps, il est plaqué contre le corps, ou même dans la bouche ; il s'agit donc de l'aspect intérieur, mais l'aspect extérieur c'est le tir). Sinon, il y a des scènes amusantes notamment ces quelques références à Godard : l'affiche de Made in USA dans la chambre du critique cinématographique et la photo de Godard qui y traîne ; et puis la scène où l'autre homme est filmé à l'arrière de la voiture, centré, me rappelle des plans de Pierrot le fou. Le plan de fin est assez joli, d'ailleurs, et rompt plutôt avec la logique globale du film. En somme, c'est un film agréable avec des bonnes idées mais peut-être un peu trop unilatéral, surtout quand on le compare au reste de la filmographie du réalisateur.

Agnès Varda : Les demoiselles ont eu 25 ans        1993

 + /
C'est assez curieux mais ce film et Jacquot de Nantes occupent dans la filmographie des places assez spéciales : bien sûr, les deux films sont un hommage (très touchant) à son mari Jacques Demy mais le second a été tourné (et peut-être même monté) tout à fait à la fin de la vie de Demy alors que le premier film qu'elle réalise après la mort de son mari. Ce documentaire est déjà intéressant d'un point de vue historique puisque Varda avait filmé des morceaux de tournages ; et surtout, ce qui me semble intéressant, c'est que le documentaire montre véritablement une interaction réciproque du film et de son lieu de tournage : on montre habituellement toujours le film sous l'angle de la projection, de l'artifice (et encore plus pour la comédie musicale) mais là, le tournage du film a été vraiment un immense tournant dans l'histoire de Rochefort et cela apporte la dimension sociologique, toujours importante chez Varda.

Panic in the streets

The Servant, Joseph Losey
Je l'avais déjà vu il y a longtemps, j'en gardais le souvenir d'un grand film mais qui m'avait laissé un peu de côté. Quel chef d’œuvre! J'aime beaucoup Accident et Le Messager mais c'est vraiment le sommet de la collaboration Losey/Pinter, c'est très noir et en même temps très drôle on y retrouve le côté elliptique des intrigues du dramaturge avec des personnages opaques et ces dialogues dont la banalité finit par ouvrir sur des abimes d'absurde et de cruauté, et la mise en scène est d'une précision et d'une richesse, le décors semble vivant et prendre littéralement possession des personnages le recours répété au miroir n'est pas qu'une démonstration de virtuosité mais véritable un procédé d'enfermement. Dirk Bogarde est génial en valet diabolique, mais James Fox est tout aussi bon, en jeune et fringuant aristocrate, et leur duo de chat et de la souris, ou les rapports de classes (et l'inversion progressive des rôles entre le maitre et son serviteur) se teinte d'une dimension clairement homoérotique, est assez fascinant!

Atom Egoyan : Exotica        1994

 +
Je n'avais encore rien vu de ce réalisateur, ç'a été une très belle surprise. Ce qui marque en premier lieu, c'est la constance de l'ambiance, très dense et presque étouffante ; cet aspect étouffant est renforcé par de nombreuses choses et s'offre sous de multiples angles ; tout d'abord, sous un angle spatial : les cadres sont souvent assez serrés (ou en tout cas très pleins), il y a beaucoup de scènes d'intérieur - et celles dans l'Exotica sont encore plus étouffantes, avec ces plantes, ces entrées, la fumée - l'Exotica est sans doute un lieu purement fantasmatique avec ses petites portes, ses miroirs sans teint, sa fumée, ses plantes assez touffues, sa pénombre, et bien sûr, le vert dont il est nimbé - ; mais aussi sous un angle temporel : le film fonctionne avec quelques boucles et même s'il y a des variations, il y a quand même des pôles ; la façon dont avance l'histoire contribue également à cet effet : il s'agit d'un sens unique, d'une sorte de réaction en chaîne dont on voit bien qu'il est impossible de la remonter - et ce côté univoque est également présent dans les nombreux miroirs sans teint. La façon dont le réalisateur effeuille l'histoire (de manière assez intelligible/classique, cela dit, comme le montre la fin) rend l'ambiance encore plus étrange, d'autant plus qu'ils convergent tous vers un même point qui est bien sûr l'Exotica. En fait, je trouve qu'il y a quelque chose de profondément sensuel dans ce film : hormis la sensualité bien sûr littérale des danseuses, il y a une ambiance feutrée, envoûtante, un peu indistincte et je trouve que cela se rapproche un peu de la sensualité développée chez Lynch notamment dans son aspect fantasmatique et inatteignable - on retrouve d'ailleurs ce goût partagé pour les cabarets et l'imaginaire associé. La photographie et la bande originale sont vraiment très soignées ; j'ai beaucoup aimé ce film.

