Le Crépuscule des Dieux Le Crépuscule des Dieux - Götterdammerung - dernier volet de la tétralogie wagnérienne devait être à l'origine
le seul et unique épisode, et s'intituler "La Mort de Siegfried". Ce fut donc
le premier des quatres livrets à être écrit. Et celà n'est pas sans importance : fini la structure en trois actes bien ficelés comme
Die Waküre et
Siegfried.
La raison est simple la première scène était là pour raconter très brièvement les épisodes précédents qui ne devaient pas être mis en opéra. Wagner changea d'avis en décidant de raconter la jeunesse de Siegfried dans un autre opéra (qui deviendra
Siegfried). Pour autant il garda cette première scène.
Du fait de la présence de ce prologue,
le Crépuscule est donc la journée la plus longue du
Ring (en moyenne 4h15 ... mais peut se prolonger jusqu''à 4h30). Si Siegfried est divisé en 3 actes de longueurs a peu prés identiques,
le Crépuscule du fait de la présence du Prologue et d'un acte 1 hyperdéveloppé, est nettement plus déséquilibré (Parsifal est également dans ce cas là). Wagner sauve donc comme il
le peut la struture en 3 actes.
La composition quand a elle intervient bien plus tard. Entre la rédaction de ce livret et la composition s'écoule presque 30 ans : entre temps il a déjà composé Das Rheingold, Die Walküre, Tristan und Isolde, Meistersinger et Siegfried.
Le livret a été écrit par
le jeune Wagner révolutionnaire marxiste de 1848, c'est
le vieux Wagner se tournant vers
le mysticisme qui compose la partition.
C'est ainsi que la fin du livret sera remaniée plusieurs fois, comme si Wagner ne savait pas comment finir son oeuvre, et par là même lui donner un sens. Ecrite en 1848, cette fin sera remaniée en 1852 puis en 1856.
En 1874, Wagner a fini
le Crépuscule.
C'est pendant l'été 1876, que
le Crépuscule est crée (tout comme
Siegfried) au Festspielhaus de Bayreuth.
Avant-propos : le contexte, une journée sans dieuxAlors que Rheingold est un prologue sans humain,
le Crépuscule est un final sans dieux.
Remontons au 3° acte de Siegfried :
Tempête dans
le crâne de Wotan : les contradictions du personnage sont toujours belles et bien présentes. Il est à la fois résigné à sa propre fin, et volontariste pour tout envisager afin d'éviter l'issue fatale. A la fois il demande à Erda la solution miracle pour sauver son monde, et dans un délire auto destructeur il annonce sa propre fin, et surtout qu'il laisse la place à Siegfried ! Erda qui semble avoir perdu tout pouvoir depuis que Wotan l'a violé, ne lui sera d'aucune aide.
Le dieu abandonne donc
le sort du monde au jeune héro.
Il y a encore une autre contradiction chez Wotan : à la fois il se prépare à la fin du monde (on apprendra celà par
le discours de Waltraute, dans la 1° acte du Crépuscule), et dans
le même temps il semble avoir espoir que Siegfried soit l'homme de la situation. Les hommes feront ils mieux que les dieux ?
C'est dans ce contexte de sinistrose et d'euphorie que s'ouvre
Gotterdammerung : Wotan battu par son petit-fils, quitte la tétralogie à la fin de
Siegfried,
le dernier volet se fera sans lui. Pourtant il sera souvent question de lui : les paroles et surtout la musique rapellera qu'il est bien la figure centrale du
Ring.
PrologueScène 1 : La scène des NornesLe prélude est très court : l'oeuvre commence sur l'accord enchanteur (doux euphémisme) du réveil de Brünnhilde (apparue au 3° acte de Siegfried). Puis de magiques ondoiments donnent l'impression d'infini. De vastes étendues se dessinent devant nous comme un nouveau monde, ou plus probablement un autre point de vue sur
le monde. Une vraie rupture d'ambiance musicale par rapport aux journées précédentes.
Puis les trois Nornes apparaissent sur scène. Filles d'Erda, elles tissent ce qui forme
le temps de ce monde. Encore une fois la sagesse est associée à la féminité. Sagesse qui a toute fois ses limites : quand la femme est corrompue par l'homme elle perd son pouvoir.
