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| Alain Bancquart (1934-2022) | |
| | Auteur | Message |
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Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Alain Bancquart (1934-2022) Mar 3 Aoû 2021 - 17:33 | |
| Depuis le temps qu’ Emeryck et lulu en parlaient, je me suis lancé à mon tour dans l’exploration de l’œuvre de ce compositeur. Compositeur peu connu (et très peu représenté au disque), mais à mon sens tout à fait majeur - à la fois par la singularité de sa démarche, pas du tout néo-tonale mais pas vraiment post-sérielle non plus (marqué par sa rencontre avec Wyschnegradsky, il est probablement le compositeur français qui aura le plus systématiquement exploré les possibilités de l’écriture mircotonale - en quarts puis en seizièmes de ton), mais par l’importance de son catalogue (en plus d’œuvres vocales, de pièces solistes et d’œuvres concertantes ou pour ensembles, 8 symphonies, 4 sonates pour piano, 6 quatuors à cordes - ce genre de corpus est assez rare, il me semble, dans la musique française.) La page que lui consacre le CDMC présente un panorama assez fouillé du compositeur et de son œuvre (à la différence de celle de l’IRCAM, très lacunaire), et Anaclase offre une notule brève mais évocatrice. * Certes, je pouvais difficilement ne pas être réceptif à un compositeur qui met Claudel en musique et cite Bruckner parmi ses influences, mais j’ai été absolument enthousiasmé par les œuvres que j’ai entendues - et en particulier les deux suivantes, que j’ai réécoutées plusieurs fois ces derniers jours: • Symphonie nº1 (1980)Leif Segerstam / Orchestre National de France Paris, VI.1983 LP EratoDéjà trois écoutes pour cette symphonie, que j’ai adorée - et qui fait un peu l’effet d’un hapax dans la musique française de son époque. Déjà, du point de vue de la forme: c’est une «vraie» symphonie (en trois mouvements), et qui plus est une symphonie dont le fonctionnement interne se réfère explicitement à un modèle brucknerien, dont l’influence est assez directement sensible: orchestration par blocs (avec notamment des cuivres par quatre spatialisés en antiphonie), marches d’ostinatos, structures en arche, gradations de dynamiques, transitions «organistiques»… Ce qui semble déjà en soi quelque chose d’assez rare dans la musique française du second XXᵉ. Ensuite, parce que le langage en est assez singulier. Je ne sais pas si c’est du fait de l’usage généralisé de la microtonalité, mais on a une écriture harmonique très particulière, qui donne une impression très paradoxale: l’harmonie semble à la fois foisonnante et mais très directionnelle (le foisonnement donne ici plus une sensation de densité que de dissémination) - polarisation soutenue par des effets récurrents de faux-bourdon. Le résultat est une œuvre à la fois complexe et d’une concentration austère, mais aussi avec un très fort impact expressif - d’une expression très sombre (comme d’ailleurs sa couleur orchestrale.) C’est vraiment une œuvre marquante, et d’une très grande singularité (pour situer, le matériau ferait assez penser à du Dufourt ou du Haas, mais - à l’inverse de ce qui se passe souvent chez ceux-ci - il est ici structuré par un discours très fermement et clairement articulé.) • D’une fougère bleue les veines (1978) pour violoncelle solo et 25 instrumentsRobin Clavreul (violoncelle), Paul Méfano / Ensemble 2e2m Paris, entre 1988 et 1990 AddaCe qu’on entend ici sonne peut-être plus «français» par le caractère plus libre de l’écriture horizontale, le recours à une extrême virtuosité, l’aspect moins massif de l’instrumentation et, de manière plus diffuse, par l’impression d’avoir à faire à une œuvre moins «discursive » et plus «poétique.» (Disons qu’on pourrait ici se sentir moins radicalement éloigné d’univers, disons, à la Betsy Jolas.) Pour autant, on retrouve (outre l’écriture par quarts de tons) un certains nombres de traits distinctifs de la Symphonie n°1, notamment l’usage fréquent des effets de bourdon (ici, la référence explicite est l’organum des Xᵉ-XIᵉ siècles), les vents en homophonie et les transitions abruptes «à la Bruckner» (avec pauses et «changement de registre.») Le caractère concertant de l’œuvre est en fait structuré entre l’écriture virtuose, presque vocale et mélismatique, du violoncelle solo, sa pseudo-doublure en faux-bourdon par un second violoncelle (modifié de façon à sonner comme une vielle) qui en constitue «l’ombre portée» et un orchestre traité verticalement, accompagnement conçu comme un «principe d’enluminure» (le compositeur renvoyant ici aussi bien à l’art médiéval qu’aux effets de cloisonnement par aplats qu’on trouve chez des peintres abstraits comme Nicolas de Staël ou Poliakoff.) Le compositeur réussit ici de manière extrêmement évocatrice à «encadrer», à «mettre en abîme» (d’une manière qui fait penser à l’origine héraldique de l’expression) une virtuosité un peu folle par quelque chose d’austère et d’abrupt. Vraiment une grande réussite esthétique. * En attendant que lulu et Emeryck (qui ont de l’œuvre de Bancquart une connaissance plus ancienne et plus exhaustive que la mienne - et à coup sûr des outils théoriques et techniques plus affutés que les miens, notamment sur la microtonalité) viennent corriger, approfondir et compléter tout cela… Je dois aussi prochainement recevoir son livre Qui voyage le soir (Tschann, 2011), qui comporte aussi deux CD de ses œuvres (notamment deux symphonies et trois sonates pour piano.)
