Ciné-concerts à Paris et ailleurs

Un sujet pour parler des ciné-concerts auxquels on a assisté ou pour annoncer des séances à venir.

Je commence déjà par la petite rétrospective D.W. Griffith qui ouvre à la Cinémathèque ce mercredi : huit films, accompagnés dans des styles différents, jazz, expérimental, ou piano de tradition plus classique. Deux anciens élèves de la classe d'accompagnement de Jean-François Zygel au CNSM, Camille El Bacha et Thomas Lavoine, ainsi que l’excellent Jacques Cambra, spécialiste de l’exercice dans une veine plutôt jazz. Pas d’accompagnement pour Naissance d’une nation, difficilement abordable, et il n’est pas précisé s’il y a ou non une piste sonore. (J’avais découvert le film à la Cinémathèque sans le son, genre de projection anachronique mais qui avait les faveurs de Henri Langlois et d’autres cinéphiles.)

Toujours à la Cinémathèque, en février, il ne faudra sous aucun prétexte rater le cycle consacré au grand Boris Barnet, auteur d’au moins deux classiques du cinéma soviétique, Au bord de la mer bleue et Okraïna. Trois films muets sont présentés et accompagnés en musique. Et pour les mélomanes, une rareté absolue : une séance Concert des maîtres de l’art ukrainien, « film-concert musical soviétique de 1952. Chanteurs d'opéra ukrainiens, solistes et ballets de danse nationale filmés lors d'un concert donné au Kiev Film Studio, selon les canons des arts de masses soviétiques. En leitmotiv, un chant à la gloire de Staline du compositeur Mark Fradkine sur des poèmes de Mikhaïl Isakovski. » C’est de l’inédit, il n’y a même pas de photo d’illustration. Le 25 février.

Néanmoins, le grand lieu du ciné-concert à Paris, c’est la Fondation Pathé, avenue des Gobelins. Plusieurs projections par semaine, toutes accompagnées par des élèves du CNSM. Pas mal de choses l’après-midi en semaine, mais il y a maintenant des séances les mardi et vendredi soirs, et deux le samedi. Un cycle consacré à Rome ouvre demain, puis à partir du 20 décembre ce sera Jacques Feyder. Il vaut mieux réserver au moins quelques heures à l’avance, c’est souvent complet.

Les pianistes sont en général d’un très bon niveau. Ce que je perçois de leur travail, c’est qu’ils arrivent préparés, avec un plan général pour l’ensemble du film, des motifs et des idées musicales associées à des scènes, des personnages, cadre au sein duquel ils peuvent broder plus ou moins librement. Parmi les questions récurrentes : faut-il rester ton sur ton, associer à une scène triste une musique triste. Que faire lorsque de la musique est représentée à l’écran — scènes de fête, chants de soldat, berceuses amoureuses : doit-on imaginer et imiter ce qui est vu ou s’en tenir à sa propre lecture et sa propre vision de l’œuvre. Parfois le film impose de lui-même le choix, par exemple s’il explicite la musique figurée. Autre problème pour le pianiste : savoir moduler sa propre présence, parfois s’effacer pour reposer l’oreille du spectateur, ou au contraire sublimer l’émotion du film. Il y a les musiciens qu’on sent parfois un peu frais ou pas inspirés (il faut dire qu’il n’y a pas que des chefs-d’œuvre qui sont projetés, on subit parfois même de véritables nanars), et qui se contentent d’un tapis debussyste. En sens inverse, le seul pianiste qui m’ait vraiment horripilé jouait une sorte de staccato glassiste fortissimo permanent, agrémenté d’effets électroacoustiques, et a réussi à ôter toute poésie à La Grande Parade de King Vidor. (Il était du reste très fort techniquement, a déjà une petite carrière, et a dû arriver dans la classe de Zygel déjà bien avancé dans ses études.)

Le dernier que j’ai vu : Vendémiaire de Louis Feuillade, accompagné par la remarquable Satsuki Hoshino, qui se distingue par une digitalité impressionnante, et imprime toujours à son jeu une forte pulsation rythmique. Là elle restituait parfaitement le lyrisme des paysages de Feuillade (on fait les vendanges dans le Sud, près de la mer) et les différents niveaux (patriotique, comique, amoureux, dramatique) de l’intrigue. Film de 1918 d’un anti-bochisme désolant : les deux Boches sont laids, vils, cupides, menteurs, assassins. L’un finit dans une cuve de vin vide, asphyxié par les vapeurs des cuves voisines, vaincu par la bonne et grande récolte française.

(on ne connaît pas à l’avance les pianistes à la fondation Pathé, pas possible de choisir.)

Sur le sujet de l’accompagnement on peut écouter une conférence de Karol Beffa : https://www.college-de-france.fr/fr/agenda/cours/musique-art-technique-savoir/comment-accompagner-un-film-muet

Et bien sûr notre Xavier est un spécialiste de la discipline. (je crois qu’il avait partagé ici sa remarquable interprétation du Docteur Caligari ?)

