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| Le jazz West Coast | |
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Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Le jazz West Coast Mar 27 Juin 2023 - 17:26 | |
| Hermosa Beach, The Lighthouse Comme ça fait un petit moment que j’abreuve la Playlist Jazz en albums appartenant à ce courant, je me suis décidé à ouvrir un fil qui lui soit dédié, histoire de pouvoir y rassembler mes notes d’écoute. Déjà, il faudrait définir un peu l’objet - ce qui en soi n’est pas évident. Pour essayer de faire simple et synthétique, on pourrait définir le West Coast comme étant le jazz qui a été pratiqué en Californie (et même essentiellement dans l’agglomération du grand Los Angeles - nonobstant Dave Brubeck et ses ensembles basés à San Francisco) au cours de la décennie 1950 et dans les toutes premières années de la suivante par des musiciens plutôt jeunes et majoritairement blancs (mais pas tous, et avec de forts contingents d’Européens non-WASP, notamment d’origine ashkénaze ou italienne.) Stylistiquement, on pourrait dire que c’est une musique: - qui s’inscrit dans les invariants du jazz: le swing, l’improvisation, les instrumentariums de base (section rythmique et ensembles de cuivres), l’utilisation de standards; - qui accorde cependant une part plus importante à l’écriture, que ce soit dans la composition ou les arrangements (plusieurs des acteurs de ce courant ont reçu une formation musicale classique, et beaucoup exerceront pour les studios d’Hollywood - certains y faisant même une belle carrière, comme Lennie Niehaus); - qui, en termes de langage et de mood, s’inscrit plutôt dans la continuité des jalons posé par Miles Davis et son nonette des années 1948-49 dans Birth of the Cool: un jazz résolument moderne mais plus cool que hot - donc qui, dans l’ensemble, se distingue nettement du bop mais sans s’y opposer à proprement parler (certains, comme le tromboniste Frank Rosolino ou le pianiste Hampton Hawes pouvant même s’exprimer en vrais boppers, et les rencontres des westcoasters avec Clifford Brown ou Sonny Rollins ont toujours été fructueuses.) Ce qu’il faut aussi souligner, c’est qu’on a d’abord à faire à un groupe de musiciens qui se connaissent bien pour avoir beaucoup tourné ensemble, au cours des années précédentes, dans les orchestres de Woody Herman (le Third Herd) et surtout de Stan Kenton (en particulier l’ Innovation Orchestra, dont la dissolution en 1951 explique que beaucoup de musiciens venus de la côte Est se soient alors fixés en Californie), et se retrouvent souvent dans les mêmes studios (Contemporary, Radio Recorders…) et dans les mêmes salles - la plus emblématique, véritable port d’attache, étant le Lighthouse d’Hermosa Beach (voir la photo ci-dessus - et la page ici, avec de chouettes illustrations) autour de son programmateur, à la fois chef d’ensemble et bassiste, Howard Rumsey. De fait, d’un disque à l’autre, on retrouve toujours un peu les mêmes noms, quel que soit celui qui est écrit en gros sur la pochette: outre les omniprésents - et eux aussi chefs d’ensemble fondateurs et fédérateurs - Shorty Rogers (trompette ou bugle) et Shelly Manne (batterie), on voit ainsi tourner Art Pepper, Jimmy Giuffre, Bud Shank, Bill Holman, Bob Gordon, Bill Perkins, Bob Cooper, Richie Kamuca, Buddy Collette, Joe Maini, Jack Montrose aux saxes (beaucoup d’entre eux étant multi-instrumentistes); Frank Rosolino, Herbie Harper, Milt Bernhart, Bob Enevoldsen au trombone; Jack Sheldon, les frères Pete et Conte Candoli, Stu Williamson à la trompette; Red Mitchell, Ralph Peña, Leroy Vinnegar, Joe Mondragon, Ray Brown à la contrebasse; Stan Levey, Mel Lewis ou Chico Hamilton à la batterie; Hampton Hawes, Claude Williamson, Russ Freeman, Pete Jolly, Marty Paich, Lou Levy, André Previn (oui, le même que celui des fils Classique) au piano; Barney Kessel, Howard Roberts ou Jim Hall à la guitare… C’est sans doute cela qui explique l’ambiance assez particulière de ces enregistrements, où la connivence, l’esprit collectif et même un certain humour semblent l’emporter sur l’expression d’individualités exacerbées - c’est surtout plus une musique d’ensembles à géométrie variable (du trio au big band) que d’instrumentistes en solo. D’ailleurs, à part Chet Baker et Art Pepper, le West Coast n’a pas vraiment de méga-star connue au-delà du cercle des fans. (Et, bizarrement, on désigne souvent comme westcoasters des artistes qui en ont plutôt été des «compagnons de route»: Stan Getz, Bob Brookmeyer, Zoot Sims ou Lee Konitz.) Bon, tout cela est vraiment brossé à très gros traits - on nuancera en parlant des disques. Sinon, pour finir cette présentation trop sommaire, je ne saurais trop recommander cet ouvrage de référence d’Alain Tercinet, ici respectivement dans sa première et dans sa seconde édition (il n’est d’ailleurs pas inutile d’avoir les deux si on s’intéresse au sujet, tant le remaniement entre les deux a été important - en revanche, la première est un meilleur outil pour le repérage discographique):
Dernière édition par Benedictus le Mar 27 Juin 2023 - 23:38, édité 5 fois |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Le jazz West Coast Mar 27 Juin 2023 - 17:30 | |
