Quintette « de Paris » : Sohy, Cras, Jolivet, Tournier

Le 5 juillet 2023, festival Jeunes Talents à Sainte-Croix des Arméniens (Paris).

Répertoire historique du Quintette de Paris (trio à cordes, flûte et harpe), entrecoupés d'extraits de Rimbaud, par le Quintette Le Bateau ivre.  

La formation du Quintette de Paris est en réalité issue de la formation étoffée du trio pour flûte, alto et harpe de Debussy, avec deux cordes supplémentaires. Le concert en comporte quelques-uns (celui de Koechlin est lui aussi remarquable et quelquefois donné).

¶ Charlotte Sohy (1887 – 1955), Triptyque Champêtre op. 21 (1925).
Belle musique à la française, la circulation du premier thème est en particulier réussie. J'ai trouvé les trois mouvements assez homogènes, mais la formation telle qu'elle est ne permet pas de grands contrastes dynamiques ni l'effet de mordants forts comme les quintettes avec cor ou piano, par exemple.

J'ai aussi remarqué la différence lorsque j'ai sorti la partition : soudain tout prenait sens, et rien que voir l'allure des parties permettait de bien mieux comprendre la logique de ce qui était en jeu, et m'avait largement échappé pendant le très beau Sohy et le début du Cras.
Il faut dire que cette musique est à la fois suave, mélodique, agréable à suivre (les lignes très audibles de la flûte, le tintement de la harpe…), et assez complexe en termes d'écriture musicale, avec un discours vraiment savant qui outrepasse largement le canon classique ou romantique.

¶ Jean Cras (1879 – 1932), Quintette (1928)
Chaque mouvement explore des possibilités instrumentales et des caractères musicaux différents, je n'avais jamais perçu auparavant (sans partition) à quel point cette œuvre est d'une richesse et d'un aboutissement considérables. Le premier mouvement par exemple est tout entier bâti sur un simple battement de seconde majeure (une sorte de trille lent), qui se déploie de mainte façon distincte. Un véritable tour de force, une sorce de Cinquième de Beethoven sur un ton très apaisé et souriant.

¶ André Jolivet (1905 – 1974), Chant de Linos (1944)
Je n'aime pas trop Jolivet d'ordinaire – je ne le trouve ni très singulier, ni très roboratif (souvent des couleurs assez sombres, sans que le langage échappe tout à fait à la familiarité). Mais ce Chant de Linos, ouvert par une flûte solo, est très réussi, et la danse sauvage qui le conclut rappelle les meilleures pages de Jolivet (Danses rituelles pour piano notamment).

¶ Marcel Tournier (1879 – 1951), Suite Op.34 : « IV. Fête » (1928)
Pour finir, le dernier mouvement de la Suite de Marcel Tournier. Compositeur harpiste, qui a laissé ce qui constitue peut-être le plus beau corpus de l'instrument : de véritables œuvres pensées et développées, dotées d'une recherche musicale, d'un discours propre, qui ne servent pas simplement à faire briller les beaux glissandi et les figuralismes aquatiques – elles sonnent bien même au piano.
Pour ce quintette, on retrouve les mêmes qualités, jusque dans le virtuose et trépidant final qui était joué ce mercredi soir. (J'aurais bien sûr aimé l'entendre en entier, mais que retrancher dans ce programme merveilleux ?)

Pour ne rien gâcher, le niveau de l'ensemble (second prix à Osaka récemment) est exceptionnel. J'y retrouve Samuel Casale (qui m'avait époustouflé dans une pièce solo d'Eugène Bozza, cf. https://twitter.com/carnetsol/status/980415736047980544 ), et découvre leur altiste Valentin Chiapello, monstrueux, qui semble à l'envi jouer plutôt du violon ou plutôt du violoncelle…

(D'une manière générale, super programme à Jeunes Talents cette saison, profitez-en !)

Après recherche avec les membres du forum présents, il semblerait que Jean Cras ne se prononce ni [Cra] ni [Crass], mais [Craz].

DavidLeMarrec a écrit:

¶ André Jolivet (1905 – 1974), Chant de Linos (1944)
Je n'aime pas trop Jolivet d'ordinaire – je ne le trouve ni très singulier, ni très roboratif (souvent des couleurs assez sombres, sans que le langage échappe tout à fait à la familiarité). Mais ce Chant de Linos, ouvert par une flûte solo, est très réussi, et la danse sauvage qui le conclut rappelle les meilleures pages de Jolivet (Danses rituelles pour piano notamment).

En fouillant un peu (mais je suppose que tu l'as fait), il y a quand même pas mal d'oeuvres de cette qualité-là je trouve. (à quand un enregistrement de la superbe Danse incantatoire pour orchestre, et d'autres oeuvres qu'on n'a même jamais pu entendre??)

C'est moins une question de qualité (j'aurais du mal à en juger) que de ton.

Mais effectivement, comme je n'aime pas trop ses œuvres les plus célèbres (le concerto pour basson…), je n'ai pas creusé, il y a sans doute d'autres très belles choses.