Refoulé à la projection d'Intolérance. Complet. Ça commence bien.

mickt a écrit:

Refoulé à la projection d'Intolérance. Complet. Ça commence bien.

Navré pour toi. Merci beaucoup l'ouverture très riche de ce fil !

Je confirme, toujours une belle expérience (et toujours bien rempli). Le piège est surtout qu'il y a trop d'offre, et donc qu'on a tendance à se dire qu'on a le temps d'en voir… alors que le partenariat peut s'arrêter n'importe quand, et que tous les improvisateurs n'ont pas l'approche riche des élèves de Zygel…

(J'étais à leur Pochette-surprise d'hier, épatant comme toujours.)

mickt a écrit:

Toujours à la Cinémathèque, en février, il ne faudra sous aucun prétexte rater le cycle consacré au grand Boris Barnet, auteur d’au moins deux classiques du cinéma soviétique, Au bord de la mer bleue et Okraïna. Trois films muets sont présentés et accompagnés en musique. Et pour les mélomanes, une rareté absolue : une séance Concert des maîtres de l’art ukrainien, « film-concert musical soviétique de 1952. Chanteurs d'opéra ukrainiens, solistes et ballets de danse nationale filmés lors d'un concert donné au Kiev Film Studio, selon les canons des arts de masses soviétiques. En leitmotiv, un chant à la gloire de Staline du compositeur Mark Fradkine sur des poèmes de Mikhaïl Isakovski. » C’est de l’inédit, il n’y a même pas de photo d’illustration. Le 25 février.

C'est noté !  

Citation :

Les pianistes sont en général d’un très bon niveau. Ce que je perçois de leur travail, c’est qu’ils arrivent préparés, avec un plan général pour l’ensemble du film, des motifs et des idées musicales associées à des scènes, des personnages, cadre au sein duquel ils peuvent broder plus ou moins librement. Parmi les questions récurrentes : faut-il rester ton sur ton, associer à une scène triste une musique triste. Que faire lorsque de la musique est représentée à l’écran — scènes de fête, chants de soldat, berceuses amoureuses : doit-on imaginer et imiter ce qui est vu ou s’en tenir à sa propre lecture et sa propre vision de l’œuvre. Parfois le film impose de lui-même le choix, par exemple s’il explicite la musique figurée. Autre problème pour le pianiste : savoir moduler sa propre présence, parfois s’effacer pour reposer l’oreille du spectateur, ou au contraire sublimer l’émotion du film.

Oui, tout le continuum est possible depuis créer une atmosphère générale pour ne pas déconcentrer le spectateur, jusqu'au mickeymousing le plus extraverti en soulignant sarcastiquement chaque geste… Les bons accompagnateurs savent laisser respirer le film et le relancer en faisant alterner le degré d'intervention.
Et puis, lorsqu'on intervient, faut-il nécessairement le faire au premier degré, on peut aussi simplement créer un changement de couleur qui n'imite pas le mouvement, le produire avant ou après pour ne pas se juxtaposer complètement à la vue (un peu comme Wagner qui fait débuter les attaques de ses chanteurs après l'orchestre pour qu'ils ne soient pas trop couverts…), etc.

Citation :

jouait une sorte de staccato glassiste fortissimo permanent, agrémenté d’effets électroacoustiques, et a réussi à ôter toute poésie à La Grande Parade de King Vidor. (Il était du reste très fort techniquement, a déjà une petite carrière, et a dû arriver dans la classe de Zygel déjà bien avancé dans ses études.)

Ça rend curieux (le nom n'est pas disponible sur le site, même après le concert). Si tu ne le veux pas le nommer ici (ce n'est pas une infamie que d'être en divergence esthétique avec un spectateur…), je suis preneur du nom la prochaine fois qu'on se voit au concert (ce soir donc ).

Citation :

À la Cinémathèque, cycle consacré au grand Boris Barnet. Pour les mélomanes, une rareté absolue : une séance Concert des maîtres de l’art ukrainien, « film-concert musical soviétique de 1952. Chanteurs d'opéra ukrainiens, solistes et ballets de danse nationale filmés lors d'un concert donné au Kiev Film Studio, selon les canons des arts de masses soviétiques. En leitmotiv, un chant à la gloire de Staline du compositeur Mark Fradkine sur des poèmes de Mikhaïl Isakovski. » Le 25 février.