| Pour une première approche discographique, cette excellente anthologie - composée justement par Alain Tercinet pour Frémeaux: Le meilleur panorama possible en deux CD, qui a l’avantage de ne pas être dans une logique de best-of, mais propose vraiment d’explorer les différentes facettes du West Coast, y compris en donnant à entendre des choses assez rares. Évidemment, il faudra compléter ensuite avec (pas forcément dans l’ordre): - les indispensables d’Art Pepper et de Chet Baker période West Coast (par la suite, passablement cabossés par des tribulations dignes de romans noirs, tous deux reviendront sur le devant de la scène à la fin des années 70 pour de «secondes carrières» riches en pépites - plus inégale pour Chet Baker, mais sans aucun déchet pour Art Pepper); - les discographies des ensembles les plus emblématiques: Shorty Rogers & the Giants, Shelly Manne & His Men et le Lighthouse All-Stars d’Howard Rumsey; et ce dont j’ai déjà dit un mot en discographie: - les petits ensembles à géométrie variable qui complètent le panorama, autour notamment de Lennie Niehaus, Barney Kassel, Dave Pell, Bud Shank, Bill Perkins…; - les big bands post-Kenton avec Bill Holman, Marty Paich, Pete Rugolo (mais aussi d’autres, quasiment inconnus comme Med Flory, Sam Trippe ou Bob Florence.) (Bien sûr, tout le monde est invité à contribuer.) |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Le jazz West Coast Mar 27 Juin 2023 - 18:30 | |
| Je commence déjà par reporter ici des recensions de disques que j’avais publiées en Playlist ces dernières semaines: • Richie Kamuca Quartet
Richie Kamuca (saxophone ténor), Carl Perkins (piano), Leroy Vinnegar (contrebasse), Stan Lewey (batterie) Hollywood, Radio Recorders, VI.1957 Mode / V.S.O.P. - Benedictus a écrit:
Voilà un saxophoniste ténor qui gagne vraiment à être connu pour lui-même: le timbre est vraiment magnifique, la ligne souple mais très articulée - et pas réductible à la sophistication cool du West Coast (malgré ses prestations comme sideman chez Kenton et Herman ou en line-up avec Cohn, Perkins, Pepper, Holman…): il y a chez lui (comme chez Getz) une sorte de classicisme post-lestérien assez suprême. (Au sujet de Richie Kamuca, né à Philadelphie, Tercinet le définit comme «amérindien», or il semblerait qu’il soit en fait d’origine philippine.) • The Fabulous Bill HolmanBill Holman Big Band: Conte Candoli, Ray Lynn, Al Porcino (trompettes), Stu Williamson (trombette, trombone à coulisse), Lewis McGreery / Harry Betts, Bob Fitzpatrick, Ray Sims (trombones), Herb Geller, Charlie Mariano (saxophones altos), Bill Holman, Richie Kamuca, Charlie Kennedy (saxophones ténors), Steve Perlow (saxophone baryton), Lou Levy (piano), Max Bennett (contrebasse), Mel Lewis (batterie) Hollywood, 27 & 29.IV.1957 Coral / Poll Winners Records - Benedictus a écrit:
Un album qui porte bien son titre: dès ce coup d’essai-coup de maître, Bill Holman est bien un arrangeur et un band leader fabuleux (et le restera, d’ailleurs: ses derniers albums chez JVC sont des tueries.) Il réalise une espèce de quadrature du cercle, rare chez les post-kentoniens: chez lui, le caractère savant de l’écriture (le contrepoint travaillé, le tuilage raffiné des parties) ne vire jamais à la froideur ou à l’hyper-sophistication; les ensembles y ont toujours un swing énergique et généreux, et les solos gardent une expression spontanée et directe. Toujours aussi jubilatoire à la réécoute. • Shorty Rogers and his orchestra featuring the Giants: Cool and CrazyShorty Rogers, Conrad Gozzo, Maynard Ferguson, Tom Reeves, John Howell (trompettes), Milt Bernhart, Harry Betts (trombones), John Haliburton (trombone basse), John Graas (cor), Gene Englund (tuba), Art Pepper (saxophones alto et ténor), Bud Shank (saxophones alto et baryton), Jimmy Giuffre (clarinette, saxophones ténor et baryton), Bob Cooper (saxophones ténor et baryton), Marty Paich (piano), Curtis Counce (contrebasse), Shelly Manne (batterie) Hollywood, RCA Studios, 26.III & 2.IV.1953 RCA Victor / Fresh Sound - Benedictus a écrit:
Un des disques fondateurs du West Coast (les sessions sont de mars-avril 1953): sonorité généreusement cuivrée (cinq trompettes, trois trombones, quatre saxes, un cor et un tuba!), atmosphère franchement décontractée et ludique, compositions et arrangements beaucoup plus sophistiqués qu’ils n’en ont l’air, et un swing «à l’ancienne» (on est plus chez des fans de Basie que chez des boppers) - et avec les idiosyncrasies de Shorty Rogers (le goût des carrures rythmiques et mélodiques latines, et des titres un peu nonsensical.) Avec la fine fleur des saxes californiens (Pepper, Shank, Giuffre et Cooper) et une section rythmique à la fois rigolarde et énergique (Paich, Counce et Manne.) Jubilatoire!
- PS: En fait, je l’ai écouté dans cette réédition:
• The Modern Touch of Marty Paich: The Broadway BitMarty Paich (piano), Art Pepper (saxophone alto), Bill Perkins (saxophone ténor), Jimmy Giuffre (saxophone baryton, clarinette), Frank Beach, Stu Williamson (trompettes), Vince DeRosa (cor), George Roberts (trombone), Bob Enevoldsen (trombone à coulisse, saxophone ténor), Victor Feldman (vibraphone), Scott LaFaro (contrebasse), Mel Lewis (batterie) Los Angeles, I.1959 Warner Bros - Benedictus a écrit:
Voilà un album de 1959 qui illustre particulièrement bien son art d’arrangeur et de leader (et de pianiste), enregistré dans la foulée des sessions du célèbre Art Pepper + Eleven: Modern Jazz Classics (dont Paich était aussi l’arrangeur.)
C’est donc presque un album-concept: une anthologie de standards tirés des plus célèbres musicals de Broadway (Guys and Dolls, My Fair Lady, South Pacific, Oklahoma, The Bells Are Ringing…), comme stylisés par une modern touch, avec un ensemble de douze musiciens dont huit cuivres, mais où l’idée est de «se servir de petites formations à l’intérieur d’une grande.»