Trois nornes : une représentant
le passé (contralto), une représentant
le présent (mezzo), une représentant
le futur (soprano).
Une scène qu'aimait beaucoup jouer Wagner au piano. Trois semble être un chiffre magique chez Wagner : 3 actes, 3 journées mais aussi 3 filles du Rhin et 3 Nornes ... La volonté de Wagner de recréer
le théâtre grec explique parfaitement ces coincidences.
Trois, c'est également,
le nombre des récits des Nornes.
Il y a un autre lien avec la pensée grecque. En effet Hésiode dans les premières pages de
Théogonie, parlant des neuf muses filles de Zeus chante :
- Citation :
- "Or, sus, commençons donc par les Muses, dont les hymnes réjouissent le grand cœur de Zeus leur père, dans l'Olympe, quand elles disent ce qui est, ce qui sera, ce qui fut de leurs voix à l'unisson."
Mais il est temps de faire une paranthèse :
De l'utilisation des flashback chez Wagner
Certes comme expliqué plus haut, le flash back que constitu cette scène des Nornes est du au fait que Wagner a écrit le livret du Ring dans le sens inverse de la chronologie, et qu'il n'était pas prévu au départ de faire les 3 épisodes qui précédent le Crépuscule. Mais pas seulement ... car chez Wagner absoluement rien n'est innocent.
Après avoir aboli totalement les opéra à numéro, et fusionner musique, chant et les scènes de l'histoire, Wagner casse un autre code temporel de l'opéra : la progression chronologique. Wagner fait donc régulièrement des flash back dans ses opéras : l'exemple le plus éloquent en dehors de cette scène des Nornes, c'est le récit du 2° acte de Wotan dans la Walkyrie.
Mais il ne s'agit pas pour autant de répétitions : il s'agit de rappels, mais enrichis de nouveaux éléments - pour faire le liant avec la suite de l'histoire -, et vu d'un autre angle - Wotan raconte à l'évidence sa propre vision des choses, et sa vision des faits change avec le temps qui passe.
On peut également citer le récit de Mime au 1° acte de Siegfried : Mime raconte toute l'histoire à Siegfried ... et ainsi le spectateur à connaissance de ce qui c'est passé entre la Walkyrie et Siegfried, qui n'est pas représenté sur scène.
De même le récit de Siegmund au 1° acte de la Walkyrie : Siegmund raconte son histoire ... on ne sait pas de qui il s'agit, les leitmotiv nous donnent la réponse. Siegmund a une vision parcellaire de l'histoire ... C'est Wotan au 2° acte qui donnera d'autres éléments, et surtout un autre point de vue sur l'histoire.
Ainsi le flashback permet de recoller les morceaux progressivement quand Wagner passe d'un épisode à l'autre sans explications. Ainsi il évite les vieilles méthodes très 1° degré, et pauvre (dans le sens ou Wagner donne uniquement des points de vue sur l'histoire et non la vérité).
Chez Wagner tout est donc histoire de qui raconte, et quand est ce qu'il raconte. C'est au spectateur de reconstituer les morceaux et de se forger son avis. C'est indéniablement une des immenses richesse du drame wagnérien, et c'est ce qui les rend déjà très proches des méthodes cinématographiques.
Fin de la paranthèseLe flash-back des Nornes est spécial : il s'agit de personnages qui ne sont pas encore apparu dans
le Ring, qui n'apparaitront plus par la suite, qui n'agissent pas sur l'histoire, mais au contraire donnent un autre point de vue sur l'histoire. Un point de vue plus détaché (car elles ne sont pas actrices), plus général, mais pas forcément plus objectif, car finalement Wagner ne donne aucune réponse dans son
Ring, et il est bien difficile d'y voir son opinion.
1° récit : WotanSitôt parti, Wagner éprouve déjà
le besoin de reparler du patron des dieux.