Dernière édition par Benedictus le Jeu 27 Jan 2022 - 17:24, édité 1 fois |
| | | Xavier Père fondateur
Nombre de messages : 91585 Age : 43 Date d'inscription : 08/06/2005
| Sujet: Re: Alain Bancquart (1934-2022) Mer 4 Aoû 2021 - 0:46 | |
| Merci pour la découverte! J'ai écouté la symphonie, je ne peux pas dire que ce soit trop ma tasse de thé, même si ça ne m'a pas entièrement déplu. - Benedictus a écrit:
Déjà trois écoutes pour cette symphonie, que j’ai adorée - et qui fait un peu l’effet d’un hapax dans la musique française de son époque.
Déjà, du point de vue de la forme: c’est une «vraie» symphonie (en trois mouvements), et qui plus est une symphonie dont le fonctionnement interne se réfère explicitement à un modèle brucknerien, dont l’influence est assez directement sensible: orchestration par blocs (avec notamment des cuivres par quatre spatialisés en antiphonie), marches d’ostinatos, structures en arche, gradations de dynamiques, transitions «organistiques»… Ce qui semble déjà en soi quelque chose d’assez rare dans la musique française du second XXᵉ.
Honnêtement, si le découpage n'était pas indiqué sur Youtube, je n'aurais pas repéré les trois mouvements, j'en suis certain. J'aurais bien aimé écouter ça avec un meilleur son, tout de même. |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Alain Bancquart (1934-2022) Mer 4 Aoû 2021 - 1:39 | |
| - Xavier a écrit:
- J'ai écouté la symphonie, je ne peux pas dire que ce soit trop ma tasse de thé, même si ça ne m'a pas entièrement déplu.
Oui, ce n'est pas le genre de choses que je m'imaginais être ta tasse de thé, et je suis heureux que ça ne t'ait pas entièrement déplu. (J'allais dire «heureusement surpris», mais non, pas tant que ça, parce que ça ne fonctionne sensiblement pas sur les mêmes logiques que les musiques post-sérielles que tu n'aimes pas.) - Xavier a écrit:
- Benedictus a écrit:
- Déjà, du point de vue de la forme: c’est une «vraie» symphonie (en trois mouvements)
Honnêtement, si le découpage n'était pas indiqué sur Youtube, je n'aurais pas repéré les trois mouvements, j'en suis certain. Je ne voulais pas dire qu'on repérait spontanément à l'oreille les trois mouvements, mais plutôt signaler qu'on avait ici vraiment à faire à une œuvre qui coche les critères formels du genre (dont le fait qu'on ait trois sections qualifiées de mouvements, d'une durée de plus ou moins 10/15 minutes chacune), et pas à une longue coulée rhapsodique ou une suite de fragments pour ensemble ou une cantate qu'on aurait finalement intitulée «symphonie» de façon un peu arbitraire. Personnellement, à l'oreille, je n'aurais pas repéré les trois mouvements non plus; en revanche, je trouve qu'on perçoit vraiment des sections différenciées, et leur enchaînement. (Bon, cela dit, je ne suis pas forcément une référence en la matière.) |
| | | / Mélomane chevronné
Nombre de messages : 20537 Date d'inscription : 25/11/2012
| Sujet: Re: Alain Bancquart (1934-2022) Mer 4 Aoû 2021 - 6:50 | |
| Euh ben quand même... Chaque mouvement est très identifié et homogène, avec notamment un deuxième entièrement aux cordes absolument inloupable (en plus d’avoir une dynamique globale simple du type faible – fort – faible. Le premier se termine sur quelque chose de calme et statique, qu’on a déjà entendu avant mais qui la première fois revenait à quelque chose de plus mouvementé, et qui sent vraiment la fin de quelque chose, et qui fait aussi – changement de timbre après une pause – la transition avec le mouvement suivant. Et le troisième, lui aussi très cohérent, démarre avec ces grosses basses électriques qui me rappellent presque le début guitare-orgue du troisième mouvement de la Troisième de Schnittke, guitares qu’on entendra tout le long mais le plus distinctement au début et à la fin du mouvement. Vraiment ça me parait difficile de ne pas sentir un découpage, et pourtant je suis vraiment pas doué pour ça.