De fait les cuivres en formation complète sont très loin de prédominer: ils donnent une impulsion, exposent les thèmes, font le lien entre les solos, relancent la tension, mais en fait s’effacent très vite pour permettre aux vents solistes et à la section rythmique de s’exprimer d’une manière presque chambriste - il y a même des passages tout à fait arachnéens dans les solos de vibraphone (Victor Feldman) et de contrebasse (Scott LaFaro, superbe comme toujours); et puis côté souffleurs, c’est un régal de lyrisme et d’élégance: entre Art Pepper à l’alto, Bill Perkins au ténor, Jimmy Giuffre au baryton (et à la clarinette)… La précision des transition entre sections de cuivre et parties solistes (où l’on sent vraiment l’art de l’arrangeur) et le sens du swing de la section rythmique (avec Mel Lewis à la batterie) assurent l’élan et l’équilibre de l’ensemble.
Un disque à l’abord immédiatement plaisant, mais qui se révèle à une écoute attentive extrêmement subtil et imperceptiblement décalé (un peu comme l’illustration de la pochette: le cliché glamour de la girl de Broadway, toute en jambes parée de plumes et de strass, dans sa loge en miroir brillamment éclairée - mais elle est plongée dans un gros bouquin.) • Music to Listen to Barney Kessel ByBarney Kessel (guitare), Buddy Collette (flûte, flûte alto, clarinette) / Ted Nash (flûte, clarinette), Jules Jacob (hautbois, cor anglais), George W. Smith (clarinette), Howard Terry (basson, clarinette, clarinette basse), Justin Gordon (clarinette, clarinette basse), André Previn / Jimmy Rowles / Claude Williamson (piano), Buddy Clark / Red Mitchell (contrebasse), Shelly Manne (batterie) Los Angeles, Contemporary Studio, 6.VIII, 15.X & 4.XII.1956 Contemporary / Original Jazz Classics - Benedictus a écrit:
Autour de Barney Kessel (qui se révèle ici aussi excellent arrangeur que guitariste) et d’une section rythmique (avec l’incontournable Shelly Manne à la batterie), un très surprenant quintette de bois, pour la plupart multi-instrumentistes (peu de noms connus, si ce n’est Buddy Collette sur certaines pistes.) Le langage est d’un élégant classicisme, mais les alliages de bois à géométrie variable sont aussi originaux que délicieux. • Nice Day with Buddy ColletteBuddy Collette (saxophones alto et ténor, clarinette, flûte), Don Friedman / Dick Shreve / Calvin Jackson (piano), John Goodman / Leroy Vinnegar (contrebasse), Shelly Manne (batterie) Los Angeles, Contemporary Studio, 6 & 29.XI.1956, 2.II.1957 Contemporary / Original Jazz Classics - Benedictus a écrit:
Justement, et un peu dans le même style, à la fois sophistiqué et sobre: Buddy Collette en solo alternant clarinette, flûte, saxophones alto et ténor avec une section rythmique. D’un lyrisme lumineux. • The Exciting Terry Gibbs Band!Terry Gibbs (vibraphone), Joe Maini, Charlie Kennedy, Bill Perkins, Richie Kamuca, Jack Nimitz (saxophones), Al Porcino, Ray Triscari, Conte Candoli, Stu Williamson (trompettes), Frank Rosolino, Vern Friley, Bob Edmondson (trombones), Pat Moran (piano), Buddy Clark (contrebasse), Mel Lewis (batterie) En public, Hollywood, The Summit Club, I.1961 Verve - Benedictus a écrit:
Un album fort bien nommé: de généreuses sections de cuivres pleines d’élan avec quelques pointures californiennes (Joe Maini, Bill Perkins, Richie Kamuca, Conte Candoli, Frank Rosolino…), Mel Lewis à la batterie, et, en avant, le vibraphone jubilatoire de Terry Gibbs. On pense à un Lionel Hampton en big band subverti par les arrangements de Bill Holman, Shorty Rogers ou Al Cohn. • Music to Listen to Red Norvo ByRed Norvo (vibraphone), Buddy Collette (flûte), Bill Smith (clarinette), Barney Kessel (guitare), Red Mitchell (contrebasse), Shelly Manne (batterie) Los Angeles, Contemporary Studio, 26.I, 9.II & 2.III.1957 Contemporary / Original Jazz Classics - Benedictus a écrit:
Tout à fait dans le même esprit que le disque homonyme de Barney Kessel dont j’ai parlé l’autre jour (d’ailleurs, tous les instrumentistes de celui-ci figuraient déjà sur celui-là: Buddy Collette à la flûte, Bill Smith à la clarinette, Barney Kessel à la guitare, Red Mitchell à la basse, Shelly Manne à la batterie): un jazz chambriste aux sonorités fines, nettes et un peu rêveuses (à commencer par celle du vibraphoniste Red Norvo); des compositions ciselées de west coasters de formation classique (outre Kessel, Smith et Norvo: Jack Montrose, Duane Tatro, Lennie Niehaus et Bill Smith) - du point de vue du langage, on pourrait presque parler de Third Stream, mais c’est un Third Stream aux climats souriants et lumineux (même le Divertimento en quatre mouvements de Bill Smith.) Délicieux. • Terry Gibbs and his Big Band: Swing is here!Terry Gibbs (vibraphone), Al Porcino, Conte Candoli, Stu Williamson, Ray Triscari, Johnny Audino (trompettes), Bob Edmundson, Bobby Pring, Frank Rosolino, Tommy Sheppard (trombones), Joe Maini, Charlie Kennedy (saxophones alto), Bill Perkins, Med Flory (saxophones ténor), Jack Schwartz (saxophone baryton), Lou Levy (piano), Buddy Clark (contrebasse), Mel Lewis (batterie) Los Angeles, 23-24.II.1960 Verve - Benedictus a écrit:
Encore Terry Gibbs en big band - presque aussi électrisant que le live dont je parlais l’autre jour: un swing incroyable digne des meilleurs orchestres des années 30, avec le punch des souffleurs italo-californiens (Porcino, C. Candoli, Rosolino, Maini…) et des arrangements plus sophistiqués qu’il n’y paraît. Ludique et jubilatoire.