La 1° norne parle du passé de Wotan, un passé qui nous est inconnu. Bien avant les pactes non respectés du dieu dans
Rheingold, - et les conséquences qui en découlent comme
le meurtre de son fils - Wotan a déjà gouté aux compromissions. Compromissions peut être plus terribles encore : il a arraché la branche du frêne originel pour y tailler sa lance, et a bu à la source originelle, lui apportant la connaissance. Il perdra un oeil pour celà. On peut y voir là, une sorte de manifeste écologique. Wotan c'est délibérement servi de la Nature pour se forger une arme et acquiérir la connaissance, en hypothéquant l'avenir, car l'arbre et la source dépérirent à la suite de cet événement. Wotan oubliera d'ailleurs bien vite son "état naturel" : il s'empressera d'accumuler les connaissances - connaissances sommaire, car il est incapable d'éviter sa propre fin - pour acquiérir
le pouvoir et
le lucre (l'or et
le château). A côté de cette faute originelle - qui a presque un résonnance biblique - la faute d'Alberich, et même celles que commettra plus tard Wotan, passent pour peu graves. Cumulé à une musique d'une ambiance nouvelle, ce nouveau point de vue sur l'histoire, donne une nouvelle idée des mots grandiose et immensité.
La 2° norne raconte que Siegfried a brisé la lance de Wotan (symbole phallique pour les freudiens), avec Nothung, l'épée maudite de Siegmund, brisée par Wotan, reforgée par Siegfried (autre symbole phallique). L'ignorance de la peur, liée a son inconscience totale du monde, c'est ce qui permet à Siegfried de triompher du Dieu.
La 3° norne, celle du futur, explique ce que Waltraute expliquera dans quelques scènes : Wotan a recouvert
le Walhalla de bois, attendant sa fin dans
le grand incendie final. Ainsi disparaitra la race des dieux.
2° récit : LogeAutre figure importante du
Ring : Loge. La 1° norne voit trouble dans
le passé du demi-dieu du feu.
WeiBt du, was aus ihm ward ? (Sais-tu ce qu'il lui advint ?).
La 2° norne raconte que Loge fut dompter par
le charme de la lance de Wotan. Loge donna des conseils à Wotan - conseils qui n'engagent que ceux qui veulent bien y coire. Enfin, Loge fut contraint de se dresser en barrière protectrice autour du rocher où la Walkyrie dormait dans
le sommeil profond infligé par Wotan.
WeiBt du, was au ihm wird ? (Sais-tu ce qu'il ce qu'il adviendra ?)
La 3° norne raconte que c'est Loge, nourrit par les branches du frêne qui enflamerra
le Walhalla.
De conseilleur, Loge passera à protecteur, puis à rédempteur.
3° récit : L'AnneauPour la 1° norne, les évements sont flous : Alberich a jadis ravi l'or du Rhin.
La 2° norne raconte que l'anneau "de la peine et de la haine" fut ainsi forgé, et la malédiction qui inévitablement lui est lié.
La 3° norne ne peut plus rien voir : la corde du temps est brisée. Impossible pour elles désormais de prédire ce futur. Si les pouvoirs d'Erda et de Brünnhilde sont déjà du passé, celui des Nornes l'est désormais tout autant.
Dans un silence de mort, les 3 nornes s'enfoncent dans les entrailles de la Terre, rejoindre leur mère Erda.
Les leitmotivs utilisés pendant cette scène sont de fait très nombreux, puisque cette scène est une scène narrative par excellence.
Le thème général de cette scène c'est
le divin thème d'Erda (pour moi
le plus beau de la tétralogie), qui est assez facile à reconnaître malgré les multiples transformations qu'il va subir pendant la tétralogie. Il suffit d'écouter la 1° intervention d'Erda dans Rheingold pour celà. Et bien entendu on entend les thème de Wotan,
le Walhalla, Nothung, Loge, et tant d'autres ... (qu'il est parfois impossible de les lister, mais celà agit inconsciemment sur
le spectateur).
Cette peur du futur est finalement très actuelle, mais également très contemporaine de Wagner, et de la vision qu'avait les intellectuels les plus visionnaires de l'époque.
Ouvrons une parenthèse.
Du rôle des femmes chez Wagner
Chez Wagner la femme occupe une place spéciale, tout particulièrement dans le Ring. Elle apparait comme sage, savante, parfois visionnaire, face à l'aveuglement de l'homme. En celà il reprend une idée du mythe original, même si cette idée est présente bien avant, par exemple dans la mythologie grecque, avec la Pythie.
