(Pardon pour le style un peu télégraphique, rédigé par morceaux depuis une semaine dans le train à destination de Twitter.)
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La Conjuration des Fleurs, sorte de cantate symboliste un peu plaisante de Bourgault-Ducoudray, Grand Prix de Rome en 1862, professeur d'histoire de la musique au Conservatoire. Par les classes d'Erika Guiomar et Anne Le Bozec au CNSM !
Cette Conjuration, c'est donc l'histoire des angiospermes qui, sous l'impulsion du Souci, se réunissent pour désobéir. Le martial Laurier est applaudi, quoique suspecté de trop aimer l'autorité, la naïve Marguerite raillée (et même traitée de pâquerette !), la calme Pensée admirée, tandis que le Bleuet et le Coquelicot commentent l'élection du chef – pourquoi le Coquelicot se présenterait-il, alors qu'il est quelque part déjà roi ? La Fleur de la Lande (librettiste hautement botaniste comme vous voyez) apporte un peu de mystère.
On sent la fibre récitative et dramatique d'un Prix de Rome, censé distinguer le meilleur (futur) pourvoyeur en drames de l'Opéra. Belle science harmonique, utilisée seulement lorsque requise – beaucoup d'unissons dans le chœur graminé, par exemple.
Le vote pour le chef a lieu, donnant à égalité la victoire au Laurier et à la Pensée. Alors apparaît la Violette, véritable starlette plutôt narcissique, qui attire cependant l'admiration des votantes.
Le tout ponctué de chœurs de fleurs sobres et à l'unisson.
[Sur le Prix de Rome, origines, exercices, but : http://carnetsol.fr/css/index.php?2018/03/07/3008-le-prix-de-rome-i-origines-et-regles .]
La variété des atmosphères et la qualité de l'écriture, dans cet univers de fantaisie (« Petit drame satirique »), m'a évoqué *Brocéliande* d'André Bloch (ou Thill chantait un crapaud amoureux !), Prix de Rome lui aussi.
On pourra percevoir diversement le propos final, où le Génie corrige les Fleurs rebelles avec une morale « vous êtes jolies, profitez du privilège, contrairement aux humains [aux hommes ?] de ne pas faire la guerre, et taisez-vous un peu ».
Mais l'œuvre est délicieuse.
Le Souci qui les a influencées est puni en remplaçant son parfum par une odeur rance.
Et la musique se déploie avec délicatesse et variété (belles harmonies, belles figures d'accompagnement !).
¶ En seconde partie, un bouquet de mélodies bretonnes (en français, traduction d'origine de François Coppée) et grecques (dans une traduction italienne, B.-D. les a bien écrites en grec), issues des recherches musicologiques du compositeur. Certaines bien lestes.
Et quand je dis lestes :
(Ça se poursuit avec « Lui se sert de ses doigts »…)
On a aussi, côté mélodies savantes, une adaptation de Madame la Marquise de Musset, avec des allongements facétieux d'un vers Innocent « La beeeeeercerai, la beeeeeercerai toute la nuit ».
B.-D. était particulièrement convaincu que les chansons grecques avaient conservé l'empreinte de leur Antiquité, que les modes utilisés étaient issus de la Grèce classique – il s'était même persuadé d'un fonds commun 'aryen' (au sens de Gobineau, pas des purificateurs fous) : chants celtiques, chants baltes, chants russes, en les relevant et les étudiant il se persuade d'une matrice commune.
Ses harmonisations sont un peu sophistiquée et fantaisistes, ce qui fait de ces mélodies à la fois un travail de relevé musicologique et des compositions.
Pour autant, son empreinte n'a pas été négligeable, entre ceux qui ont réutilisé ses mélodies collectées (Saint-Saëns, Bruneau, Marty et même Glazounov !) et ceux qui ont simplement poursuivi dans la voie de ses recherches modales – d'autres échelles de sons que la tonalité).
Concert en piano-chant. Les pianistes de ces deux classes sont toujours excellemment formés, mais j'ai été frappé par le niveau très élevé des chanteurs :
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Margaux Loire, dans le Souci, enflammée, assez magnétique pour rendre crédible la conspiration !
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Margaux Poguet (Fidelio chez Gaveaux) en pleine gloire, son doux, dense, concentré, parfaite dans la morgue du Laurier.
(la voix a bien mûri !
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Thaïs Raï-Westphal, remarquablement fine et focalisée, bien antérieure, belle diction, le type de voix que j'ai envie d'entendre en français !
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Axelle Saint-Cirel, mezzo qui grave délicatement nourri, très homogène, d'un beau tissu moelleux très sobre, sans le moindre empâtement vocal ni stylistique.
→ Le seul homme chanteur, le baryton du Génie,
Lysandre Châlon [Chalon apparemment, contrairement au programme ?], se distingue par sa très bonne protection et de diction particulièrement nette (et savoureuse !). L'aigu est envoyé un peu blanc, mais à ce niveau, c'est vraiment véniel – mais nécessaire, pour faire carrière.
Découverte passionnante, exécution de haute volée, proximité maximale avec les artistes (et dans quel lieu!), une de ces soirées qui nourrissent votre perception de l'histoire de la musique – et vous marquent pour longtemps.
(Et gratuit.)
Merci aux concepteurs et participants !