(Ne vous laissez pas influencer par le faux air de Darmanin que peut avoir Terry Gibbs sur la photo de couverture.) • Barney Kessel: Carmen. Modern Jazz Performances from Bizet’s OperaBarney Kessel (guitare), Justin Gordon (flûte, flûte alto, saxophone ténor), Buddy Collette (clarinette, flûte), Jules Jacob (clarinette, hautbois), Bill Smith (clarinette, clarinette basse), Pete Terry (clarinette basse, basson), Ray Linn (trompette), Harry Betts (trombone), Herb Geller (saxophone alto), André Previn (piano), Victor Feldman (vb), Joe Mondragon (contrebasse), Shelly Manne (batterie) Los Angeles, Contemporary Records Studio, 19 & 22.XII.1958 Contemporary / Original Jazz Classics - Benedictus a écrit:
Encore une petite pépite signée Barney Kessel: huit arrangements jazz de numéros de Carmen - et c’est un enchantement d’un bout à l’autre. On n’est ici ni dans le kitsch (façon Aranjuez ou Kenton-Wagner) ni dans le gag (malgré la pochette rigolote): ce qu’on entend ici est au contraire d’une grande finesse et témoigne d’un véritable amour pour la musique de Bizet - et un amour «informé» (on a quand même à faire là à des musiciens dotés d’une vraie formation classique - à commencer par André Prévin au piano): je veux dire par là que, autant sinon plus que la verve de Carmen, les musiciens ont à cœur d’en faire ressortir les subtilités (les contrechants des bois - ici encore, on a Buddy Collette à la clarinette et à la flûte, Bill Smith à la clarinette et à la clarinette basse -, les modulations…) Alors, certes, on a bien sûr les tubes (l’Air du toréador, la Chanson bohémienne, la Habanera, la Marche du IV), repris avec un sens du swing, une inventivité, une légèreté de touche tout à fait jubilatoires, mais aussi, de façon plus inattendue, des passages d’une poésie très délicate (en particulier le duo «Parle-moi de ma mère»; mais aussi - étonnamment isolé et traité avec une grande économie celui de moyens: guitare, vibraphone et section rythmique - le «Si tu m’aime» du IV) et même la Séguedille, traitée tout en understatement. Vraiment à écouter (a fortiori si on aime Carmen.) • Jack Montrose Sextet, featuring Bob Gordon, Conte Candoli and Shelly ManneJack Montrose (saxophone), Conte Candoli (trompette), Bob Gordon (saxophone baryton), Paul Moer (piano), Ralph Peña (contrebasse), Shelly Manne (batterie) Los Angeles, 24.VI & 6.VII.1955 Pacific Jazz - Benedictus a écrit:
Comme je le disais un peu plus haut: s’il n’est pas le plus typé des saxophonistes de West Coast (à côté des Art Pepper, Bud Shank, Richie Kamuca…), Jack Montrose s’avère en revanche un compositeur (ici sur la plupart des titres), un arrangeurs (sur tous) et un leader des plus intéressants. Doté (à la manière d’un Niehaus ou d’un Holman) d’une formation classique, on l’entend ici passionné d’expérimentations (contrapuntisme poussé, polytonalité, rythmes asymétriques) mais sans que ça nuise à la qualité jazzistique de ce disque en sextet: la «complexité» ou l’«abstraction» ne se fait en fait entendre que dans les ensembles - expositions initiales, relais, codas - tandis que l’espace (généreux) accordés aux solos reste le lieu de l’expression mélodique, qui reste ici immédiate et directe. L’autre point fort de ce disque est la variété des influences et des langages qu’il brasse dans ce cadre - certes, le style cool du West Coast est bien là (en particulier dans les très beaux solos de Bob Gordon), mais aussi des tournures de musiques latines et, ce qui était plus rare en Californie dans les années 50, le balancement rythmique du blues et les figures plus heurtées du bop (notamment dans les solos de Conte Candoli) - Montrose a d’ailleurs aussi été arrangeur pour Clifford Brown. Un disque assez passionnant dans la mesure où, malgré son abord très maîtrisé, il semble en fait sans arrêt ouvrir des perspectives.
(Et bien sûr Shelly Manne à la batterie sur les deux derniers. D’ailleurs, une question que je me pose, quand je vois le nombre de disques auxquels il a collaboré: quand est-ce qu’il dormait et qu’il mangeait, dans les années 50?) • Charlie Mariano & Jerry Dodgion Sextet: Beauties of 1918Charlie Mariano (saxophone alto, flûte à bec), Jerry Dodgion (saxophone alto, flûte), Victor Feldman (vibraphone), Jimmy Rowles (piano), Monty Budwig (contrebasse), Shelly Manne (batterie) 10-11.XII.1957 World Pacific Records - Benedictus a écrit:
Beauties of 1918 de Charlie Mariano et Jerry Dodgion (et non Dodgian comme il est écrit sur la couverture originale) reprend de façon très ludique et souriante (un peu à la manière des petits ensembles de Barney Kessel - il faut vraiment écouter les échanges sur K-K-K-Katy ou Ja-Da) des chansons populaires aux Etats-Unis à l’époque de la Première Guerre mondiale (et souvent directement inspirées par elle.) Facture typiquement West Coast - avec Vic Feldman aux vibes, et une section rythmique Jimmy Rowles / Monty Budwig / Shelly Manne. • Bill Perkins & Richie Kamuca: Tenors Head-OnBill Perkins (saxophone ténor, clarinette basse, flûte), Richie Kamuca (saxophone ténor), Pete Jolly (piano), Red Mitchell (contrebasse), Stan Levey (batterie) Los Angeles, VI.1956 Liberty / Pacific Jazz - Benedictus a écrit:
Avec Tenors Head On, on est pas loin des duos Al Cohn / Zoot Sims dont parlait Alifie l’autre jour: Bill Perkins et Richie Kamuca (qui d’ailleurs étaient les deux autres Brothers! d’Al Cohn sur le fameux disque RCA) sont si proches de style et de sonorité qu’il faut vraiment tendre l’oreille pour les distinguer, et encore (ils sont vraiment indiscernables quand ils jouent ensemble; en solo, la sonorité de Perkins sonne peut-être un tout petit peu moins ouatée, les phrasés de Kamuca un peu moins longs, mais même comme ça…) - deux lestériens d’un lyrisme qui enchante d’un bout à l’autre de ce disque… Et avec une excellente section rythmique, assez subtile (Pete Jolly au piano, Red Mitchell à la contrebasse et Stan Levey à la batterie.) • Duane Tatro’s Jazz for ModernsStu Williamson (trompette), Bob Enevoldsen (trombone à coulisse), Joe Eger, Vincent DeRosa (cors), Bill Holman (saxophone ténor), Lennie Niehaus, Joe Maini Jr. / Jimmy Giuffre, Bob Gordon (saxophones baryton), Ralph Peña (contrebasse), Shelly Manne (batterie) Los Angeles, 13.IX.1954, 4.IV & 1.XI.1955 Contemporary / Original Jazz Classics - Benedictus a écrit:
Avec l’arrangeur et compositeur Duane Tatro (ancien élève d’Honegger à Paris), on pourrait se croire, sur le papier, en plein Third Stream hardcore: c’est une musique fondamentalement contrapuntique (jusqu’à des combinaisons extrêmement complexes comme un triple contrepoint en miroir), qui explore des formules harmoniques assez élaborées (modalité, atonalité, polytonalité, dodécaphonisme), avec des ostinatos, des clusters… Pour autant, les musiciens qui servent ces pièces sont certes des gens qui se meuvent avec aisance dans ce genre de complexité, mais qui sont aussi capables doués d’un vrai sens du swing et de ce lyrisme cool propre au West Coast - en particulier aux saxes: Bill Holman, Lennie Niehaus, Jimmy Giuffre, Joe Maini, Bob Gordon. (Et bien sûr Shelly Manne à la batterie, une fois encore…) De sorte que ce qui en ressort est plus une impression de délicatesse ciselée et de retenue expressive que de froide cérébralité. Évidemment pas recommandé à qui voudrait du jazz direct, groovy et surchauffé, mais pour moi beaucoup plus séduisant que certaines expérimentations de Tristano ou du MJQ.
Dernière édition par Benedictus le Dim 2 Juil 2023 - 15:51, édité 2 fois |
| | | Alifie Googlemaniac
Nombre de messages : 20840 Date d'inscription : 29/01/2012
| Sujet: Re: Le jazz West Coast Mar 27 Juin 2023 - 19:19 | |
| pour la présentation et la discographie rassemblée à partir de tes écoutes récentes. Un point notable est que la quasi-totalité des musiciens que tu cites sont restés fidèles au style West Coast (Chet Baker est, à défaut, resté un jazzman cool, hormis quelques albums improbables avec des mariachis dans la seconde moitié des années 60), à deux exceptions notables près : Giuffre, bien sûr, à partir de son trio avec Paul Bley et Steve Swallow, et Art Pepper, dont l'évolution stylistique date du milieu des années 60, à l'époque de ses séjours répétés à San Quentin (cf. par ex. https://youtu.be/jn8VzO-KbfQ), avant l'album Living Legend, en 1975, qui a vraiment relancé sa carrière. Un point de détail, enfin (sans vouloir être indélicat avec les mouches) : Zoot Sims (j'y suis en plein, ceci explique cela) était bien un West Coaster à l'origine, même s'il ne l'est pas resté longtemps. Pour le reste, je gage qu'on ne devrait pas tarder à voir néthou poster sur le fil. |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Le jazz West Coast Mar 27 Juin 2023 - 20:44 | |
| (Là, je suis en train de préparer la disco du Lighthouse All-Stars de Rumsey.) - Alifie a écrit:
- à deux exceptions notables près : Giuffre, bien sûr, à partir de son trio avec Paul Bley et Steve Swallow
Cela dit, dès Tangents in Jazz, on pouvait se rendre compte que le gars avait autre chose derrière la tête. (De toute manière, j'aime autant Giuffre free que Giuffre West Coast.) - Alifie a écrit:
- et Art Pepper, dont l'évolution stylistique date du milieu des années 60, à l'époque de ses séjours répétés à San Quentin (cf. par ex. https://youtu.be/jn8VzO-KbfQ), avant l'album Living Legend, en 1975, qui a vraiment relancé sa carrière.
Même dès 1960: sur Smack Up et encore plus sur Intensity, on sent déjà qu'il a entendu Coltrane. (Et puis, Art Pepper aussi, j'aime tout.) - Alifie a écrit:
- Un point de détail, enfin (sans vouloir être indélicat avec les mouches) : Zoot Sims (j'y suis en plein, ceci explique cela) était bien un West Coaster à l'origine, même s'il ne l'est pas resté longtemps.
Oui - d'ailleurs son frère Ray, tromboniste, l'est resté (surtout comme sideman dans des enregistrements de big bands ou dans l'octuor de Dave Pell.) - Alifie a écrit:
- Pour le reste, je gage qu'on ne devrait pas tarder à voir néthou poster sur le fil.
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| | | arnaud bellemontagne Gourou-leader
Nombre de messages : 25933 Date d'inscription : 22/01/2010
| Sujet: Re: Le jazz West Coast Mar 27 Juin 2023 - 22:45 | |
| Bravo @Benedictus, ce fil est une vraie mine! Dis-moi, comment s'inscrit Lennie Tristano dans ce courant ? |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Le jazz West Coast Mar 27 Juin 2023 - 23:34 | |
| - arnaud bellemontagne a écrit:
- Dis-moi, comment s'inscrit Lennie Tristano dans ce courant ?