Il y a avant toutes, Erda, qui représente l'origine de la terre, de la vie et de tout ce qui nous entoure. Ainsi Wagner reprend la croyance mythologique : c'est elle qui donne la vie, et c'est ce pouvoir entouré de mystère, combiné au caractère irrationnel et lunatique de la femme, qui lui confère un pouvoir de création et de voyance. Et ce n'est pas innocent si Wotan, a voulu acquérir la connaissance - le côté rationnel des choses - mais a perdu l'intuition dans le même temps. Ainsi Erda est elle là pour éclairer Wotan, être son deuxième oeil. Hélas elle perdra son pouvoir quand Wotan la violera. (Chez les grecs la Pythie était vierge et jeune, mais suite à des viols, ce ne fut plus que des femmes de plus de 50 ans qui furent appellées à invoquer Apollon).
Brünnhilde, fille d'Erda hérite naturellement des pouvoirs de sa mère. Le côté irrationnel s'exprime chez elle, lorsqu'elle décide de devenir elle-même c'est à dire femme : elle décide de sauver Siegmund et braver le père. Irrationnel sur l'instant, car c'est son émotion qui dicte sa conduite, mais pas seulement : Brünnhilde, elle, sait que Sieglinde porte un enfant très important pour le futur, et qu'il faut à tout prix le sauver.
Les trois Nornes filles d'Erda, maîtresse du temps, sont aussi de ses femmes voyantes. Là encore les actes des hommes troublent de façon irréversible leur vision.
Sieglinde, parait bien pâle en comparaison de ces exemples. Il n'en est rien ! Sieglinde est une simple femme elle. Malgré celà elle montre elle aussi un pouvoir intuitif bien supérieur à l'homme : c'est elle qui comprend qui est Siegmund, c'est elle qui voit l'issue fatale de leur fuite, et c'est aussi elle qui utilise toutes ses dernières force pour donner la vie à Siegfried. En ce sens elle rejoint le sort de Brünnhilde : elle est sacrifiée pour la bonne cause.
Fricka n'est pas en reste : elle a, elle aussi de puissant don de voyance. La première scène du 2° acte de la Walkyrie le montre : elle voit clair dans les intentions de Wotan, et il est inutile d'essayer de lui cacher.
Même Gutrune n'est pas en reste : la mort de Siegfried lui est révélée par un songe.
La femme est aussi symbole de renouveau : Freia par ses pommes d'or fait perdurer la vie.
La femme n'est pourtant pas exempte de défauts : elle peut être jalouse comme Brünnhilde, frivole et peu réfléchie comme le sont les trois filles du Rhin, calculatrice et intéressée comme Fricka.
Il lui appartient par son sacrifice final de libérer l'humanité.
Comme tout les romantiques Wagner oppose sentiment et raison. La raison représentée par Wotan - à la fois l'autorité patriarchale et la connaissance rationelle du monde - en prend pour son grade : non seulement ses lois sont archaïques, mais la rationnalités qui les fondent est très contestable, comme toute théorie incomplète. Ainsi c'est à cause de sa science - science incomplète par définition, comme l'état de la connaissance humaine - que Wotan mène le monde dans une impasse.
A côté de celà, le sentiment est récompensée : Brünnhilde est punie d'avoir obéit à ses sentiments, mais est recompensée en connaissant l'amour.
Fin de la parenthèseScène 2 : Le départ de SiegfriedLe duo commence par une intervention de Brünnhilde - en effet la superposition des voix est très rare dans
le Wagner de la maturité, même si justement
le Crépuscule, et ce duo en particulier, infléchi cette tendance.
Brünnhilde semble désormais bien désarmée : elle lui a donné sa virginité et son savoir sur les runes sacrées. Brünnhilde comme sa mère Erda perd son pouvoir avec sa virginité - voir la parenthèse sur
le rô
le des femmes chez Wagner juste au dessus.
Elle se dit seulement riche de son armour pour lui, mais ne pouvant plus rien lui donner, elle craint déjà que
le héro ne se détourne d'elle. Siegfried n'a en fait rien retenu des
leçons de Brünnhilde : la sagesse de la femme lui est à jamais inaccessible. Siegfried ne pouvant se contenter de rester avec Brünnhilde, doit courrir vers de nouveaux exploits. Avant de partir, Siegfried place Brünnhilde sous une double protection :
le cercle de feu, que seul lui peut franchir, et lui donne l'anneau en gage de fidélité.