Il y a plein de bonnes choses chez Egoyan!
il y a des trucs assez nul aussi La vérité nue et Chloé bon...Mais là tu as commencé avec l'un de ses meilleurs films! peut être son meilleur.

Parsifal a écrit:

Il y a plein de bonnes choses chez Egoyan!
il y a des trucs assez nul aussi La vérité nue et Chloé bon...Mais là tu as commencé avec l'un de ses meilleurs films! peut être son meilleur.

Je crois que je vais tous les regarder, de toute façon - enfin, ceux que je trouve !

Pedro Almodóvar : La flor de mi secreto        1995

 + / 
J'avoue que je n'ai pas absolument adoré cet opus d'Almodóvar, il m'a semblé un peu sage et l'histoire est parfois un peu lisse. Ce film a bien sûr des qualités : tout d'abord, j'ai aimé l'interprétation de Marisa Paredes beaucoup plus en composition que dans Tacones lejanos, il y a également (comme toujours chez ce réalisateur) une très forte utilisation des différentes couleurs - en particulier pour les vêtements de Leo, c'est impressionnant ! - et il y a ce jeu de doubles un peu terrible autour du personnage de Leo qui est au cœur d'une double trajectoire : à la fois, celle du roman à l'eau de rose vers quelque chose de plus vraisemblable mais aussi la rupture de son aveuglement concernant tout ce qui l'entoure. Il y a également quelques scènes amusantes et quelques audaces en terme de plans mais c'est moins marqué que d'habitude, quelques longueurs se font même ressentir à plusieurs endroits du film.

Luc Dardenne, Jean-Pierre Dardenne
Le jeune Ahmed

Peu de réalisateurs·trices auront dégagé avec autant de constance des portraits aussi farouches et opiniâtres. Dans leurs plus beaux films (pour moi lors de mes revoyures ou découvertes Rosetta; Deux jours, une nuit; Le jeune Ahmed) : l’énergie butée de leurs personnages semble si implacable que la caméra peine à les suivre (en toute conscience de leur part).
Cette distance fonde leur regard (et le nôtre) et affranchit leurs personnages de toute empathie de bon aloi. De ce point de vue le jeune Ahmed, n’est pas si loin de Rosetta : personnages du refus, et en même temps de l’obstination à se construire coûte que coûte. Rares moments de vacillements où l’altérité aimante (le gaufrier dans Rosetta, la jeune fermière pour Ahmed) pourrait déjouer ce parcours sans appel. Ce qui le dénoue dans le jeune Ahmed, c’est la brusquerie d’un accident : la caméra détourne alors son regard, puis dans le dramatisme d’une « Pietà » laisse émerger toute la force d’un retournement.
Qu'à cette paix "advenue" fasse écho, comme seule musique du film en générique (en fait seconde musique du film, comme dans Deux jours, une nuit : les autres musiques sont écoutées à la radio et en voiture), le début de l’Andante sostenuto de la sublime sonate D.960 de Schubert, n’est pas là par hasard.

Dario Argento : La sindrome di Stendhal        1996

 + / 
Ce film ne se trouve clairement pas dans la meilleure partie de la filmographie d'Argento : la mise en scène un peu délirante a presque disparue, elle est en tout cas beaucoup moins virtuose - quelques images générées par ordinateurs (hideuses) exceptées, sérieusement, on dirait une anticipation de la publicité pour Gavisconell - et ça enlève tout de suite beaucoup d'intérêt au film. Le récit semblait plutôt prometteur - surtout quand on pense à ce qu'a pu faire Argento autour de l'art - mais ici, on reste vraiment à l'énonciation la plus basique du syndrome de Stendhal, le récit se déroule sans véritable surprise et la fin est cousue de fil blanc, notamment à cause de la mise en scène trop intelligible - la perruque blonde, c'était trop explicite ; il y a également des personnages dont on se demande bien à quoi ils servent ; vraiment, ce scénario part un peu dans tous les sens pour au final graviter plus ou moins autour de trivialités : étant donné le syndrome de Stendhal et le parallèle fréquent entre crime et art, ce transfert était bien éventé. En plus de ça, aucun acteur n'est convaincant et le film dure tout de même deux heures : c'est décevant.

Emeryck a écrit:

Denis Villeneuve : Incendies       2010


Il s'agit du premier film de Villeneuve que je vois, c'est une adaptation de la pièce éponyme de Wajdi Mouawad. Il y a indéniablement une grande puissance dramatique (qui passe principalement par la catharsis) au sein du film qui est décuplée par la façon dont le réalisateur travaille la continuité du récit. [...] Enfin, il y a une aspiration "universelle" qui me semble notoire, et ce dès le premier plan : un paysage commun, impersonnel puis un travelling arrière qui fait apparaître des boiseries de fenêtre, c'est-à-dire une maison ; le film sera donc une sorte d'étude de cas mais signale sa portée plus générale (qui se retrouve également dans le pays qui jamais nommé). C'est une belle découverte et un beau... premier contact avec le cinéma de Villeneuve.