Il ne s'y inscrit pas. Ou, pour être précis: disons tout d'abord que, sans en être partie prenante (Tristano est fondamentalement un homme de la côte Est), il y a, sinon une influence directe, du moins des préoccupations communes qu'on peut facilement déceler en filigrane dans les franges les plus expérimentales du West Coast - en particulier chez Shelly Manne, Shorty Rogers, ou Jimmy Giuffre lorsqu'ils tirent vraiment sur le Third Stream; c'est assez sensible par exemple dans dans ces albums: Ensuite, il faut noter que les véritables disciples de Tristano - Lee Konitz et Warne Marsh - ont plutôt été des «compagnons de route», leurs collaborations avec les westcoasters ayant été significatives mais ponctuelles (les enregistrements de Warne Marsh avec Art Pepper, ceux de Lee Konitz avec Jimmy Giuffre), et procèdent d'ailleurs plus d'une esthétique commune à la fois cool et élaborée que d'une obédience «tristanienne» proprement dite. Enfin, parmi les compositeurs-arrangeurs West Coast les plus intellos proches du Third Stream (Duane Tatro dont je parlais hier, ou encore Lyle “Spud” Murphy - qui avait inventé son propre système dodécaphonique, j'essaierai d'en parler un de ces jours) ont souvent développé leurs propres langages directement à partir de leur formation musicale «classique» sans passer par la médiation de Tristano - même si, là aussi, ça peut sembler aller dans le même sens. Par ailleurs, sur la côte Ouest, il y a très souvent une dimension ludique voire teintée d'humour loufoque chez les compositeurs-arrangeurs les plus expérimentaux et sophistiqués (c'est très sensible chez Shorty Rogers ou Pete Rugolo) qui semble assez étrangère à Tristano. |
| | | darkmagus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 2502 Localisation : sud-est Date d'inscription : 04/10/2013
| | | | néthou JazzAuNeth
Nombre de messages : 2030 Date d'inscription : 04/03/2011
| Sujet: Re: Le jazz West Coast Jeu 29 Juin 2023 - 17:36 | |
| Mode "provocation" on
Je note que cette partie du forum commence -enfin- à avoir du goût !
Mode "provocation" off
Rien à ajouter à ce que l'initiateur du sujet a déjà pu excellemment dire, sinon qu'il est bien difficile de définir, vu les va-et-vient, collaborations et autres évolutions personnelles, ce qu'est vraiment le West Coast. Il me semble avoir déjà dit il y a longtemps dans le post "Si j'aime le jazz" qu'à tout prendre, le seul dénominateur commun du style West Coast, c'est que les musiciens sont blancs, et encore... Ce qui ne nous mène pas bien loin. Plus que la filiation avec le cool façon Miles Davis-Gil Evans, je trouve davantage de parenté avec Kansas City, Lester, bref une façon plus "nature" d'aborder thèmes et arrangements. Les big bands type Woody Herman ou Stan Kenton , malgré ses velléités -et ses arrangeurs-modernistes, sont plus Basie -voire Lunceford- qu'Ellington. Et même davantage de parenté avec les petites formations middle des années 30-40. Arrangements, assise de la rythmique où la guitare garde une grande place là où elle a disparu ailleurs, riffs. Pas étonnant que les Al Cohn, Shorty Rogers ou Zoot Sims se soient entendus comme larrons en foire avec les vieux routiers de KC, ou repris les thèmes basiens, ou plus simplement joué avec Basie...
Ensuite, si on rentre dans le détail, ça se complique et se complexifie singulièrement. Quand on a oublié les étiquettes, les modes, les parti-pris et les images, il reste l'essentiel: de fabuleux musiciens. |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
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| Sujet: Re: Le jazz West Coast Dim 2 Juil 2023 - 15:11 | |
| @darkmagus: En effet, plein de choses très chouettes dans ce coffret! Il montre aussi les ambiguïtés de ce termes qui peut désigner un style de jazz qu’on appelle West Coast (cool et sophistiqué, surtout joué par des musiciens blancs) ou bien le jazz qui s’est fait sur la côte Ouest, toutes esthétiques confondues.
Là, ce qui est intéressant, c’est qu’on y a aussi une bonne représentation des musiciens afro-descendants actifs en Californie dans les années 50 avec: - deux albums d’une esthétique West Coast (le disque qui regroupe l’unique album de Carl Perkins en leader de trio et celui du quintette de Curtis Counce, excellents tous les deux - il y a aussi Chico Hamilton avec des arrangements de cordes, peut-être encore plus typiquement West Coast pour le côté cool et sophistiqué, mais auquel, bizarrement, j’accroche moins); - deux de mes albums préférés de boppers californiens (West Coast Blues d’Harold Land et Sunset Eyes de Terry Edwards - auxquels on pourrait aussi rajouter quelques Howard McGhee.) (Red Callender et Gerald Wiggins, je ne connais pas ces deux albums comme leaders - dans mon esprit, c’est plutôt des musiciens mainstream, capables de s’adapter un peu à tous les contextes comme sidemen.)
@néthou: En fait, je ne connais pas bien le Kansas City Jazz (je connais seulement bien la discographie plus tardive de Count Basie et de Coleman Hawkins - et quelques titres de Lunceford.) Mais en effet, entre le génial Shorty Courts the Count et Jazz Giant de Benny Carter (enregistré à LA en 58 avec Ben Webster et une brochette de purs westcoasters - Rosolino, Previn, Rowles, Kessel, Vinnegar et Manne), on a quelques beaux exemples de l’affinité évidente avec le middle jazz!
Cela dit, il me semble que le West Coast évolue quand même entre deux pôles, disons un pôle middle jazz et un pôle Third Stream (voir notamment les albums et les musiciens dont je parlais en réponse à Arnaud.) Par ailleurs, si on se fie aux témoignages d’acteurs du West Coast, le nonette de Davis semble avoir été une vraie référence pour beaucoup d’entre eux (via sans doute les ensembles de Mulligan auxquels pas mal d’entre eux ont participé.)
