Donc le
concert Ciofi/Barcellona ce lundi 04/08/2014.
Plusieurs raisons, pour moi, de ne pas ressentir l'état de grâce du concert Ciofi/Nucci de la saison dernière. Raisons personnelles (on dira : anecdotiques) ou plus "objectives" (si tant est que l'objectivité ait sa place dans la recension d'un concert blablabla).
Public très bruyant autour de moi, d'abord ; plutôt dissipé/dissipable. Petit vent frais (froid, pour moi
) donc confort d'écoute moindre ; et quand je dis confort d'écoute, je le pense fondamentalement dans le sens où on a tous observé, à Orange, que l'air chaud porte de manière beaucoup plus naturelle les voix (et on en a eu l'exemple par excellence l'année dernière, justement). Reste "l'air" qui circule entre le public et les chanteurs et qui ne participe pas peu à la magie du lieu où les voix ne sonnent pas (léger nimbe, définition "large"), quand on les connait bien en salle, comme dans leur "biotope" naturel.
Seconde limite : le programme. Comparé, par exemple, à celui de Bilbao en 2008 (airs de Malcolm de la
Donna del lago, contessa di Folleville du
Viaggio, de Musetta, de la principessa de Bouillon de
Lecouvreur, de Violetta, de Leonora de la
Favorita et duos de
Tancredi et des
Capuleti dans leur intégralité), la moisson est si ce n'est peu généreuse, du moins partiellement frustrante (
aria d'Arsace tronquée). De vraies scènes auraient, à mon avis, autrement soutenu l'intérêt. Je persiste, par ailleurs, à penser que le
bel canto n'est pas fait pour Orange (ou le contraire) et que, dès lors, l'attelage soprano/mezzo n'est pas, non plus, fait pour y trouver une place naturelle (peu de répertoire pour ce lieu-ci) ; moins, en tout cas, que le traditionnel duo soprano/ténor ou soprano/baryton.
Troisième limite ; absolument rédhibitoire, celle-ci, pour moi et qui me bloque pour partie l'accès au chant : l'orchestre. On a déjà eu l'occasion d'entendre
Luciano Acocella diriger l'
Orchestre philharmonique de Marseille ; et on connait les mérites du chef qui est toujours soucieux des voix qu'il accompagne. Ici, la phalange est vraiment médiocre ; et je regrette d'avoir à l'écrire. D'autant plus que, et c'est symptomatique (presque mathématique), cette médiocrité (imprécision des attaques, cordes serrées, vilain hautbois dans le
Barbiere, timbales faibles dans
Roberto Devereux, etc.) n'est pas "génétique" si j'ose dire ; à telle enseigne que pour un
Barbiere et un
Devereux vraiment pas présentables,
Semiramide et
Anna Bolena (les deux premières ouvrant chacune des parties, les deux secondes étant centrales ; besoin d'un tour de chauffe ?) s'en tirent mieux en terme de dynamique(s), de progression sans, pour autant, que les timbres paraissent plus généreux ou simplement contrôlés (avec Acocella, on a entendu des programmes proches à Avignon et, surtout, à Montpellier d'une toute autre tenue).
Côté chant : j'ai déjà eu l'occasion de l'écrire, pour moi les voix de Ciofi et Barcellona s'équilibrent/se mixent très bien. On les a entendues souvent ensemble (enregistrement de la
Fedelta premiata de Haydn,
Adelaide di Borgogna à Pesaro,
Tancredi à Turin, etc.) : Ciofi plus déliée, Barcellona plus anguleuse, chacune stylée et attentive au texte (Ciofi dans l'illustration des affects, Barcellona dans l'articulation proprement dire). Air et feu : l'air qui attise le feu et le feu qui (r)échauffe l'air, en quelque sorte.
Ici : Ciofi plus à son affaire dans la seconde partie et Barcellona finalement plus séduisante dans les rôles féminins
stricto sensu que dans un Arsace où elle n'a, finalement, aucune démonstration à faire (travesti générique ; et d'autant plus dans la logique du saucissonnage en concert d'un répertoire qui ne brille pas par son dramatisme naturel).
La Semiramide de
Ciofi ? Sa présence dans le programme pouvait paraître originale ; de fait, ce n'est pas ce qui constitue l'intérêt majeur du concert. J'aime (illustration, justement, du regard sensible porté sur les affects sous-tendus par le texte) la tendresse du personnage ; l'idée que son "Dolce pensiero", par exemple, puisse se parer de couleurs extatiques et s'éloigner d'une exultation uniment hystérique.
