Beaucoup de choses à dire sur ce concert ! J'étais très enthousiaste à l'idée de m'y rendre. La magie de Paris opère à fond : j'y vis depuis plus de 12 ans maintenant, et je découvre encore au quotidien des monuments majeurs dans cette ville, dont cette salle de laquelle je n'avais jamais entendu parler, ou plus exactement, dont je ne soupçonnais pas qu'elle existât encore.
Le programme m'enthousiasmait également : le concerto n°2 de Saint-Saëns est vraiment mon préféré, toutes catégories confondues, et je cours après les interprétations live, même si je suis très souvent déçu depuis que j'ai entendu Fazil Say le transcender ; et la symphonie n°3 de Mendelssohn, que j'aime beaucoup aussi, notamment le premier mouvement, qui prend aux tripes.
Placement semi-libre : on choisit entre trois catégories, chacune ouvrant droit à des zones de plus ou moins bonne qualité. J'ai choisi la catégorie intermédiaire. Arrivé très tôt, j'étais le premier dans la salle, mais j'ai passé tellement de temps à faire des photos que j'ai pu tester toutes les places du premier et du second balcon... pour finir, après de longues hésitations, dans une petite loge du premier balcon, dans laquelle, fort heureusement, j'étais seul. Le chef, dans son long discours introductif sur la salle, a précisé que, à l'origine, elle accueillait 1 300 personnes, contre 420 aujourd'hui. C'est sidérant !
Deux files à l'extérieur : une pour les invités, une pour les spectateurs "payants" qui avaient déjà leur billet (dans laquelle j'étais seul). Fauteuils parsemés de panneaux nominatifs, que j'ai considéré comme autant d'invités (toutes les meilleures places...).
Quelques mots sur la salle : magnifique décor pompéien, inspiration néo-classique, vraiment très réussi ! Tout en bois, carton et tissu peint, ça donne l'impression d'être très fragile, un peu branlant. Le sol grince sous chacun de nos pas, les portes ne tiennent pas vraiment en place et les fauteuils mériteraient d'être un peu rembourrés. L'ensemble a un charme fou, une capacité à extraire le spectateur de son époque, un petit voyage dans le temps. On se croit dans un décor de théâtre, et non dans un théâtre, c'est bluffant. J'espère avoir l'occasion d'y revenir.
Je le disais, longues introductions du chef : avant le concerto, pour présenter la salle, puis l’œuvre, et avant la symphonie, pour parler de Mendelssohn, de son voyage et de ses inspirations pour cette symphonie. C'était vraiment intéressant. Passionné, il a notamment tenté une définition du style français qui m'a séduit, et qui se résume en trois mots : danse, couleurs et retenue. Danse, pour le champagne, la légèreté, le refus de la gravité ; les couleurs, en demi-teintes, contrairement à l'Italie avec ses couleurs franches, comme une traduction picturale de la variété de nos accents, de la cohabitation des différents peuples, un art de "mettre de l'eau dans son vin", ce qui donne à l'orchestre une façon particulière de faire timbrer chaque instrument, de le magnifier ; et la retenue, pour une certaine élégance aristocratique, ne pas tout dire, suggérer plutôt que montrer, et un art d'être concis. A discuter !
Avant que le concert ne commence, l'accordeur était à l’œuvre : piano visiblement très difficile à accorder, il s'y est repris plusieurs fois. Cet instrument est un vieux monsieur Erard, aux timbres attachants et qui, malgré l'époque de sa conception, présentait une certaine puissance. Les instruments d'époque de l'orchestre s'entendaient principalement dans les cordes (un violoncelliste n'avait même pas de tige pour poser son instrument, il l'avait coincé entre ses mollets pour jouer). Tout cela contribuait à donner un cachet à l'ensemble, et participait bien évidemment de l'ambiance, du cadre de ce merveilleux théâtre.
Premier concert depuis le début du conflit au cours duquel il n'a été fait aucune référence, de près ou de loin, à l'Ukraine.
Acoustique de salle : je craignais le pire dans un petit théâtre à l'italienne, notamment pour la saturation. J'ai été très surpris de cette acoustique particulièrement sèche, jamais entendu ça ailleurs ! Il n'y strictement aucune réverbération sonore : le son s'arrête à l'instant très précis où le musicien lâche sa note. Ça impose de jouer différemment, et c'est vraiment une expérience intéressante. J'imagine que ce théâtre pourrait servir à des enregistrements. Par contre, pas mal de bruit en provenance des couloirs.
Saint-Saëns : interprétation qui a réussi à me bouleverser, et me tirer quelques larmes vers la fin du premier mouvement. Pianiste en forme, réussissant à timbrer parfaitement. Face à Fazil Say, on peut regretter l'absence d'un petit grain de folie, mais chaque phrase était bien chantée, et un ensemble de très grande qualité. Cette version pourrait être gravée, pour documenter un enregistrement sur instruments d'époque.
Rappel : Bach, variation Goldberg (la 13ème je crois). On aurait pu s'en passer après du Saint-Saëns.
Pas d'entracte, juste un changement de plateau un peu long.
Mendelssohn : magnifique interprétation aussi, dans un tempo assez conventionnel. Cordes manquant par moment de profondeur (est-ce l'acoustique de la salle ou la configuration en effectifs restreints ?). Premier mouvement très émouvant. Marche funèbre (hommage à Marie Stuart) particulièrement réussie. Finale sans grandiloquence, élégant, on regrette vraiment que ça finisse !
Rappel : Bach encore, cantate n°140, transcription pour piano et cuivres. Sans grand intérêt après une telle symphonie.