Ce dimanche, dans une salle de concert cachée derrière une porte rue de Rome, programme Wagner-Koechlin-Scriabine-Mompou par
Xavier Busatto, avec nombreuses improvisations.
¶ Un arrangement inédit du Prélude de
Tristan und Isolde de Wagner (fondé sur la réduction d'Otto Singer II, mais très remanié) : l'idée est de respecter les octaves de la version orchestrale, et surtout les basses (le fondement de l'harmonie), souvent bidouillées (en retard notamment)
par les arrangeurs pour des raisons de confort pianistiques. Le résultat est particulièrement cohérent à l'oreille – et joué avec un beau respect des longs silences et une belle construction de la tension.
¶ Effet de concaténation très astucieux avec des préludes de maturité de
Scriabine très marqués par Tristan (en particulier Désir Op.57 n°1, quasiment la même matière !), la transition est saisissante.
¶ S'ensuivent des extraits des
Heures Persanes de
Koechlin, une des plus belles choses jamais écrites pour piano
- Spoiler:
(en tout cas je la mettais dans la première édition http://carnetsol.fr/css/index.php?2013/01/26/2182--selection-lutins-dix-disques-de-piano de mon top 10 http://carnetsol.fr/css/index.php?2019/11/02/3127--selection-lutins-dix-disques-de-piano-nouvelle-edition)
moments de poésie ineffable, écrits avec beaucoup de liberté – beaucoup de ses accords ne sont pas purement fonctionnels, mais choisis pour leur couleur (
Debussy attitude ), et la gestion du rythme par le compositeur est également très libre (durée des mesures trèès variable). Travail sur les strates passionnant, régulièrement écrit sur trois portées.
¶ La section Mompou culminait dans le duo avec
Alice Busatto dans un arrangement (préexistant) de la mélodie Combat del somni.
Une maîtrise impressionnante chez cette jeune interprète.
¶ Le clou attendu de tout spectacle de Xavier
Busatto, c'est la partie improvisation.
Le public met de petits papiers dans un chapeau avec des contraintes (thème + style, atmosphère…). Je l'ai déjà entendu (ren retransmission seulement) réaliser
God Save the Queen un jour de pluie dans le style de Mozart ou encore
la marche funèbre du Crépuscule des Dieux dans le style de Messiaen… Sa particularité, contrairement à beaucoup de pianistes improvisateurs, est de ne pas répéter une trouvaille mais d'explorer sans cesse de nouvelles modulations, de nouvelles mutations du thème. Ça m'impressionne beaucoup : lorsqu'on improvise, il est facile de se sélectionner une grille d'accords récurrente et de l'habiller avec force arpèges… ici, ce n'est pas du tout le cas, et ça réclame une maîtrise et une discipline assez remarquables pour renouveler sans cesse le contenu, ne jamais se contenter d'un thème bien trouvé ou d'une idée unique.
¶ Improvisation n°1 : libre, sur un motif très parent du début de l'Oiseau de feu.
n°2 : l'amour dans le style de Poulenc, belle évolution qui débute dans le style des Chemins de l'Amour avant d'emprunter aux modulations et couleurs du Poulenc plus sérieux…
n°3 : le début du Sacre du printemps en ragtime. Transfiguration étonnante, avec inclusion malicieuse des accords saturés des augures printaniers.
n°4 : « la joie des retrouvailles dans les yeux d'un enfant » commence par un style Mozart (exact à s'y méprendre !) avec basse d'Alberti et mue progressivement vers un style Richard Strauss. J'y entends aussi des diminutions et un pianisme typique des paraphrases de Czerny et Liszt, ainsi que, çà et là, des échos de la Valse des Fleurs de Tchaïkovski, l'esprit du Walhall de Rheingold, bref le glissement d'un thème vers sa (mort et) transfiguration. Vraiment impressionnant, celle qui m'a le plus cueilli.
n°5 : « une grotte de glace ». En quintes à vide dans une ambiance de cathédrale engloutie, des cordes pincées en arpèges brisées dans le clavier, et des harmonies qui semblent issues du mouvement lent immobile et saturé du Quintette de Koechlin.
n°6 : thèmes Disney dans le style de Wagner, mélangeant l'antique « Un jour mon prince viendra » avec « Ce rêve bleu », le tout émergeant d'une masse initiale façon Prélude de l'Or du Rhin.
n°7 : Speedy Gonzalez, Arriba. (Tout est dans le titre, je crois.)
… Première fois que je l'entendais en salle dans de l'improvisation sans support filmique, très ludique (et très impressionnant techniquement).
J'espère qu'il repassera bientôt à Paris. On m'a dit qu'il écrivait aussi en ligne, si quelqu'un sait où le lire, je suis curieux, il doit avoir plein de choses passionnantes à raconter !