Dernière édition par lulu le Mer 4 Aoû 2021 - 8:09, édité 1 fois |
| | | / Mélomane chevronné
Nombre de messages : 20537 Date d'inscription : 25/11/2012
| Sujet: Re: Alain Bancquart (1934-2022) Mer 4 Aoû 2021 - 7:51 | |
| - Benedictus a écrit:
- En attendant que lulu et Emeryck (qui ont de l’œuvre de Bancquart une connaissance plus ancienne et plus exhaustive que la mienne - et à coup sûr des outils théoriques et techniques plus affutés que les miens, notamment sur la microtonalité) viennent corriger, approfondir et compléter tout cela…
Avec plaisir, mais je vais devoir être laconique, car j’ai pas les outils ni l’oreille pour décrire les éléments de cette musique, ni l’expression pour en dire les implications esthétiques ou émotionnelles ; cela dit, quelques éléments « techniques », donc. * La nécessité d’écrire en quarts de ton vient avant tout, avant Wyschnegradsky, des essais de Boulez, abandonnés par pragmatisme. Là où Boulez constate un échec (celui des quarts de ton comme celui des rythmes proportionnels), Bancquart s’engouffre dans ce qui est devenu inévitable, malgré, à l’époque, les difficultés organologiques et la réticences des interprètes. Il se limite volontairement à des séries de 13 sons (parmi les 24 disponibles), ce qui veut dire que les séries de Bancquart sont défectives, et chez Bancquart le fétichisme du nombre 13 remplacera pratiquement celui du 12. * Car si la musique de Bancquart ne ressemble en rien à celle des post-sériels c’est-à-dire des post-weberniens (mélodies continues, applats verticaux, grandes formes, orchestration par blocs...), et qu’on a justement plus envie de le comparer à Dufourt, son artisanat technique qui manipule des suites de hauteurs et de durées a quelque chose de roots, et je trouve le terme « néo-sériel » assez pertinent. Il y a beaucoup de liberté dans la musique de Bancquart, mais aussi de rigueur (« il préconise la plus grande liberté quant à la “divagation” des contrôles combinatoires »). * La mélodie est absolument primordiale. De longues mélodies, fluides et naturelles malgré leurs sauts et leurs rythmes complexes, qui ne paraissent jamais s’arrêter. Citation importante : J’écris « grande mélodie » entre guillements, à cause d’une œuvre pour flute seule écrite en 1985 qui porte ce titre, et qui est la manifestation, déjà, de la volonté de retrouver grâce aux micro-intervalles un sens mélodique que la musique dite contemporaine semble avoir perdu.* Une repensée de la polyphonie. Je commençais à penser un type de polyphonie qui soit une véritable coexistence entre différents objets et non un contrepoint multipliant des lignes plus ou moins dépendantes les unes des autres. Cette idée de plusieurs identités voire de plusieurs pièces/œuvres coexistant parallèlement en une seule se retrouve dans de nombreuses œuvres à partir de la fin des années 80. * Commentaire bien senti sur l’importance de la voix, la poésie, la mythologie, et des rapports texte – musique. * Petite parenthèse sur la recherche sonore et ses collaborations avec Hugues Dufourt. |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Alain Bancquart (1934-2022) Mer 4 Aoû 2021 - 12:03 | |
| Merci! c'est comme toujours très précis, et très corrélé à des choses spontanément sensibles à l'écoute. - lulu a écrit:
- Vraiment ça me parait difficile de ne pas sentir un découpage, et pourtant je suis vraiment pas doué pour ça.
Oui, quand j'ai lu que la partie centrale aux cordes seules constituait le deuxième mouvement, c'est devenu rétrospectivement évident, mais spontanément, en première écoute et sans le texte de présentation, j'ai ressenti aussi fortement certaines césures à l'intérieur des premier et troisième mouvement (mais ça me fait ça, en général avec les symphonies du premier XXᵉ où les mouvements sont enchaînés attacca - comme la 4ᵉ de Nielsen - ou celles dont les mouvements comprennent de fortes césures en leur sein - comme la 4ᵉ de Chosta.) |
| | | Xavier Père fondateur
Nombre de messages : 91585 Age : 43 Date d'inscription : 08/06/2005
| Sujet: Re: Alain Bancquart (1934-2022) Mer 4 Aoû 2021 - 13:35 | |
| C'est ça, il y a de grandes pauses à l'intérieur des mouvements, qui font qu'on s'y perd tout à fait. |
| | | Benedictus Mélomane chevronné
Nombre de messages : 15565 Age : 49 Date d'inscription : 02/03/2014
| Sujet: Re: Alain Bancquart (1934-2022) Mer 4 Aoû 2021 - 14:07 | |
| Ces grandes pauses font justement partie des traits brucknériens de l'œuvre. (Une fois qu'on sait que le deuxième mouvement est aux cordes seules, ça devient très identifiable - mais il faut avoir lu la notice avant d'écouter.) |
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| Sujet: Re: Alain Bancquart (1934-2022) | |
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| | | | Alain Bancquart (1934-2022) | |
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