Finalement, c'était le grand lieu de festivités, vendredi soir !
Voyons, que j'essaye à mon tour…Je pars sur quelques extraits de ce que j'ai dit sur CSS :
5. César Franck : Rédemption et SymphonieLe programme, très court (trois quarts d'heure, sans bis, plus une petite introduction), faisait entendre, outre la Symphonie en ré mineur,
l'interlude orchestral de l'oratorio Rédemption — je ne crois pas qu'il en existe d'enregistrement officiel en dehors de Plasson (peut-être aussi une édition plus confidentielle tirée des archives de la radio ?), mais l'interlude a été quelquefois gravé en complément de poèmes symphoniques (ou, pour Fournet & la Philharmonie Tchèque, du ballet intégral de
Psyché).
La pièce est
sensiblement dans le même style que la symphonie, très simili-wagnérienne — l'orchestration, assez opaque par ailleurs, réutilise des techniques très typiques de tous les imitateurs wagnérophiles : guirlandes de cordes qui accompagnent le thème principal bramé aux cuivres. On remarque l'âge inhabituel du matériel d'orchestre (peut-être pas contemporain de la création, mais au minimum début-de-siècle !), il est vrai que ce ne doit pas être commandé tous les jours par les formations symphoniques.
Des traités musicologiques, des essais philosophiques, des romans, peut-être même des psautiers ont été écrits à partir de cette
Symphonie, je n'ai donc pas grand'chose à en dire qui puisse apporter à la postérité. Si ce n'est qu'
au delà des emprunts évidents — l'essai d'importer le
leitmotiv dans la forme symphonique, les effets d'orchestration, les thèmes parents (le premier est un décalque du « thème du destin » dans le
Ring, le second, avec ses simples volutes conjointes, pas si éloigné de la « Rédemption par l'Amour »), le goût des chromatismes —,
l'esprit m'en paraît éminemment peu wagnérien.
Wagner ne relâche jamais la dynamique ainsi (les effets de Franck sont souvent plus brucknériens, avec ses ruptures soudaines, quasiment une écriture par épisodes), et lorsqu'il le fait, c'est pour aborder un thème complètement nouveau qui doit enfler à son tour encore plus haut… De même, les variations (un peu pénibles ?) du deuxième mouvement sont très loin de l'univers de Wagner, qui lorsqu'il se répète dans la même page, fait plutôt une marche harmonique.
De toute façon, l'esprit éminemment atmosphérique et théâtral de
Wagner est
tout ce qu'il y a de plus opposé au pur formalisme musical : c'est là tout son paradoxe majeur.
Poète médiocre, il écrit pourtant une musique qui est complètement soumise à la dramaturgie… tout en convainquant essentiellement par la seule musique, et en la révolutionnant de surcroît. Aussi, toutes les tentatives de suivre ses traces dans le domaine de la musique pure est nécessairement incomplète.
Ses succédanés les plus convaincants sont opératiques :
Fervaal et
L'Étranger de d'Indy,
Le Roi Arthus de Chausson,
Salome et
Die Frau ohne Schatten de Richard Strauss…
On remarquera au passage que Franck n'a pas été particulièrement ébouriffant musicalement dans ses œuvres lyriques, aussi bien les oratorios (
Les Béatitudes sont très belles, mais d'une immobilité anti-wagnérienne au possible) que les opéras (l'étonnant
Stradella de jeunesse, le décevant
Hulda, assez timoré) : il ne semble pas avoir été à l'aise avec la liberté formelle du théâtre lyrique.
Adéquatement exécutée néanmoins, cette symphonie, si elle ne dispose pas de la charge poétique de celle — au moins aussi difficile à réussir — de Chausson, peut se réaliser dans une constante poussée qui, alors se parera de certains charmes réellement wagnériens de transitions infinies en volutes, à défaut de culminer avec autant d'intensité.
La salle conçue par Yasuhiha Toyota.
4. Acoustique¶ Tous les moyens ont été mis en œuvre par le concepteur
Yasuhiha Toyota : l'armature de béton est posée sur des boîtes à ressorts, les parois sont bosselées en demi-cylindres pour renvoyer le son (avec égalité), et le plafond est un immense réflecteur en bois.
¶ Le résultat est assez spectaculaire :
un son très feutré et précis, doux, d'une proximité incroyable, même des points les plus éloignés. Vraiment l'atmosphère d'un salon, très mate, pas du tout réverbérée.
De ce fait, ce doit être idéal pour la musique de chambre, et la structure en rotonde, qui devait théoriquement être un inconvénient pour la musique vocale, risque de ne pas être si gênante (certes, on ne verra que le dos, mais on devrait très bien entendre). Et surtout, les mots ne peuvent pas perdre en précision (ce qui est souvent le problème dans les grands espaces), le grain ne peut pas se diluer (ce qui n'est pas un atout pour les grandes voix, mais permet de faire chanter du lied, par exemple, dans une vaste salle sans forcément embaucher des stentors). Très curieux de la tester dans ces contextes.