L'anneau fut toujours symbole de fidélité, car par sa forme circulaire, il symbolise
le côté éternel de la relation amoureuse du couple.
Cette scène montre
le côté profondément déséquilibré de la relation homme / femme. Siegfried obtient de Brünnhilde les plus grands sacrifices, par contre il n'y a aucune réciprocité. Bien au contraire Siegfried va découvrir
le monde, et donc rencontrer de nouvelles femmes, quand la Walkyrie est fixée sur son rocher.
Cette scène est encadrée de deux superbes interludes musicaux, parfois joués en concert que l'on intitule "Voyage de Siegfried sur
le Rhin". La musique se fait ici très figurative - mais comme souvent chez Wagner - car elle décrit à merveille Siegfried chevauchant Grane et découvrant les rives du Rhin.
Le prologue se termine sur cet interlude. Mais comme toujours chez Wagner, il n'y a pas de couture visible entre les scènes. Aussi on assiste médusé à une transition musicale dont lui seul à
le secret : du "Voyage de Siegfried sur
le Rhin" vers
le thème de Hagen et celui des Gibichungen.
Pourtant l'oreille suggère facilement, comme Wagner s'y prend. Il diminue
le volume orchestral, il diminue
le nombre de notes. Les notes du Voyage s'effacent peu à peu, pendant que les notes des 2 nouveaux thèmes sont introduites progressivement.
Dans l'art de la transition, Wagner aura 2 successeurs : Debussy dans Pelléas et Berg dans Wozzeck. Chez ces 3 compositeurs les interludes mélangent savamment les thèmes, et ont donc un rô
le dramatique - sans parler de leur beauté musicale, qui bien souvent sont les sommets de ces partitions.
Acte 1
Scène 1 : La scène des GibichungenL'action se déporte au palais des Gibichungen.
Les BurgondesAvant d'aller plus loin, il convient de faire une parenthèse historique. Dans la saga des Nibelungen, le roi Gunther est le roi des burgondes, et vit dans la ville de Worms. A noter que dans la 2° partie du Chant des Nibelungen, les bugondes seront nommés Nibelungen. Les burgondes, sont un peuple probablement originaires de l'île danoise de Bornholm. Selon Pline l'Ancien, les Burgondes vivaient entre l'actuelle Allemagne et la Pologne. Des défaites les pousseront vers l'ouest. Ils voyageront jusqu'au Rhin, limite de l'empire romain. C'est là qu'histoire et légende se mêle : l'épopée du Chant des Nibelungen, serait un récit de la défaite du roi Gunther vers 436 face à l'armée romaine alliée aux Huns. La légende raconte effectivement que c'est Kriemhild, épouse d'Attila le Hun, et veuve de Siegfried - fils du roi Siegmund de Xanten - qui tendit un piège (contre l'avis d'Attila) à Gunther et Hagen les assassins du héros. Hagen ne voulant pas donner l'emplacement du trésor des Nibelungen, folle de rage, elle l'aurait décapité. La légende raconte qu'Attila horrifié par cette femme (et surtout qu'elle s'était servi de lui pour parvenir à cet assassinat), l'a fait tuer immédiatement (on est pas loin de Salomé et Hérode ). Ce peuple burgonde n'est pas sans importance : il fera la paix avec les romains, devenant des fédérés, il s'installera progressivement plus au sud, dans une région qu'on appelle désormais la Bourgogne, qui aujourd'hui encore est fière de sa particularité (car la région tiendra tête face aux Francs).Arminius le ChérusqueD'autres recherches récentes, font penser que l'affrontement entre les romains et les barbares sous le règne d'Auguste est peut être l'inspiration de la légende de Siegfried. Première similitude troublante : l'action se déroule à Worms et Xanten, alors bastions sur la frontière de l'empire romain. Arminius fils du roi des Chérusques, est donné aux romains, comme il était de coutume, pour assurer la paix entre les deux peuples. Chérusque signifie "l'homme-cerf", hors on sait que d'après la légende Siegfried fut élevé par un cerf : encore un point commun entre Arminius et Siegfried. Arminius est donc élevé à Rome. Il reçoit toute l'éducation militaire des officiers de haut-rang. Le destin fera qu'Arminius retournera en Germanie, épauler le gouverneur du Rhin inférieur : Varus. Arminius