C'est ce week-end. La rétrospective Barnet fait un carton, réservation obligatoire pour les non-abonnés (et fortement recommandée pour les abonnés).

https://www.cinematheque.fr/seance/40180.html

Citation :

À la Cinémathèque, cycle consacré au grand Boris Barnet. Pour les mélomanes, une rareté absolue : une séance Concert des maîtres de l’art ukrainien, « film-concert musical soviétique de 1952. Chanteurs d'opéra ukrainiens, solistes et ballets de danse nationale filmés lors d'un concert donné au Kiev Film Studio, selon les canons des arts de masses soviétiques. En leitmotiv, un chant à la gloire de Staline du compositeur Mark Fradkine sur des poèmes de Mikhaïl Isakovski. » Le 25 février.

Je ne vous y ai pas vus, mais c'était tout à fait intéressant. Une alternance d'extraits d'opéras, de numéros de ballet, et de mélodies.

Sélection d'opéras qui mettait en avant les compositeurs ukrainiens, dans de jolis décors de studio. D'abord La Jeune Garde de Iouli Meïtous (Юлій Мейтус) (1947). La fin du 2e acte si j'en crois Wikipedia : dans Krasnodon, cité minière occupée par les Nazis, des résistants ukrainiens, la Jeune Garde, prennent le serment de venger leurs camarades assassinés. Musicalement ça m'a paru assez plat et martial. J'ai cru y entendre une référence à Boris Godounov. L'opéra se termine façon Dialogues des carmélites, tous les partisans exécutés par les Nazis (on ne le voit pas dans le film).

Puis Le Zaporoque au delà du Danube de Semen Gulak-Artemovskiy (cf. : https://twitter.com/carnetsol/status/1219985431594438656 ) : un duo domestique comique qui inclut quelques passages de théâtre, un couple de paysans d'un certain âge, le mari rentre chez lui après une absence prolongée et essaie d'échapper à la scène que sa femme va à coup sûr lui faire. C'est drôle et vivant. Avec Ivan Patorzhinsky, que l'on retrouve plus tard dans le film, et Mariya Litvinenko-Volgemut. L'opéra en entier a été filmé en 1953 et les photos qu'on en trouve ressemblent fortement à celles du film de Barnet. Peut-être des questions d'attribution à creuser.

L'air de Boris Godounov chanté par Boris Gmyria (Борис Романович Гмиря, dans le film il est juste indiqué Gmyria. Intertitres uniquement en français). Il donne aussi un "air populaire" de Zaremba.

Enfin un assez long passage de Tarass Boulba de Mykola Lysenko. Cette fois-ci c'est les seigneurs polonais qui en ont après les terres ukrainiennes de Kiev et Zaporijjia, les cosaques du village de Tarass décident de se joindre à la lutte pour les chasser, la mère (Larisa Rudenko) pleure le départ de ses fils. On retrouve Ivan Patorzhinsky en Tarass Boulba.

Le film s'ouvre par le « Chant de Stalingrad » de Mark Fradkin, interprété par Mikhail Grishko. Et Mme. "Z. Starchenko" interprète « Le Houblon vert », dans une veine populaire, de Tségliar (Я́ків Самі́йлович Цегля́р) et « Le Rossignol » de Marko Kropyvnytskyi, vocalises preque belcantistes pour imiter l'oiseau.

Pour le ballet ce qui semble être un condensé de Maroussia Bogouslavska sur une musique très efficace de Anatoly Svechnikov. On peut le retrouver au mauvais format mais en couleurs ici : https://www.youtube.com/watch?v=L-zgqLu85EI  . La copie, très correcte, de la Cinémathèque, était au bon format mais en noir et blanc.

Enfin un Gopak plein d'énergie, et un orchestre de bandouras (instrument à cordes ukrainien).

Film instructif et plaisant à suivre !

Imdb est très complet mais il lui manque les précisions sur La Jeune Garde de Meïtous : https://www.imdb.com/title/tt0044806/fullcredits?ref_=tt_cl_sm

mickt a écrit:

Je ne vous y ai pas vus

Certains travaillent le dimanche.

Et puis j'avais trop peur en venant de faire brûler la pellicule…

Citation :

Puis Le Zaporoque au delà du Danube de Semen Gulak-Artemovskiy (cf. : https://twitter.com/carnetsol/status/1219985431594438656 )

Les Zaporogues, normalement.

(Pour ceux qui n'ont pas accès à Twitter, la version longue & podcast de ton lien est là : → http://carnetsol.fr/css/index.php?La-musique-en-ukraine .)

Citation :

Mariya Litvinenko-Volgemut

Elle a une présence rayonnante, ionisante même.

Citation :

L'air de Boris Godounov chanté par Boris Gmyria (Борис Романович Гмиря, dans le film il est juste indiqué Gmyria. Intertitres uniquement en français). Il donne aussi un "air populaire" de Zaremba.

Pour le coup, un chanteur dont il nous reste des choses… dont le seul disque du Winterreise en russe !

Citation :

Film instructif et plaisant à suivre !

Ça donne des regrets en effet, surtout si tous les chants étaient sous-titrés !