John Sheppard est aujourd’hui principalement connu pour son « Media vita », et on comprend pourquoi à l’écoute de cette œuvre monumentale et hypnotique. Vient de sortir chez Linn Records un enregistrement entièrement consacré au compositeur par le chœur du New College d’Oxford sous la direction de Robert Quinney : quatre premières discographiques, dont le magnifique « A solis ortus cardine », où se manifeste à maintes reprises le goût de Sheppard pour les envolées de soprano stratosphériques (pour l’époque), et bien sûr l’incontournable « Media Vita », concluant l’album.
Le livret de Robert Quinney est particulièrement intéressant sur la distribution vocale. Le chef a sans doute lu les textes de Parrott et Ravens sur les falsettistes en Grande-Bretagne, qui soutiennent que la tradition britannique des falsettistes ne remonte en réalité qu’au 19e siècle et que les countertenors britanniques n’étaient ni plus ni moins que des hautes-contre à la française, la voix de fausset n’étant utilisée que pour le haut de la tessiture (y compris chez les basses), avant l’extension de la tessiture en voix « naturelle » par l’abaissement du larynx — que David me corrige si j’écris des bêtises. Cependant, soit Quinney ne partage pas pleinement la thèse de Parrott et Ravens, soit il n’a pas voulu mettre ses falsettistes au chômage technique :
« La répartition des voix sur cet enregistrement est assez expérimentale, et peut être résumée comme suit :
» — lorsqu'il n'y a pas de triplex [« soprano»], la partie la plus haute (medius) est chantée par les garçons seuls ;
» — lorsqu'il y a un triplex, les choristes chantent à la fois cette partie et le medius, ce dernier en combinaison avec un ou deux falsettistes — sauf pour Media vita, dans lequel le medius est chanté par les seuls falsettistes ;
» — dans tous les motets sauf Media vita, les parties appelées « contratenor » sont partagées par les ténors et les falsettistes (ces derniers étant rejoints par un alto féminin dans le 2e motet). »
Le mélange garçons-falsettistes est aussi beau et intéressant qu’inhabituel, à défaut bien sûr d’être homogène : dans les aigus, ce sont les falsettistes qui dominent ; dans le médium et le grave, les garçons. Après une chute inquiétante du niveau vocal des garçons oxoniens à la suite du départ à la retraite d’Edward Higginbottom, les voix des petits chanteurs ont en grande partie recouvré leur beauté, à défaut de la couleur si singulière qu’elles avaient au temps de Higgi.
https://www.linnrecords.com/recording-sheppard-media-vita
Sur YT : playlist?list=OLAK5uy_meLwYwAgrrKcDUNgtRv0us9pCspklqTmQ
Voilà quelques années, Martin Baker avait enregistré un autre album consacré à Sheppard, avec l’imposant « Media vita ». Dans ce dernier, à la différence de Quinney, il mêlait garçons et falsettistes pour la partie de contratenor, particulièrement belle dans ce motet, ce qui cela dit n’est pas la principale raison pour laquelle le résultat me convainc davantage : si je goûte d’ordinaire les tempi assez rapides dans la musique sacrée de la Renaissance, le tempo lentissime de Baker m’apparaît comme le meilleur choix pour le « Media vita », parce qu’il en renforce le caractère hypnotique et extatique. Des quatre versions que je connais de ce motet (dont deux avec voix de garçons), celle de Baker reste donc de loin ma préférée, malgré des aigus un peu tendus des garçons.
https://www.hyperion-records.co.uk/dc.asp?dc=D_CDA68187