est choqué du sort réservé aux peuples germains. C'est là qu'il change de camp : il décide de venir en aide à son peuple. Arminius possède un glaive romain, alors très redouté des peuples germains. En ce sens ce glaive peut très bien être l'épée de la légende. En effet ce glaive avait des propriétés bien supérieures à celle des glaives barbares. La légende qui raconte que c'est en donnant à manger les débris de son glaive en acier à des oies, et en en récupérant les fiantes pour reforger le glaive, n'a pas menti. Le lien chimique entre l'acier, et l'azote des fiantes d'oie, donne des propriétés exceptionelles à l'acier. Encore un point commun : l'arme invincible !Alors que les Romains avancent le long du Rhin pour établir un nouveau camp, amenés par Arminius, celui ci se retourne contre eux au moment proprice : quand le chemin est tellement étroit (en pleine forêt de Teutberg) que les légionnaires sont obligés d'être en file indienne. Arminius sonne la charge, les Chérusques massacrent les Romains, totalement pris au dépourvus. Ainsi Arminius passe pour le vainqueur du dragon de fer (image symbolisant l'armée romaine) : autre point commun avec Siegfried. Ce sont pas moins de 30000 romains qui sont massacrés. Le trésor de guerre ainsi accumulé n'est pas s'en rappeller le trésor des Nibelungen. Enfin vous vous en doutez Arminius finira lui même assassiné par les siens ... comme Siegfried.Trois nouveaux personnages entrent en scène : Gunther et Gutrune, frère et soeur, descendants et héritiers du roi Gibich, ainsi que Hagen leur demi-frère, fils d'Alberich, l'albe noir. Ainsi les choses sont claires dés
le départ, Hagen est un bâtard, et donc ne peut prétendre, comme il
le dira lui-même plus tard, à la même noblesse et pureté que la lignée directe des Gibichungen. La scène débute par deux nouveaux leitmotivs : celui d'Hagen, on ne peut plus inquiétant, puis celui des Gibichungen suggérant la situation désespérée de cette famille. Une lignée destinée à s'éteindre, non seulement faute de reine, mais surtout à cause d'un roi Gunther, trop faible et manipulable. La musique souligne très bien, l'héroïsme de pacotille de Gunther.
Comme dans la légende originelle, Hagen est dans la situation de conseiller du roi. Conseiller trop malin, trop cupide et trop déterminé pour qu'il serve Gunther bien entendu, mais ça Gunther ne
le ressent pas, pas plus que sa soeur. L'explication peut venir du fait que Gunther et Gutrune possédant tout (sauf l'amour) leur envie, leur ambition ne sont pas du tout aiguisées, contrairement à leur demi-frère condamné à jouer les seconds couteaux et rester dans l'ombre, et par conséquent prêt à tout pour
le pouvoir. On peut y voir, dans une vision marxiste du
Ring, l'opposition, entre un prolétariat - représenté par les Nibelungen, donc Hagen ici - dont la préoccupation est pécunière, mais aussi politique - à savoir renverser
le pouvoir en place, et une aristocratie décadente, car n'ayant plus à se soucier que d'esprit et d'amour.
Pour Hagen c'est tout trouvé : il suffit de leur apporter la seule chose qu'il leur manque pour les mettre définitivement hors de sa route. Et quoi de mieux que de rapprocher
le couple Siegfried / Brünnhilde pour récupérer l'anneau tant convoité ? C'est l'occasion d'un autre flash back, où Hagen raconte brièvement l'histoire de Siegfried et Brünnhilde, de façon étonnament objective. Sans doute pour ne pas éveiller les soupçons sur ses intentions, mais aussi à la manière d'un tueur professionnel qui doit connaître les points forts de sa cible pour mieux l'abattre.
Ainsi Hagen ne cache rien de la force surhumaine de Siegfried : il sera vain que quiconque autre que lui essaye de franchir
le mur de feu protégeant Brûnnhilde. Cependant, aussitôt Hagen enchérit qu'il suffit d'un philtre d'oubli pour que la Walkyrie s'efface de la mémoire du héros. Gunther et Gutrune l'esprit trop bouleversé par l'idée qu'ils puissent enfin connaître l'amour, admirent la ruse d'Hagen, baissant leur vigileance et signant par la même leur arrêt de mort.