¶ Cette acoustique est
assez emblématique d'un son de radio ou de studio : direct, à retoucher éventuellement par les ingénieurs, mais le plus précis possible à la source.
La sècheresse absolue
absorbe aussi les bruits du public (même lors des applaudissements, on a l'impression qu'il n'y a personne dans la salle) ; on n'aura pas les problèmes de Favart ou de Pleyel, où si quelqu'un froisse son programme, le balcon entier n'entend plus rien.
¶ Ce son si typé a forcément le revers de sa médaille : le son est parfaitement audible et précis de partout, mais tellement sec et « pur » qu'il
manque d'ampleur pour les épanchements symphoniques romantiques comme dans la symphonie de Franck. Dans du contemporain, de la musique du chambre, du lied, ce serait probablement idéal, mais en l'occurrence, on a
l'impression que l'acoustique parvient même à siphonner l'émotion : on voit les musiciens qui s'agitent, le son qui enfle… mais l'impression
physique ne change pas. Pourtant, avec Mikko Franck et le Philhar, on aurait dû décoller, mais non, quelque chose d'un peu neutre s'empare des musiciens, enserre leur interprétation,
comme si on exerçait une compression dynamique en temps réel sur leur exécution.
À Pleyel, la réverbération (certes acide et peu précise) aurait procuré une autre ampleur à l'œuvre, c'est certain !
¶ Par ailleurs, le son de la salle est un peu ouaté dans les
forti.
Tout cela mis bout à bout entraîne une certaine frustration, l'impression que cette acoustique hors du commun nous dépouille d'une part conséquente de l'exaltation musicale à laquelle on pouvait s'attendre.
À tester dans d'autres répertoires où l'impact physique et les écarts dynamiques ne sont pas un moyen majeur d'expression. 6. Mikko Franck et le Philharmonique de Radio-FranceLe
Philharmonique de Radio-France est une formation éminemment versatile selon les chefs et les répertoires, capable des épanchements les plus intenses comme d'une certaine froide opacité. Contrairement à ce que l'on pourrait supposer (et que l'on entend parfois), cet orchestre n'excelle pas du tout dans le répertoire français, où son fondu et l'épaisseur de ses cordes (magnifiques) favorisent plutôt une certaine verticalité (de l'écriture, mais aussi des couleurs, qui ne cohabitent pas en général). Dans le répertoire russe, ou le postromantisme lyrique germanique et nordique, c'est souvent très impressionnant de générosité et de maîtrise — dans le contemporain aussi, mais il semble que Radio-France lui accorde une place de plus en plus ténue.
Dans cette Symphonie de Franck, c'est donc tout l'inverse de ce qui peut fonctionner, en principe : même Monteux paraît épais et opaque dans cette œuvre… Pour ma part, je fréquente plutôt Cantelli, Otterloo, Neuhold (voire Langrée et Münch) dans cette œuvre, justement parce que le trait est net (même si la réalisation n'est pas parfaite), un peu sec, le son sans apprêt, et permet d'entendre les couleurs internes de l'orchestration, avec une tension bien tenue. En écoutant le Philharmonique de Radio-France, je me suis pris à rêver d'entendre à la place le modeste Orchestre d'Auvergne, de celui Poitou-Charentes… l'ONBA (Bordeaux-Aquitaine) devrait aussi bien fonctionner là-dedans, avec ses timbres dépareillés au sein même des pupitres — mais ardents lorsque bien motivés et préparés.
D'ailleurs, il existe une version avec le Symphonique du Mans, dirigée par José-André Gendille… instrumentalement très valable, et globalement l'une des plus réussies à mon sens : sans pathos, avec un effectif limité, une bonne transparence, et une tension qui ne se dilue pas dans les jolis timbres ronds. Et pourtant, version plutôt lente, aux attaques peu incisives, mais passionnante de bout en bout.
C'est pourquoi je comptais sur l'association avec
Mikko Franck, toujours féconde, pour emporter par l'enthousiasme ce qui n'était pas convaincant par le style. Et, de fait, on voit les musiciens s'activer avec chaleur… Problème : non seulement le son très rond ne convient même pas, fondamentalement — et la progression imprimée par le chef, jouée par épisode, ne fonctionne pas bien à mon sens —, mais surtout l'acoustique de la salle gomme totalement les épanchements, rabote les élans… on voit l'enthousiasme, mais il ne parvient pas jusqu'aux oreilles. Très frustrant.
On peut quand même profiter de belles cordes (notamment un très beau « creusé » du son lorsque violoncelles et contrebasses entrent)… en entendre, chose que je n'avais jamais pu constater en personne,
une trompette solo qui fait du vibrato, chose devenue rarissime dans les formations actuelles (même chez les Russes, le procédé a largement disparu !).
7. BilanÀ la fois émerveillé et assez frustré en fin de compte par la salle… Mais il faudra y retourner pour de la musique de chambre ou du lied, où l'impression pourrait être tout autre !
Si le reste vous intéresse, tout est là (avec un extrait sonore) : http://operacritiques.free.fr/css/index.php?2014/12/07/2573 .