Szymanowski - Le Roi Roger

Oui, la différence avec toutes les autres versions que Rattle est qu'on entend l'orchestre. (et, oui, c'est bien orchestré)

Effectivement Kaspszyk, Stryja ou Pappano font changer l'œuvre de dimension… Kaspszyk dans un versant dramatique (et une super distribution), Stryja davantage mystique, et Pappano, moins de dépaysement mais de très belles couleurs.

• Andrzej Hiolski (Roger), Wiesław Ochman (Le Berger), Barbara Zagórzanka (Roxana), Henryk Grychnik (Edrisi), Leonard Andrzej Mróz (L’Archevêque), Anna Malewicz-Madey (La Diaconesse), Karol Stryja / Chœur et Orchestre Philharmoniques d’État de Pologne (Katowice), Chœur d’enfants de la Philharmonie de Cracovie
Katowice, IV.1990
Naxos

Je ne suis pas encore un fanatique, mais c’est déjà nettement mieux, en effet!

Déjà, du côté des timbres orchestraux, c’est le jour et la nuit! J’ai en particulier beaucoup aimé les couleurs très typées des vents et le côté un peu fruste des percussions. Le seul reproche que je pourrais formuler, ce serait le caractère assez «global», trop peu focalisé pour mon goût, de l’image orchestrale (mais ça vient peut-être de la prise de son): les grands tutti restent un peu opaques, et les cordes sonnent toujours un peu «pelucheux.» J’imagine qu’il y a moyen de vraiment mettre en relief des effets de strates qu’on ne fait ici que deviner. (Connaissant un peu ses autres enregistrements de Szymanowski, j’imagine que Kaspszyk doit faire ça très bien.)

Autres problèmes, pour le coup directement imputable à la prise de son (ou au report?): sur les fins de pistes à dynamiques élevées, il y a un effet de fading brutal vraiment gênant au casque (comme si on avait baissé le son au potentiomètre pour faire le raccord avec la piste suivante); ponctuellement, aussi, il y a des effets de spatialisation un peu bizarres sur les entrées de voix solistes (mais c’est beaucoup moins gênant.)

Sinon, côté direction, je pense qu’on doit pouvoir faire nettement plus animé et tendu: j’ai l’impression qu’on est ici dans une approche plus «contemplative» que «dramatique», que Stryja cherche davantage l’effet «fresque» que le dynamisme de l’action, on a davantage l’impression d’être dans un oratorio dramatique que dans un opéra à proprement parler (mais ça peut se justifier: le livret est quand même très statique et à thème vaguement «mystique.») Et pour n’être pas dramatique, la direction impose quand même une impressionnante intensité de climats.

Au demeurant, c’est contrebalancé par l’engagement et la qualité «verbale» des chanteurs. Hiolski, en particulier, est absolument fabuleux: un timbre avec énormément d’impact, mais qu’il éclaircit ou assombrit avec subtilité, un sens accompli de la déclamation (même sans comprendre la langue, on sent la précision verbale et l’intention expressive) - quand même étonnant qu’un artiste de cette trempe n’ait pas fait une plus grande carrière (je me souviens aussi de son fabuleux Grandier dans Les Diables de Loudun); le contexte géopolitique, peut-être? Barbara Zagórzanka, j’imagine que tout le monde va trouver sa prestation moche, mais pour ma part, je dois avouer être bien plus saisi par son intensité expressive qu’incommodé par ses problèmes de justesse et d’intonation. Un peu déçu en revanche par Ochman - même si ça reste vocalement très décent la voix est vraiment vieillie et le verbe bizarrement peu saillant (surtout quand on connaît son Naraboth ou son Laca!), ce qui prend le contrepied du rayonnement ou de l’insolence qu’on imaginerait pour un Dionysos hypostasié en berger (mais n’est pas forcément sans intérêt, dans le contraste avec le Roger de Hiolski.) L’Edrisi de Grychnik m’a semblé un peu pâle - le rôle est pourtant pas inintéressant sur le papier (mais peut-être juste sur le papier, en fait: je me souviens avoir aussi été déçu par Langridge - dont je suis fan - dans la version Rattle.)