Scène 2 : Siegfried chez les GibichungenDe l'utilisation des philtres chez WagnerOn le sait, Wagner a utilisé principalement des légendes médiévales pour base de ses livrets. Les philtres sont l'élément systématiquement présent dans ces contes. Wagner ne les supprime pas, mais en transforme radicalement le sens. Ainsi, il n'est plus question de déculpabiliser les protagonistes, mais au contraire de souligner toute leur responsabilité. Ainsi Tristan aime déjà Isolde bien avant de boire le philtre d'amour, et Siegfried en quittant Brünnhilde l'a déjà oublié, bien avant l'ingestion du philtre d'oubli concocté par Hagen.Siegfried arrive de façon tonitruante au palais des Gibichungen. Hagen l'accueille, et Siegfried lui confie Grane, comme Brünnhilde lui avait confié. Siegfried et Gunther se jurent amitié. Hagen n'a besoin d'aucun philtre pour faire parler Siegfried. Ce dernier lui dit tout sans qu'Hagen n'use de la moindre ruse : il possède
le Tarnhelm et l'anneau, qu'il a confié à Brünnhilde, mais n'a pas la moindre idée de son pouvoir. Comme
le dire plus tard Alberich, la malédiction de l'Anneau ne l'a pas atteint car il ignore son pouvoir. Brünnhilde qui a perdu son pouvoir avec sa virginité, est dans la même situation. Au moment d'ingérer
le philtre d'oublie, que lui tend Hagen, la musique, plus encore que
le texte, suggère que Siegfried n'est pas totalement inconscient du piège qui se referme sui lui. Puis la musique traduit les soudaines convulsions fiévreuses de Siegfried à la vue de Gutrune. Elle se retire ne pouvant soutenir la flamme dans les yeux de Siegfried.
Siegfried
le répète à de multiples reprises : il est l'homme de main de Gunther. Cela est fortement symbolique, car non seulement il se met en position d'infériorité vis à vis de Gunther, mais également et surtout d'Hagen, qui se voit conforté dans sa position de stratège et non de simple bras armé. Quand à Gunther, il est incapable d'avoir l'esprit d'Hagen et
le bras de Siegfried : il devient alors évident qu'il se fera doubler par l'un ou l'autre de ses lieutenants.
Hagen explique
le secret du Tarnhelm, chose indispensable pour l'exécution de son plan, mais se garde bien de révéler
le pouvoir de l'anneau, juste après avoir obtenu de Siegfried l'endroit où il se trouve. Gunther explique qu'il ne peut accepter un tel bien de la part de Siegfried, car il n'a rien à offrir de comparable. On voit ici
le grand attachement des peuples germaniques aux bijoux en métaux précieux. Attachement qui les a poussé à nombreux pillages dans les terres romaines frontalières. Siegfried ne pensant qu'à Gutrune, offre à Gunther la possibilité de posséder Brünnhilde en échange de la main de sa soeur.
Le pacte est aussitôt scellé par
le sang. Siegfried s'étonne qu'Hagen ne mélange pas son sang aux leurs. Hagen répond avec fausse modestie - non perçue par ses interlocuteurs - que
le sien n'est pas aussi noble. Siegfried et Gunther, s'enfuient vers
le rocher de Brünnhilde.
La garde de HagenHagen reste au palais pour monter la garde. C'est
le moment d'un court, mais très intense musicalement et dramatiquement monologue. Ce monologue n'est pas sans rappeler celui de Iago dans l'Otello verdien. La musique ralentit à en devenir presque figée, reprend
le leitmotiv d'Hagen, harmonisé de façon ensorcelante. Cette ambiance sombre et figée évoque
le cauchemar. Et ce n'est pas sans raison si Wagner reprendra cette idée pour la première scène du deuxième acte :
le rêve d'Hagen.
Le complot de Hagen, visant non seulement Siegfried mais également Gunther est ici révélé au grand jour. Là encore jalousant la liberté des deux héros, il évoque l'idée d'une véritable lutte des classes. S'en suit un magnifique interlude orchestral.
Scène 3 : Waltraute / Brünnilde