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| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Le jazz West Coast Dim 2 Juil 2023 - 15:22 | |
| Bon, avant de me lancer dans une réécoute chronologique des disques du Lighthouse All-Stars d’Howard Rumsey, encore quelques petits joyaux méconnus: • Dave Pell: The Big Small BandsDave Pell (saxophone ténor, saxophone baryton), Jack Sheldon, Frank Beach, Don Fagerquist, Cappy Lewis (trompettes), Bob Enevoldsen (trombone à coulisse), Hoyt Bohanon (trombone), Arthur Maebe (cor), Philip Stephens (tuba), Abe Most (clarinette), Art Pepper (saxophone alto), Marty Berman, Ronny Lang (saxophone baryton), Tony Rizzi (guitare), Marty Paich, André Previn (piano), John T. Williams (piano, clavecin), Buddy Clark, Red Mitchell, Bob Gibbons (contrebasse), Mel Lewis, Frank Capp, Shelly Manne (batterie) Hollywood, Capitol Studios, 19 & 26.III.1959, 4 & 7.V.1959 Capitol / Fresh SoundsDave Pell est peut-être le musicien West Coast le plus «revivaliste»: quelques années après ses disques en octet consacrés à des relectures des songwriters des années folles (Irving Berlin, Rodgers & Hart), et juste avant un disque consacré à la musique de John Kirby ( I Remember John Kirby), il a produit ce disque, sous-titré a musical re-creation - qui est comme une promenade amoureuse dans l’histoire des petits ensembles de jazz. C’est à l’origine un projet de geeks discophiles: Pell, Jimmy Priddy (un tromboniste, ancien des orchestres de Glenn Miller et Benny Goodman) et Bob Enevoldsen, en écoutant de vieux 78 tours de petits ensembles des années 30 au début des années 50, ont eu l’idée de les recréer non pas en s’en appropriant les thèmes musicaux à leur manière mais en cherchant à en recréer à l’identique la sonorité et le style de jeu mêmes; il s’est ensuivi un travail de transcription «à l’oreille» de ces disques, puis de répétition - de fait, assez inaccoutumé dans le jazz puisqu’il s’agissait de rester au plus près de l’original. On a ainsi une première face qui restitue avec une fraîcheur, une verdeur et une netteté inaccoutumée (et en stéréo) les timbres, les équilibres, les modes de jeu et les phrasés extrêmement typés de petits ensembles de middle jazz des années 30 et 40 (le Sextet de John Kirby sur Then I’ll Be Happy, le Septet de Benny Goodman sur A Smo-o-o-oth One, le Quintet de Raymond Scott sur In an 18th Century Drawing Room, le Gramercy Five d’Artie Shaw sur Summit Ridge Drive¹, le Clambake Seven de Tommy Dorsey sur At the Codfish Ball et Lester Young en quintette avec Basie sur Jumpin’ with Symphony Sid.) La seconde face, elle, est consacrée aux EP du «jazz moderne» (plutôt aux débuts du West Coast, mais pas seulement) en recréant Popo par Shorty Rogers et ses Giants (sur Modern Sounds, en 1951), Boplicity par Miles Davis et son Nonet (sur Birth of the Cool), Dark Eyes par le Trio de Gene Krupa (sur leur premier 45t Columbia), Viva Zapata par le Lighthouse All Stars de 1952 (sur le tout premier Sunday Jazz A La Lighthouse - ici sans les bruits du bar, il est vrai!) et Walking Shoes par le Tentet de Gerry Mulligan (eux aussi sur leur premier 45t Columbia) - en rendant vraiment à merveille les idiosyncrasies stylistiques de chaque ensemble. La promenade se termine sur le tout premier hit de Dave Pell lui-même, Mountain Greenery - le seul morceau qui fasse l’objet d’une réinterprétation libre (avec trois des musiciens originaux, il est vrai) et qui prend un peu en écharpe tout le disque, puisqu’il commence dans un univers «rétro» imaginaire, entre simili-Dixieland et pseudo-baroque swingué à la Raymond Scott, pour se finir dans un style West Coast bon teint. Dans ce patchwork très réussi, on est frappé l’extraordinaire mimétisme des musiciens, qui arrivent vraiment à reproduire les timbres et les phrasés des musiciens qu’ils «recréent» ainsi. C’est particulièrement frappant dans la façon absolument confondante dont Jack Sheldon imite Miles Davis, où dans l’hommage que rend Dave Pell aux saxophonistes qui l’ont le plus influencé, Lester Young et Charlie Christian Ventura - mais aussi dans la façon dont les moins connus Abe Most et Cappy Lewis restituent les échanges de Benny Goodman et Cootie Williams. Le résultat de ce disque est vraiment extrêmement savoureux, tout en finesse et légèreté de touche (en fait, si l’effectif mentionné ci-dessus semble pléthorique, c’est parce que le disque a été réalisé en plusieurs sessions, avec des musiciens différents, mais il ne s’agit toujours que de petits ensembles, comme le titre l’indique) - et on sent dans ce travail très fignolé un véritable amour pour tous ces ensembles de jadis et naguère (enfin, «jadis et naguère» en 1959.) ¹ Où on a même l’occasion d’entendre le futur compositeur de Star Wars jouer du clavecin!• Med Flory and his Orchestra: Jazz WaveMed Flory (saxophone alto, saxophone ténor, leader), Lee Katzman ou Conte Candoli, Al Porcino, Jack Hohmann, Ray Triscari (trompettes), Lew McCreary, Dave Wells (trompettes basses, trombones), Charlie Kennedy (saxophone alto), Bill Holman, Richie Kamuca (saxophones ténor), Bill Hood (saxophone baryton), Russ Freeman (piano), Red Kelly ou Buddy Clark (contrebasse), Mel Lewis (batterie) Hollywood, 13.V & 8.X.1957 Jubilee / Fresh Sounds• Bob Florence: Name Band 1959Bob Florence (piano, arrangements, leader), Johnny Audino, Tony Terran, Jules Chaikin, Irv Bush (trompettes), Bob Edmondson, Bobby Pring, Don Nelligan, Herbie Harper ou Bob Enevoldsen (trombones), Herb Geller, Bernie Fleischer (saxophones altos), Bob Hardaway (saxophone ténor), Don Shelton (saxophone ténor, clarinette), Dennis Budimir (guitare), Mel Pollan (contrebasse), Jack Davenport (batterie) Hollywood, UCLA, Royce