Emeryck a écrit:

Benedictus a écrit:

Oui, je trouve que le film de Villeneuve tire vraiment le meilleur parti du texte de Mouawad (assez pénible à lire.)

Emeryck a écrit:

sa portée plus générale (qui se retrouve également dans le pays jamais nommé)

Enfin, ça, c'est quand même:
1. fait de manière assez incohérente: à ce moment-là, ce n'était pas compliqué de ne jamais montrer le drapeau libanais, qui est est assez reconnaissable et qui apparaît à plusieurs reprises à l'écran (c'était d'autant moins compliqué de ne jamais le montrer que les séquences proche-orientales ont été tournées... en Jordanie!)
2. assez artificiel: tout le référent auquel le film renvoie (les noms des personnages, des lieux, le contexte géopolitique...) désigne absolument sans ambiguïté le Liban des années de guerre.

Ah oui? Je n'ai pas lu la pièce mais j'en ai entendu plutôt des retours positifs.

Oui, c'est vrai que ce n'est pas d'une subtilité ravageuse - ce que je ne prétendais pas non plus.

Benedictus a écrit:

Ben, c'est Wajdi Mouawad, quoi, donc toujours un peu la catharsis à la truelle avec un petit côté provoc' branché (un peu un Cendo du théâtre contemporain, quoi.)

Pas du tout aimé quant à moi (alors que j'étais plutôt prévenu en bien sur le travail de Wajdi Mouawad, et que le texte d'Emeryck donnait envie). Puisqu'on en est à sortir la truelle, je ne peux pas m'empêcher de penser au texte fameux de Rivette "de l'abjection" (et ce, dès le premier plan du film). A tout prendre je préfère Opération Beyrouth.

Spoiler:

xoph a écrit:

Pas du tout aimé quant à moi (alors que j'étais plutôt prévenu en bien sur le travail de Wajdi Mouawad

Sans doute ai-je été encore trop allusif, alors.

C'est bien plus terrible : ce sont des sources plus proches qui ne tarissent pas d'éloge à mes oreilles

Pareil: outre Emeryck, j'ai pas mal d'amis (et dont le goût me semble d'ordinaire très sûr) qui trouvent ça très bien.

En fait j'ai pas lu. Ma première approche est donc par le biais de Villeneuve. Le fait de tirer un drame (situé), vers le mythe, m'a fait un peu penser à Laurent Gaudé (que j'aime par ailleurs, mais dont on sent parfois les ficelles). Il faudra certainement que j'essaye hors du regard porté par Villeneuve (que pour le coup, je suis à peu près certain de ne pas apprécier).

Benedictus a écrit:

Pareil: outre Emeryck, j'ai pas mal d'amis (et dont le goût me semble d'ordinaire très sûr) qui trouvent ça très bien.

Je n'ai pas lu la pièce, moi. 

Emeryck a écrit:

Jean-Pierre & Luc Dardenne : La fille inconnue        2016

 +/
Un film assez étonnant au sein de la filmographie des frères Dardenne : c'est habituellement la présence et l'action qui sont au centre de la caméra toujours au service de revendications (prétendument) sociales dans une esthétique très naturaliste [...] L'aspect social n'est cependant pas totalement évanoui : à travers tous les personnages que le film convoque, on obtient une sorte de radiographie de la ville de Liège. Le film est donc un peu plus intéressant que les films habituels des frères Dardenne, on est moins irrité par l'aspect social un peu plaqué (qui n'a pas la sincérité ni l'évidence de celui d'un Ken Loach) qui peuple habituellement leurs films ; cependant, le film n'est toutefois pas passionnant de bout en bout, surtout une fois que l'on a compris le principe ; les lentes avancées des protagonistes sont cependant un peu intéressantes.

Aïe, aïe, aïe. Cette fois-ci aussi je ne suis pas d'accord. Sur le cinéma en général des Dardenne, où je ne me reconnais pas dans les réticences que tu formules (prétendument sociales; pas la sincérité [...] d'un Ken Loach). Mais ça, je le savais.
Par contre, je ne connaissais pas ce film, et dans leur filmographie, pour ce que j'en ai vu : je trouve que c'est loin d'être le plus percutant. D'ailleurs sans doute en partie pour les raisons qui te le rendent supportable. Si là encore c'est le portrait d'une "femme forte" qui est brossé (magnifiquement porté par Adèle Haenel), dont l'acharnement mutique est convaincant; le moteur en semble bien mince et bien théorique (contrairement à ces films de "survie" que sont Rosetta ou Deux jours, une nuit, et sous un certain aspect Le jeune Ahmed). Les Dardenne, semblent dresser un portrait presque hiératique, sans qu'ils ne soient jamais eux-mêmes en déséquilibre. Sans doute le plus statique de leurs films de ce point de vue.
Au creux de sa solitude : le tableau d'un monde éreinté que dessine la quête de Jenny (Haenel) est effectivement tout à la fois subtil et prégnant.

