Der Fischerknabe
Lied tiré du Wilhelm Tell de Friedrich Von SCHILLER
Es lächelt der See, er ladet zum Bade, / La mer semble sourire, elle invite au bain,
Der Knabe schlief ein am grünen Gestade, / L'enfant dort sur les rives verdoyantes ;
Da hört er ein Klingen, wie Flöten so süß, / Là, il entend un son, aussi doux que les flûtes,
Wie Stimmen der Engel im Paradies. / Comme des voix d'anges du Paradis.
Und wie er erwachet in seliger Lust, / Et comme il se réveille plein d'un plaisir bienheureux,
Da spielen die Wasser ihm um die Brust. / Les vagues jouent sur son sein.
Und es ruft aus den Tiefen: Lieb' Knabe, bist mein! / Et des profondeurs, un appel: Cher enfant, tu es mien!
Ich locke den Schläfer, ich zieh ihn herein. / Je tire le dormeur, je l'entraîne à l'intérieur.
Je remercie DavidLeMarrec pour la traduction en cours de modification.
Le Lied proposé temporairement est interprété par
Endrik Wottrich (ténor) et
Semjon Skigin (piano) dans sa version révisée de 1859/60.
Lien retiréJe signale juste que ce Lied n'est pas l'un des plus orginaux du corpus.
Comme souvent chez Liszt, les éléments thématiques sont exposés en introduction, réservée au piano:
-premier élément: les arpèges amples évoquant le flux et le reflux des vagues, et en même temps la contemplation d'une nature immense.
-deuxième élément: un thème lumineux et tendre de cinq accords, dont je me passe d'expliquer la disposition (parce que je ne sais pas le faire) et dans la partie haute du piano.
-troisième élément: un tremolando (ou double trille?) dans l'aigu, associé à un sentiment de plénitude. Notez que la figure du thème souriant est déjà soumise à une première variation à la main gauche, approfondissant le discours de séduction de la nature et plus particulièrement de la mer.
Comme dans le texte de Schiller, on entame le Lied de façon progressive: le décor est posé par les arpèges, et la forme impersonnelle "Es lächelt der See" (ici brillamment traduite par une sorte d'hésitation: la mer semble sourire) est exprimée par une attente avant l'entrée du thème souriant, exposé à deux reprises. Puis les arpèges s'envolent vers le registre aigu, l'ascension s'achevant par le tremolando de l'extase, et la parade de la mer sous-jacente (variation du thème souriant) avant de s'éteindre délicatement et sereinement:
On pourrait résumer ainsi cette première section, comme la thèse exposée: le bonheur est indissociable de la nature.
Maintenant que Liszt nous a présenté son postulat, il peut développer:
Es lächelt der See, er ladet zum Bade, / La mer semble sourire, elle invite au bain,Reprise de l'introduction: arpèges introductifs puis thème souriant à la voix et au piano.
Der Knabe schlief ein am grünen Gestade, / L'enfant dort sur les rives verdoyantes ;Les arpèges s'éteignent avant le verbe dormir, le chant est accompagné par des arpèges ascendants et séparés par des silences, illustrant l'état d'apaisement au contact de la nature. Au bout de cette nouvelle ascension délicate, le tremolando dans l'aigu, anticipant sur le "songe" des vers suivant.
Da hört er ein Klingen, wie Flöten so süß, / Là, il entend un son, aussi doux que les flûtes,Le tremolando est soutenu; par-dessous, le thème souriant varié en berceuse.
Wie Stimmen der Engel im Paradies. / Comme des voix d'anges du Paradis.Un silence entre les deux vers, moins pour séparer que pour effectuer une transition subtile, et, pour exprimer la perfection: le tremolando se métamorphose en accords plaqués toujours dans l'aigu, qui s'éteignent sur "Paradies". L'impression résultante est très forte: on effleure l'infini, l'entrevoit...
Und wie er erwachet in seliger Lust, / Et comme il se réveille plein d'un plaisir bienheureux,... Mais on ne l'atteint pas, juste des échos qui ne durent pas... le piano reprend alors la figure du bien-être (tremolando) et le thème de la berceuse, le petit pêcheur étant toujours sous le charme de la nature, ayant fait un pas vers le bonheur, mais incomplet.
Da spielen die Wasser ihm um die Brust. / Les vagues jouent sur son sein.A partir de là, le coup de génie: Le paysage s'assombrit soudainement au réveil, le tremolando jusqu'ici chaleureux se fait inquiétant, du rêve on passe au cauchemar de la réalité*.
*Volontairement, j'occulte l'analyse littéraire, qui voudrait vraisemblablement que l'on aborde le thème du malaise social et celui du suicide... très Sturm und Drang... et puis, je ne sais pas faire.
Transition: Le thème de la mer, les arpèges amples, revient brutalement et de façon criarde et incisive sur "Brust". Le petit pêcheur est gagné par l'angoisse. Tout cela s'interrompt violemment. Un silence... comme coupé de la réalité. Je ne peux m'empêcher de penser paysages marins de Victor Hugo ici!
Und es ruft aus den Tiefen: Lieb' Knabe, bist mein! / Et des profondeurs, un appel: Cher enfant, tu es mien!Une fin sous forme de récitatif. L'appel inquiétant et mystérieux nous paralyse avec le petit pêcheur et nous captive en même temps. Le silence alentour révèle une absence de décor terrestre, comme dans l'antichambre d'un lieu inconnu qui nous devient familier par la voix de la mer: "cher enfant, tu es mien!" La musique se veut rassurante et optimiste à partir de là: par l'harmonie employée d'une part, mais aussi le thème de la mer souriante varié à la voix, invitant et charmant...
Ich locke den Schläfer, ich zieh ihn herein. / Je tire le dormeur, je l'entraîne à l'intérieur.Ce thème varié est repris pour les deux derniers hémistiches, à chaque fois plus haut. On retrouve l'ascension transitoire initiale, conclue non par le tremolando qui n'est qu'un bien-être incomplet, mais par les accords plaqués du paradis, ou de l'éternité si on veut avec la fusion du thème de la mer et du sourire... tout cela s'évapore dans un silence parfait!
(Je suis prêt à parier que cette fin est dans la tonalité de fa dièse majeur!
Leslie Howard fait remarquer à propos de la
Ronde des lutins ou
Gnomenreigen, que Liszt recourt à cette tonalité pour évoquer la vie éternelle!)
Voilà la combinaison parfaite de la sensibilité et du calcul, de la rigeur dans la composition.
PS: Merci à sofro pour l'hébergement! Le fichier sera retiré soit ce soir soit demain.