Hall Auditorium, XI.1958 Carlton / Fresh SoundsDeux albums très réussis de big band West Coast, par des musiciens qui ne connaîtront le succès que bien plus tard avec leurs ensembles respectifs (Supersax dans les années 70-80 pour Med Flory - qui aura aussi fait une carrière…. d’acteur de séries télé - et le Limited Edition dans les années 80 à 2000 pour Bob Florence) Jazz Wave de Med Flory se rapproche beaucoup du style des albums de Bill Holman (qui participe lui-même au saxophone ténor et signe deux arrangements): moins basien que beaucoup d’autres, que ce soit dans les équilibres (peu de trombones par rapport aux trompettes et aux saxes, pas de guitare mais une section rythmique assez présente - et percutante) ou dans le style des arrangements et des compositions (sobre et élégant, efficace et sans complexité ostentatoire mais néanmoins très écrit avec de petites trouvailles discrètes; privilégiant l’expression mélodique des solos - notamment de ces saxes typiquement West Coast, avec leurs longues lignes sensuelles et sophistiquées - tuilés par de courts énoncés de l’ensemble.) Un disque qui s’écoute et se réécoute avec un plaisir toujours renouvelé. Avec Name Band 1959 de Bob Florence, on est en revanche en plein dans la filiation des grands ensembles des années 30 et 40, avec une sonorité brillante et charnue de pupitres de cuivres par quatre et une guitare assez présente (et un piano laconique à la Basie), et avec un langage très direct (avec des des cellules mélodiques et rythmiques d’une grande simplicité), un swing irrépressible et continu, beaucoup de riffs et des solos plus volubiles et ludiques que lyriques. Comme compositeur et arrangeur, Bob Florence (qui revendiquait comme influences Woody Herman, Count Basie, Bob Brookmeyer et Bill Holman - mais aussi Duke Ellington et Al Cohn, ce qui s’entend moins) avait pour ambition de proposer une musique positive, colorée, joyeuse, exubérante même (même si on sent bien que l’ensemble fonctionne au cordeau, et que ça ne manque pas non plus de finesse), et du swing avant toute chose. Mission accomplie: c’est un disque à la bonne humeur contagieuse! PS: Si l’on veut écouter ces disques en CD, ils ont été réédités par Fresh Sound, couplés à d’autres LP ( I Remember John Kirby de Dave Pell), à des EP jamais réédités (pour Med Flory) ou avec beaucoup de prises alternatives (pour Name Band 1959) sous ces couvertures:
Dernière édition par Benedictus le Dim 2 Juil 2023 - 17:05, édité 1 fois |
| | | néthou JazzAuNeth
Nombre de messages : 2030 Date d'inscription : 04/03/2011
| Sujet: Re: Le jazz West Coast Dim 2 Juil 2023 - 16:47 | |
| Il me semble que la musique du nonette de Miles Davis ne colle pas -bien qu'ils n'aient pu passer à côté- avec nombre de musiciens typés West Coast; Shorty Rogers, Al Cohn, Bud Shank, ne sont pas dans ce registre; On notera d'ailleurs que si certains ont ensuite dérivé vers autre chose (traduction: ont évolué vers un jazz plus personnel ou contemporain), comme Konitz, Giuffre ou même Art Pepper, les précités sont restés dans un univers typique West Coast, et ce n'est pas un hasard si le Lighthouse All-Stars a perduré avec les mêmes ou presque, mais avec 30 ans de plus. Je persiste à penser que le nonette de Miles Davis n'a pas eu de réelle influence musicale sur la durée, tout comme le Kind of Blue de Miles Davis n'a pas eu vraiment de suite musicale et discographique (ce qui n'empêche aucunement les 2 disques de rester des chefs d'oeuvre inégalés jalonnant l'histoire du jazz). Les années 50 sont plutôt celles du hard bop, les années 60 celles d'un Coltrane qui bien qu'ayant participé à Kind of Blue joue surtout sa propre musique et surtout du free jazz qui me semble procéder d'autre chose que de l'innovation de Birth of the cool 10 ans auparavant.
L'ancrage de la West Coast me semble plus classique, comme dit plus haut, mais par des musiciens qui n'ont forcément pas pu passer à côté de Parker et du bop; Parker ayant commencé à KC chez Jay Mc Shann avec des racines "blues" évidentes, le bop étant une évolution qui prend aussi racine chez Lester et sa réécriture des thèmes, sa poésie harmonique, ou chez Jo Jones pour l'influence qu'il a pu avoir sur les jeunes batteurs du bop comme Kenny Clarke ou Roach. Monk n'est pas loin, Dizzy a commencé chez Cab Calloway, on pourrait multiplier les exemples à foison (et d'ailleurs, il y a un lapsus révélateur dans ton dernier post, quand tu cites Charlie Christian comme le saxophoniste qui avec Lester a le plus influencé Dave Pell, sachant que lui-aussi a participé aux jams du Minton et fait partie de ceux par lesquels le "scandale" du bop arrive, comme la comète Jimmy Blanton, moins par leur univers musical que par la virtuosité qui fait sortir leur instrument du registre utilisé jusqu'alors, et ce faisant libère des carcans en usage dans toutes les années 30 (ou, en tous cas, ressentis comme tels par les jeunes musiciens). Tout ça pour dire qu'il est difficile de déterminer qui de l'oeuf ou de la poule dans cet enchevêtrement musical.
Et Dave Pell, c'est chouette !
(tu aurais aussi pu citer, à un degré moindre, Ronny Lang qui évolue dans le même registre. Et si on veut John Williams au clavecin, il faut écouter "Combo !" d'Henry Mancini, où Art Pepper joue aussi formidablement de la clarinette). |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Le jazz West Coast Dim 2 Juil 2023 - 17:04 | |
| - néthou a écrit:
- et d'ailleurs, il y a un lapsus révélateur dans ton dernier post, quand tu cites Charlie Christian comme le saxophoniste qui avec Lester a le plus influencé Dave Pell
Ah oui, pardon! Il s'agissait bien sûr de Charlie Ventura! |
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