Autre point fort: le chœur. Même si l’on doit pouvoir trouver encore plus détaillé et plus finement timbré, il donne au «Hagios! Hagios!» initial un relief incroyable - de ce point de vue, le contraste avec la version Rattle: l’incipit crée vraiment une impression saisissante, ce dont je n’avais absolument pas le souvenir.

Bref: une version qui, comme le dit David, fait bel et bien «changer l’œuvre de dimension», du moins dans ma perception.

Tout à fait d'accord sur la prise de son, tu as bien décrit les choses, on n'est pas encore dans les bonnes prises de son Naxos qui viendront quelques années plus tard, même si on n'est pas non plus dans les pires, loin de là.

D'accord aussi sur Hiolski (68 ans au moment de cet enregistrement) et Zagorzanka.

Le choeur est encore plus impressionnant chez Kaspszyk!

Xavier a écrit:

on n'est pas encore dans les bonnes prises de son Naxos qui viendront quelques années plus tard, même si on n'est pas non plus dans les pires, loin de là.

En fait, ce n'est pas une prise de son Naxos: c'est à l'origine un enregistrement Polskie Nagrania, d'abord édité en CD par Marco Polo (en 1994) puis par Naxos (en 1998.)

Xavier a écrit:

D'accord aussi sur Hiolski (68 ans au moment de cet enregistrement)

Je n'avais pas calculé, mais oui, c'est impressionnant! (Surtout face à Ochman qui n'en avait «que» 53.)

Benedictus a écrit:

Xavier a écrit:

on n'est pas encore dans les bonnes prises de son Naxos qui viendront quelques années plus tard, même si on n'est pas non plus dans les pires, loin de là.

En fait, ce n'est pas une prise de son Naxos: c'est à l'origine un enregistrement Polskie Nagrania, d'abord édité en CD par Marco Polo (en 1994) puis par Naxos (en 1998.)

Oui c'est vrai.
1998 ça me paraît plus tard que ce que je pensais, j'ai dû l'acheter pile quand c'est sorti. (c'était l'époque où j'achetais mes CD à la Fnac avec mon argent de poche...)

Benedictus a écrit:

Sinon, côté direction, je pense qu’on doit pouvoir faire nettement plus animé et tendu: j’ai l’impression qu’on est ici dans une approche plus «contemplative» que «dramatique», que Stryja cherche davantage l’effet «fresque» que le dynamisme de l’action, on a davantage l’impression d’être dans un oratorio dramatique que dans un opéra à proprement parler (mais ça peut se justifier: le livret est quand même très statique et à thème vaguement «mystique.») Et pour n’être pas dramatique, la direction impose quand même une impressionnante intensité de climats.

C'est exactement ça, Stryja est un coloriste (de ce côté-là, Kaspszyk ne fait pas mieux), réussit très bien les atmosphères, et reste un peu contemplatif, là où Kaspszyk est beaucoup plus direct et dramatique.

• Wojtek Drabowicz (Roger II), Piotr Beczala (Le Berger), Olga Pasiecznik (Roxana), Krzysztof Szmyt (Edrisi), Romuald Tesarowicz (L’Archevêque), Stefania Toczyska (La Diaconesse), Jacek Kaspszyk / Chœur et Orchestre du Théâtre Wielki - Opéra National de Pologne, Varsovie, Chœur de jeunes “Alla Polacca”
Varsovie, I.2003
Accord

Superbe version, à tous points de vue - que je trouve finalement plus complémentaire que supérieure à celle de Stryja (pour mon goût, en tout cas.)

