LUNDI 28 NOVEMBRE 2022 — 20H
Théâtre de l’Athénée — Les Lundis musicauxCinq mélodies de Venise —
Gabriel Fauré & Paul Verlaine Histoires naturelles —
Maurice Ravel & Jules RenardLe Chat 1, Le Chat 2 —
Henri Sauguet & Charles Baudelaire Banalités —
Francis Poulenc & Guillaume ApollinaireLes Oignons —
Annick Chartreux & NorgeExtraits des mélodies opus 12 —
Mathieu Crickboom• Les deux cortèges, Joséphin Soulary
• Là-bas, Jacques Clary Jean Normand
• Crépuscule, Victor Orban
• Solitude, Victor Orban
• Les Grotesques, Paul VerlaineLaurent Naouri, baryton
Maciej Pikulski, piano
Le premier Lundi musical de la saison à l’Athénée, pour un programme qui comportait quelques inédits et surprises.
Les interprètes entrent sur une scène joliment éclairée de quelques chandeliers modernes. Mais l’inquiétude point dès les premières mesures de Fauré : Naouri n’est pas en voix, les aigus ne sortent pas, il est obligé de forcer, la diction, et pour l’auditeur la compréhension du texte, souffrent. On se rappelle qu’il a terminé l’avant-veille une série de représentations de la Périchole et on se demande s’il était bien prudent de commencer le récital avec ces mélodies qui le poussent dans un registre difficile. Malgré tout on s’en accommode et on apprécie les intentions du chanteur.
Heureusement, Naouri a récupéré ses moyens, et, hormis quelques quintes de toux ponctuelles, la suite de la soirée s’est bien mieux déroulée. Les Histoires naturelles : une petite merveille de drôlerie sur des sortes de fables modernes de Jules Renard. Naouri y a facilement conquis son auditoire.
Puis Le Chat 1 et Le Chat 2 de Sauguet, sur des vers de Baudelaire, qui prolongeaient le thème animalier, et que Naouri a dédiés à ses chats : musique d’un abord facile, entre la mélodie et la chanson, qui rend parfaitement l’idée des petits sphinx de Baudelaire.
Les Banalités de Poulenc : toujours un plaisir de les entendre.
Après la pause, deux découvertes. D’abord Annick Chartreux, dont Naouri nous révèle qu’elle fut sa prof de musique de la 6e à la Terminale. Sur des poèmes tirés des Oignons de Norge, elle a composé une musique très théâtrale, souvent dite ou déclamée, le piano faisant parfois plus office d’appoint, soulignant tel ou tel passage, que d’accompagnement. Musique d’esprit très français, qui faisait penser à Ravel entendu plus tôt, par son humour discret, son caractère insolite, ses brèves pirouettes conclusives. D’oignons il ne fut question que dans le premier poème.
Le mystérieux Mathieu Crickboom enfin : violoniste et pédagogue, élève d’Ysaÿe, Belge appartenant à l’école franckiste, Naouri a déchiffré certaines de ses mélodies, écrites entre 1908 et 1916 (Crickboom avait une quarantaine d’années) et nous en propose cinq extraits. Le langage musical reste plutôt simple, mais les pièces sont variées d’esprit et de ton, ce qui tient aussi au choix des poèmes. D’abord Les deux cortèges de Joséphin Soulary, d’un kitsch suranné : à l’église, un baptême et des obsèques ont lieu au même moment ; dans le temple vide, la veuve jette un regard sur le berceau. Crickboom illustre ça avec une certaine originalité, en séparant bien puis en réunissant les deux scènes. Ce n’est pas du meilleur goût mais c’est finalement ce que j’ai le mieux retenu du cycle. Les mélodies suivantes m’ont moins marqué, à l’exception des Grotesques, sur des vers de Verlaine, qui m’ont évoqué l’Atlas de Schubert.
En bis, deux extraits du Don Quichotte de Ravel, la Chanson à boire et la Chanson romanesque, pour quitter le public avec bonne humeur.
Une soirée franco-belge extrêmement réjouissante donc, grâce au naturel et aux qualités de conteur de Laurent Naouri dans ce répertoire. Et aussi grâce à Maciej Pikulski, pianiste que j’ai trouvé assez prodigieux par la beauté et la délicatesse de son toucher.
Côté public : un parterre et un premier balcon de face à peu près remplis. De nombreux familiers des interprètes y figuraient, et la concentration de chanteurs et de musiciens au mètre carré était impressionnante : Natalie Dessay, Stéphane Degout, Philippe Cassard, Éléonore Pancrazi, plusieurs autres que je n’ai pas su reconnaître.