Claude Chabrol : Rien ne va plus         1997

 +
Il s'agit d'un Chabrol plutôt atypique et qui m'a plutôt amusé. Le scénario est complètement bordélique et parfois invraisemblable (c'est volontaire, je pense), revirant sans cesse et jouant beaucoup de cela - en fait, j'ai l'impression que les phénomènes d'inversion et d'aller-retour sont extrêmement présents dans le film, notamment au début à la caméra puis aussi avec l'histoire de mallette à Sils Maria et après. Isabelle Huppert et Michel Serrault conviennent aux rôles - surtout Serrault, je trouve, qui m'a un peu plus amusé. Le film ne raconte pas grand-chose en lui-même, choisit plutôt le cynisme un peu facile mais se suit malgré tout sans déplaisir.

Je l'ai vu il y a quelques mois, impressions assez semblables, j'avais bien aimé.

Comme un cheveu sur la soupe

+

Premier rôle principal de De Funès (1957), moins cabotin qu'à l'accoutumée, mais musique qui souligne tous les effets comiques en mickeymousing.

Pour moi, c'est clairement un Chabrol mineur, qui permet à Serrault de cabotiner. Le passage avec Balmer en baron de la drogue mélomane est assez réjouissant.

Eusèbe a écrit:

Pour moi, c'est clairement un Chabrol mineur, qui permet à Serrault de cabotiner. Le passage avec Balmer en baron de la drogue mélomane est assez réjouissant.

Oui, exactement ; et je trouve que c'est ce qui est plaisant - il y a de toute façon pas grand-chose dans le scénario. 
Oui, ce passage est drôle mais bien sûr, ce n'est pas au niveau des meilleurs Chabrol.

Emeryck a écrit:

Oui, ce passage est drôle mais bien sûr, ce n'est pas au niveau des meilleurs Chabrol.

Je crois que Chabrol est quand même un cas très à part à ce niveau-là:
1. C'est, en termes d'inspiration et d'ambition, un des cinéastes les plus incroyablement inégaux qui soient. On trouve des films exigeants et ambitieux, des films français grand public standards et ces espèces de pochades je m'en-foutistes.
2. C'est aussi un des cinéastes les plus inégaux en matière de réussite - ça va vraiment de la réussite brillantissime au foirage abyssal - et il semble n'y avoir aucune corrélation entre le degré d'inspiration et le niveau de réussite.
4. Et malgré tout cela, tous ses films (en tout cas tous ceux que j'ai vus, mais j'en ai quand même vu pas mal) ont cette Chabrol touch complètement personnelle.

(Bon, personnellement, j'adore Chabrol.)

Tiens, tu peux dire quels sont selon toi les meilleurs à ne pas manquer? (possible que je ne les ai pas tous vus)

Xavier a écrit:

Tiens, tu peux dire quels sont selon toi les meilleurs à ne pas manquer? (possible que je ne les ai pas tous vus)

Pour moi, les grands chefs-d'œuvre: Les Bonnes Femmes, L'Œil du malin, La Femme infidèle, Que la bête meure, Le Boucher, Juste avant la nuit, Betty, Merci pour le chocolat.

Moins absolument achevés, ou moins ambitieux mais que j'aime aussi beaucoup: Le Beau Serge, Les Cousins, Landru, Marie-Chantal contre docteur Kha (mais oui!), Les Biches, Les Noces rouges, Nada, Violette Nozière, Les Fantômes du chapelier, Une affaire de femmes, Madame Bovary, L'Œil de Vichy, L'Enfer, La Cérémonie. (Et même les deux Lavardin.)

Cololi a écrit:

Benedictus a écrit:

(Bon, personnellement, j'adore Chabrol.)

Ah mais en fait t'es quelqu'un de bien

Gnégnégné.

Il faut ajouter que j'avais énormément d'affection pour le bonhomme. (Quand j'étais ado, il m'est arrivé à quelques reprises de discuter avec lui - il avait ses habitudes dans une confiserie / épicerie fine qui était tout à côté de mon lycée: c'était quelqu'un de très affable et sans façons, d'une pitrerie absolument irrésistible, d'une gourmandise aussi incommensurable que son érudition.)

Merci; je n'ai pas vu les deux premiers cités, et une bonne partie de ta 2è liste.