Du côté des points forts, je ne peux que confirmer, ce que tout le monde a déjà dit: c’est absolument fabuleux pour l’orchestre et les chœurs, à la fois très détaillé et très tendu, servi par une prise de son superlative. Les chœurs sont très impressionnants, tant pour leur précision d'articulation que pour leur impact direct. L’orchestre frappe à la fois par la précision de son image sonore très finement focalisée et étagée (presque analytique, permettant de bien saisir le fonctionnement de détail des strates et des textures) et par la tension dramatique imprimée par la direction (Kaspszyk joue sur les effets d’agogique et d’attaque, sur les contrastes de dynamiques et les déhanchements rythmiques, d’une manière qui relance sans arrêt l’action et maintient d’un bout à l’autre une intensité assez électrique.)

Ce qu’on entend ici est objectivement meilleur que la version Stryja (rien que la prise de son, la netteté des cordes…) - pour autant, je conserve «subjectivement» une légère inclination pour ce dernier: d’abord et surtout pour ses couleurs plus roots, plus typées Europe centrale (alors que celles de Kaspszyk, plus transparentes, évoquent aussi davantage une espèce d’orientalisme impressioniste à la française) et ce qu’elles apportent en termes de climats (plus différenciés acte par acte que chez Kaspszyk); et peut-être aussi parce que son approche «contemplative» semble finalement davantage aller de soi au regard de ce livret très statique (alors que j’ai souvent eu l’impression d’une dramatisation qui force presque le livret chez Kaspszyk.)

La distribution est elle aussi objectivement parfaite: vocalement d’abord, c’est vraiment de très, très haut vol, entre l’incroyable pureté de timbre d’Olga Pasiecznik, la sombre densité de Drabowicz et la voix superbe du jeune Beczala - superbe dans tous les sens du terme, pour ce dernier: à la fois la somptuosité et l’arrogance - la voix idéale du personnage, de mon point de vue. Tous sont très investis, au diapason de la lecture très dramatique du chef (on sent que ça a été enregistré sinon live, du moins après avoir été joué sur scène) et d’un parfait idiomatisme verbal, particulièrement savoureux chez Beczala (paradoxalement, son polonais a à la fois beaucoup plus de mordant, de douceur et de galbe ici que dans l’intégrale des mélodies avec piano de Szymanowski chez Channel Classics.)

Pour autant, si le Berger-Dionysos de Beczala est effectivement idéal, je dois avouer que je préfère malgré tout le Roger de Hiolski à celui de Drabowicz, et d’assez loin: déjà, vocalement, je ne suis pas fan de ces harmoniques graves très denses qui assombrissent vraiment trop le timbre, lui donnant une couleur de basse; ensuite, sa caractérisation est certes très intense, mais pour moi d’une intensité trop uniment dramatique, presque histrionique et pas assez déclamatoire pour mon goût - pour tout dire, je trouve l’incarnation un peu fruste, tirant le personnage vers une typologie opératique un peu stéréotypée (disons du côté des Don Giovanni sombres, des Boris, des Golaud ou des Barbe-Bleue), là où Hiolski offre une incarnation plus aristocratique, plus éloquente et plus lumineuse, qui me paraît mieux cerner la figure singulière que suggère le livret. Je pense en revanche que je serai un peu seul à préférer Barbara Zagórzanka à Olga Pasiecznik - mais là, c’est vraiment une question de goût personnel: je suis très peu sensible (et c’est un euphémisme) aux qualités très belcantistes que fait entendre ici Pasiecznik (morbidezza, chant sur le souffle, tout ça…) et à l’inverse très sensible à un chant un peu «expressionniste-sale.»

Mais bon, cette version Kaspszyk est vraiment superlative - simplement, pour moi elle ne disqualifie pas du tout celle de Stryja, mais elle en est complémentaire. Et dans l’absolu, je pense Kaspszyk plus indiquée pour découvrir l’œuvre: mieux enregistrée, plus consensuelle aussi (elle ne laisse dans l’ombre aucune des richesses de la partition, elle comblera les amateurs de belles voix et de théâtre, mais ne frustrera pas non les amateurs d’expressivité et de verbe.)