Idem dans "Serbami ognor si fido" qui affiche de très belles qualités de fondu (et de réponse/répondant entre les deux chanteuses). Pour moi, le profil y gagne une vraie qualité musicienne (autrement, à quoi bon ?) ; si ce n'est une quelconque épaisseur que le format du concert neutralise presque obligatoirement. Bref, ça m'intéresse ; et ça ne m'intéresse même plus ou moins que pour ça. Quant à parler de vocalité, je ne soutiendrai jamais que l'entièreté du rôle n'est pas ailleurs ; mais la configuration d'un concert a(ssume), aussi, une composante d'artifice (et en même temps, parce qu'il ne s'agit "que" de mettre en scène des sections détourées
in vitro, elle permet de s'écarter de
topoi traditionnels/traditionnalistes, si ce n'est d'expérimenter d'autres voies/voix, justement parce que la vérité de l'exigence d'une l'exécution intégrale ne pèse pas). Oui assurément, l'ornementation n'affiche aucun délire (c'est la logique de ce que je décris plus haut), elle est posée, sobre, équilibrée, avec de belles lignes octaviées dans le section 2 du duo (chez les deux, d'ailleurs mais, pour le coup, ça donne un certain poids à des figures que je trouverais, sinon, fuyantes) ; courte, sans doute, pour certains (mais ces deux pages ne m'ont jamais paru, à moi, foncièrement excitantes, quelles que soient les protagonistes ; CQFD).
Exit Semiramide ; à classer, sans doute, au rayon des fausses bonnes idées en tout cas pour ceux qui attendaient un Rossini extérieur et avec effets de manches. Plus la Sémiramis de Jacques Stella aux glacis frémissants, que celle furieuse de Stomer ou que la figure ferme et rigide campée par Degas
; entendu ailleurs et dans d'autres conditions (théâtre à l'italienne "adapté", phalange orchestrale, etc.) ça aurait nécessairement une autre valeur et autrement de portée(s).
Pour le reste, on connait la Stuarda de Ciofi (entendue souvent en concert ; sur scène également, notamment avec Bonynge) ; beau moelleux du
medium et conduite impeccable du souffle dans la cantilène de "Oh nube che lieve". Quant à sa Bolena (Saint-Denis, Montpellier seulement ; et seulement dans la configuration retenue à Orange), je pourrais reprendre mot à mot ce que j'ai écrit précédemment ici : "J'ajoute [...] que le voile général qui couvrait la voix ajoutait à sa qualité naturelle (en live, en tout cas, c'est très sensible) de sfumato, avec une résonnance particulière, très... enveloppante, pour le coup, au début de "Oh nube che lieve" et de la scène finale de Bolena ; ce qui accuse, encore, le profil doloriste des personnages abordés (évidemment ça marche parfaitement dans "Al dolce guidami")." L'art et la manière.
Barcellona : Arsace, connu/reconnu ; superbe Bouillon "testée", déjà, à Bilbao (elle chantera Santuzza la saison prochaine et l'extirper d'un
bel canto "proverbial" est, sans doute, aujourd'hui un service à lui rendre compte tenu du développement de l'organe), Seymour convaincue/convaincante, Leonora ample, moelleuse surtout (dommages, c'est applaudissement intempestifs entre l'air et la
cabaletta). Voix déliée, ligne tenue/tendue, amplitude largement éployée (mais sans aigu à la fin du duo de Boena ; aux puristes de disserter), métal imparable qui "tourne" parfaitement dans le théâtre (même légèrement à couvert dans le début de "Acerba voluttà"), projection féline mais écoute parfaite de sa partenaire, aussi (voir la manière de l'embrasser au sens propre du terme quand survient un accrochage dans le duo Bolena/Seymour que Ciofi doit reprendre, d'ailleurs de manière plus ferme). Donc : impressionnante dans les
arie, impressionnante dans les duos. A titre personnel, j'aurais aimé qu'on lui donnât "mieux" ; je veux dire qu'on lui offre, par exemple, un monologue de Didon de Berlioz où elle touche à une forme de plastique théâtrale supérieure. Rossini ? Dont acte.
Mêmes
bis qu'à Bilbao : "Barcarolle" des
Contes d'Hoffmann et "Duo des fleurs" de
Lakmé. Bon ; moi, j'avoue que ça ne me comble pas...
J'ajoute : public conquis qui n'économise pas ses applaudissements (et moi le premier). Donc j'imagine : soirée réussie en dépit des réserves exprimées plus haut et qui, vraisemblablement, sur la longueur (si la soirée avec été "régulièrement" captée) se seraient vite estompées au profit du souvenir de la belle connivence d'un duo de professionnelles "exactes"
.